L’OEUVRE DE LA CRÉATION
LES ENGENDREMENTS
JUIFS OU HÉBREUX
ISRAËL ET LES NATIONS
MESSIANISME
THÈMES FONDAMENTAUX

VAYIGACHE - 1984

Le cours

 

(1984) וַיִּגַּשׁ

 

Sujet de la Parashah : la reconnaissance entre Joseph et ses frères et le fait que Jacob et sa famille  vont descendre s’installer en Egypte. 

Un des faits frappants : l’enjeu dans la querelle, le conflit entre Judah et Joseph, c’est Benjamin.

Dès que les frères de Joseph sont descendus la 1ère fois et que Joseph les a reconnu sans qu’eux le reconnaissent lui, il y avait semble-t-il un seul souci, se rappelant des rêves qu’il avait fait à leur sujet, c’était que ses rêves s’accomplissent complètement. Et nous sommes là dans la 1ère étape de la vocation de Joseph.  

Sa vocation de la messianité est de se mettre au service des nations et de la civilisation extérieure.

Les stades suivants, en particulier celui où Joseph fera le diagnostic de l’échec de sa tentative se préparent souterrainement.  

Son seul souci lors de cette 1ère rencontre avec ses frères est de faire descendre Benjamin en Egypte auprès de lui.  

 

L’explication est la suivante : si vraiment le temps est arrivé de mettre en œuvre la 1ère tentative messianique, celle de Joseph, il faut que cela soit complet, entier, sans réticence. Si la famille de Jacob rejoint Joseph mais que Benjamin reste en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל avec Jacob, alors il n’y aurait là qu’un demi-acquiescement au rôle de Joseph. 

Cela met en évidence l’importance de l’identité de Benjamin.  

 

Ce même thème se retrouve dans le sens inverse dès le début de notre Parashah, lorsque Judah prend acte qu’ils ont été pris au piège. Cf. les derniers versets de la Parashah précédente : Joseph est parvenu à faire rester Benjamin et donne la permission aux autres de rentrer chez Jacob. C’est là que Judah va intervenir dans le début de notre Parashah : là aussi la raison principale de l’opposition de Judah à Joseph c’est l’identité de Benjamin. Lorsque Judah s’adresse à Joseph pour faire une sorte de récapitulation des événements précédents :  

 

Chapitre 44, versets 19-30:

44:19

אֲדֹנִי שָׁאַל אֶת-עֲבָדָיו לֵאמֹר הֲיֵשׁ-לָכֶם אָב, אוֹ-אָח

Monseigneur a demandé à ses serviteurs, en disant, avez-vous un père ou un frère ?  

 

Déjà dans le texte précédent une telle question adressée directement à ses frères par Joseph, non reconnu par ses frères mais perçu officiellement, leur dévoile que ce qui se passe dans ce dialogue est important. Il s’agit très précisément des données du problème qu’ils veulent cacher.

 

44:20

וַנֹּאמֶר אֶל-אֲדֹנִי יֶשׁ-לָנוּ אָב זָקֵן וְיֶלֶד זְקֻנִים קָטָן וְאָחִיו מֵת וַיִּוָּתֵר הוּא לְבַדּוֹ לְאִמּוֹ וְאָבִיו אֲהֵבוֹ

Nous avons dis à Monseigneur Nous avons un père Et un enfant de la vieillesse en bas-âge

Et son frère est mort Il est resté seul de sa mère et son père l’a aimé.

 

 44:21

וַתֹּאמֶר אֶל-עֲבָדֶיךָ הוֹרִדֻהוּ אֵלָי וְאָשִׂימָה עֵינִי עָלָיו

Et tu as dis à tes serviteurs, faites-le descendre vers moi que je place mon œil sur lui (que je le vois).  

 

44:22

וַנֹּאמֶר אֶל-אֲדֹנִי לֹא-יוּכַל הַנַּעַר לַעֲזֹב אֶת-אָבִיו וְעָזַב אֶת-אָבִיו וָמֵת

Et nous avons dis à Monseigneur L’enfant ne peut pas abandonner son père s’il le quittait il (son père) mourrait.

 

44:23

וַתֹּאמֶר אֶל-עֲבָדֶיךָ אִם-לֹא יֵרֵד אֲחִיכֶם הַקָּטֹן אִתְּכֶם--לֹא תֹסִפוּן לִרְאוֹת פָּנָי

Et tu as dit à tes serviteurs si ne descend pas votre petit frère avec vous

Vous ne continuerez plus à me voir.  

C’est une expression particulière dont la תּוֹרָה va se servir pour dire « être en présence de Dieu ».

 

Et le récit continue, il faut mettre en évidence l’enjeu principal de cette tension entre ces frères, c’est Benjamin.  

 

Nous sommes dans la 1ère étape de l’histoire de Joseph lorsqu’il a voulu paraître sur le trône de l’Egypte et qu’il tient jusqu’au bout à mettre en place sa propre stratégie de vocation messianique. Elle consiste essentiellement dans le 1er stade à tenter de mettre au service de la civilisation extérieure, les valeurs de l’identité hébraïque. C’est une indication importante car cela nous éclaire le comportement d’une des dimensions de l’identité d’Israël : celle de la diaspora.  

 

C’est un enseignement important que le Maharal reprend très souvent pour mettre en évidence le principe suivant : ce qui arrive dans l’histoire d’Israël en tant que peuple est déjà préfiguré à la racine de son identité dans le récit que nous donne la תּוֹרָה de l’histoire des Patriarches.  

 

L’identité d’Israël est en gestation dans une famille et déjà au niveau de cette gestation vont s’exprimer des tendances d’identités qui auront à rendre compte de l’histoire de ce peuple privilégié dont la bible parle et qu’elle définit comme étant le peuple d’Israël.  

En fin de compte nous savons qu’il y a réconciliation de ces deux tendances mais pendant longtemps, chacune d’entre elles vit sa propre vocation de façon exclusive.  

Lorsque Joseph est occupé à tenter de faire réussir sa propre vocation de la messianité il est  jusqu’au boutiste. Avant que les deux tendances ne se reconnaissent et ne se rencontrent et commencent leur unification, chacune d’entre elles est séparée de l’autre, dans cette vision d’une division du travail qui les rend exclusives l’une de l’autre.  

 

Cela nous fait comprendre pourquoi Joseph tient absolument à ce que Benjamin le rejoigne, de telle sorte que le commencement de réalisation du rêve prophétique qu’il avait eu (ses frères se prosternant devant lui, reconnaissant sa préséance) soit total et réel.  

