Berechit

Vayéchev : Yossef, frère de ses frères

Cause de tout nouvel exil : la médisance     Béréshit, XXXVII, 2 : « Voici les engendrements de Ya’aqov : Yossef ! Lorsqu’il fut âgé de dix-sept ans, menait paître les brebis avec ses frères, et c’était un adolescent parmi les fils de Bilha et les fils de Zilpa, femmes de son père ; et Yossef débitait à leur encontre de la médisance à leur père ». La médisance en quoi que ce soit, même si elle prétend dire ou décrire la vérité, inhibe la rédemption et cause tous les exils (Rambam, Lois des opinions, VII, 2 ; ‘Hafets ‘Haïm, Lois du Lashon hara’). Rashi commente que Yossef disait toutes sortes de médisances sur le dos des fils de Léah et qu’ils méprisaient les fils de Bilha et Zilpa, alors que Yossef, lui-même, essayait de les rapprocher. On notera cependant que le verset souligne, selon le signe de cantillation apposé au rythme du verset, que les engendrements de Ya’aqov se résument à son fils Yossef qui lui ressemblait et il voyait en lui la personne capable de pousser plus loin la mutation d’identité du particularisme de sa famille vers la collectivité du peuple d’Israël. Cependant, il rendait à son père ce compte-rendu : a) ses frères mangeaient de la chair d’un membre arraché du vivant d’une bête, b) ils méprisaient leurs frères, fils des servantes, en les nommant du qualificatif peu reluisant ‘d’esclaves’, c) il les soupçonnait de transgresser les lois de la pureté familiale. La médisance portait donc sur trois domaines de la Halakha : a) Les lois envers le royaume animal : la consommation des animaux est permise depuis leur sauvetage par Noa’h dans son arche lors du Déluge. Ces lois définissent la casherout, la consommation permise par Dieu Lui-même, Béréshit, IX, 3 : « Tout ce qui se meut, tout ce qui vit, servira à votre nourriture ; de même que les végétaux, Je vous livre tout. Toutefois aucune créature, tant que son sang maintient sa vie, vous n’en mangerez. Toutefois encore, votre sang, qui fait votre vie, J’en demanderai compte : Je le demanderai à tout animal, et à l’homme lui-même, si l’homme frappe son frère, Je redemanderai la vie de l’homme ». b) Les lois envers son prochain qui définissent l’amour en fraternité. c) Les lois envers soi-même qui définissent la pureté familiale et l’intégrité sexuelle.     Ces trois dimensions doivent être présentes chez le peuple saint nommé ‘royaume de Cohanim’ et définissent le degré d’intégrité de l’individu à l’intérieur de sa collectivité, et au-delà, de la qedousha, de la sainteté de la collectivité d’Israël en général.     Yossef voulait-il suggérer à son père que ses enfants n’avaient pas encore atteint ce niveau requis pour qu’il puisse se reposer sur ses lauriers, dont le retour d’exil de chez Lavan, la surabondance de biens et de progéniture que suggère le début de la parasha : « Ya’aqov demeura (voulut demeurer en toute tranquillité) dans le pays des pérégrinations de son père, dans le pays de Cana’an » ? Pourtant, Ya’aqov n’était-il pas conscient que la rédemption de la rupture entre les frères qui avait causé précisément son exil, poursuivi par son frère ‘Essav qui voulait le trucider, n’était pas encore advenue ? Le contentieux entre les frères     Rav Emmanuel Chouchena enseigne, à propos de la cashrout : Comment les frères pouvaient-ils commettre une telle abomination ? En fait, un point fondamental divisait Yossef et ses frères sur la question de savoir si les fils de Ya’aqov se considéraient comme des enfants d’Israël, בני ישראל, ou des enfants de Noa’h, בני נח, les noa’hides que l’on nomme : les non-Juifs. Étant donné que la transgression de ces trois ordres de Halakha met en péril la pérennité du futur peuple d’Israël, l’identité messianique de ce peuple n’aurait pas encore atteint son seuil de vérité. Ce qui remettrait à la fin des temps le respect de la morale universelle authentique et le renoncement à l’idolâtrie pour qu’apparaisse le peuple de Cohanim, à son apogée, catalyseur de rédemption de l’humanité et de l’histoire, qui doit sauver les nations du monde qui ne le refuseraient pas.     