L’OEUVRE DE LA CRÉATION
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JUIFS OU HÉBREUX
ISRAËL ET LES NATIONS
MESSIANISME
THÈMES FONDAMENTAUX

VAYICHLAH - SÉRIE 1984 (1/2)

Le cours

 

 

(1984) (Cours 1) וַיִּשְׁלַח

…/…

qui précède la תּוֹרָה שֶׁבְּעַל פֶּה qui est la mise par écrit de ce qui devait être mis par écrit de la תּוֹרָה שֶׁבְּעַל פֶּה. Cette mise par écrit est intentionnellement sous forme hermétique occultée, personne ne comprend sans explication. C’est un livre étrange. Le Talmud qui la commente est un livre encore plus étrange.  

Les Sadducéens prennent acte qu’il y a le livre, mais ils se relient au livre avec énormément de respect total. Dans la religiosité de type saducéenne contemporaine, on va se comporter avec énormément de respect et de scrupule. En général, on va compenser le manque de foi par une pratique d’autant plus rigoriste.

Ils se relient au livre avec le postulat que c’est un livre, et que c’est pas du tout un phénomène de parole. Pieusement, on va faire comme si... considérant comme la plus grande sagesse humaine, mais pas plus…

Finalement, la conscience saducéenne pour rétablir sa lecture du texte ne dispose que de 3 éléments :

-  le livre,

-  le dictionnaire,

-  l’intelligence du lecteur.

 Il n’y a plus de tradition. On croit en ce qu’on a trouvé. Chacun croit à sa manière et ce qui compte c’est le légalisme : faire à la lettre ce qu’il y a d’écrit.  

 

C’est pourquoi la religiosité de type saducéen reliée à la bible comme livre de la bible mène au légalisme. A un légalisme d’autant plus rigoriste qu’il cache un manque de foi radical de ce qui est censé être la foi des Hébreux : qu’il y a eu révélation !  

Il n’y a que dans les lignées où la mémoire de cette révélation est passée, et que l’on appelle la tradition, qu’on dispose de critères d’élaboration de la loi morale au-delà et plus profondément que sa propre légalité.  

Dans la formule saducéenne : on essaie de comprendre et on croit en ce qu’on comprend.

Dans la formule pharisienne : on étudie pour comprendre en quoi on croit. Mais on croit d’abord.

 

Le résultat de l’étude est radicalement différent, même si apparemment on parle avec les mêmes mots, cela n’a rien à voir. 

Grosso modo, dans le monde chrétien il s’agit a priori de la méthode saducéenne.

Il y a à ce sujet un conflit entre catholique et protestant, le catholique étant beaucoup plus légaliste, plus rigoriste, alors que le protestant qui parle d’une espèce d’intuition subjectiviste venue par le Saint-Esprit qui est donné à chaque membre de l’église protestante.  

Ils ne peuvent faire autrement car ils lisent des traductions. Un Tanakh traduit c’est la Bible.

Le mot grec Biblos : livre de la sagesse humaine => le livre prime le sens

 

Alors qu’en hébreu c’est un סֵּפֶר, notion opposée à Biblos : סֵּפֶר = sagesse inspirée.

Dans les grandes civilisations païennes, il y avait toujours deux sortes de temple :

Les temples qu’on appelait Seferiste et les temples qu’on appelait Biblios étaient voués à la sagesse humaine : de bas en haut. Les temples nommés « Seferite »  étaient les temples de la sagesse inspirée, allant de haut en bas.  Une lecture araméenne du mot de Babylone donne Bab Elion « la porte supérieure ».]  

 

La question du זָקֵן:

On nomme quelqu’un à la dignité de juge lorsqu’il parvient à la dignité du זָקֵן – vieillard – mais ce n’est pas forcément une question d’âge. La vertu du זָקֵן est la  הָחֲכָמִים מִּדָת, la vertu de miséricorde  Alors que la vertu de l’adolescent, c’est l’entièreté du comportement de rigueur.

L’adolescent est absolutiste alors que le vieillard est clément.

Un joli vers de Victor Hugo dans Boaz endormi, de mémoire : « il y a du feu dans le regard des jeunes gens et de la lumière dans le regard des vieillards…»,  

Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,
Mais dans l'œil du vieillard on voit de la lumière.

 

La règle absolue pour désigner un Dayan c’est de choisir un זָקֵן. Quelqu’un qui soit capable de la הָחֲכָמִים מִּדָת. S’il est quelqu’un de la הָדִין מִּדָת on ne peut pas lui faire confiance : la הָדִין מִּדָת va exiger la peine maximum à priori. Ce n’est plus un jugement mais un mécanisme de condamnation.  

Il y a le phénomène de l’envahissement du légalisme romain dans le juridisme parlementaire israélien contemporain. La substitution de la vertu de la légalité à la vertu de moralité.

Les consciences morales du peuple sont paralysées à cause de ce malentendu intentionnel. Elles sont perturbées par cela. On croit entendre parler des prophètes de la moralité mais ils sons les contre-prophètes de la moralité. Nous sommes dans une problématique qui récapitule les 2000 ans de ce problème difficile. Les tenants du légalisme sont dotés d’une conscience morale sélective. 

 

La tête d’Esaü

Il y a une relation au niveau de chaque grand exil, au niveau du développement de chaque grand empire, entre l’histoire d’Israël et l’histoire de la civilisation contemporaine de chaque temps.

Les valeurs qui sont élaborées dans chaque civilisation, sont sûrement recueillies par l’identité d’Israël dans son passage de l’exil.

 

C’est le thème de histoire de Joseph en Egypte - «  יֶשׁ-שֶׁבֶר בְּמִצְרָיִם » - cela se passe en Egypte, alors on va en Egypte, non pas pour s’égyptianiser mais pour délivrer les valeurs éparpillées dans l’Egypte, les fortifier, les mettre à l’abri, à l’échelle de l’universel.  