Ici dans l’argumentation de Judah c’est le fait que si Benjamin - dernière chance de l’identité d’Israël en jeu dans l’histoire – quitte Jacob qui est au pays de Kenaan, la souche, la source, la racine de cette identité d’Israël risque de disparaître. L’enjeu est très grave. Il est au-delà de ce qui est d’autre part vrai au niveau individuel du désir de Joseph de voir Benjamin.  

S’il ne s’agissait que de cela il aurait pu le demander et l’obtenir d’une tout autre manière et non dans cette manière, avant que la reconnaissance ne se fasse, qui met ses frères dans cette impasse, devant cette panique à envisager la fin de l’histoire d’Israël.  

Si Joseph ne se dévoile pas comme étant le fils de Jacob et le frère de ses frères, c’est la fin de l’identité d’Israël. Benjamin sera pris par l’Egypte et il n’y a plus d’autre chance après Benjamin. D’où l’importance de l’identité de Benjamin dans ce récit.

 

Nous le voyons de 2 manières :  

-  d’une part l’insistance de  Joseph à faire descendre Benjamin, celui qui doit être pour Israël הַמָשְׁבִּיר (le préposé à la distribution du grain) comme dit le texte c’est-à-dire celui qui assure l’existence matérielle du peuple d’Israël.       

-  d’autre part, dans l’argumentation de Judah, le fait que ce que demande Joseph de garder Benjamin en Egypte est impossible. Les Midrashim expliquent dès les 1ers versets de notre Parashah que Judah est prêt à faire la guerre avec Joseph pour l’empêcher de s’emparer de Benjamin.  

 

Je suis un peu gêné parce que je ne voudrais pas parler tout de suite d’une identification contemporaine de ce problème. Mais sans doute cela sera inévitable.

 

Quand on a un ensemble humain qui a un but collectif ultime qui est tellement difficile à réaliser – dans le cas de l’histoire d’Israël ce but est l’unité de l’homme et donc par conséquent premièrement l’unité d’Israël lui-même -  il est ici inévitable de penser en filigrane à nos problèmes contemporains dans toutes les contemporanéités – chaque membre de ce groupe a une tâche particulière dans la tâche de l’ensemble. Alors se produit semble-t-il inévitablement une difficulté jusqu’au bout qui fait que pour que chacun puisse réussir sa tâche partielle on se contrarie, on s’oppose l’un l’autre et cela met en question la tâche commune ultime.  

 

Nous avons un grand principe qui apparait de l’exégèse de l’histoire des אֲבוֹת qui en particulier a été mis en forme par deux des grands maîtres de nos dernières générations, le Shla’h et le Pri Tzadik : l’homme s’assigne comme idéal précisément la vertu qui lui manque.   

 

Il y a là un problème très clair. Nous voyons que cette identité d’Israël a pour objectif idéal l’indice de l’unité : c’est-à-dire arriver à restaurer l’unité de l’homme perdue et brisée au temps de la civilisation de Babel. Cela nous ramène à la préface de cette histoire. 

En particulier, du point de vue des valeurs du צַדִּיק, des valeurs du  Juste, nous voyons qu’il y a différentes étapes de reconquête de cette unité.  

 

De façon fondamentale, le Midrash s’appuie beaucoup sur cette catégorie, il faut arriver à restaurer l’unité de deux valeurs opposées pour que la conscience morale soit redevenue authentique. Pour les deux valeurs que représentent Abraham et Isaac, c’est au niveau de Jacob que cet effort d’unité finit par réussir, alors Jacob est nommé Israël.  

Nous voyons que cette histoire est accompagnée par des lignées parallèles. A partir d’Abraham, une autre souche qui s’appelle Ishmaël va hériter, semble-t-il, comme donnée de nature, de la valeur d’Abraham toute seule. À partir d’Isaac, une autre lignée - celle d’Esaü - héritera de la valeur d’Isaac toute seule.  

 

C’est pourquoi l’histoire d’Israël va être accompagnée par ces deux lignées parallèles qui s’installent en rivalités terribles jusqu’à nos jours. La rivalité d’Ishmaël contre Isaac descendant d’Abraham, et la rivalité d’Esaü contre Israël descendant de Jacob. D’un côté la contestation de l’islam et d’un autre côté la contestation de la chrétienté. Et ce ne sont pas les seuls mais ce sont les plus proximales et celles qui mettent le plus en question l’identité d’Israël.  

 

On s’aperçoit qu’Ishmaël a hérité d’une certaine vertu de son père Abraham mais qu’il lui manque comme donnée de départ de son identité propre la valeur complémentaire qui en ferait l’unité. Lorsque dans la lignée d’Ishmaël apparait l’exigence de la restauration de cette unité et de retrouver le Dieu d’Abraham dans son unité profonde, alors c’est précisément la valeur qui manquait qui va être prise comme idéale :  

La vertu propre à Abraham c’est la vertu de חֶסֶד. Pour que la vérité morale apparaisse, il faut qu’à la vertu de חֶסֶד s’ajoute la vertu de Justice. Car la vertu de charité protège l’autre mais la vertu est exposée alors que la vertu de justice va restaurer la complémentarité  et va résoudre le problème de la réciprocité de relation de personnes à personnes.  

En termes plus simples, lorsque je pratique la vertu de charité, l’autre est sauvé mais je suis perdu, lorsque je pratique la vertu de justice, je suis protégé mais l’autre est perdu.  

 

Je repense sur ce thème à l’œuvre importante de Levinas qui est dans la culture occidentale une espèce de récupération au titre du judaïsme de ce que le christianisme avait usurpé : la philosophie de Levinas s’engage sur la vertu d’Abraham de façon exclusive. Si effectivement je dois percevoir et fonder et connaître la dignité de l’autre il faut que je le fasse totalement, quitte à m’exposer moi-même « jusqu’à me mettre en danger de mort ».

 

A partir de ce moment-là ce n’est plus du judaïsme mais la vertu d’Abraham poussée à la limite  pour fonder un christianisme virtuel, éventuel, abstrait, qui n’a jamais été vécu que par des exceptions au niveau du sacrifice, mais qui n’a jamais été vécu par aucune société chrétienne.  

 

Tant qu’on ne retrouve pas ce principe de la réciprocité pour construire et reconstruire la conscience morale unifiée, on est encore à faire du surplace dans cette histoire des pères où l’enfantement du fils de l’étape suivante est si difficile. On oublie qu’il fallait qu’Abraham engendre Isaac et qu’Isaac engendre Jacob pour que l’identité d’Israël  apparaisse.  