Les frères soutenaient qu’étant les fils de Ya’aqov désormais appelé Israël, ils avaient le statut d’enfants d’Israël, בני ישראל, de jure, par la force de la pure Halakha, avant même la proclamation de la Torah à l’évènement du Mont Sinaï et ses directives de vie. Ils pensaient être les dépositaires de l’antique hébraïsme et de la religion hébreue apprise à la Yéshiva de ‘Ever et de Shem. Au contraire, Yossef pensait que la Torah n’ayant pas été révélée et donnée aux enfants d’Israël, ils étaient encore, de facto, des enfants de Noa’h, non investis des impératifs des lois de la Torah des Hébreux. Or, la Halakha nous enseigne que la she’hita, une fois appliquée, signifie déjà la mort d’une bête pour les enfants d’Israël alors que les noa’hides, les non-Juifs, doivent attendre après la she’hita, à la fin des convulsions de la bête (Talmud ‘Houlin, 33a ; 121b ; Rambam, Lois des rois et leurs guerres, IX, 15). Les frères sont persuadés de se comporter en véritables enfants d’Israël en dépeçant la bête après la she’hita mais avant qu’elle n’ait terminé ses secousses. Les voyant ainsi faire, Yossef rendit compte à son père qu’ils mangeaient de la chair d’un membre arraché du vivant de l’animal, ce qui consistait, pour lui, à une accusation grave contre l’identité authentique prônée par Ya’aqov et un manquement radical à la morale universelle noa’hide.     Plus tard, lorsqu’il sera devenu le leader incontesté de l’Égypte, que ses frères retourneront vers leur père, après avoir découvert l’argent dans leur sac et la coupe du maître de l’Égypte dans le sac de Binyamin, les frères, impitoyables, s’écrièrent, en s’alignant sur la loi des noa’hides, Béréshit XLIV, 9 : « Celui de tes serviteurs qui l’aura en sa possession, qu’il meure ; et nous-mêmes, nous serons les esclaves de mon seigneur ». Mais l’intendant de la maison de Yossef, parlant en son nom, leur répliqua : « Oui, certes, ce que vous dites est juste. Seulement, celui qui en sera trouvé possesseur sera mon esclave, et vous serez quittes ». Ce que vous

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Haye Sarah : Avraham et Sarah, précurseurs d’Israël

Après la mort de Sarah à Qiriat Arba’, Avraham veut l’enterrer sur place, dans le pays appelé momentanément du nom de Cana’an, dans le caveau de Makhpéla qui se trouve au bout du champ qui appartenait à ‘Éphrone. Il entame des pourparlers commerciaux pour acquérir la sépulture, Béréshit, XXIII, 4 : « Je suis un גר, un émigré et un תושב, un habitant parmi vous ». Avraham introduit ses négociations commerciales en faisant comprendre à ses interlocuteurs qu’il possède deux qualités, deux attributs : émigré et habitant. C’est soit en tant qu’étranger, domicilié parmi eux, que les enfants de ‘Heth lui donneraient de bonne grâce ce qu’il leur demande, soit en tant qu’habitant fixe, demeurant parmi eux, et il prendra une sépulture par son bon droit, car le Seigneur lui a dit : A ta postérité, Je donnerai ce pays. Rashi précise : « Avraham dit à ‘Éphrone : Si tu ne veux pas me vendre ce caveau parce que je suis un émigré, considère-moi alors comme habitant de ce pays pour un temps illimité ». Ce qui constitue, vous en conviendrez, un argument commercial peu convaincant, si ce n’est spécieux. Mais, conditionné par le temps pour enterrer Sarah et contraint devant la nécessité d’aboutir rapidement à l’acquisition du terrain, Avraham ne veut entamer pour l’instant aucune controverse sur ses véritables droits : Donnez-moi la propriété de la sépulture soit à titre d’émigré soit à titre de concitoyen, alors que tout le pays m’appartient de droit divin.     