Béréshit, XVII, 1 : « Avram étant âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans, Hashem, (שם הויה) le Seigneur, lui apparut et lui dit : “Je suis El Shadaï, Dieu tout-puissant (אל שדי) ; marche devant Moi et sois intègre… Pour sauvegarder l’humanité en particulier, et au-delà, le monde en général, il fut absolument nécessaire que Noa’h se retirât dans l’Arche, accompagné d’un concentré d’humanité, sa famille proche, les animaux purs et impurs. Cette retraite fut rendue nécessaire car le reste du monde avait corrompu sa voie morale. En effet, à l’époque de Noa’h, la morale selon le projet divin pour l’humanité était en débâcle, Béréshit VI, 12 : « Dieu considéra que la terre était corrompue, toute créature ayant perverti sa voie sur la terre ». Il fut absolument nécessaire, pour perpétuer le monde, de garantir la voie de la morale, c’est ainsi que Noa’h trouva grâce aux yeux du Seigneur, Béréshit VII, 1 : « Le Seigneur dit à Noa’h : « Entre, toi et toute ta famille, dans l’arche ; car c’est toi que J’ai reconnu honnête parmi cette génération. » ».
Le temps de l’introspection est venu, et si l’on peut s’exprimer ainsi, Noa’h représente l’introversion de l’individuel par excellence, c’est l’introverti vertueux pour son salut personnel. Par contre, en ce qui concerne Avraham, c’est tout le contraire, Béréshit, XII, 1-2 : « Le Seigneur dit à Avram : Va pour toi, hors de ton pays, de ton lieu natal, de la maison paternelle, vers le pays que Je t’indiquerai. Et Je ferai de toi une grande nation, et Je te bénirai, Je rendrai ton nom glorieux et tu seras bénédiction ». Bénédiction pour toutes les familles de la terre à partir du pays indiqué, la terre de prédilection, le pays de Moria !
La mutation d’identité de l’humanité
Depuis le début de la création, l’atmosphère du monde est saturée par la Parole divine interventionniste. Mais depuis « la faute », elle s’est arrêtée, occultée, interdite d’elle-même. Parfois la Parole réapparaît mais elle n’est qu’à sens unique, le dialogue est absent entre Dieu et Sa créature. La parole humaine elle-même est interrompue, Noa’h n’ouvre la bouche que pour maudire Cana’an. Il faudra attendre Avram pour que la Parole revienne et que le dialogue se rétablisse. Auparavant, Dieu s’adressait à quelques individus de stature exceptionnelle qui pouvaient s’efforcer et grimper aux cimes de la rencontre avec Dieu. Depuis Avraham, la directive stratégique divine nécessite obligatoirement un retournement radical d’orientation : le temps de sortir des sentiers battus est venu, le temps de l’extraversion est venu. Le temps du jaillissement vers l’extérieur, de divulguer la morale selon le projet divin à travers le monde pour perpétuer une nouvelle humanité et sauver, avec elle, l’univers tout entier.
Avraham, notre patriarche fondateur de la nation hébreue, qui portait encore son nom d’origine, Béréshit XLII, 13 : Avram l’Hébreu, אברם העברי, représente l’extraversion de l’individuel par excellence. C’est l’extraverti fervent et sage pour le salut de l’humanité tout entière. Il ne s’agit plus du niveau comportemental moral individuel, comme ce fut le cas de Noa’h mais, avec Avram, c’est au niveau du comportement de l’être, à l’indice d’une nation dans toute son envergure universelle. Si Noa’h avait trouvé grâce aux yeux du Seigneur, par gratuité absolue de Sa part, Avram, quant à lui, doit faire preuve de sa vertu par dix épreuves, suscitées par Dieu, pour forger le caractère intrinsèque de la nation hébreue, au niveau de son être universel.
Le Midrash Béréshit Raba, 42, 8 enseigne à propos de la dénomination « Avram l’Hébreu » : « Que signifie l’Hébreu ?
– Rav Yéhouda dit : le monde entier est d’un côté et Avram est de l’autre côté (‘éver, עבר).
– Rav Né’hémia dit : Avram était l’un des descendants de ‘Ever (fils de Shem fils de Noa’h).
– Les Sages disent : Avram était de l’autre côté du fleuve (l’Euphrate, comme il est dit, Yéhoshoua’, XXIV, 3 : « Et Je pris votre père Avraham, de l’autre côté du fleuve ») et qu’il parlait l’hébreu ».
Avram parlait hébreu car la connaissance se transmettait en hébreu, la langue de sainteté, dans la Yéshiva de ‘Ever, où il étudiait. Avram est le seul des descendants de ‘Ever à parler encore la langue de la prophétie (Béréshit Raba, 37, 7) qui unissait l’humanité et précédait la confusion des langues conséquente à la Tour de Babel. Il instaure le projet de la messianité de l’histoire d’Israël jusqu’à son aboutissement ultime, qui l’oppose aux impérialismes du monde entier représentés par l’exil d’Our Kasdim, la « fournaise » de Kasdim.
En correspondance aux dix paroles par lesquelles le monde fut créé, la nation hébreue fut créée par les dix épreuves subies par Avraham qui les surmonta toutes, Pirqei Avot, V, 3 : « À dix épreuves divines Avraham, notre père, la Paix sur lui, s’est mesuré et il les surmonta toutes, pour montrer la grandeur de l’amour qu’il portait au Saint, Béni est-Il ». C’est mutuel, car ces épreuves montrent aussi le grand amour que Dieu lui porte. Le peuple d’Israël a donc sur qui prendre exemple, à la lumière directrice d’Avraham, notre patriarche, le plus grand homme parmi les géants de la nouvelle humanité (Yéhoshoua’, XIV, 15, selon Béréshit XXIII, 6 : « Tu es le Prince de Dieu parmi nous ».) Et dire, à l’instar du Talmud Rosh Hashana, 20a, pour la nouvelle lune : « Ainsi, vois et sanctifie ».