Ce qu’il faut mettre en évidence par rapport à la relation à la civilisation romaine, la civilisation du droit, c’est précisément le fait qu’elle a élaboré la logique. Sa logique c’est la tête. Sa logique est kasher. Mais toute la phénoménologie qui habille cette logique est impure.  

Ce qu’on va ramener de Rome c’est la capacité logique. Elle est kasher.

 

Maintenant, la phénoménologie qui habille cette logique est impure. La musculature du raisonnement juridique va être adoptée, mais les valeurs phénoménologiques que cela véhicule sont complètement impures.  

 

C’est frappant chez Maïmonide : ce que Rambam retient de la philosophie grecque, c’est la logique.

Tout ce dont parlent les grecs avec leur logique, il le rejette. Il adopte la logique grecque et l’intègre dans le patrimoine d’Israël.  

 

Un Midrash raconte la manière dont Esaü trompait Isaac:

Il y a une complaisance d’Isaac pour Esaü. C’est un thème pour lui-même. Le Midrash se base sur l’expression de Genèse 25: 28 qui dit qu'Isaac aimait Esaü « כִּי-צַיִד בְּפִיו»

וַיֶּאֱהַב יִצְחָק אֶת-עֵשָׂו כִּי-צַיִד בְּפִיו וְרִבְקָה אֹהֶבֶת אֶת-יַעֲקֹב

Isaac aimait Ésaü parce qu'il mettait du gibier dans sa bouche; et Rébecca aimait Jacob.  

 

Le sens Pshat c’est qu’Isaac avait le goût du gibier dans la bouche. Or, Esaü savait lui préparer le gibier. Isaac a le pressentiment des deux tâches que l’homme doit résoudre pour résoudre le problème posé à l’identité humaine : la vocation matérielle et la vocation spirituelle – la vocation de ce monde-ci et la vocation du monde à venir. Isaac arrive à les unifier.

Après lui ces deux vocations vont se séparer avec les jumeaux.

Esaü pour la vocation matérielle de ce monde-ci et Jacob qui n’est que la vocation spirituelle du monde à venir. Jacob n’est pas encore Israël.

Esaü a choisi exclusivement ce monde-ci et donc pas le monde à venir, et Jacob a choisi le monde à venir et donc il n’a pas ce monde-ci, et il n’y est donc pas chez lui.  

Isaac prend acte du choix de Jacob et lui proposera les bénédictions de la vocation spirituelle et il prend acte du choix de Esaü pour la vocation matérielle et il lui proposera les bénédictions de la vocation matérielle.

 

Midrash :

Esaü avait une capacité logique dialectique telle qu’il arrivait à tromper son père. Et son père était persuadé qu’il était un צַדִּיק parce qu’il lui posait des questions de Halakha très précises.

La dime du sel...etc.

Une capacité d’argumentation que l’on appelle « arguties » dans le sens négatif – une capacité juridique telle qu’il pouvait faire passer son פִּלפּוּל pour du Limoud. C’est le droit romain.  

 

Le Midrash va lire le verset כִּי-צַיִד בְּפִיו le chasseur qui s’occupe de chasser le gibier qui vient de la terre, alors que Jacob s’occupe de ce qui vient du ciel. Isaac fait les deux. 

Le Midrash explique כִּי-צַיִד בְּפִיו: il y avait dans la bouche d’Esaü, quand il parlait, une âme prisonnière, quand il parlait : l’âme de Rabbi Méir, converti descendant d’une lignée de Romains. Rabbi Méir c’est la force de la dialectique dans la Mishnah. La force de la dialectique dans la תּוֹרָה שֶׁבְּעַל פֶּה nous a été donnée par Rabbi Méir. C’est cette capacité logique qui vient de Rome et qui est entrée chez nous par Rabbi Méir.  

C’est parce qu’Esaü avait dans sa bouche lorsqu’il parlait, la force de la תּוֹרָה שֶׁבְּעַל פֶּה de Rabbi Méir, qu’Isaac  a été trompé : cette capacité du juridisme qui se fait prendre pour la moralité. C’est ce qui a trompé Isaac.  

 

Il y a un prolongement de ce Midrash dans un autre Midrash : quand Jacob revient de son exil et qu’il doit rencontrer Esaü alors le verset dit : וַיִּירָא יַעֲקֹב מְאֹד il a eu très peur et il a été dans l’angoisse.  

 

Gn. 32 :8 :

וַיִּירָא יַעֲקֹב מְאֹד וַיֵּצֶר לוֹ וַיַּחַץ אֶת-הָעָם אֲשֶׁר-אִתּוֹ וְאֶת-הַצֹּאן וְאֶת-הַבָּקָר וְהַגְּמַלִּים לִשְׁנֵי מַחֲנוֹת

Jacob fut fort effrayé et plein d'anxiété. Il distribua son monde, le menu, le gros bétail et les chameaux en deux camps…

 

Rashi sur Vayishla’h 32:8:  

וַיִּירָא וַיֵּצֶר

(וַיִּרָא שֶׁמָּא יֵהָרֵג וַיֵּצֶר לוֹ אִם יַהֲרוֹג הוּא אֶת אֲחֵרִים. (ס"א שֶׁמָּא יַהֲרוֹג אֲחֵרִים וְעוֹד גִּירְסוֹת אֲחֵרוֹת וְצָרִיךְ עִיּוּן בַּמִּזְרָחִי הָהֶפְרֵשׁ שֶׁבֵּינֵיהֶם

Il s’est effrayé à l’idée d’être tué, et il a été angoissé à celle de devoir tuer d’autres - אֲחֵרִים (Beréchith raba 76, 2). Très peur d’être tué et dans l’angoisse d’avoir à tuer d’autre.

 

Cette rencontre avec Esaü c’est l’un ou l’autre : une rivalité insoluble, Rome ou Jérusalem.  

Rabbi Méir a eu un maître Elisha ben Abouya qui est devenu apostat et a été nommé אֲחֵר, l’autre.  