Toutefois, Avraham aurait dû prendre les devants et aurait pu acheter le dit terrain auparavant par prévention et par précaution. S’il l’avait voulu spécifiquement, il aurait entamé des pourparlers, sans pression. On peut répliquer à ce reproche qu’il aurait été en but à un refus catégorique de la part des ‘Hitéens, descendants de Cana’an, alors que là, son mort posé en évidence devant tout le monde et devant lui, il y a urgence d’enfouissement. Ce qui sous-entend que l’état d’esprit d’Avraham est, malgré tout, de l’acquérir contre espèces sonnantes et trébuchantes, marché à pourvoir par ‘Éphrone, avec plus-value intéressante et significative à se pourlécher les babines du royal bénéfice. On peut prévaloir aussi qu’Avraham aimait Sarah d’éternité et qu’il supposait qu’elle vivrait au-delà du temps, autant que son amour : c’est l’explication que préfère ma femme.     La Torah dévoile dans la préface des récits historiques des situations existentielles et socio-politiques que, dans son histoire, le peuple d’Israël rencontrera et devra vivre avec, puis les résoudre en tant que collectivité.     Rav Emmanuel Chouchena explique ainsi, rappelant le Midrash Béréshit Raba Noa’h : le nom ‘Éphrone est écrit dans la Torah sans la lettre vav עפרן. À propos du verset de Béréshit XXIII, 14-15 : « Éphrone répondit à Avraham en lui disant : “Seigneur, écoute-moi : une terre de quatre cents sicles d’argent, qu’est-ce que cela entre nous deux ? Enterres-y ton mort” », Rashbam explique que la valeur numérique de ‘Éphrone עפרן est de 400, de même que l’expression רע עין, envieux, composée de presque les mêmes lettres. Cette expression fait allusion aux quatre cents sicles d’argent, somme substantielle même de nos jours, qu’Avraham a versée pour l’acquisition du caveau de Makhpéla, à l’extrémité du champ d’Éphrone, le ‘Hitéen. Autrement dit, comme le Talmud Bérakhot, 7b, l’énonce : שמא גרים shema garem, le nom d’une personne influence non seulement sur sa personnalité mais aussi sur son entourage, et au-delà, sur le monde entier. La destinée vertigineuse d’Israël     Or, depuis longtemps, au début du sionisme moderne dit sionisme politique, les mêmes situations existentielles vécues par les patriarches, dans leur relation à leur environnement, sont rencontrées lors de la résurrection de l’entité sioniste : bien qu’Erets Israël appartienne au peuple juif, The Jewish Colonization Association du Baron Maurice Hirsch, le Keren Kayémet LeIsraël, Moïse Montefiore, Rotschild, pour ne citer qu’eux, achetèrent nombre de domaines de notre terre ancestrale. Leurs achats dépassent même les frontières actuelles de notre État : en Syrie, en Jordanie et ailleurs, des actes de propriété en bonne et due forme sont entre les mains de Juifs prévenants. Et parfois, la même terre, le même domaine, le même quartier de la Vieille Ville de Yéroushalayim, de ‘Hébron et d’ailleurs ont été achetés plusieurs fois à différents ‘propriétaires’ brandissant des actes de propriété falsifiés et ‘inscrits au registre’. C’est ainsi que de nos jours 1424 dounams (un dounam équivaut à peu près à un kilomètre carré) de terres achetées avant l’Indépendance, dont les papiers d’acquisition par des Juifs ont été fournis par les Britanniques immédiatement après la Déclaration d’Indépendance de l’État d’Israël, restent orphelins. Une impression de déjà vu     À l’heure de la rédemption, la restauration de la nation hébreue par l’État d’Israël fait resurgir brusquement de la clandestinité galoutique l’histoire de nos patriarches et nous sommes ébahis par l’actualité de leur environnement ancestral dont les personnages nous interpellent toujours, dans la même typologie de rivalité.     