 

Il n’en reste pas moins que dans l’histoire la vertu d’Abraham s’est déposée toute seule dans une certaine tradition qui, lorsqu’elle a cherché les principes de son unité, a cherché dans la vertu opposée le principe de son idéal. L’idéal religieux de l’islam s’appelle en arabe « Din » qui est le mot hébreu de la Justice. Quand l’arabe veut dire la religion il emploie ce mot de « El Din ».  

 

Nous avons là une première illustration de ce principe : l’homme se choisit comme idéal la valeur qu’il n’a pas encore réalisée.  

On voit que dans la lignée d’Esaü, c’est exactement le même schéma inversé : Esaü est en lui-même un homme de violence, lorsqu’il prend le chemin du repentir vers le Dieu d’Abraham, il choisit alors comme valeur d’idéal, précisément la valeur qui lui manquait : la valeur de charité.  

Formulé de cette manière :

« Dis-moi en quoi tu crois, je te dirais ce que tu n’es pas encore »  

 

Dans le cas de ces trois lignées :  

-  Pour Ishmaël, c’est très clair : il hérite de façon naturelle de la tendance du חֶסֶד. Mais חֶסֶד sans דִין c’est la catastrophe morale. Un Midrash montre que la création du monde par la seule vertu du חֶסֶד est impossible car la charité couvrira n’importe quelle faute. C’est son rôle, sa fonction, lorsque la charité est authentique. (Cf. le plaidoyer d’Abraham, צַדִּיק de la הָחֶסֶד מִּדָת qui plaide pour les pires des criminels. Réponse divine : même pas le minimum de possibilité d’un sursis supplémentaire). Tout se passe comme si celui qui a perçu l’exigence de cette valeur complémentaire témoigne par là même de sa capacité de la réaliser.

 

-  Très simplement, il n’y a pas de doute que la civilisation chrétienne va se baser théoriquement sur un principe faux, non pas parce que la charité est une fausse valeur, c’est une valeur authentique ; mais parce que isolée des autres valeurs elle devient négative. Il n’en reste pas moins qu’à l’échelle individuelle, elle peut produire des performances d’héroïsme de la charité. De la même manière pour l’islam, lorsqu’un homme devient musulman authentique, il est capable d’héroïsme au niveau de cette מִּדָה manquante du דִין.

    

-  Le problème pour Israël n’est pas d’avoir à restaurer la vertu de חֶסֶד qui a été héritée  d’Abraham, ni d’avoir à restaurer la vertu de דִין héritée d’Isaac, mais de les unir. C’est donc ce problème d’idéal d’unité qui définit Israël. On remarque que c’est bien la vertu qui manque à la société d’Israël. La Guemara explique la destruction du 2nd temple par la faute de שִׂנאָת חִינָם – la haine gratuite. Cette faute est effectivement, l’incapacité de l’unité. Tous sont צַדִּיקִים, justes de leur מִּדָה, de leur valeur morale, mais il n’y a pas encore d’unité. Il est paradoxal et étrange que ce soit le peuple le plus divisé en lui-même qui soit le porte-parole de l’idéal d’unité. De la même manière, il est paradoxal et étrange que le peuple le plus guerrier se soit fait le porteur de l’idéal de la charité, et que le peuple le plus cruel qui se soit fait le porteur de l’idéal de justice au niveau de l’idéal.  

 

A l’échelle individuelle, il peut y avoir des réussites que l’on appellera les חָסִידֵי אוּמוֹת הָעוֹלָם. Cela ne signifie pas que le conflit de la lignée d’Ishmaël vis-à-vis d’Israël et que le conflit de la lignée d’Essav vis-à-vis d’Israël peut se résoudre du point de vue d’Ishmaël ou du point de vue d’Essav. Le récit biblique nous montre très bien quelle est la fin de cette grande aventure. Finalement Ishmaël reconnait la préséance d’Isaac et en fin de compte, Esaü disparait devant Jacob. Nous n’en sommes pas encore là mais on peut avoir le pressentiment de ce qui est en train de se passer dans la réalité pure et simple. Mais cela signifie donc que la descendance de Jacob est elle seule capable de réaliser cette unité. Lorsqu’elle n’est pas encore réalisée elle est problématique. C.à.d. jusqu’au bout il n’y aura pas d’unité et jusqu’au bout nous sommes d’une certaine manière condamnés à la faire. 

 

Cette analyse met en évidence cette catégorie :

Lorsque Joseph vit sa vocation, il la vit totalement à l’exclusion de toute vocation complémentaire. Lorsque Judah vit sa vocation propre, il la vit totalement à l’exclusif de celle de Joseph.  

Pendant très longtemps ils ne se reconnaitront pas jusqu’au moment de la rencontre de reconnaissance autour de l’enjeu de Benjamin. 

 

Il y a en fin de compte un schéma un peu simple : au moment de la division du travail, chacun va s’engager dans sa voie propre en sachant idéalement que cette voie rejoint toutes les autres dans une unité à construire mais durant la réalisation on s’engage exclusivement avec des œillères sans savoir ce qui se passe à côté.  

 

Midrash Tan’houmah ancien (et dans Midrash Hagadol sous une autre forme) : lorsque Jacob veut prophétiser la fin de l’exil à ses enfants à la fin de sa vie, la prophétie le quitte : il donne la confirmation du diagnostic que Joseph au début de la 2ème étape de son histoire avait fait : que sa propre tentative avait abouti à un échec et qu’il faut que la tentative de Judah prenne le relai, alors la prophétie le quitte et le Midrash formule ainsi la situation entre Jacob et ses enfants :

Jacob pose à ses enfants la question suivante :

-« Shéma yesh bahem ‘heit » « Peut-être y a-t-il en vous une faute ? »

 

Réponse des enfants :

- « Prends nos noms et épelle-les : la lettre ח (ח - ט) est absente ! »   

Le Midrash joue sur l’homophonie entre חֵטְא (ח-ט-א: signifiant la faute) et la lettre ח (ח-ט).    

Le nom désigne l’essence de quelqu’un et si on connait vraiment l’essence de quelqu’un, il n’y a pas de faute mais innocence absolue. Et pourtant la prophétie l’a quitté.

A quelle faute pense-t-il ? A la faute contre l’unité : la division.

