Berechit

Berechit : Le monde du début

«  Le recommencement de la Lecture. À l’office du matin du premier Shabbat qui suit les solennités du premier mois de l’année, Tishri, les communautés juives du monde entier reprennent la Lecture de la Torah depuis le début … Force est de constater que les commentateurs ont expliqué de toutes les manières possibles ce premier verset du Pentateuque, et pourtant, il demeure énigmatique, comme s’il cachait un secret qui tient du prodige et qui n’a jamais fini de se révéler… à suivre. Ce secret du commencement Béréshit interpelle toute personne honnête qui lit ce verset, car chacun est à la recherche de son identité propre. Or, la Lecture de la Torah décrit et définit la Charte de l’identité humaine. Cette identité, que chacun recherche, serait toujours à proximité, directement accessible, mais de suite aussi très lointaine, scellée, hermétique. Notre identité authentique est une pérennité occultée non encore dévoilée, c’est-à-dire un secret qui se révèle au compte-goutte selon les évènements qui se déroulent au cours du temps de cette année, des années précédentes et de celles futures. Ce secret de l’identité humaine dans son absolu de perfection est une connaissance occultée actuellement mais que l’on pourrait posséder à condition de l’étudier et de l’approfondir, selon une initiation qui se transmet de père en fils et de maître à élève. Redoublant d’effort, il nous faut piocher dans les cieux des textes écrits et dans la terre des dires de tous les Sages du Talmud. Toutefois, cette recherche doit aussi s’éclairer des péripéties historiques et des bouleversements de la vie. En effet, la Tradition hébreue se situe dans un monisme intégral de l’essence du monde, c’est-à-dire que tout est absolument en Dieu qui transcende le tout, ce que les savants appellent le panenthéisme radical : c’est le même Créateur qui a voulu le monde de vérité et qui a fait le monde de réalité. C’est le même Créateur qui fait exister la vérité dans son absolu de perfection et la réalité dans son absolu d’imperfection, à chaque instant et partout dans les mondes, aussi bien physiques que spirituels, réels qu’intuitifs. C’est ce qui fait que le monothéisme du Tnakh, la Bible des Hébreux, n’est pas le résultat d’une recherche de la pensée naturelle humaine, quand bien même aurait-elle une visée moniste et monothéiste, mais c’est une révélation de Dieu, du début à nos jours. Même si cette évidence est une catégorie de la foi, elle trouve son application dans le domaine de la réalité : depuis la création de l’Etat d’Israël, ce qui faisait partie des catégories de la foi devient l’évidence même d’une réalité qui se révèle à nos yeux éberlués. Il est évident pour l’homme de foi que tout est voulu par Dieu dans le monde de vérité et que le monde de réalité obéit en tout à la loi de vérité. Ce qui fait que ce que nous vivons en Érets Israël, sous l’égide de la réalité de l’État d’Israël, n’est que pure vérité. Le alef et le bet Tout découle d’une même question, tout revient à cette même interrogation : Qui suis-je ? Quelle est la condition de mon être ? Pourquoi et comment ? Pour qui ? Pour quel but ? Ce qu’en hébreu nous questionnons par lamah למה ? Mais ce questionnement du pourquoi de la fin ne peut se résoudre qu’en ayant une connaissance du début par le questionnement du commencement, comment cela s’est-il révélé, comment eikh איך ? Si mon identité authentique reste un secret enfermé dans la tour d’ivoire du premier verset, insondable à moi-même, secret qui dépasse toutes les explications et tous les commentaires, pourquoi donc a t’il été mis par écrit et lu chaque année de nouveau ? Rashi s’étonnera de toujours, et nous après lui : « Au commencement Dieu créa les cieux et la terre : Rabi Yits’haq dit : Il n’était nécessaire de faire débuter la Torah que par la première des lois prescrites à Israël, Shémot, XII, 2 : « Cette néoménie sera pour vous le commencement de l’année ; il sera pour vous le premier des mois de l’année ». Pour quelle raison le texte commence-t-il par