Au premier rang, la France, fille aînée de l’Église mais pouponnière du djihadisme, est le seul État au monde à posséder des biens et des terres en Israël, et chaque année se rajoutent des dossiers de réclamation à la possession, certains se basant sur… les Croisades de conquête des rois de France en Terre Sainte et aussi sur les combats qu’y mena Napoléon Bonaparte avec son armée.     Après Avraham, bien plus tard, après la sortie d’Égypte, bien que tous les explorateurs aient été des justes, Bémidbar, XIII, 7 : « c’étaient tous des personnalités considérables », arrivés à la vallée d’Eshkol (Bémidbar XIII, 23), ils prirent peur. Pourquoi la Torah précise-t-elle le nom de cette vallée ? À priori, on pourrait penser qu’ils donnèrent ce nom à cette vallée par anticipation puisqu’ils y cueillirent une grappe de raisin eshkol אשכול. Cependant, cette vallée possédait déjà un nom, celui d’Eshkol, l’un des trois alliés d’Avram, avec ‘Aner et Mamré lors de la guerre des « quatre rois contre cinq » (Béréshit XIV, 9-13). À la question de savoir si Avram devait pratiquer la Brith-Milah de lui-même, sans en avoir reçu l’ordre de Dieu, ce même Eshkol le lui déconseilla, arguant que ses ennemis profiteraient de sa faiblesse

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Lekh-lekha : Avraham, notre Père fondateur

Pour sauvegarder l’humanité en particulier, et au-delà, le monde en général, il fut absolument nécessaire que Noa’h se retire dans l’Arche, accompagné d’une partie de l’humanité, sa famille proche, ainsi que des animaux purs et impurs. Cette retraite fut rendue indispensable car le reste du monde avait perverti sa voie morale. À l’époque de Noa’h, la morale telle que voulue par le projet divin était en déroute, comme mentionné dans Béréshit VI, 12 : « Dieu constata que la terre était corrompue, toute créature ayant perverti sa voie sur la terre ». Pour perpétuer le monde, il était donc crucial de préserver cette voie de morale, et ainsi, Noa’h trouva grâce aux yeux du Seigneur, Béréshit VII, 1 : « Le Seigneur dit à Noa’h : « Entre, toi et toute ta famille, dans l’arche, car c’est toi que J’ai reconnu honnête parmi cette génération. » » Le moment de l’introspection est arrivé. Noa’h incarne l’introversion individuelle par excellence, un introverti vertueux pour son salut personnel. À l’inverse, Avraham représente tout le contraire. Béréshit XII, 1-2 : « Le Seigneur dit à Avram : Va pour toi, hors de ton pays, de ton lieu natal, de la maison paternelle, vers le pays que Je t’indiquerai. Et Je ferai de toi une grande nation, Je te bénirai, Je rendrai ton nom glorieux et tu seras bénédiction ». Cette bénédiction, destinée à toutes les familles de la terre, s’incarne depuis le pays désigné, la terre de prédilection, le pays de Moriah. La mutation d’identité de l’humanité Depuis la création, le monde a été saturé par la Parole divine interventionniste. Toutefois, après « la faute », cette Parole s’est arrêtée, s’est occultée et s’est interdite elle-même. Bien que parfois la Parole réapparaisse, elle est à sens unique, sans