 

Si Israël se définit par l’idéal d’unité, sa faute essentielle concernant l’essence d’Israël est la faute d’unité. Lorsque nous disons « יִשְׂרָאֵל יְהוָה אֱלֹהֵינוּ יְהוָה אֶחָד  שְׁמַע»  nous voulons attester que quelque soit les apparences הַשֵּׁם qui est le Dieu de chaque tribu d‘Israël est Un.  

 

C’est ce que le Midrash nous dit : la 1ère occurrence du שְׁמַע a été faite par  les enfants de Jacob à leur père pour attester de leur unité profonde quelque soit les apparences. Jacob a perçu toute sa vie les conflits des tribus et finalement à la fin de sa vie il est rassuré un peu mystérieusement lorsque ses enfants attestent qu’il y a unité.  

Tout se passe comme si c’est la seule société qui est capable de cet idéal. Mais tant qu’il n’est pas encore réalisé, alors apparaissent les mécanismes du conflit entre les différences tendances de cette unité.   

 

C’est un enseignement important : tant que cette unité n’est pas encore réalisée alors Joseph est entièrement Joseph et que ça, Judah est entièrement Judah et que ça, d’où le conflit. Il faut qu’il y ait une reconnaissance de l’unité projetée dans les voies de chacun pour que ce conflit s’atténue et finisse par disparaître. 

 

Drasha du Maharal sur le שָׁבָּת הַגָדוֹל avant Pessah et qui indique un certain nombre de valeurs que nous ne pouvons percevoir que sous formes d’exigences, d’objets de foi, mais qui ne se réalisent qu’à la fin.  

L’exigence de paix est l’exigence la plus fondamentale de la conscience humaine et pourtant l’histoire est celle des guerres, jusqu’au bout. La paix apparait comme surnaturelle. L’être de nature est en guerre, et la paix est une réalité de la fin des temps...  

Entretemps, il peut y avoir des aménagements de paix de compromis. Mais la paix véritable n’est pas de ce monde mais de la fin de ce temps.  

 

C’est la même chose pour l’unité. Cela nous éclaire beaucoup pour notre problème de façon générale et pour le problème de notre société propre en particulier, c’est le fait qu’une vocation lorsqu’elle est  exclusive, lorsqu’elle est entière, est inévitablement la cause d’un conflit intérieur à cette société d’Israël dont l’idéal est l’unité.

 

Benjamin enjeu du conflit :

Comparaison de deux époques.

En Egypte, Joseph a réussi à faire que Benjamin le rejoigne, alors qu’à la 2ème époque dans l’histoire de la nation d’Israël on s’apercevra que c’est l’inverse : c’est Juda que Benjamin rejoindra. Cette 2ème époque au moment du schisme après le temps du roi Salomon. L’unité d’Israël au niveau politique a éclaté et elle a aussi éclaté au niveau religieux. Le royaume du Nord qui avait pour capitale Samarie qui regroupait grosso modo 10 des tribus d’Israël, a repris l’idolâtrie du veau d’or comme culte officiel.

 

Alors que le royaume du Sud, resté fidèle à la תּוֹרָה, avait lui pour capital Jérusalem et ne regroupait que deux tribus et demi : Juda, Benjamin et la moitié de Manassé. On s’aperçoit que dans cette histoire le royaume du Nord privé de Benjamin disparait alors que le royaume du Sud parce qu’il a Benjamin avec lui reste dans l’histoire.  

Nous avons donc deux épisodes différents : au niveau de l’exil, Benjamin rejoint Joseph, mais dans l’histoire d’Israël, Benjamin rejoint Juda. Il apparait de ces deux remarques que c’est là où Benjamin se trouve que se passe l’avenir d’Israël.

 

***

 

Q : ……

R : L’endroit du Temple est à la fois sur la part de Juda et sur la part de Benjamin.

C’est frappant de voir que le royaume du nord va se grouper autour de la maison de Joseph avec comme chef de fil la tribu d’Ephraïm qui est la maison de Joseph. Je vous conseille de lire attentivement la Haftara de notre Parashah.  

Ephraïm est la principale tribu de Joseph. Dans la langue des prophètes ce royaume du nord est appelé à tour de rôle « maison d’Ephraïm », « maison de Joseph », « maison d’Israël » ; alors que le royaume du Sud est appelé « le royaume de Juda », et « les enfants d’Israël ».

La « maison de Joseph » c’est la dénomination que la prophétie donne au royaume du Nord qui est en réalité le royaume d’Ephraïm.  

Il y a donc une sorte d’option Benjamin qui fait basculer l’histoire d’un côté ou de l’autre.

Dans ce récit, la mise en place d’un ensemble de données dont la principale semble être l’identité de Benjamin.  

 

Chapitre 35, verset 18

וַיְהִי בְּצֵאת נַפְשָׁהּ כִּי מֵתָה וַתִּקְרָא שְׁמוֹ בֶּן-אוֹנִי וְאָבִיו קָרָא-לוֹ בִנְיָמִין

Il arriva lorsque son âme l’a quitté car elle est morte

Elle nomma son nom בֶּן-אוֹנִי (fis de ma douleur) et son père l’a nommé Benyamin.

 

On comprend qu’elle l’enfanta avec difficulté et donc elle le définit dans la circonstance de sa naissance : il est le fils de sa douleur, « אוֹנִי ». Ce mot a un tout autre sens qui signifie la force.

 

Rashi

בֶּן אוֹנִי : בֶּן צַעֲרִי : fils de ma peine  [cf.Bereshit Rabbah 82:9]  

בִּנְיָמִין :

נִרְאֶה בְּעֵינָי לְפִי שֶׁהוּא לְבַדּוֹ נוֹלָד בְּאֶרֶץ כְּנַעַן שֶׁהִיא בַּנֶּגֶב כְּשֶׁאָדָם בָּא מֵאֲרַם נַהֲרַיִם כְּמוֹ שֶׁכָּתוּב: בַּנֶּגֶב בְּאֶרֶץ כְּנָעַן הָלוֹךְ וְנָסוֹעַ הַנֶּגְבָּה

Benjamin : Il me semble que puisqu’il était le seul qui fut né dans le pays de Canaan, lequel est au Sud pour une personne venant de [la direction de] Aram-naharaim, ainsi qu’il est dit: “Au Sud, dans le pays de Canaan » (Nombre 33:40); “voyageant continuellement vers le sud” (בְּרֵאשִׁית 12:9).