Béréshit, le récit de la Création du monde ? ». Parce que le premier verset aurait dû commencer par la première lettre de l’alphabet alef, qui signifie la catégorie de l’Unique, mais il commence par la lettre bet qui indique que la création, pour être cohérente à elle-même, est inscrite dans la catégorie de la dualité. Dès qu’il y a création, il y a dualité, car l’éloignement de la source de création s’accompagne de l’apparition de l’être autre que l’Être qui donne l’être. Dès qu’il y a un monde d’en bas, il y a dualité puisqu’il s’est détaché du monde d’en haut ; il y a deux, l’un et l’autre, le bien et mal. Autrement dit, le alef, le Un primordial, source de tout l’être, s’est caché avant le bet, et lorsque le alef se dévoile, c’est toujours à reculons, incognito et par miracle, par des prodiges dans le monde de la nature, Shémot, XXXIII, 23 : « Alors Je retirerai Ma main, et tu Me verras par derrière ; car Ma face ne peut être vue ».     Lorsque le alef אלף se montre c’est par en arrière, avec un mot formé des mêmes trois lettres, mais à reculons : פלא pélé, le miracle. Lorsque le alef אלף descend par en bas, il se dévoile en pélé פלא. Ainsi l’Unité profonde se dévoile un peu : Elle aurait déjà voulu que l’être Israël respectât le premier des commandements prescrits mais pour ce faire, il fallait commencer par créer le lieu de cette révélation, depuis son commencement, Béréshit. Sinon, l’histoire aurait été incohérente et « mystique », elle aurait été une connaissance de l’ordre du mystère, impossible à posséder. Cela vient de ce que la notion de création du monde échappe à la raison humaine ; elle est renvoyée par la Torah à l’absolu du commencement, à l’impensable absolu. Si commencement il y eut c’est bien parce qu’il enferme en lui toute la création elle-même car cette création ne pourrait avoir lieu avant son propre commencement, dixit Rav Yéhouda Askénazi.

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Haye Sarah : Avraham et Sarah, précurseurs d’Israël

Après la mort de Sarah à Qiriat Arba’, Avraham veut l’enterrer sur place, dans le pays appelé momentanément du nom de Cana’an, dans le caveau de Makhpéla qui se trouve au bout du champ qui appartenait à ‘Éphrone. Il entame des pourparlers commerciaux pour acquérir la sépulture, Béréshit, XXIII, 4 : « Je suis un גר, un émigré et un תושב, un habitant parmi vous ». Avraham introduit ses négociations commerciales en faisant comprendre à ses interlocuteurs qu’il possède deux qualités, deux attributs : émigré et habitant. C’est soit en tant qu’étranger, domicilié parmi eux, que les enfants de ‘Heth lui donneraient de bonne grâce ce qu’il leur demande, soit en tant qu’habitant fixe, demeurant parmi eux, et il prendra une sépulture par son bon droit, car le Seigneur lui a dit : A ta postérité, Je donnerai ce pays. Rashi précise : « Avraham dit à ‘Éphrone : Si tu ne veux pas me vendre ce caveau parce que je suis un émigré, considère-moi alors comme habitant de ce pays pour un temps illimité ». Ce qui constitue, vous en conviendrez, un argument commercial peu convaincant, si ce n’est spécieux. Mais, conditionné par le temps pour enterrer Sarah et contraint devant la nécessité d’aboutir rapidement à l’acquisition du terrain, Avraham ne veut entamer pour l’instant aucune controverse sur ses véritables droits : Donnez-moi la propriété de la sépulture soit à titre d’émigré soit à titre de concitoyen, alors que tout le pays m’appartient de droit divin.     Toutefois, Avraham aurait dû prendre les devants et aurait pu acheter le dit terrain auparavant par prévention et par précaution. S’il l’avait voulu spécifiquement, il aurait entamé des pourparlers, sans pression. On peut répliquer à ce reproche qu’il aurait été en but à un refus catégorique de la part des ‘Hitéens, descendants de Cana’an, alors que là, son mort posé en évidence devant tout le monde et devant lui, il y a urgence d’enfouissement. Ce qui sous-entend que l’état d’esprit d’Avraham est, malgré tout, de l’acquérir contre espèces sonnantes et trébuchantes, marché à pourvoir par ‘Éphrone, avec plus-value intéressante et significative à se pourlécher les babines du royal bénéfice. On peut prévaloir aussi qu’Avraham aimait Sarah d’éternité et qu’il supposait qu’elle vivrait au-delà du temps, autant que son amour : c’est l’explication que préfère ma femme.     