dialogue entre Dieu et Sa créature. La parole humaine elle-même fut interrompue : Noa’h ne laissa échapper que des paroles de malédiction contre Cana’an. Il fallut attendre Avram pour que la Parole revienne et que le dialogue s’établisse à nouveau. Dieu s’adressait auparavant à des individus d’exception, capables de se hisser vers cette rencontre divine. Avec Avraham, la stratégie divine se réoriente radicalement : le temps de l’extraversion est venu, celui de divulguer la morale selon le projet divin, pour fonder une humanité nouvelle et sauver l’univers tout entier. Avraham, appelé Avram l’Hébreu, אברם העברי, est l’extraverti sage et dévoué au salut de l’humanité tout entière. Contrairement à Noa’h qui agit sur un plan personnel, Avram marque le début d’une éthique collective et universelle. Les dix épreuves subies par Avraham, suscitées par Dieu, forgent la nature profonde de la nation hébraïque. Comme dit le Pirqei Avot V, 3 : « À dix épreuves divines, Avraham, notre père, la Paix sur lui, s’est mesuré et les a surmontées toutes, démontrant ainsi la grandeur de l’amour qu’il portait au Saint, Béni soit-Il ». Le Midrash Béréshit Raba (42, 8) éclaire le titre d’« Avram l’Hébreu » et souligne ses multiples significations : il était du côté opposé du monde, descendant de ‘Ever, et il parlait hébreu, la langue de la sainteté apprise dans la Yeshiva de ‘Ever. Avram est resté le seul à utiliser cette langue de prophétie unissant l’humanité avant la confusion des langues. De l’intérieur à l’extérieur Rav Kook explique que la vertu d’Avraham est celle d’une sagesse de compréhension fondée sur ses capacités personnelles. Cette vertu l’a poussé à appeler au nom de l’amour universel du Créateur, rendant manifeste la Parole divine dans le monde extérieur, en initiant une ère où l’homme participe activement à l’œuvre divine, faisant ainsi émerger la nation hébraïque pour diriger l’humanité sur la voie du bien.

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Toledot : Les engendrements

La rivalité fraternelle     Béréshit (25, 21) nous apprend que Yits’haq et Rivqa « ont imploré le Seigneur. » Mariés depuis vingt ans, ils n’avaient pas d’enfant, Rivqa étant stérile. La fécondation médicale n’était pas au point à cette époque et la prière reste, encore de nos jours, la meilleure façon de demander le manque, et c’est ainsi que : « Le Seigneur accueillit cette prière. » Rivqa enceinte, l’humanité perdue rebondit à travers elle, à la recherche de l’authenticité adamique d’avant ‘la faute’ : enfanter un être capable de résoudre les deux tâches imposées à Adam, le premier homme. Il s’agit de la tâche spirituelle qui assure le salut du ciel dans le monde à venir et la tâche matérielle qui permet l’existence dans la vie de ce monde. La matrice éternellement féconde des engendrements trouve de nouveau en Rivqa le réceptacle de sainteté pour la continuation du projet divin.     Mais la stratégie divine divise ces tâches et les répartit à deux jumeaux : « Les enfants s’entre-couraient en son sein. » Rivqa comprend que la rivalité et la séparation qui animaient, à la génération précédente, Yits’haq et Yishmaël, n’ont pas été entièrement résolues. Cela d’ailleurs lui rappelle trop la rivalité de Caïn et Hével, avec pour conclusion la suppression du mot frère de la Torah et l’exil de la fraternité. Il a fallu attendre Avraham pour que le mot frère réapparaisse. Rashi souligne ce problème sur le verset de Béréshit (25, 19) : « Et voici les engendrements de Yits’haq : Ya’aqov et ‘Essav dont parle la parashah ». Autrement dit, comme Avraham a engendré un conflit fraternel