Après la mort de Sarah à Qiriat Arba’, Avraham veut l’enterrer sur place, dans le pays appelé momentanément du nom de Cana’an, dans le caveau de Makhpéla qui se trouve au bout du champ qui appartenait à ‘Éphrone. Il entame des pourparlers commerciaux pour acquérir la sépulture, Béréshit, XXIII, 4 : « Je suis un גר, un émigré et un תושב, un habitant parmi vous ». Avraham introduit ses négociations commerciales en faisant comprendre à ses interlocuteurs qu’il possède deux qualités, deux attributs : émigré et habitant. C’est soit en tant qu’étranger, domicilié parmi eux, que les enfants de ‘Heth lui donneraient de bonne grâce ce qu’il leur demande, soit en tant qu’habitant fixe, demeurant parmi eux, et il prendra une sépulture par son bon droit, car le Seigneur lui a dit : A ta postérité, Je donnerai ce pays. Rashi précise : « Avraham dit à ‘Éphrone : Si tu ne veux pas me vendre ce caveau parce que je suis un émigré, considère-moi alors comme habitant de ce pays pour un temps illimité ». Ce qui constitue, vous en conviendrez, un argument commercial peu convaincant, si ce n’est spécieux. Mais, conditionné par le temps pour enterrer Sarah et contraint devant la nécessité d’aboutir rapidement à l’acquisition du terrain, Avraham ne veut entamer pour l’instant aucune controverse sur ses véritables droits : Donnez-moi la propriété de la sépulture soit à titre d’émigré soit à titre de concitoyen, alors que tout le pays m’appartient de droit divin.
Toutefois, Avraham aurait dû prendre les devants et aurait pu acheter le dit terrain auparavant par prévention et par précaution. S’il l’avait voulu spécifiquement, il aurait entamé des pourparlers, sans pression. On peut répliquer à ce reproche qu’il aurait été en but à un refus catégorique de la part des ‘Hitéens, descendants de Cana’an, alors que là, son mort posé en évidence devant tout le monde et devant lui, il y a urgence d’enfouissement. Ce qui sous-entend que l’état d’esprit d’Avraham est, malgré tout, de l’acquérir contre espèces sonnantes et trébuchantes, marché à pourvoir par ‘Éphrone, avec plus-value intéressante et significative à se pourlécher les babines du royal bénéfice. On peut prévaloir aussi qu’Avraham aimait Sarah d’éternité et qu’il supposait qu’elle vivrait au-delà du temps, autant que son amour : c’est l’explication que préfère ma femme.
La Torah dévoile dans la préface des récits historiques des situations existentielles et socio-politiques que, dans son histoire, le peuple d’Israël rencontrera et devra vivre avec, puis les résoudre en tant que collectivité.
Rav Emmanuel Chouchena explique ainsi, rappelant le Midrash Béréshit Raba Noa’h : le nom ‘Éphrone est écrit dans la Torah sans la lettre vav עפרן. À propos du verset de Béréshit XXIII, 14-15 : « Éphrone répondit à Avraham en lui disant : “Seigneur, écoute-moi : une terre de quatre cents sicles d’argent, qu’est-ce que cela entre nous deux ? Enterres-y ton mort” », Rashbam explique que la valeur numérique de ‘Éphrone עפרן est de 400, de même que l’expression רע עין, envieux, composée de presque les mêmes lettres. Cette expression fait allusion aux quatre cents sicles d’argent, somme substantielle même de nos jours, qu’Avraham a versée pour l’acquisition du caveau de Makhpéla, à l’extrémité du champ d’Éphrone, le ‘Hitéen. Autrement dit, comme le Talmud Bérakhot, 7b, l’énonce : שמא גרים shema garem, le nom d’une personne influence non seulement sur sa personnalité mais aussi sur son entourage, et au-delà, sur le monde entier.
La destinée vertigineuse d’Israël
Or, depuis longtemps, au début du sionisme moderne dit sionisme politique, les mêmes situations existentielles vécues par les patriarches, dans leur relation à leur environnement, sont rencontrées lors de la résurrection de l’entité sioniste : bien qu’Erets Israël appartienne au peuple juif, The Jewish Colonization Association du Baron Maurice Hirsch, le Keren Kayémet LeIsraël, Moïse Montefiore, Rotschild, pour ne citer qu’eux, achetèrent nombre de domaines de notre terre ancestrale. Leurs achats dépassent même les frontières actuelles de notre État : en Syrie, en Jordanie et ailleurs, des actes de propriété en bonne et due forme sont entre les mains de Juifs prévenants. Et parfois, la même terre, le même domaine, le même quartier de la Vieille Ville de Yéroushalayim, de ‘Hébron et d’ailleurs ont été achetés plusieurs fois à différents ‘propriétaires’ brandissant des actes de propriété falsifiés et ‘inscrits au registre’. C’est ainsi que de nos jours 1424 dounams (un dounam équivaut à peu près à un kilomètre carré) de terres achetées avant l’Indépendance, dont les papiers d’acquisition par des Juifs ont été fournis par les Britanniques immédiatement après la Déclaration d’Indépendance de l’État d’Israël, restent orphelins.
Une impression de déjà vu
À l’heure de la rédemption, la restauration de la nation hébreue par l’État d’Israël fait resurgir brusquement de la clandestinité galoutique l’histoire de nos patriarches et nous sommes ébahis par l’actualité de leur environnement ancestral dont les personnages nous interpellent toujours, dans la même typologie de rivalité.