La Torah dévoile dans la préface des récits historiques des situations existentielles et socio-politiques que, dans son histoire, le peuple d’Israël rencontrera et devra vivre avec, puis les résoudre en tant que collectivité.     Rav Emmanuel Chouchena explique ainsi, rappelant le Midrash Béréshit Raba Noa’h : le nom ‘Éphrone est écrit dans la Torah sans la lettre vav עפרן. À propos du verset de Béréshit XXIII, 14-15 : « Éphrone répondit à Avraham en lui disant : “Seigneur, écoute-moi : une terre de quatre cents sicles d’argent, qu’est-ce que cela entre nous deux ? Enterres-y ton mort” », Rashbam explique que la valeur numérique de ‘Éphrone עפרן est de 400, de même que l’expression רע עין, envieux, composée de presque les mêmes lettres. Cette expression fait allusion aux quatre cents sicles d’argent, somme substantielle même de nos jours, qu’Avraham a versée pour l’acquisition du caveau de Makhpéla, à l’extrémité du champ d’Éphrone, le ‘Hitéen. Autrement dit, comme le Talmud Bérakhot, 7b, l’énonce : שמא גרים shema garem, le nom d’une personne influence non seulement sur sa personnalité mais aussi sur son entourage, et au-delà, sur le monde entier. La destinée vertigineuse d’Israël     Or, depuis longtemps, au début du sionisme moderne dit sionisme politique, les mêmes situations existentielles vécues par les patriarches, dans leur relation à leur environnement, sont rencontrées lors de la résurrection de l’entité sioniste : bien qu’Erets Israël appartienne au peuple juif, The Jewish Colonization Association du Baron Maurice Hirsch, le Keren Kayémet LeIsraël, Moïse Montefiore, Rotschild, pour ne citer qu’eux, achetèrent nombre de domaines de notre terre ancestrale. Leurs achats dépassent même les frontières actuelles de notre État : en Syrie, en Jordanie et ailleurs, des actes de propriété en bonne et due forme sont entre les mains de Juifs prévenants. Et parfois, la même terre, le même domaine, le même quartier de la Vieille Ville de Yéroushalayim, de ‘Hébron et d’ailleurs ont été achetés plusieurs fois à différents ‘propriétaires’ brandissant des actes de propriété falsifiés et ‘inscrits au registre’. C’est ainsi que de nos jours 1424 dounams (un dounam équivaut à peu près à un kilomètre carré) de terres achetées avant l’Indépendance, dont les papiers d’acquisition par des Juifs ont été fournis par les Britanniques immédiatement après la Déclaration d’Indépendance de l’État d’Israël, restent orphelins. Une impression de déjà vu     À l’heure de la rédemption, la restauration de la nation hébreue par l’État d’Israël fait resurgir brusquement de la clandestinité galoutique l’histoire de nos patriarches et nous sommes ébahis par l’actualité de leur environnement ancestral dont les personnages nous interpellent toujours, dans la même typologie de rivalité.     Au premier rang, la France, fille aînée de l’Église mais pouponnière du djihadisme, est le seul État au monde à posséder des biens et des terres en Israël, et chaque année se rajoutent des dossiers de réclamation à la possession, certains se basant sur… les Croisades de conquête des rois de France en Terre Sainte et aussi sur les combats qu’y mena Napoléon Bonaparte avec son armée.     Après Avraham, bien plus tard, après la sortie d’Égypte, bien que tous les explorateurs aient été des justes, Bémidbar, XIII, 7 : « c’étaient tous des personnalités considérables », arrivés à la vallée d’Eshkol (Bémidbar XIII, 23), ils prirent peur. Pourquoi la Torah précise-t-elle le nom de cette vallée ? À priori, on pourrait penser qu’ils donnèrent ce nom à cette vallée par anticipation puisqu’ils y cueillirent une grappe de raisin eshkol אשכול. Cependant, cette vallée possédait déjà un nom, celui d’Eshkol, l’un des trois alliés d’Avram, avec ‘Aner et Mamré lors de la guerre des « quatre rois contre cinq » (Béréshit XIV, 9-13). À la question de savoir si Avram devait pratiquer la Brith-Milah de lui-même, sans en avoir reçu l’ordre de Dieu, ce même Eshkol le lui déconseilla, arguant que ses ennemis profiteraient de sa faiblesse