 

בִּנְיָמִין

בֶּן יָמִין לָשׁוֹן צָפוֹן וְיָמִין אַתָּה בְרָאתָם לְפִיכָךְ הוּא מָלֵא

(דָּבָר אַחֵר בִּנְיָמִין בֶּן יָמִים שֶׁנּוֹלָד לְעֵת זִקְנָתוֹ וְנִכְתָב בְּנוּ"ן כְּמוֹ לְקֵץ הַיָּמִין)

Benjamin. Le fils du Sud, une expression de “Nord et Sud (וְיָמִין) Tu les a créé” (Ps. 89:13). Pour cette raison, il est [écrit ici) plein, [avec un “ י” après le “מ”]. (Autre explication: Benjamin signifie “le fils des jours” (בֶּן יָמִים), parce qu’il est né dans ses vieux jours (à Jacob), et cela s’épelle avec un “  ן ” comme “à la fin des jours (הַיָמִין)” (Dan. 12:13).

 

Benyamin car lui seul est né dans כְּנַעַן אֶרֶץ qui est au sud du pays d’où revenait Jacob.

Tous les enfants de Jacob sauf Benyamin sont nés dans le pays de Laban. On apprend d’après l’ordonnance du récit que Benjamin a été conçu en exil là où ils sont nés.

Tous ses autres frères sont nés dans l’exil, lui est conçu en exil mais il est né dans le pays. 

 

Là, Rashi ajoute une explication topographique : Benyamin est le seul qui est né en כְּנַעַן אֶרֶץ qui est au sud du pays du pays de Laban. Lorsqu’on descend d’Aram Kenaani, c’est-à-dire la Mésopotamie, alors on descend vers le Sud comme le dit un verset : « Dans le Sud au pays de Kenaan » (בְּמִדְבַּר chapitre 33).  

 

Quand Abraham vient dans le pays, et il va en direction du Sud dit le verset....

Et puis Rashi ajoute : Benyamin « le fils du Sud » le fils du pays du Sud et donc de אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל. Yamin signifie la droite. C’est pourquoi nous dit Rashi : Yamin est écrit en toutes lettres - Malé (avec les deux Youdim) - pour mettre en évidence le mot de Yamin.  

Rashi poursuit :

 

Autre explication, בֶּן יָמִין  « le fils des jours »

בֶּן יָמִין il a été enfanté à Jacob au temps de sa vieillesse .Et c’est écrit avec un ן, comme un verset qu’on trouve en Daniel chapitre 12:13 : « לְקֵץ הַיָּמִין... » À la fin des jours...  

 

Nous avons ainsi trois éléments que nous donne Rashi ici :

-  Benyamin est le dernier des enfants, après lui il n’y a plus d’enfant puisque Rachel est morte en le mettant au monde.

-  C’est Benjamin dans le sens de la dernière chance des engendrements d’Israël.

-  Il est conçu dans l’exil et il est né dans le pays d’Israël. Il représente donc la génération qui met fin à l’histoire de la diaspora. Et cela arrive à la fin des jours de l’exil.

Si on rassemble tous ces éléments on voit qu’apparait un profil d’identité extrêmement important :

=>  La tentative de Joseph c’est l’exil.

=>  La tentative de Judah, c’est אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל.

 

Lorsque Joseph est né, il commence à rêver de la vocation de diaspora, de l’exil. Les frères étaient déjà adultes dans le pays de Laban et avaient déjà eu cette expérience de la vocation d’exil : se mettre au service des troupeaux de Laban et en avaient déjà diagnostiqué l’échec. Et par conséquent, ils avaient déjà fait un bilan définitif : avec cette dimension de la messianité proche de celle des Patriarches aussi, se mettre au service de la civilisation extérieure, aboutit à un échec. Les frères de Joseph, Juda et ses frères, avaient déjà diagnostiqué cet échec. Joseph vient à peine de naître lorsqu’ils quittent l’exil et n’en a pas l’expérience. Il recommence cette histoire, et c’est pourquoi ils le font passer en jugement.  

Par conséquent, la tentative de Joseph pour elle-même c’est la diaspora ; la tentative de Juda  pour elle-même, c’est אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל; et finalement, apparait l’identité de Benjamin qui précisément est définie à sa naissance même comme étant celui qui doit mettre fin à la tentative de Joseph pour rejoindre la tentative de Juda.  

 

C’est là le 1er thème tel qu’il nous apparait, et le diagnostic de l’identité de Benjamin au temps  contemporain est très important à faire : la génération de notre temps qui a mis fin à l’histoire de la diaspora – cette histoire de la diaspora qui devenait de plus en plus l’histoire de Joseph en Egypte – se mettre au service de l’humanité extérieure contemporaine,  ce diagnostic que le Joseph de notre temps a fait - c’est-à-dire le juif le plus assimilé apparemment que l’on pourrait prendre pour le Pharaon lui-même selon l’expression biblique « כִּי כָמוֹךָ כְּפַרְעֹה» -  c’est lui qui diagnostique que sa propre tentative mène à la perte de l’identité d’Israël, c’est lui qui y met fin et déclenche le retour – cette génération-là de notre temps reproduit le schéma d’identité de Rachel , la matrice des engendrements dans l’exil, qui disparait au moment de la fin de l’exil mais qui engendre Benjamin qu’elle a conçu dans l’exil dans la plus grande douleur et c’est l’enfant de la plus grande force - בֶּן אוֹנִי a les deux sens – qui conduit à la fin des temps d’exil.

 

Je crois qu’il s’agit très clairement de la génération des fondateurs de l’Etat d’Israël qui sont sortis de la plus grande catastrophe de la mort de Rachel – la Shoah – et qui ont fondé, dans la plus grande force, le pays d’Israël.  

 

Par conséquent, l’identité de Benjamin a déjà, dès l’origine, une place considérable dans ce qui est en question dans ce problème de l’unité des frères entre Joseph et Juda.  

Au 1er stade c’est Joseph qui réussit à faire descendre Benjamin chez lui. Et finalement il y a une déconnection de toute la famille de Jacob et de ses enfants avec אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל, pays de la promesse et du projet d’identité qui commence avec l’histoire d’Abraham. Cela va durer 210 ans de black-out entre la fin du livre de la Genèse et le début du livre de l’Exode : il n’y a aucune parole prophétique, c’est la nuit, la déconnection complète. On a rejoint Joseph et on est perdu dans la nuit. C’est le thème des étoiles dans la nuit du rêve de Joseph… Mais c’est la nuit !  

 

C’est important de voir que lorsque Benyamin rejoint Yossef, il n’y a plus de אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל et lorsque Benyamin rejoint Judah, il n’y a plus de diaspora.  