avec Yits’haq et Yishma’ël, Yits’haq aussi engendra un conflit fraternel du même genre, avec Ya’aqov et ‘Essav. Le conflit d’identité entre les deux enfants, déjà dans la matrice, reflète un problème spirituel d’envergure telle que Dieu seul détient la solution : « Rivqa alla consulter le Seigneur », car à quoi bon l’enfantement si, déjà dans ses entrailles, le combat ne peut se résoudre ? Béréshit (25, 23) répond à ce dilemme : « Le Seigneur lui dit : ‘Deux nations sont dans ton sein et deux peuples sortiront de tes entrailles ; un peuple sera plus puissant que l’autre, et l’aîné obéira au plus jeune’. » Rivqa est tranquillisée car au moins, il n’y aura pas de fratricide, les deux enfants vivront ensemble malgré leurs lignées qui revendiqueront deux tâches diamétralement différentes. ‘Essav choisit la matière et Ya’aqov l’esprit. Le combat fondamental     Le Midrash Béréshit Raba (63) souligne l’antagonisme virulent qui oppose ces deux mondes antinomiques : « Quand Rivqa passait devant les maisons d’études de Chem et de ‘Ever, ancêtres d’Avraham, Ya’aqov se débattait pour sortir et s’y précipiter ; et quand elle passait devant un lieu d’idolâtrie, c’est ‘Essav qui voulait sortir. » L’un est attiré vers le bien, l’autre vers le mal, Ya »aqov est intègre et ‘Essav est disposé à la faute. Ya’aqov est né circoncis, parfait à tous égards, sans besoin de perfectionnement. Leurs tempéraments se distinguent dès l’adolescence et Rivqa prévoit un combat cosmique fondamental qui séparera la tâche de ses enfants, Béréshit (25, 27) : « Les enfants grandirent, ‘Essav devint un homme habile à la chasse, un homme du champ, et Ya’aqov un homme intègre qui habite dans les tentes. » Leurs personnalités sont radicalement opposées, ce que Rabi Lévi dit : « Ils sont comme une ronce et un cédrat qui poussent l’un à côté de l’autre. Quand ‘les enfants grandirent’, tous deux allèrent à l’école pendant treize ans, l’un a donné du fruit, l’autre des épines ; après treize ans, l’un se rendit à la Maison d’études, l’autre à la Maison d’idolâtrie. »     L’homme du champ ‘Essav est un homme courageux qui se mesure avec la réalité matérielle et terrestre, mais il est foncièrement violent. Il ne consacre pas sa vie à limer son cerveau à celui des Sages de la Maison d’Etudes de Shem et de ‘Ever, ses ancêtres, ou à la recherche spirituelle. Son domaine préféré est la nature, la forêt et les champs, il bat la campagne pour l’assujettir. Or il n’y a aucun mal à trouver un assouvissement à son caractère sanguinaire dans les choses permises. Il chasse de telle façon que son gibier est cachère et que son père accepte d’en manger. Béréshit (25, 28) en témoigne : « Yits’haq préfère ‘Essav car il met de la chasse dans sa bouche. » Pour lui, son grand fils est bon puisqu’il le respecte en lui assurant sa subsistance, quotidiennement. La spécialisation de ‘Essav est la matière avec pour polarisation la technique pour dompter la terre. Son grand fils mérite une attention particulière au vu de ses potentialités infinies de se mesurer au monde-ici-bas. Pour Yits’haq, il y a nécessité absolue de l’entourer de toute son envergure spirituelle pour lui donner la motivation de construire ce monde dans la droiture, en toute pureté.     