La première épreuve : sortir de son cocon
Notre Seigneur interpelle Avram pour qu’il sorte à l’extérieur. À partir de cet appel, Avram n’est déjà plus une personne individuelle mais une personnalité d’envergure universelle, appelée à fonder une nation telle que par son truchement, la bénédiction divine se répande à travers l’univers, urbi et orbi, à l’intérieur de la Cité et à l’extérieur. Ainsi, depuis Avram, une révolution bouleverse l’histoire, un sursaut d’humanité nouvelle balaie le monde, la vie individuelle de chacun saute d’un cran pour passer à l’ampleur d’une collectivité. La vie d’un peuple est inaugurée par son premier fondateur Avram, avec sa femme Sarah, notre matriarche. Avec Avraham et Sarah surgit subitement dans l’histoire, non pas seulement une nouvelle dimension morale de la préoccupation spirituelle de son prochain, mais une dimension jusqu’ici occultée dans l’homme : la prophétie hébreue.
Avraham entend la parole divine qui l’interpelle et le charge, de façon nécessaire et contraignante, de collaborer au projet divin jusqu’à son aboutissement. Un seuil est franchi, élevant l’homme au statut de participant à l’œuvre du commencement et qui le distingue des autres êtres vivants. Avraham subit cette parole impérieuse à laquelle il restera son obligé serviteur toute sa vie. Il entend et obéit à la Voix céleste, qui ne laisse point de doute sur Son origine, pour aller vers le pays que Je t’indiquerai. Et c’est de sa propre initiative qu’il s’y dirige naturellement. Il rentre dans son pays d’origine, le pays des Hébreux (Béréshit, XL, 15).
Ainsi le pays de Moriah, but de la sortie d’Avraham d’Our Kasdim, de rejoindre le pays des Hébreux, nommé du nom des envahisseurs de ce temps-là pays de Cana’an, représente justement la première des épreuves d’Avraham. L’injonction du départ de son pays d’exil, la région de Chaldée, métropole de la Babylonie, est en fait l’épreuve emblématique que tout juif doit surmonter et qui se perpétue de génération en génération. En effet, même à notre époque, il est difficile de quitter son environnement natal, sa famille choyée et rassurante et, par extrapolation, la culture étrangère séductrice, la civilisation qui nous a toujours dorlotés dans une indolente suffisance, d’abandonner la langue de Molière ou de Shakespeare où se formulent les symboles religieux des idéaux culturels de la civilisation ambiante, cosmopolite et globalisatrice. Tout comme le père d’Avram, Téra’h, qui fabriquait des idoles et les vendait dans sa boutique d’idoles (où l’on voit Avram enfant, les briser, à l’âge de trois ans, lorsqu’il reconnut son Créateur, Béréshit Raba 38, 13), ne serait-ce pas la fonction plus ou moins inconsciente des dits ‘intellectuels’ juifs, politiciens, maîtres à penser, sociologues ou autres rabbins de noir vêtus comme les sapins en hiver, tous ceux de la diaspora, en France, en Amérique, en Angleterre ou ailleurs ?! (Rav Yéhouda Askénazi, KM, p. 56).
Cependant, des peuples peuvent exister et se dénomment ainsi par convention mais il ne s’agit que de groupements égoïstes d’individus nombreux qui forment des associations d’intérêts ponctuels, écartant catégoriquement ceux qui n’en font pas partie. Par contre, le peuple d’Israël, seul, est le peuple de vérité, dont l’attachement interne véritable est l’amour idéal du bon, du beau et du bien. Cette générosité est fondée par Avraham et Sarah dont nous sommes la descendance, non pas seulement biologiquement mais par leur typologie.
Et notre typologie est de faire régner la bénédiction divine dans le monde, l’abondance divine spirituelle et matérielle, והיה ברכה, tu seras bénédiction. Nous vivons d’un abrahamisme national et les exemples de charité internationale ne nous manquent pas depuis le goutte-à-goutte agricole jusques aux découvertes cybernétiques, médicales, sécuritaires, jusques aux interventions humanitaires d’équipes israéliennes spécialisées à travers le monde pour régler des situations de crises extrêmes (Rav Shlomo Aviner, Rencontre hebdomadaire avec la parasha, p. 28).
C’est dire, à l’évidence, que l’identité hébreue réunifiée émerge à nouveau sur son pays de résurrection. Elle est bien à l’échelle de l’universel pour l’élévation de la diaspora humaine, dispersée en « peuplades répandues en divers pays, langages et nations qui se sont distribuées sur la terre après le Déluge » (Béréshit, X, 5, 20, 31-32).
De l’intérieur à l’extérieur
Rav Kook explique dans ‘Olat Réïya, Rituel des prières I, 269 que « la vertu d’Avraham est la sagesse de la compréhension par ses capacités personnelles ». Sa qualité est la recherche personnelle, le discernement ontologique de l’être en tant que tel, par amour de la sagesse, philosophique, l’examen critique intérieur. « À partir de cette vertu personnelle, Avraham appela à l’amour universel du Créateur, pour Le faire connaître du plus grand nombre possible », à l’extérieur, selon la nécessité obligatoire absolue de la Parole prophétique s’adressant subitement à lui.
- 12 novembre 2017
Vayera : Avraham et Sarah – fondateurs de l’univeralité
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