C’est un épisode du Talmud, très important et très connu. Elishah ben Abouya est un grand maître d’Israël qui a finalement apostasié et est devenu Apikoros. C’était au temps de l’empire de la civilisation grecque et de l’envahissement de la mentalité de la philosophie dans les problèmes de la tradition. La Guemara nous raconte les circonstances dans lesquelles il a perdu la foi mais entretemps Rabbi Méir était son élève principal et a continué à l’honorer malgré tout.

 

Très souvent la Mishna emploie la formule « Stam Mishnah Rabbi Méir » lorsqu’un enseignement est anonyme, c’est de Rabbi Méir. Il est la force de la תּוֹרָה שֶׁבְּעַל פֶּה.

Il arrive très souvent que Rabbi Méir fasse citer l’opinion de son maître dans la Mishnah. Et donc on le retrouve dans la Guemara : c’est toujours la formule « A’herim Omrim » « d’autres disent » qui se rapporte à אֲחֵר - Elishah Ben Abouya. C’est avec beaucoup de pudeur qu’il est cité bien qu’il a apostasié.  

 

Midrash cité par Rashi :

Quand Jacob va rencontrer Esaü et il sait que Esaü se prépare à l’assaillir alors il a très peur: peur d’être tué et dans l’angoisse d’avoir à tuer Esaü. Jacob a les deux peurs.  

Rashi : il a eu peur, de peur qu’il soit tué, et il a été dans l’angoisse s’il doit tuer אֲחֵרִים , d’autres.

La même expression que la Mishna emploie pour citer le maître de Rabbi Méir.

Cela signifie qu’il avait peur de tuer A’hérim c’est-à-dire Rabbi Méir en tuant Esaü.  

 

Zohar sur כִּי-צַיִד בְּפִיו :  

צַיִד = nishmato shel Rabi Méir

C’était cela ce gibier dans la bouche d’Esaü. Quand les Romains parlent, ils parlent avec la logique dialectique de Rabbi Méir. Voilà la tête d’Esaü.  

Il y a aussi dans la caverne de מַּכְפֵּלָה, avec les valeurs des éléments fondateurs de la messianité d’Israël, Adam et Eve, Abraham et Sarah, Itzhak et Rivqah, Yaaqov et Leah (Rachel étant à Beit Lehem), il y a aussi la tête d’Esaü. Le reste est impur. 

Chaque manière d’être homme a une équation personnelle qui s’exprime dans ce que les grecs appelaient sa psyché. La grande différence entre la tradition d’Israël et les autres traditions humaines à propos de la même révélation  qui a été à l’origine c’est que dans les autres traditions, il y a un écran d’impureté qui est précisément l’équation personnelle en question.

En termes contemporains on dirait la sensibilité propre.  

 

A deux niveaux, chacune pour elles-mêmes, toute sensibilité est cohérente et respectable, mais confrontée aux critères de la sainteté elle se dévoile comme impure.  

Il y a une manière de se comporter pour chaque sensibilité qui s’exprime au niveau de la phénoménologie. C’est la phénoménologie romaine qui est impure mais pas la logique.

Lorsque la logique s’exprime dans cette phénoménologie propre à la conscience romaine on a cette torsion de la conscience morale, la perte d’espérance que la loi morale soit praticable et l’on se rabat sur la loi légale: le christianisme a fait cette expérience et a greffé sur le légalisme romain, l’espérance de la moralité déçue (parce qu’impraticable).

 

Q : ……

R : Dans le contexte de חַיֵּי שָׂרָה, Abraham sait apriori quel caveau, il ne veut pas n’importe lequel. Ce caveau nous est décrit et le Midrash nous apprendra qu’y est enterré Adam et ‘Havah. « Le berceau de l’humanité ». C’est la famille d’un certain Efron qui possédait ce terrain.

עָפָר  la poussière - עֶפְרוֹן: le fossoyeur : il a le nom de sa profession.

Efron avait non seulement le caveau de sa famille et le champ où l’on enterrait les étrangers.

Chaque famille avait son caveau propre qui était son titre de possession propre : c’est entré dans la Halakha : quiconque arrive en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל a l’obligation d’acheter une parcelle de terre, premièrement pour sa tombe (4 coudées).

Efron avait un caveau particulier la מְעָרָה et le קֶבֶר. Le קֶבֶר était le caveau familial et dans la מְעָרָה il enterrait les גֵּרִים, les étrangers.

Etant donné le statut particulier d’Abraham  en ce temps-là, c’est ce caveau qu’il réclame.

 

Parce que c’est lui qui va prendre le relai de ce qui est arrivé depuis הָרִאשׁוֹן אָדָם jusqu’à Efron. Ce qui s’est passé, c’est dans le sens de la chute. Abraham vient prendre le relai dans le sens de la rédemption. Puisqu’il est Guer, il ne peut prétendre au caveau, mais puisqu’il est  תוֹשָׁב il peut prétendre à un caveau. L’identité hébraïque lorsqu’elle meure ne peut être  enterrée que dans ce caveau-là à Hébron car elle assume à la fois la lignée des engendrements depuis Adam et aussi l’universel humain à travers l’exil. Il s’agit vraiment du droit d’acquisition d’Israël par le biais de cette transaction. Abraham reprend en charge l’histoire de l’humanité telle qu’elle était en chute depuis Adam jusqu’à Efron.  

D’où l’expression étudiée surtout par le Rav ‘Hayim de Volozine à partir du Midrash dans le dernier chapitre du Nefesh ha‘Hayim qui montre cette attention d’Abraham pour ce qui s’était dégradé à partir d’Adam.  

 

C’est la différence entre אוֹר et עוֹר, entre la lumière et la peau et son opacité. La chute va du א au ע.

Abraham s’est désigné lui-même « עָפָר וָאֵפֶר » poussière et cendre.

C’est là qu’il y a le passage du א au ע.

 

Le Rav ‘Hayim de Volozine étudie cela pour nous faire comprendre que la chute va de Adam à Efron, l’homme devenu poussière, et la remontée part de cette poussière pour arriver à la lumière. Par le biais de la cendre. C’est la différence entre עָפָר  et אֵפֶר.  