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Lekh-lekha : Avraham, notre Père fondateur

Pour sauvegarder l’humanité en particulier, et au-delà, le monde en général, il fut absolument nécessaire que Noa’h se retire dans l’Arche, accompagné d’une partie de l’humanité, sa famille proche, ainsi que des animaux purs et impurs. Cette retraite fut rendue indispensable car le reste du monde avait perverti sa voie morale. À l’époque de Noa’h, la morale telle que voulue par le projet divin était en déroute, comme mentionné dans Béréshit VI, 12 : « Dieu constata que la terre était corrompue, toute créature ayant perverti sa voie sur la terre ». Pour perpétuer le monde, il était donc crucial de préserver cette voie de morale, et ainsi, Noa’h trouva grâce aux yeux du Seigneur, Béréshit VII, 1 : « Le Seigneur dit à Noa’h : « Entre, toi et toute ta famille, dans l’arche, car c’est toi que J’ai reconnu honnête parmi cette génération. » » Le moment de l’introspection est arrivé. Noa’h incarne l’introversion individuelle par excellence, un introverti vertueux pour son salut personnel. À l’inverse, Avraham représente tout le contraire. Béréshit XII, 1-2 : « Le Seigneur dit à Avram : Va pour toi, hors de ton pays, de ton lieu natal, de la maison paternelle, vers le pays que Je t’indiquerai. Et Je ferai de toi une grande nation, Je te bénirai, Je rendrai ton nom glorieux et tu seras bénédiction ». Cette bénédiction, destinée à toutes les familles de la terre, s’incarne depuis le pays désigné, la terre de prédilection, le pays de Moriah. La mutation d’identité de l’humanité Depuis la création, le monde a été saturé par la Parole divine interventionniste. Toutefois, après « la faute », cette Parole s’est arrêtée, s’est occultée et s’est interdite elle-même. Bien que parfois la Parole réapparaisse, elle est à sens unique, sans dialogue entre Dieu et Sa créature. La parole humaine elle-même fut interrompue : Noa’h ne laissa échapper que des paroles de malédiction contre Cana’an. Il fallut attendre Avram pour que la Parole revienne et que le dialogue s’établisse à nouveau. Dieu s’adressait auparavant à des individus d’exception, capables de se hisser vers cette rencontre divine. Avec Avraham, la stratégie divine se réoriente radicalement : le temps de l’extraversion est venu, celui de divulguer la morale selon le projet divin, pour fonder une humanité nouvelle et sauver l’univers tout entier. Avraham, appelé Avram l’Hébreu, אברם העברי, est l’extraverti sage et dévoué au salut de l’humanité tout entière. Contrairement à Noa’h qui agit sur un plan personnel, Avram marque le début d’une éthique collective et universelle. Les dix épreuves subies par Avraham, suscitées par Dieu, forgent la nature profonde de la nation hébraïque. Comme dit le Pirqei Avot V, 3 : « À dix épreuves divines, Avraham, notre père, la Paix sur lui, s’est mesuré et les a surmontées toutes, démontrant ainsi la grandeur de l’amour qu’il portait au Saint, Béni soit-Il ». Le Midrash Béréshit Raba (42, 8) éclaire le titre d’« Avram l’Hébreu » et souligne ses multiples significations : il était du côté opposé du monde, descendant de ‘Ever, et il parlait hébreu, la langue de la sainteté apprise dans la Yeshiva de ‘Ever. Avram est resté le seul à utiliser cette langue de prophétie unissant l’humanité avant la confusion des langues. De l’intérieur à l’extérieur Rav Kook explique que la vertu d’Avraham est celle d’une sagesse de compréhension fondée sur ses capacités personnelles. Cette vertu l’a poussé à appeler au nom de l’amour universel du Créateur, rendant manifeste la Parole divine dans le monde extérieur, en initiant une ère où l’homme participe activement à l’œuvre divine, faisant ainsi émerger la nation hébraïque pour diriger l’humanité sur la voie du bien.