Au premier rang, la France, fille aînée de l’Église mais pouponnière du djihadisme, est le seul État au monde à posséder des biens et des terres en Israël, et chaque année se rajoutent des dossiers de réclamation à la possession, certains se basant sur… les Croisades de conquête des rois de France en Terre Sainte et aussi sur les combats qu’y mena Napoléon Bonaparte avec son armée.
Après Avraham, bien plus tard, après la sortie d’Égypte, bien que tous les explorateurs aient été des justes, Bémidbar, XIII, 7 : « c’étaient tous des personnalités considérables », arrivés à la vallée d’Eshkol (Bémidbar XIII, 23), ils prirent peur. Pourquoi la Torah précise-t-elle le nom de cette vallée ? À priori, on pourrait penser qu’ils donnèrent ce nom à cette vallée par anticipation puisqu’ils y cueillirent une grappe de raisin eshkol אשכול. Cependant, cette vallée possédait déjà un nom, celui d’Eshkol, l’un des trois alliés d’Avram, avec ‘Aner et Mamré lors de la guerre des « quatre rois contre cinq » (Béréshit XIV, 9-13). À la question de savoir si Avram devait pratiquer la Brith-Milah de lui-même, sans en avoir reçu l’ordre de Dieu, ce même Eshkol le lui déconseilla, arguant que ses ennemis profiteraient de sa faiblesse passagère pour l’attaquer. En d’autres termes, cette vallée portait le nom d’Eshkol parce qu’en l’explorant, les envoyés de Moshé se découragèrent et lui donneront un conseil qui se voulait démotivant, tout comme Eshkol le fit pour Avram à propos de la Brit-Milah.
Par contre, selon le Midrash Béréshit Raba, 69, 7, Mamré lui dit : « Le même Dieu qui t’a sauvé de la fournaise ardente te sauvera également de tes ennemis ». Mieux encore, le Talmud Qidoushin, 31a, enseigne le grand principe selon lequel la personne exécutant une action est d’autant plus grande, et l’action d’autant plus méritoire, si elle doit l’accomplir sous la contrainte d’un commandement divin : Gadol métsouvé vé’ossé mimi shéeino métsouvé vé’ossé גדול מצווה ועושה ממי שאינו מצווה ועושה. La différence entre, d’une part, ‘Aner et Eshkol, et, d’autre part, Mamré, réside dans le fait que les deux premiers pensaient que la réponse à la question s’il fallait pratiquer la Brith-Mila n’est pas obligatoirement positive. Tandis que seul Mamré visa juste : « Mon conseil, dit-il à Avram, est que dans tous les cas, il te faudra pratiquer la Brith-Milah, mais pas dans l’immédiat. En vertu du principe talmudique précité : attends l’ordre de Dieu ! ». Il eut raison puisque plus tard, Mamré eut le mérite de voir Dieu se révéler à Avraham, lorsque fut retranchée la chair de son excroissance, non pas dans la vallée d’Eshkol mais sur son territoire, Béréshit, XVIII, 1 : « Le Seigneur se révéla à lui dans les plaines de Mamré ».
On ne s’étonnera pas du fait qu’Ishma’ël réclame toujours la terre d’Avraham, et ne s’en cache pas, surtout depuis qu’Israël y est revenu et la fait refleurir de plus belle. Il semblerait que cela dépend du mérite de la circoncision que les musulmans pratiquent jusqu’à l’âge de treize ans, comme ce fut le cas pour Yishmaël. Mais ce mérite s’estompe peu à peu à cause de leur passion à verser le sang et de leur apologie de la mort. Leur circoncision est une sorte de qedousha sans bérakha, une sorte de sainteté dénuée de bénédiction. Et la sainteté sans la bénédiction c’est la mort. Alors que la véritable sainteté se révèle et se pratique en ce monde ici-bas, par le truchement de la bérakha, avec un surplus de vitalité et de vivacité.
On ne devient saint pour les chrétiens qu’après la mort du corps et pour les musulmans on ne devient shahid, héros, martyr, qu’en mourant, tuant les infidèles au djihad. Quant aux Français, de sensibilité chrétienne, ils nous réclament le ciel d’Israël sous couvert de réclamations de la terre. Mais ‘Essav, qui imprègne de sa typologie le monde chrétien, consent déjà à nous reconnaître une place sur terre, n’ayant aucun mérite en relation avec quelque circoncision que ce soit : les Croisades ont été une catastrophe et Napoléon fut repoussé dans un combat sanglant à ‘Acco en 1799.
Par contre, aussi bien en Israël qu’ailleurs, on s’étonnera des bons esprits du monde universitaire juif, ceux-là même des yéshivot et ceux des politiciens, tous très au courant de l’orientation dernière des évènements, qui sont pris de vertige en cela qu’Israël d’aujourd’hui obéirait aux identiques principes bibliques et talmudiques ancestraux validés de nos jours. L’idée que la tradition d’Israël posséderait une lucidité et une incomparable connaissance d’elle-même, à tel point que tout se passe comme si l’avenir concorde à ce qu’elle en a dit, donne effectivement le vertige : Regardez ! Ce que les prophètes de Dieu ont dit se réalise ! Impressionnant ! Dieu agirait-Il vraiment selon Son projet pour nous ?! Les récits historiques de la Torah ne seraient pas seulement un amalgame d’anecdotes pieuses destinées à la seule l’édification du comportement et du bon cœur de confession israélite !? Mais alors, la Torah serait-elle et contemporaine et d’éternité !?
- 12 novembre 2017
Haye Sarah : Avraham et Sarah, précurseurs d’Israël
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