Effectivement, le nom précis de עֶפְרוֹן בֶּן-צֹחַר est « poussière fils de lumière » alors qu’Abraham va dans l’autre sens : de la poussière à la lumière.

 

***

 

וַיִּשְׁלַח   

 

=> Jacob exhorte ses enfants à le ramener à la caverne de מַּכְפֵּלָה.

=> Chapitre 48 cette même scène qui est racontée autrement : Joseph exhorte ses enfants à ramener le cercueil de Jacob au pays de Kenaan dans la caverne de מַּכְפֵּלָה et finalement c’est les quatre premiers versets. Ensuite, suit tout un chapitre différent où c’est la même scène au niveau de l’histoire. Nous voyons Jacob bénissant les enfants de Joseph en les adoptant comme ses propres enfants. Bien qu’ils soient nés en Egypte, leur identité est celle du pays de Kenaan. Malgré les différences des deux thèmes c’est la même révélation qui nous est donnée sur deux registres différents. 

Au niveau de la récapitulation de l’histoire générale d’Israël à un niveau de transcendance absolue, et l’autre au niveau de l’insertion de ce même thème de fin d’exil et de retour au pays de Kenaan, à travers l’histoire de ce Joseph qui était le véhicule du moment de l’exil dans l’existence de l’histoire.  

 

Lorsqu’on est assez familier avec le texte, tout se passe comme si le même sujet est répété : 

Midrash : Dans le monde d’en-haut Jacob convoque Joseph pour lui demander de ramener son cercueil d’Egypte. Dans le monde d’en-bas sur terre dans l’histoire cela se passe comme ça : Jacob adopte l’identité hébraïque de l’exil des enfants de Joseph et la ramène.  

La 1ère Parashah est appelée סְתוּמָה. Fermée, cachée, scellée.

L’autre Parashah est une פְּתוּחָה פָּרָשָׁה , ouverte.

 

Il y a deux sortes de Parashiot.

Certains paragraphes commencent par la lettre פ d’autres par le ס

Dans la plupart des manuscrits et éditions juives modernes de la Bible, on distingue deux types de parashiyot: la "section « ouverte » (פְּתוּחָה פָּרָשָׁה) et la "section « fermée » (סְתוּמָה פָּרָשָׁה).

Une "section ouverte" est similaire dans les grandes lignes à un paragraphe moderne: le texte de la section précédente s'achève avant la fin de la colonne (laissant un espace à la fin de la ligne), et la nouvelle section "ouverte" commence au début de la ligne suivante (mais sans indentation), ce qui laisse un espace "ouvert" entre les deux sections. Une "section fermée" se marque quant à elle au milieu de la ligne de texte, la section précédente s'achevant sur la même ligne avant l'espace, et la section suivante débutant à la fin de la ligne. La section est donc dite "fermée" (plus littéralement "scellée") du fait de l'absence d'espace ouvert entre elle et la section suivante.

Une "section ouverte" (פְּתוּחָה) est souvent abréviée par la lettre פ, et une "section fermée" (סְתוּמָה) par la lettre ס. Ces abréviations sont le plus souvent trouvées dans les חוּמָשִּׁים (éditions hébraïques imprimées de la תּוֹרָה), et dans les plus anciennes éditions intégrales du תַּנַ"ךְ en un volume, lesquelles furent publiées jusqu'à la première moitié du vingtième siècle. Bien que la plupart des éditions ultérieures utilisent les techniques d'espacements plutôt que les abréviations, celles-ci restent utilisées dans certaines éditions intégrales, dont la BHS. Ou, en lettres latines, "P" et "S" respectivement. Dans les codes massorétiques, les rouleaux médiévaux et ceux en usage dans les communautés juives originaires du Yémen, ces deux techniques d'espacement permettent un plus grand choix d'options:

 

  • une "section ouverte" commence toujours au début d'une nouvelle ligne. Ceci pouvait être réalisé de la façon décrite ci-dessus, ou en laissant une ligne blanche entre les deux sections, ce qui permettait parfois à la section précédente de remplir sa dernière ligne de texte.

 

  • une "section  fermée" ne commence jamais au début d'une ligne. Ceci pouvait être réalisé de la façon décrite ci-dessus (un espace au milieu d'une ligne), ou en terminant la portion précédente avant la fin de la ligne, et en débutant la nouvelle section sur la ligne suivante, mais avec une indentation.


Dans le תּוֹרָה סֵּפֶר la différence c’est l’espace blanc, l’espace non écrit, entre le dernier mot de la Parashah précédente et le premier mot de la Parashah suivante, est plus grand dans une Parashah dite פְּתוּחָה et est moins grand dans une Parashah dite סְתוּמָה.

Il y a un certain nombre d’intervalle de place de lettres possibles, il y en a beaucoup moins pour une סְתוּמָה פָּרָשָׁה ; et les Parashiot de la תּוֹרָה en général se divisent en ces deux groupes סְתוּמָה et פְּתוּחָה.  

 

Or, la Parashah de וַיְחִי commence immédiatement après - sans écart sinon d’une lettre et demi -  le dernier mot de la Parashah précédente וַיִּגַּשׁ.  

Après le mot מְאֹד, dernier mot de וַיִּגַּשׁ, et avant le mot de וַיְחִי, le premier mot de notre Parashah, il y a un tout petit espace, à peine indiqué. Le Midrash dit de cette Parashah qu’elle est  הַסְתוּמוֹת מִן סְתוּמָה - la plus fermée des fermées.  

Lorsqu’un enseignement nous est donné tel que cela se passe dans les mondes d’en-haut. La Parashah est סְתוּמָה fermée, on ne peut pas diagnostiquer pour les mondes d’en-bas.

Lorsqu’elle nous est donnée dans les mondes d’en-bas, alors elle est ouverte.  