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Toledot : Les engendrements

La rivalité fraternelle     Béréshit (25, 21) nous apprend que Yits’haq et Rivqa « ont imploré le Seigneur. » Mariés depuis vingt ans, ils n’avaient pas d’enfant, Rivqa étant stérile. La fécondation médicale n’était pas au point à cette époque et la prière reste, encore de nos jours, la meilleure façon de demander le manque, et c’est ainsi que : « Le Seigneur accueillit cette prière. » Rivqa enceinte, l’humanité perdue rebondit à travers elle, à la recherche de l’authenticité adamique d’avant ‘la faute’ : enfanter un être capable de résoudre les deux tâches imposées à Adam, le premier homme. Il s’agit de la tâche spirituelle qui assure le salut du ciel dans le monde à venir et la tâche matérielle qui permet l’existence dans la vie de ce monde. La matrice éternellement féconde des engendrements trouve de nouveau en Rivqa le réceptacle de sainteté pour la continuation du projet divin.     Mais la stratégie divine divise ces tâches et les répartit à deux jumeaux : « Les enfants s’entre-couraient en son sein. » Rivqa comprend que la rivalité et la séparation qui animaient, à la génération précédente, Yits’haq et Yishmaël, n’ont pas été entièrement résolues. Cela d’ailleurs lui rappelle trop la rivalité de Caïn et Hével, avec pour conclusion la suppression du mot frère de la Torah et l’exil de la fraternité. Il a fallu attendre Avraham pour que le mot frère réapparaisse. Rashi souligne ce problème sur le verset de Béréshit (25, 19) : « Et voici les engendrements de Yits’haq : Ya’aqov et ‘Essav dont parle la parashah ». Autrement dit, comme Avraham a engendré un conflit fraternel avec Yits’haq et Yishma’ël, Yits’haq aussi engendra un conflit fraternel du même genre, avec Ya’aqov et ‘Essav. Le conflit d’identité entre les deux enfants, déjà dans la matrice, reflète un problème spirituel d’envergure telle que Dieu seul détient la solution : « Rivqa alla consulter le Seigneur », car à quoi bon l’enfantement si, déjà dans ses entrailles, le combat ne peut se résoudre ? Béréshit (25, 23) répond à ce dilemme : « Le Seigneur lui dit : ‘Deux nations sont dans ton sein et deux peuples sortiront de tes entrailles ; un peuple sera plus puissant que l’autre, et l’aîné obéira au plus jeune’. » Rivqa est tranquillisée car au moins, il n’y aura pas de fratricide, les deux enfants vivront ensemble malgré leurs lignées qui revendiqueront deux tâches diamétralement différentes. ‘Essav choisit la matière et Ya’aqov l’esprit. Le combat fondamental     Le Midrash Béréshit Raba (63) souligne l’antagonisme virulent qui oppose ces deux mondes antinomiques : « Quand Rivqa passait devant les maisons d’études de Chem et de ‘Ever, ancêtres d’Avraham, Ya’aqov se débattait pour sortir et s’y précipiter ; et quand elle passait devant un lieu d’idolâtrie, c’est ‘Essav qui voulait sortir. » L’un est attiré vers le bien, l’autre vers le mal, Ya »aqov est intègre et ‘Essav est disposé à la faute. Ya’aqov est né circoncis, parfait à tous égards, sans besoin de perfectionnement. Leurs tempéraments se distinguent dès l’adolescence et Rivqa prévoit un combat cosmique fondamental qui séparera la tâche de ses enfants, Béréshit (25, 27) : « Les enfants grandirent, ‘Essav devint un homme habile à la chasse, un homme du champ, et Ya’aqov un homme intègre qui habite dans les tentes. » Leurs personnalités sont radicalement opposées, ce que Rabi Lévi dit : « Ils sont comme une ronce et un cédrat qui poussent l’un à côté de l’autre. Quand ‘les enfants grandirent’, tous deux allèrent à l’école pendant treize ans, l’un a donné du fruit, l’autre des épines ; après treize ans, l’un se rendit à la Maison d’études, l’autre à la Maison d’idolâtrie. »     L’homme du champ ‘Essav est un homme courageux qui se mesure avec la réalité matérielle et terrestre, mais il est foncièrement violent. Il ne consacre pas sa vie à limer son cerveau à celui des Sages de la Maison d’Etudes de Shem et de ‘Ever, ses ancêtres, ou à la recherche spirituelle. Son domaine préféré est la nature, la forêt et les champs, il bat la campagne pour l’assujettir. Or il n’y a aucun mal à trouver un assouvissement