Tout cela dans notre temps contemporain est en cours, mais il y a déjà un seuil qui a déjà été traversé : Benyamin est né ! Il est né très exactement comme l’explique Rashi dans la notion de בֶּן יָמִין. Au moment de la plus grande souffrance, dans la plus grande force, à la fin des temps d’exil, en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל. Conçu à Vienne mais né à Jérusalem. Non, c’était à Bâle… [Ndlr : Theodor Herzl (1860-1904), de son nom hébreu Benjamin Ze'ev (בנימין זאב), fondateur du mouvement sioniste au Congrès de Bâle en 1897.]  

 

Lorsque je vivais en diaspora, on pouvait retrouver ce profil d’identité de Benjamin au niveau de la communauté juive dans ce qu’on appelle les mouvements de jeunesse. Or il est bien évident que le mouvement de jeunesse juif en tant que tel, avait opté pour Juda contre Joseph.

Il y aurait peut-être une thèse à faire à ce sujet, mais je ne sais plus si c’est valable actuellement.  

Exemple français : tout le folklore du mouvement de jeunesse est « un folklore bleu et blanc » : tout se passe comme si Benjamin de notre histoire de notre temps a choisi pour Juda et pas du tout pour Joseph. Il n’y a aucun mouvement de jeunesse, en diaspora même, militant pour la diaspora. Ils n’existent que parce qu’existe Israël.

 

Q : Aujourd’hui, parmi des descendants des fondateurs du pays certains font leur יְרִידָה ?

R : il y a 500 000 israéliens à l’étranger et parmi ceux-ci tous n’étaient pas de la génération Benyamin, la génération des fondateurs. Il n’y a pas de doute que depuis la guerre des 6 jours, les fondateurs et les enfants des fondateurs de Kibboutzim eux-mêmes, les fils des fondateurs, font leur יְרִידָה. D’ailleurs il n’est pas sûr que cette יְרִידָה soit définitive.

Mais dans tous ces mouvements qui touchent l’histoire d’une collectivité il y a des temps de tri. Cela ne se fait pas de façon magique chacun ayant une case préétablie... Il y a un בִּרוּר qui se fait.

   

Par exemple dans les programmes des écoles israéliennes, on apprend de façon très détaillées la 1ère עָלִיָה, la 2ème עָלִיָה, …etc. Il n’en est resté qu’une poignée, alors que la עָלִיָה massive des yéménites personne n’en parle. Eux sont restés presque tous.

Avec ce genre d’événement, lorsqu’il touche une collectivité, il y a un Birour qui se fait. C’est mis en jeu, mais pour ce qui concerne la destination ce n’est pas clair où cela va, donc cela peut ne pas aller... Il y a une règle catastrophique du 1/5ème qui réussit : lorsque 5/5ème sont mis en jeu dans une aventure, il y a 1/5ème qui réussit.

 

Dans notre schéma : lorsque Benjamin a rejoint Yéhoudah, alors c’est lui אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל. Mais lorsque Benjamin n’a pas vraiment rejoint Yéhoudah, alors il fait sa יְרִידָה. Ceux qui descendent du pays ce ne sont pas ceux des fondateurs qui ont rejoint la תּוֹרָה.  

Il y a un grand malentendu entre la diaspora et Israël : c’est que la diaspora se prend pour la diaspora d’Israël et s’y prend avec une naïveté sincère. En réalité, il s’agit de la diaspora du שֵׁנִי בָּיִת  détruit par les Romains il y a 2000 ans, et qui se trouve contemporaine du commencement du שְׁלֹשִי בָּיִת et qui se dénomme diaspora d’Israël alors qu’elle est la suite de la diaspora du שֵׁנִי בָּיִת  mais forcément solidaire du שְׁלֹשִי בָּיִת d’aujourd’hui.  

 

En 1948, à la fondation de l’Etat, le peuple juif de diaspora pouvait dire légitimement que c’est son Etat, parce que c’est lui qui l’a fait : Le peuple juif a fait l’Etat d’Israël en 1948 mais déjà à la génération des fils ce n’est plus vrai. La génération des fils ne se considère pas comme la diaspora d’Israël. Mais on continue à le dire par habitude de langage. Il y a un problème de régularisation d’identité dans la diaspora, pas en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל.

 

C’est un problème différent de la  עָלִיָה : l’objectif est de quitter l’Egypte et de faire la  עָלִיָה.

Mais le problème de la  עָלִיָה est un problème complexe étant donné la nature des obstacles qui s’y introduit.  

Derrière ce problème de la עָלִיָה un problème beaucoup plus important, celui de l’identification. C’est à dire si vraiment un juif se considère comme une diaspora d’Israël, il y a une régularisation à faire. Mais ce problème aujourd’hui n’existe pas : ils sont vraiment des israéliens de l’étranger, ils sont des israéliens en diaspora, beaucoup plus que les Juifs qui n’ont jamais fait leur עָלִיָה. 

 

Décidément Benjamin a choisi pour Juda. Ce pays a été fondé par un mouvement de jeunesse : le mouvement sioniste est un mouvement de jeunesse, mouvement de révolte contre l’identité antérieure. L’identité juive antérieure était à l’indice Joseph. Le mouvement de jeunesse s’est révolté contre et a fondé l’Etat d’Israël, et est à l’indice Juda, et c’est irréversible.  

A l’échelle individuelle, il y a inévitablement un tri qui se fait.

Il y a une statistique qui est toujours mise de côté et n’est jamais étudiée : la proportion de sionistes religieux qui descendent est minime par rapport aux sionistes non religieux.

Par conséquent, lorsque Benjamin choisit Yehoudah vraiment c’est irréversible.  

 

J’essaie de donner une analyse optimiste de ce récit. 

Mais lorsque cela se produit tous les « ’Has vé shalom » sont possibles... je devrais dire tous les « וְשָׁלוֹם ש"ס »...  

Nous étudierons l’opposition des tendances des deux messianités aux temps contemporains à travers l’enseignement du Rav Kook et le הֶסְפֵּד qu’il a donné à la mort de Herzl.  

On ne voit que deux identités principales parmi les autres, puisque chacune des tribus a sa vocation propre dans cette identité commune, Joseph d’un côté et Juda de l’autre, lorsqu’ils sont isolés l’un de l’autre dans une équation de division du travail, finalement s’opposent l’un à l’autre. Il y a un ordre comme dans le récit.  