Le mérite d’Essav est le respect filial. En effet, tant qu’Avraham vécut, le Talmud nous dit qu’il est resté apparemment dans le droit chemin. Il avait quinze ans quand Avraham mourut. Pendant deux ans, depuis la Bar Mitsvah à l’âge de quinze ans, il s’est dissimulé pour que ses crimes ne soient pas dévoilés car il ne voulait pas causer de peine à son père duquel il voulait tellement la bénédiction dans ses actes. Tant que son père vécut, il faisait semblant d’étudier devant lui la Torah et il ne voulait pas tuer son frère pour ne pas le peiner. Pour lui faire plaisir, il épouse une fille d’Yishmaël (Béréshit 27, 8), mais il ne répudie pas ses femmes païennes. Cependant, donner à la matière une priorité automatique démesurée et déconnectée du spirituel, débouche sur la violence effrénée. Bien sûr, la nature est sacrée, elle nous sert à la sainteté et au service divin, au salut de l’homme, mais s’en occuper incessamment conduit à la divinisation du matériel et à l’idolâtrie. Au lieu de se servir de la nature pour un but élevé, on se met à son service. De plus, cette concentration de forces humaines sur les problèmes terrestres

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Vayera : Avraham et Sarah – fondateurs de l’univeralité

Béréshit, XVII, 1 : « Avram étant âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans, Hashem, (שם הויה) le Seigneur, lui apparut et lui dit : “Je suis El Shadaï, Dieu tout-puissant (אל שדי) ; marche devant Moi et sois intègre… Pour sauvegarder l’humanité en particulier, et au-delà, le monde en général, il fut absolument nécessaire que Noa’h se retirât dans l’Arche, accompagné d’un concentré d’humanité, sa famille proche, les animaux purs et impurs. Cette retraite fut rendue nécessaire car le reste du monde avait corrompu sa voie morale. En effet, à l’époque de Noa’h, la morale selon le projet divin pour l’humanité était en débâcle, Béréshit VI, 12 : « Dieu considéra que la terre était corrompue, toute créature ayant perverti sa voie sur la terre ». Il fut absolument nécessaire, pour perpétuer le monde, de garantir la voie de la morale, c’est ainsi que Noa’h trouva grâce aux yeux du Seigneur, Béréshit VII, 1 : « Le Seigneur dit à Noa’h : « Entre, toi et toute ta famille, dans l’arche ; car c’est toi que J’ai reconnu honnête parmi cette génération. » ».     Le temps de l’introspection est venu, et si l’on peut s’exprimer ainsi, Noa’h représente l’introversion de l’individuel par excellence, c’est l’introverti vertueux pour son salut personnel. Par contre, en ce qui concerne Avraham, c’est tout le contraire, Béréshit, XII, 1-2 : « Le Seigneur dit à Avram : Va pour toi, hors de ton pays, de ton lieu natal, de la maison paternelle, vers le pays que Je t’indiquerai. Et Je ferai de toi une grande nation, et Je te bénirai, Je rendrai ton nom glorieux et tu seras bénédiction ». Bénédiction pour toutes les familles de la terre à partir du pays indiqué, la terre de prédilection, le pays de Moria ! La mutation d’identité de l’humanité     Depuis le début de la création, l’atmosphère du monde est saturée par la Parole divine interventionniste. Mais depuis « la faute », elle s’est arrêtée, occultée, interdite d’elle-même. Parfois la Parole réapparaît mais elle n’est qu’à sens unique, le dialogue est absent entre Dieu et Sa créature. La parole humaine elle-même est interrompue, Noa’h n’ouvre la bouche que pour maudire Cana’an. Il faudra attendre Avram pour que la Parole revienne et que le dialogue se rétablisse. Auparavant, Dieu s’adressait à quelques individus de stature exceptionnelle qui pouvaient s’efforcer et grimper aux cimes de la rencontre avec Dieu. Depuis Avraham, la directive stratégique divine nécessite obligatoirement un retournement radical d’orientation : le temps de sortir des sentiers battus est venu, le temps de l’extraversion est venu. Le temps du jaillissement vers l’extérieur, de divulguer la morale selon le projet divin à travers le monde pour perpétuer une nouvelle humanité et sauver, avec elle, l’univers tout entier.     