à son caractère sanguinaire dans les choses permises. Il chasse de telle façon que son gibier est cachère et que son père accepte d’en manger. Béréshit (25, 28) en témoigne : « Yits’haq préfère ‘Essav car il met de la chasse dans sa bouche. » Pour lui, son grand fils est bon puisqu’il le respecte en lui assurant sa subsistance, quotidiennement. La spécialisation de ‘Essav est la matière avec pour polarisation la technique pour dompter la terre. Son grand fils mérite une attention particulière au vu de ses potentialités infinies de se mesurer au monde-ici-bas. Pour Yits’haq, il y a nécessité absolue de l’entourer de toute son envergure spirituelle pour lui donner la motivation de construire ce monde dans la droiture, en toute pureté.     Le mérite d’Essav est le respect filial. En effet, tant qu’Avraham vécut, le Talmud nous dit qu’il est resté apparemment dans le droit chemin. Il avait quinze ans quand Avraham mourut. Pendant deux ans, depuis la Bar Mitsvah à l’âge de quinze ans, il s’est dissimulé pour que ses crimes ne soient pas dévoilés car il ne voulait pas causer de peine à son père duquel il voulait tellement la bénédiction dans ses actes. Tant que son père vécut, il faisait semblant d’étudier devant lui la Torah et il ne voulait pas tuer son frère pour ne pas le peiner. Pour lui faire plaisir, il épouse une fille d’Yishmaël (Béréshit 27, 8), mais il ne répudie pas ses femmes païennes. Cependant, donner à la matière une priorité automatique démesurée et déconnectée du spirituel, débouche sur la violence effrénée. Bien sûr, la nature est sacrée, elle nous sert à la sainteté et au service divin, au salut de l’homme, mais s’en occuper incessamment conduit à la divinisation du matériel et à l’idolâtrie. Au lieu de se servir de la nature pour un but élevé, on se met à son service. De plus, cette concentration de forces humaines sur les problèmes terrestres

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Vayera : Avraham et Sarah – fondateurs de l’universalité

Béréshit, XVII, 1 : « Avram étant âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans, Hashem, (שם הויה) le Seigneur, lui apparut et lui dit : “Je suis El Shadaï, Dieu tout-puissant (אל שדי) ; marche devant Moi et sois intègre… Pour sauvegarder l’humanité en particulier, et au-delà, le monde en général, il fut absolument nécessaire que Noa’h se retirât dans l’Arche, accompagné d’un concentré d’humanité, sa famille proche, les animaux purs et impurs. Cette retraite fut rendue nécessaire car le reste du monde avait corrompu sa voie morale. En effet, à l’époque de Noa’h, la morale selon le projet divin pour l’humanité était en débâcle, Béréshit VI, 12 : « Dieu considéra que la terre était corrompue, toute créature ayant perverti sa voie sur la terre ». Il fut absolument nécessaire, pour perpétuer le monde, de garantir la voie de la morale, c’est ainsi que Noa’h trouva grâce aux yeux du Seigneur, Béréshit VII, 1 : « Le Seigneur dit à Noa’h : « Entre, toi et toute ta famille, dans l’arche ; car c’est toi que J’ai reconnu honnête parmi cette génération. » ».     Le temps de l’introspection est venu, et si l’on peut s’exprimer ainsi, Noa’h représente l’introversion de l’individuel par excellence, c’est l’introverti vertueux pour son salut personnel. Par contre, en ce qui concerne Avraham, c’est tout le contraire, Béréshit, XII, 1-2 : « Le Seigneur dit à Avram : Va pour toi, hors de ton pays, de ton lieu natal, de la maison paternelle, vers le pays que Je t’indiquerai. Et Je ferai de toi une grande nation, et Je te bénirai, Je rendrai ton nom glorieux et tu seras bénédiction ». Bénédiction pour toutes les familles de la terre à partir du pays indiqué, la terre de prédilection, le pays de Moria ! La mutation d’identité de l’humanité     Depuis le début de la création, l’atmosphère du monde est saturée par la Parole divine interventionniste. Mais depuis « la faute », elle s’est arrêtée, occultée, interdite d’elle-même. Parfois la Parole réapparaît mais elle n’est qu’à sens unique, le dialogue est absent entre Dieu et Sa créature. La parole humaine elle-même est interrompue, Noa’h n’ouvre la bouche que pour maudire Cana’an. Il faudra attendre Avram pour que la Parole revienne et que le dialogue se rétablisse. Auparavant, Dieu s’adressait à quelques individus de stature exceptionnelle qui pouvaient s’efforcer et grimper aux cimes de la rencontre avec Dieu. Depuis Avraham, la directive stratégique divine nécessite obligatoirement un retournement radical d’orientation : le temps de sortir des sentiers battus est venu, le temps de l’extraversion est venu. Le temps du jaillissement vers l’extérieur, de divulguer la morale selon le projet divin à travers le monde pour perpétuer une nouvelle humanité et sauver, avec elle, l’univers tout entier.     