Une סְתוּמָה פָּרָשָׁה est une Parashah totalement occultée, alors qu’une פְּתוּחָה פָּרָשָׁה est une Parashah explicite.

 

En d’autres termes :

Lorsque ce dont on parle se passe dans le monde des סְפִירֹות cela est raconté en style de סְתוּמָה פָּרָשָׁה. Lorsque cela se passe dans l’histoire dévoilée en bas, c’est raconté dans une פְּתוּחָה פָּרָשָׁה.  

 

Alors le Midrash va étudier les raisons pour nous indiquer que cette Parashah est סְתוּמָה.  

 

Chap. 47, Verset 29 :

וַיִּקְרְבוּ יְמֵי-יִשְׂרָאֵל לָמוּת

Et les jours d’Israël s’approchèrent de mourir.  

 

On a appris que ce n’est pas Israël qui va mourir : « Yaaqov avinou lo met ! » Israël est éternel dès qu’il devient Israël. Il y a un processus d’engendrement de cette identité qui est dans le temps. Et dès qu’elle est engendrée, elle a une dimension d’éternité qui dépasse le temps.  

Donc, il ne s’agit pas du fait qu’Israël va mourir. Mais les jours d’Israël s’approchèrent de la mort au moment où Jacob qui est descendu en exil va installer l’exil. C’est-à-dire que les jours où Israël est au niveau d’Israël restent, et recommencent les jours où Israël n’est plus qu’au niveau de Jacob.   

Dans l’exil, Israël est au niveau de Jacob. En אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל, Jacob devient Israël. C’est en revenant de son exil que Jacob reçoit le nom d’Israël. En repartant en exil, Israël reprend le nom de Jacob.  

Les jours d’Israël s’approchent de la fin. Mais non pas Israël. Israël reste clandestin dans le processus Jacob, sans disparaître. Un juif est quand même un hébreu clandestin. Il y a ce caractère indélébile de cette partie de l’être juif qui est hébraïque, et qui est là bien que cachée sous des sédiments d’assimilations successives. C’est indélébile et irréversible mais non dévoilée, c’est dans la nuit...  

 

47:29 

לְיוֹסֵף לִבְנוֹ וַיִּקְרָא לָמוּת יִשְׂרָאֵל יְמֵי וַיִּקְרְבוּ

Il convoqua son fils Joseph…  

 

La forme ל  וַיִּקְרָא appeler quelqu’un dans la forme du datif.

Le Midrash dit: parce que c’est Joseph qui a la possibilité de faire ce qui va lui être demandé : ne pas l’enterrer en Egypte. Et il y avait de quoi le demander parce que les égyptiens l’avaient reconnu comme un des grands dignitaires de l’histoire du monde et l’aurait idolâtré. Jacob a une terreur absolue qu’ils fassent de lui une idole. Joseph d’ailleurs va faire comme lui en demandant á ses frères de faire pareil avec lui. Cela n’a pas empêché les Chrétiens d’adorer un fil de Joseph…

 

Rashi cite un Midrash sur ce verset : pourquoi cette précision « לְיוֹסֵף לִבְנוֹ וַיִּקְרָא » ? Tous savent que Joseph est son fils ! Il aurait suffit de dire לְיוֹסֵף וַיִּקְרָא. En fait l’hypothèse serait d’abord de dire לִבְנוֹ וַיִּקְרָא et cela suffirait.

 

Dinah

Le problème pour Jacob est d’arriver à trouver un gendre, un mari pour sa fille.

Dinah est la fille charnière entre l’identité d’Israël et l’universel humain.

C’est à travers elle que se fonde la treizième tribu d’Israël qui fait l’unité d’Israël mais en même temps le lien avec l’universel humain.

C’est donc un paragraphe important : c’est difficile de marier Dinah.  

Jacob cherche un type d’homme, et il croit le trouver, et finalement c’est un échec. Mais du viol de Dinah par Shkhem dans le chapitre 34 est née une fille dont le Midrash nous dit qu’elle était descendue en exil en Egypte bien avant ses frères. Elle s’appelait Asnat bat Poutifera qui était la servante de la femme de Putiphar.

Cette première stratégie de Jacob va échouer parce que Shkhem a échoué, mais Joseph va épouser Asnat. Et de ce mariage vont naître Ephraïm et Menasheh.  

Finalement, la 13ème tribu apparait par le fait que Joseph quitte le niveau des fils pour être rattaché au niveau des Pères et ses deux enfants sont au niveau de Réouven et Shimon, qui sont enfants de Jacob. Il y a donc de nouveau les treize tribus.  

Nous verrons que 12 de ces 13 tribus se sont disqualifiées au moment de la faute du veau d’or et la tribu de Lévi sort du compte et il n’en reste que 12. Mais avec la tribu de Lévi on obtient les 13.  

 

Selon le récit de la תּוֹרָה la différence de manière d’être Israël à travers les différentes tribus est légitime. Mais elle a à construire une tâche commune. Elle a un problème d’identité à résoudre.

Il suffit que l’inimitié, le conflit, qui apparait entre les différentes tendances - qui ne sont pas encore complètement réalisées – soit dissout pour que se dévoile que cette unité souterraine est une unité réelle. Ce n’est arrivé qu’à de très rares moments dans l’histoire où nous avons été contraints par l’histoire.  

A mon sens il y a deux périodes de l’histoire où l’unité d’Israël s’est dévoilée :

 

  • au Sinaï, cela nous a été obligé par En-haut, c’est la révélation,

 

  • au moment de la guerre des 6 jours, cela nous a été obligé par en-bas, par les nations.

 

Il y a un clin d’œil derrière cette diaspora à l’infini intériorisée dans le peuple juif, est apparue une dimension d’unité, qui est en soi quelque chose d’étonnant. L’unité est présente, incognito, et elle ne se dévoile qu’à la fin des temps comme le dit le Maharal.  

Le Juif a traversé l’histoire en disant systématiquement : tous les juifs sont frères en sachant très bien qu’il n’aimait pas son propre frère.  