C’est Joseph qui le 1er reconnait ses frères : cela signifie que c’est la tendance Joseph qui d’abord diagnostique que l’autre est aussi Israël. Je pense qu’on est à peu près à la fin de ce stade.

 

 

La 2nde tendance Juda, n’a pas encore reconnu Joseph, mais cela vient.

 

La 1ère phase est acquise : pour un sioniste non religieux, un juif religieux est quand même un juif.

Tandis que pour un juif religieux, un juif sioniste non religieux c’est « quand même » un juif mais enfin pas tout à fait...

C’est notre récit : Joseph est bien obligé de reconnaitre ses frères comme ses frères, mais chez ses frères il y a une réticence de ses frères jusqu’au bout, mais finalement ils finissent par se reconnaître.  

 

Je voulais mettre en évidence le facteur Benjamin qui nous éclaire pourquoi dans ce récit de l’opposition de Joseph et ses frères, c’était Benjamin qui en était l’enjeu.  

C’est dire que, bien au-delà de la vérité légitime de l’intérêt personnel de Joseph d’avoir Benjamin avec lui, il y a quelque chose de plus profond : Joseph tient à ce que l’adhésion de ses frères à sa vocation de la messianité soit entière et sans réticence.  

Nous avons là les éléments du problème : si c’est la diaspora qu’il faut jouer, alors on va la jouer totalement et on ne peut pas la jouer avec une arrière pensée. De la même manière, si c’est אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל qu’il faut jouer, on va la jouer totalement, et on condamne Joseph à mort...

 

Q :

R : dans l’ensemble de l’identité des tribus, d’après notre thème, le profil d’identité de Benyamin est très précis : c’est lui qui est né en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל. Par conséquent, le diagnostic d’analogie que nous avons c’est vraiment ce qu’en hébreu on appelle les צַבָּרִים : c’est celui qui porte en lui la résurrection de l’identité hébraïque dégagée de l’identité de גָלוּת. En poussant à la  limite, de la même façon qu’au niveau d’Abraham, Abraham n’est Abraham que lorsqu’il est dégagé de son identité hébraïque araméenne, au niveau contemporain, Benjamin n’est vraiment Benjamin que lorsqu’il a dégagé son identité de l’identité juive elle-même. Dans l’ordre de la comparaison des couples « araméen-hébreu » et « juif-israélien ». 

 

Il n’y a pas de doute que ce phénomène est apparu que lorsque le juif revenu de גָלוּת dans la vocation de fondation de l’Etat d’Israël s’est dégagé de l’identité juive (identité galoutique et valeurs du judaïsme, au moins provisoirement), alors il apparait en porte-à-faux avec les valeurs de Juda dont il est en réalité le serviteur puisqu’il a quitté Joseph pour Juda.  

Nous sommes dans une génération où toutes ces manières d’être juifs et israéliens à différents degrés sont pêle-mêle et mélangées. Il y a une différence de nature entre ceux qui sont nés du pays mais conçus en exil, et ceux qui sont venus de l’exil dans le pays.  

 

C’est cela le profil de Benjamin et il n’y a pas de doute que la faute du pays c’est ce Benjamin-là et elle est sortie de la plus grande douleur au moment où la matrice de l’exil l’a mise au monde et a disparu. Avec l’apparition d’Israël la diaspora a disparu. C’est contradictoire car pourtant la diaspora forme les 4/5 du peuple juif. Et cela semble bien vivant. En réalité, depuis les événements de la 1ère guerre mondiale – l’apparition de Benjamin dans notre schéma : la déclaration Balfour de 1917 - jusqu’à nous, toutes les diasporas ancienne ont été détruites. Et aujourd’hui il ne reste de diasporas que des rassemblements de rescapés d’anciennes diasporas détruites. Il n’y a aucune diaspora originelle dans la diaspora contemporaine. Il y a un phénomène de population qui cherche son identité mais les diasporas anciennes ont toutes disparu, exceptés les folklores locaux. 

 

C’est partout le phénomène de retard.    

 

Toutes les diasporas ont été détruites par la 1ère et la 2ème guerre mondiale et par le phénomène de la décolonisation qui a fait disparaître les communautés des pays d’Islam pour les rapatrier en pays ashkénazes ou en Israël. Il y a donc une diaspora illusoire, secondarisée, fantomatique, folklorique, mais la véritable identité de diaspora légitime a disparu.  

Le problème d’identité contemporain n’est pas du tout pour Israël. Pour Israël c’est un problème de difficulté d’être, mais les problèmes de définition d’être est toujours celui de la diaspora.  

Il y a une espèce de panique pour la  עָלִיָה dans la diaspora qui, par une fausse pudeur inversée, grève le problème d’identification. Le problème d’identification est plus important que celui de la  עָלִיָה. Une fois réglée le problème de l’identification la  עָלִיָה se fait naturellement.  

 

Il y a deux notions qu’il faut séparer : la solidarité de tous les Juifs, quels qu’ils soient, où qu’ils soient. Cette solidarité existe dans le deux sens, c’est irréversible, le monde entier nous y oblige. 

 

Elle joue à différents niveaux, et d’autre part il y a le problème d’identification. Pour élucider ce problème il faut un effort de lucidité de la part de la diaspora qui consiste à se reconnaître comme la diaspora du שֵׁנִי בָּיִת, contemporaine du  שְׁלֹשִי בָּיִת.   

Autrement il y a un phénomène réciproque de parasitisme :

Les Juifs de diaspora viennent en pèlerinage dans l’Etat d’Israël, comme en terre sainte au temps des Turcs. Et lorsqu’on se définit comme Juifs de diaspora séparés de l’histoire d’Israël israélienne alors on vient ici en parasite puisqu’on n’aurait pas pu y venir sans l’Etat d’Israël.

 

Et inversement les dons envoyés à Israël sont en fait le parasite des Juifs de diaspora.  

Au niveau de la solidarité il faut en exploiter tous les niveaux et les possibilités de solidarité car elle est sincère quelque soit les apparences. Au niveau de l’identité, il n’y a aucun compromis possible : on est soit Joseph, soit Judah ! L’un est exclusif de l’autre ! Lorsque Joseph est Joseph, il n’est que ça : il est au service du pays dans lequel il se trouve, en tant que juif.  

 

J’ai moi-même vécu cela au niveau individuel, jusqu’au moment où je me suis aperçu à quel point c’était une histoire de fou.