Avraham, notre patriarche fondateur de la nation hébreue, qui portait encore son nom d’origine, Béréshit XLII, 13 : Avram l’Hébreu, אברם העברי, représente l’extraversion de l’individuel par excellence. C’est l’extraverti fervent et sage pour le salut de l’humanité tout entière. Il ne s’agit plus du niveau comportemental moral individuel, comme ce fut le cas de Noa’h mais, avec Avram, c’est au niveau du comportement de l’être, à l’indice d’une nation dans toute son envergure universelle. Si Noa’h avait trouvé grâce aux yeux du Seigneur, par gratuité absolue de Sa part, Avram, quant à lui, doit faire preuve de sa vertu par dix épreuves, suscitées par Dieu, pour forger le caractère intrinsèque de la nation hébreue, au niveau de son être universel.     Le Midrash Béréshit Raba, 42, 8 enseigne à propos de la dénomination « Avram l’Hébreu » : « Que signifie l’Hébreu ?– Rav Yéhouda dit : le monde entier est d’un côté et Avram est de l’autre côté (‘éver, עבר).– Rav Né’hémia dit : Avram était l’un des descendants de ‘Ever (fils de Shem fils de Noa’h).– Les Sages disent : Avram était de l’autre côté du fleuve (l’Euphrate, comme il est dit, Yéhoshoua’, XXIV, 3 : « Et Je pris votre père Avraham, de l’autre côté du fleuve ») et qu’il parlait l’hébreu ».     Avram parlait hébreu car la connaissance se transmettait en hébreu, la langue de sainteté, dans la Yéshiva de ‘Ever, où il étudiait. Avram est le seul des descendants de ‘Ever à parler encore la langue de la prophétie (Béréshit Raba, 37, 7) qui unissait l’humanité et précédait la confusion des langues conséquente à la Tour de Babel. Il instaure le projet de la messianité de l’histoire d’Israël jusqu’à son aboutissement ultime, qui l’oppose aux impérialismes du monde entier représentés par l’exil d’Our Kasdim, la « fournaise » de Kasdim.     En correspondance aux dix paroles par lesquelles le monde fut créé, la nation hébreue fut créée par les dix épreuves subies par Avraham qui les surmonta toutes, Pirqei Avot, V, 3 : « À dix épreuves divines Avraham, notre père, la Paix sur lui, s’est mesuré et il les surmonta toutes, pour montrer la grandeur de l’amour qu’il portait au Saint, Béni est-Il ». C’est mutuel, car ces épreuves montrent aussi le grand amour que Dieu lui porte. Le peuple d’Israël a donc sur qui prendre exemple, à la lumière directrice d’Avraham, notre patriarche, le plus grand homme parmi les géants de la nouvelle humanité (Yéhoshoua’, XIV, 15, selon Béréshit XXIII, 6 : « Tu es le Prince de Dieu parmi nous ».) Et dire, à l’instar du Talmud Rosh Hashana, 20a, pour la nouvelle lune : « Ainsi, vois et sanctifie ». La première épreuve : sortir de son cocon     Notre Seigneur interpelle Avram pour qu’il sorte à l’extérieur. À partir de cet appel, Avram n’est déjà plus une personne individuelle mais une personnalité d’envergure universelle, appelée à fonder une nation telle que par son truchement, la bénédiction divine se répande à travers l’univers, urbi et orbi, à l’intérieur de la Cité et à l’extérieur. Ainsi, depuis Avram, une révolution bouleverse l’histoire, un sursaut d’humanité nouvelle balaie le monde, la vie individuelle de chacun saute d’un cran pour passer à l’ampleur d’une collectivité. La vie d’un peuple est inaugurée par son premier fondateur Avram, avec sa femme Sarah, notre matriarche. Avec Avraham et Sarah surgit subitement dans l’histoire, non pas seulement une nouvelle dimension morale de la préoccupation spirituelle de son prochain, mais une dimension jusqu’ici occultée dans

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