 

Je vous cite une image qu’A.Neher a employée à la fin de son livre sur Jérémie : il y parle de l’histoire comme d’une pièce qui se joue. Chaque acteur y a un rôle à jouer. Et pendant que la pièce se joue, les acteurs s’affrontent. Mais à la fin de la pièce on se prend par la main et on salue le public. Cela veut dire qu’il ne faut pas que les acteurs se prennent au sérieux.  

Ce qui s’affronte entre Yossef et Yéhoudah c’est très important et légitime. L’échec, c’est quand Yéhoudah à l’échelle individuelle n’aime pas Yossef à l’échelle individuelle.

Nous sommes en plein dans ce problème-là.

 

Quelques indications sur l’identification de cette Parashah dans la tradition, la Massorète.  

Je vais commencer par un 1er sujet :  

La 1ère scène qui nous est décrite, c’est au moment où Jacob sent qu’il va mourir- je reviendrais sur l’expression qui est un des thèmes principaux de cette Parashah.  

Il rassemble ses enfants et leur fait promettre- en particulier centralement à Joseph - qu’il ne sera pas enterré en Egypte mais qu’ils ramèneront son cercueil en כְּנַעַן אֶרֶץ.  

Le pays s’appellera אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל à partir de la sortie d’Egypte lorsque la nation, le peuple d’Israël est constitué, et que l’ensemble des conditions nécessaires pour obtenir la terre qui a été donnée aux patriarches, jusque-là appelée « terre de Kenaan » du nom de la peuplade de la descendance de ‘Ham qui l’avait occupée et prise de force aux descendant de Shem dont elle était l’héritage par la lignée de Ever...  

 

Nous verrons que d’une certaine manière cette scène se reproduit deux fois.

 

La Sidra commence au verset 28 du chapitre 47 : les 1ers mots du verset étant :  

וַיְחִי יַעֲקֹב בְּאֶרֶץ מִצְרַיִם שְׁבַע עֶשְׂרֵה שָׁנָה וַיְהִי יְמֵי-יַעֲקֹב שְׁנֵי חַיָּיו--שֶׁבַע שָׁנִים וְאַרְבָּעִים וּמְאַת שָׁנָה

Et Jacob vécut dans le pays d’Egypte…

 

On nous raconte les derniers moments de sa vie dans le pays d’Egypte et on a récapitulé sa vie, en particulier 17 ans qu’il a vécu après être descendu en Egypte, en compagnie de Joseph – ce qui est très important – et ensuite on récapitule l’ensemble des années de sa vie. Et ce 1er passage  se termine au verset 31.  

Nous avons une 1ère scène où Jacob va faire jurer ses enfants mais centralement Joseph, et nous verrons pourquoi le texte nous dit  Joseph en particulier dans cette promesse de serment que Jacob demande à ses enfants :  

Ne pas le laisser enterré en Egypte. Ramener son cercueil dans le pays de Kenaan, plus particulièrement dans la caverne de מַּכְפֵּלָה où sont déjà enterrés suivant le texte lui-même qui le rappelle, Abraham et Sarah, Isaac et Rivqah, et nous savons par le Midrash d’autre part, Adam et Eve.

  

Hébron est indiqué au début de la Parashah de חַיֵּי שָׂרָה et la ville est appelée dans la תּוֹרָה: קִרְיַת־אַרְבַּע. Pour deux raisons, mais pour celle qui concerne notre sujet, c’est là que sont enterrés les 4 couples fondateurs de l’histoire de l’humanité :

Adam et Eve - Abraham et Sarah - Isaac et Rivqah – Jacob et Leah.

 

Il y a donc ici un problème annexe : la raison pour laquelle c’est Léa qui est enterrée avec Jacob dans la caverne de מַּכְפֵּלָה et non pas Rachel. Et c’est la raison pour laquelle Hébron est appelé   קִרְיַת־אַרְבַּע « la cité des quatre ».

 

Un autre Midrash, un autre niveau d’explication : קִרְיַת־אַרְבַּע signifie la "ville des quatre" géants qui sont Arba et ses fils Ahiman, Sheshai, et Talmi.

C’est relié à la racine fondamentale du nom de ‘Hévron – ‘Haver - la notion de couple.

 

Dans toutes les Sidrot passées nous avons lu de façon de plus en plus explicite le fait que lorsque Jacob qui avait déjà reçu le nom d’Israël, deux fois, une fois dans la lutte contre l’ange qui représente le génie de la descendance d’Esaü dans l’histoire, et une seconde fois confirmé par Dieu lui-même dans deux formules différentes.  

Il y a d’abord le fait que le principal rival de Jacob pour l’identité d’Israël c’est une espèce de point culminant de ce faisceau de rivalité qui accompagne l’identité d’Israël depuis le début de son histoire, depuis qu’Abraham va devenir Abraham et que l’histoire des Hébreux va commencer à recommencer. Et cette rivalité là a un aboutissement dans le fait que Jacob est capable de triompher de ce que représente le génie de cette manière d’être homme, rivale de Jacob, qui se nomme Esaü-Edom.  

 

Ce n’est pas n’importe quelle lignée humaine qui pourrait prétendre à porter cette rivalité. Tous les récits de la תּוֹרָה mettent en évidence que la lignée la plus approximativement proche de Jacob qui s’instaure en rivalité inexpiable c’est Esaü. C’est un des descendants d’Esaü qui récapitule toutes les autres rivalités : Amaleq.  

 

Un texte de la Guemara raconte que lorsque les enfants de Jacob ont ramené son cercueil à la caverne de מַּכְפֵּלָה, Esaü qui entretemps avait entendu parler de la  mort de son frère, revient du pays d’Edom et attend les enfants de Jacob à la caverne de מַּכְפֵּלָה pour en réclamer la place pour lui et empêcher qu’on y enterre Jacob.  

 

Le 1er acte d’acquisition de cette terre a été précisément le fait qu’Abraham a acheté ce terrain בְּכֶסֶף מָלֵא avec un argent plein (indévaluable). Ce fut le 1er acte juridique concernant la terre qu’Abraham exige malgré la proposition de don des בְּנֵי-חֵת.