J’ai découvert que la bible était en hébreu et non pas en français. Cela veut dire que ce qui a sauvé le Joseph de notre histoire c’est qu’il n’a pas cessé de rêver en hébreu : lorsque l’on parle de lui à Pharaon on dit « נַעַר עִבְרִי » un jeune hébreu. On rêve dans la langue de son âme. Le jour où l’on commence à rêver en hébreu, c’est gagné. Ce n’est pas important si c’est en noir et blanc ou si c’est en couleur. Cela a un autre sens.

 

Q : Rachel disparait avec l’arrivée de la גָלוּת?

R : la réponse est dans la question : à partir du moment où on a compris que Rachel est la matrice de l’exil, alors la diaspora disparait en arrivant en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל. Elle a été capable de concevoir en son sein Benjamin et c’est Benjamin qui est cette dernière chance d’Israël et qui a fait que le peuple juif arrive en Israël. En mettant au monde Benjamin elle disparait. C’est pourquoi, j’ai tenu à donner ce coup de projecteur : il ne faut pas se tromper sur l’illusion diasporique contemporaine. Ce sont des communautés très artificielles indexées sur des cités étrangères. Ce n’est plus, ce ne sera plus, la vie juive d’avant אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל.  

 

D’un autre point de vue, lorsque Jacob donne ses consignes à Joseph, il emploie lorsqu’il parle de la mort de Rachel, l’expression [Gn. 48.7] : « מֵתָה עָלַי רָחֵל» « Rachel est morte sur moi (pour moi) ».

C’est un idiome hébraïque courant venant de ce verset. 

 

Le Midrash lit : « עָלַי » à cause de moi.  

En effet, le Midrash explique que Jacob, bien que ce soit avant la révélation de la תּוֹרָה -  a violé une règle de la תּוֹרָה en épousant deux sœurs. Les Patriarches vivaient la תּוֹרָה avant même le temps où elle est donnée en obligation. La תּוֹרָה de la descendance des Patriarches n’est que l’identité des Patriarches retransmise en obligation pour leurs descendants.  

La manière d’être des Patriarches nous est donnée en תּוֹרָה sous forme d’obligation.  

 

Etant donné que c’est au moment où il a épousé Rachel, qu’il était en faute, Rachel disparait à l’arrivée dans le pays d’Israël. Tant qu’ils sont en חוּצ לָאָרֶץ la תּוֹרָה n’a pas force de loi et c’est possible par définition. Avoir deux femmes signifie celle qui est la matrice de אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל et celle qui est la matrice de la גָלוּת.  

 

Dès que l’identité Jacob arrive en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל, Rachel disparait. C’est un peu ce que nous vivons de notre temps et les Juifs de diaspora le pressentent très profondément, parfois pas seulement inconsciemment. Cela explique la véhémence de leur discours lorsqu’il parle de l’identité juive par rapport à Israël. Il y a un processus psychologique assez simple : il y a une telle interpellation d’identité face à Israël que cela exprime une gêne identitaire terrible : dès que le peuple arrive en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל la fonction de la diaspora est terminée.  

Il faut avoir en tête la distinction faite précédemment:

 

Au niveau de la génération  des fondateurs de l’Etat d’Israël, c’est le peuple juif qui a fondé l’Etat d’Israël. A ce niveau-là, il y a à imputer de manière positive quel peuple juif a fondé l’Etat d’Israël. C’est le peuple juif qui a enfanté Benjamin. A la 2ème génération, après 1948, Rachel a disparu.

 

Midrash :

Pourquoi Rachel est-elle enterrée à Beit Le’hem et non pas à מַּכְפֵּלָה?

C’est pour qu’elle puisse prier pour ses enfants qui vont en גָלוּת.

Beaucoup de Juifs de la גָלוּת demande que l’on rende Beit Le’hem à la Jordanie car ils n’ont plus Rachel qui prie pour eux. Il y a un danger d’identité considérable qui pèse sur la diaspora.

 

Mise en évidence du rôle de Benjamin dans ce conflit.

C’est là où Benjamin se trouve que l’avenir passe.

Juda sans Benjamin n’a pas le בֵּית הַמִּקְדָּשׁ  C’est Juda qui est la force du בֵּית הַמִּקְדָּשׁ, mais il faut que cela soit chez Benjamin.

 

Q : lorsque Jacob a reconnu Joseph et l’a béni, il a adopté les enfants de Joseph dans la formule

 

48.5:

וְעַתָּה שְׁנֵי-בָנֶיךָ הַנּוֹלָדִים לְךָ בְּאֶרֶץ מִצְרַיִם עַד-בֹּאִי אֵלֶיךָ מִצְרַיְמָה--לִי-הֵם:  אֶפְרַיִם וּמְנַשֶּׁה--כִּרְאוּבֵן וְשִׁמְעוֹן, יִהְיוּ-לִי

Maintenant, les deux fils qui sont nés à toi en Egypte avant que je vienne ici doivent être considérés comme les miens. Éphraïm et Manassé seront exactement comme Ruben et Siméon pour moi.  

 

R : Ephraïm et Menacée sont nés dans l’exil et avaient une apparence égyptienne, Jacob demande qui ils sont. Joseph les lui présente. Jacob les adopte comme ses propres enfants.

Pour que l’ensemble de l’identité d’Israël soit présente dans l’histoire il faut qu’il y ait treize tribus d’Israël. C’est rattaché au fait que la valeur numérique de אֶחָד c’est 13.   

Dans la Sidra précédente, lorsque les enfants de Jacob s’identifient devant Joseph la première fois, ils disent : nous sommes 12 enfants du même père et « un » a disparu. Si vous enlevez un des treize il n’en reste que douze : le « un » a disparu. S’il en manque un, l’unité n’est pas là.  

 

Nous avons été habitués à faire valoir cette identité juive de diaspora. Après l’émancipation, cette identité a été définie comme une confession religieuse, même lorsqu’on n’y participe pas.

L’identité du Juif religieux voué à la vocation du Lévi.  

 

On a finalement réduit l’identité juive à la tribu de Lévi, c’est à dire la tribu rabbinique. Je me rappelle du temps où si on voulait étudier le judaïsme il fallait aller à l’école rabbinique (qui forme des rabbins et non pas pour former des étudiants juifs). On a ainsi restreint l’image du juif à l’identité du Lévite.

 

 

 

 

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Maryse BENHINI

06 Décembre 2021 à 15h54

JE N'AI PAS DE COMMENTAIRE DANS L'IMMÉDIAT. JE NE MANQUE RAI PAS DE VOUS DONNER MON AVIS APRÈS AVOIR PRIS CONNAISSANCE DE LA PARACHA.
MERCI.