Avraham, notre patriarche fondateur de la nation hébreue, qui portait encore son nom d’origine, Béréshit XLII, 13 : Avram l’Hébreu, אברם העברי, représente l’extraversion de l’individuel par excellence. C’est l’extraverti fervent et sage pour le salut de l’humanité tout entière. Il ne s’agit plus du niveau comportemental moral individuel, comme ce fut le cas de Noa’h mais, avec Avram, c’est au niveau du comportement de l’être, à l’indice d’une nation dans toute son envergure universelle. Si Noa’h avait trouvé grâce aux yeux du Seigneur, par gratuité absolue de Sa part, Avram, quant à lui, doit faire preuve de sa vertu par dix épreuves, suscitées par Dieu, pour forger le caractère intrinsèque de la nation hébreue, au niveau de son être universel.     Le Midrash Béréshit Raba, 42, 8 enseigne à propos de la dénomination « Avram l’Hébreu » : « Que signifie l’Hébreu ?– Rav Yéhouda dit : le monde entier est d’un côté et Avram est de l’autre côté (‘éver, עבר).– Rav Né’hémia dit : Avram était l’un des descendants de ‘Ever (fils de Shem fils de Noa’h).– Les Sages disent : Avram était de l’autre côté du fleuve (l’Euphrate, comme il est dit, Yéhoshoua’, XXIV, 3 : « Et Je pris votre père Avraham, de l’autre côté du fleuve ») et qu’il parlait l’hébreu ».     Avram parlait hébreu car la connaissance se transmettait en hébreu, la langue de sainteté, dans la Yéshiva de ‘Ever, où il étudiait. Avram est le seul des descendants de ‘Ever à parler encore la langue de la prophétie (Béréshit Raba, 37, 7) qui unissait l’humanité et précédait la confusion des langues conséquente à la Tour de Babel. Il instaure le projet de la messianité de l’histoire d’Israël jusqu’à son aboutissement ultime, qui l’oppose aux impérialismes du monde entier représentés par l’exil d’Our Kasdim, la « fournaise » de Kasdim.     En correspondance aux dix paroles par lesquelles le monde fut créé, la nation hébreue fut créée par les dix épreuves subies par Avraham qui les surmonta toutes, Pirqei Avot, V, 3 : « À dix épreuves divines Avraham, notre père, la Paix sur lui, s’est mesuré et il les surmonta toutes, pour montrer la grandeur de l’amour qu’il portait au Saint, Béni est-Il ». C’est mutuel, car ces épreuves montrent aussi le grand amour que Dieu lui porte. Le peuple d’Israël a donc sur qui prendre exemple, à la lumière directrice d’Avraham, notre patriarche, le plus grand homme parmi les géants de la nouvelle humanité (Yéhoshoua’, XIV, 15, selon Béréshit XXIII, 6 : « Tu es le Prince de Dieu parmi nous ».) Et dire, à l’instar du Talmud Rosh Hashana, 20a, pour la nouvelle lune : « Ainsi, vois et sanctifie ». La première épreuve : sortir de son cocon     Notre Seigneur interpelle Avram pour qu’il sorte à l’extérieur. À partir de cet appel, Avram n’est déjà plus une personne individuelle mais une personnalité d’envergure universelle, appelée à fonder une nation telle que par son truchement, la bénédiction divine se répande à travers l’univers, urbi et orbi, à l’intérieur de la Cité et à l’extérieur. Ainsi, depuis Avram, une révolution bouleverse l’histoire, un sursaut d’humanité nouvelle balaie le monde, la vie individuelle de chacun saute d’un cran pour passer à l’ampleur d’une collectivité. La vie d’un peuple est inaugurée par son premier fondateur Avram, avec sa femme Sarah, notre matriarche. Avec Avraham et Sarah surgit subitement dans l’histoire, non pas seulement une nouvelle dimension morale de la préoccupation spirituelle de son prochain, mais une dimension jusqu’ici occultée dans

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