Ce contrat légal est contesté précisément par Esaü qui se considère Israël et réclame la place dans le caveau. 

 

La tête d’Esaü

Midrash : Un des descendants de Dan (il s’agit de ‘Housh Ben Dan) a décapité Esaü et sa tête est tombée dans la caverne en même temps que le cercueil de Jacob.

 

Pour prendre l’image d’un génie particulier d’une manière d’être homme, on pourrait utiliser l’image du profil humain – פַּרְצוּף – signifiant le visage : ensemble de la silhouette dans le profil d’identité.  

Jacob et Esaü étaient jumeaux : extérieurement ils se ressemblaient comme de sosies mais radicalement différents intérieurement.  

Le Midrash cité sur l’épisode de la caverne de מַּכְפֵּלָה  commence par dire que c’était Judah qui a voulu s’opposer aux prétentions d’Esaü sur la caverne de מַּכְפֵּלָה à la place de Jacob mais qu’il ne pouvait  pas arriver à le combattre parce qu’Esaü ressemblait trop à son père Jacob. Alors c’est finalement un petit fils de Jacob, fils de Dan, qui s’en est chargé.

Il y a un profil de la civilisation qui va être issu d’Esaü et dans lequel la descendance de Jacob sera en exil : le 3ème grand exil que l’on appelle l’exil d’Edom. Ce que représente le génie d’identité d’Esaü s’est finalement réalisé dans la civilisation romaine. En fait, il y a une filiation très directe qu’indique le Midrash par un des fils d’Esaü qui s’appelle Magdiel (Cf. בְּרֵאשִׁית 36:40-43).  Alouf Magdiel fondateur de Rome d’après le Midrash. A recouper avec ce qu’en dit Virgile et ses Eneides pour la fondation de Rome.  

 

Dans ce génie, cette manière d’être homme qui finalement se réalisera dans le type, le modèle, de civilisation que représente la civilisation romaine : une civilisation basée sur la primauté du droit - au sens de la légalité - sur la moralité.

Lorsque la légalité prévaut ou se prétend la moralité on exprime que le droit c’est la moralité. C’est pourquoi en français le mot de droit signifie la moralité. Alors qu’étymologiquement, sémantiquement, c’est la légalité.   

 

Nous sommes branchés sur une culture extérieure, la culture contemporaine, où on a tendance à prendre la légalité c’est-à-dire : la lettre du code décidée par telle ou telle instance législative à la limite contingente comme expression de la moralité elle-même. Ceci résulte d’un principe fondateur de la tradition juridique fondée par Rome que c’est la légalité qui est la moralité.  

 

Nous avons deux expériences de la conscience morale très différentes :

 

  • l’évidence d’obligation par rapport aux valeurs morales

 

  • l’évidence d’obligation par rapport à la légalité juridique.  

 

La civilisation contemporaine tout entière est d’origine romaine sur ce point, étant donné qu’il s’agit de sociétés de droit romain. L’empire de Rome fut éclaté en autant de sous-empires mais l’ensemble continue à représenter Rome jusqu’à la fin de Rome.  

Il y a énormément de chose que Rome a fait passé dans la civilisation contemporaine avec les apports de la Grèce. Mais la Grèce et Rome c’est finalement le même mouvement à deux étapes différentes.  

Le problème  auquel nous sommes confrontés, en tant que fidèles à la tradition des hébreux, c’est ce problème-là. La distinction entre la légalité et la moralité. Il y a énormément de problèmes de la société israélienne contemporaine face à ce problème. La référence au légal comme valeur suprême. C’est à l’opposé de la tradition juive.  

 

Dans la Guemara, à propos de תִּשְׁעָה בְּאָב: une des raisons pour lesquelles Jérusalem a été détruite lors de la 2ème destruction, c’est parce que l’on jugeait selon la légalité de façon méticuleuse. Nous retrouvons énormément de tendance de ce type au parlement israélien actuel, issu de laגָלוּת  de la civilisation occidentale. On a été tellement imprégné de cette évidence, que la seule garantie à la moralité c’est la légalité, qu’on transpose et projette sur la légalité la dignité de la moralité.

 

On en arrive à des conclusions amorales pourvu que la légalité soit sauve.  

Cela ne veut pas dire que la légalité pour elle-même, à certaine condition, ne soit pas une des valeurs morales, et qu’il n’y ait pas valeur morale dans le respect de la légalité qui est le minimum des minima. Mais lorsque la légalité comme telle se substitue à la moralité, il y a un fort risque de catastrophe.

 

Il peut arriver qu’il y ait coïncidence. Mais il faut bien comprendre que l’établissement de la légalité formelle procède d’une instance contingente ; et d’ailleurs l’instance législative se connait comme telle et  reconnaitra très aisément suivant les critères de l’élection de l’instance un changement de la légalité si c’est décidé légalement. Il n’en reste pas moins que tout ce processus légal est d’essence contingente, alors que les valeurs de la moralité sont d’essence permanente et absolue.  

Une des formules les plus importantes de ce problème :

Le conflit entre la tradition hébraïque et la civilisation romaine a porté là-dessus essentiellement.  

Pour la tradition hébraïque suivant l’enseignement des Prophètes, c’est la moralité elle-même qui s’érige en légalité alors que pour la civilisation romaine c’est la légalité qui devient la moralité.  

La relation à la moralité, à la loi morale absolue, est d’un ordre de connaissance radicalement différent que la coutume qui fait que la légalité est ce qu’elle est. Il peut y avoir coïncidence mais c’est d’un arbitraire absolu.  

 

Or finalement, l’antisémitisme romain qui s’est exprimé par la suite à travers la civilisation chrétienne, est arrivé à ce tour de force d’accuser la tradition juive du défaut du légalisme romain, en établissant l’équation calomnieuse, hypocrite des Pharisiens légalistes.  

Cela a été facilité à cause de cette tendance au légalisme présente également chez les Juifs et même dans le milieu rabbinique.  

Ces tendances au légalisme ont toujours été dénoncée comme étant hérétiques, saducéennes.

Le saducéisme consiste en cette erreur de diagnostic et qui se relie à la tradition orale de l’élaboration de la loi morale comme s’il s’agissait de la tradition écrite. C’est pourquoi ils nient l’existence d’une tradition orale.

La civilisation chrétienne a hérité de cela et c’est la conscience chrétienne qui a le plus contribué à brouiller les cartes. En ce sens que partant de l’exigence hébraïque de la moralité face à la légalité, elle a finalement adopté le principe romain de la séparation entre le légal et le moral, qui est un cas particulier de la séparation entre le politique et le moral.  

Cela s’enracine dans le principe des Evangiles : rendez à Dieu ce qui est à Dieu – la morale - et à César ce qui est à César – la légalité.

 

Q : …….

R : Il y a un verset très connu dans la Parashah de שֹׁפְטִים dans דְּבָרִים : « צֶדֶק צֶדֶק תִּרְדֹּף » Tu rechercheras la justice de la justice

 

Il faut faire une chasse à la chose juste, car il faut la traquer, elle se cache il faut la débusquer...

Le verset emploi une répétition du mot צֶדֶק.

Cela signifie : Tu rechercheras la justice de la justice : ce qui est juste dans ce qui est juste.

Dans notre vocabulaire moderne : chercher ce qui est moral dans ce qui est légal.  

La Guemara dit : Jérusalem a été détruite parce qu’ils ont jugé suivant la lettre de la légalité. 

On sent que le rédacteur de ce Midrash a vécu au temps de l’imprégnation de la culture romaine qui se faisait en ce temps-là au temps de la destruction de Jérusalem par Rome.  

Dans la société israélienne contemporaine récemment l’exemple d’une maison détruite car non conforme aux lois, au cadastre...etc.  

Ce qui frappe ce sont les discours d’indignations à la Knesset quand des règlements, qui semblent avoir été établis au temps de l’empire britannique, sont quelque peu égratignés. Il y a là un souci de moralité qui s’est dénaturée et qui s’est déplacée sur la légalité. Il y a en général cette espèce d’orthodoxie de la légalité en coupure avec la tradition morale.

 

J’ai étudié un cas de Halakha conduisant forcément à un divorce et j’ai demandé l’avis d’un דִין בֵּית (3 rabbins) dont l’un était un de mes maitres le Rav Rubistein (de la rue pavée) qui était un ‘hassid polonais. Nous avons réétudié le cas ensemble selon les décisionnaires et cela a duré 2h pour arriver à la conclusion sans l’ombre d’un doute du divorce. Mais il m’a estomaqué : et qui es tu toi pour décider d’un divorce ?  

J’ai appris une leçon de morale : la loi est ainsi mais on ne l’applique pas.

Il y a une tradition de moralité qui peut s’opposer à la légalité la plus vraie. Cela veut dire qu’il y a d’autres critères. Et ce n’est pas simplement l’analyse formelle et rationnelle avec toutes les ressources de l’intelligence juridique qui peut résoudre un cas.  

 

Il y a une des Mishnayot du פִּרְקֵי אֲבוֹת qui s’adresse aux juges (l’objectif du פִּרְקֵי אֲבוֹת est d’enseigner la morale pour les juges au tribunal) :

אֲבוֹת 1:1 הֱווּ מְתוּנִים בַּדִּין  « soyez circonspect (très modérés-pondérés) dans le jugement »

Un juge n’a pas le droit d’appliquer les mêmes conclusions si on lui présente un cas qui a des analogies mêmes totales avec une affaire qu’il a déjà étudié. Il faut  recommencer le nouveau dossier même pour arriver aux mêmes conclusions. C’est pour empêcher qu’une mécanique de la légalité s’installe.  

Ce problème a beaucoup de dimensions de difficultés car finalement qui décide de la frontière entre la légalité et la moralité ?  

 

A propos de ‘Hanoukka nous avons étudié le grand conflit entre les Pharisiens et les Saducéens. Le sadducéisme a disparu historiquement avec les circonstances historiques qui l’avaient fait naître. La symbiose avec la culture grecque des Grecs occupant la Judée et avec la métropole d’Athènes qui était très forte pour le monde méditerranéen tout entier. Il s’est constitué une tendance dans la société judéenne de l’époque sur laquelle nous avons très peu de renseignements parce qu’elle a disparu sans laisser de trace mais par ce que nous en savons par la manière dont en parle le Talmud des Pharisiens, c’est caractérisé par rapport à notre problème de cette manière : il y a dans l’héritage de la société juive - à l’époque de la société judéenne – les rites sacrés. On ne peut pas nier cet héritage et par ailleurs on est renforcé dans cet héritage spirituel culturel et religieux par le respect que le monde entier commence à avoir. Et on prend acte de l’existence d’un fait culturel important : l’héritage des Prophètes mis par écrit. Les Prophètes parlent d’une révélation orale que l’on a mise par écrit. Seulement pour les raisons que nous connaissons d’autre part, historiquement cette révélation orale a cessé. Il n’est resté que la trace mise par écrit de cette révélation orale.

 

Très rapidement, dans le temps culturel qui se creuse entre la fin de la prophétie et le moment dont on parle, ce temps de la relation à la culture grecque, tout se passe comme si on va mettre entre parenthèses le fait fondamental qu’il s’agissait d’une révélation qui se perpétue par une tradition  indépendamment des livres dans lesquels elle est mise par écrit pour aider la mémoire.  

 

Normalement il ne devrait pas y avoir de livre, puisqu’il s’agit d’une parole. Il y a un verset où Dieu demande à Moïse : « mets cela par écrit ». Il y a un חִדֻשׁ et donc des raisons pour lesquelles il faut mettre par écrit. Si nous avions été capables de décliner cette tradition orale en tant que tradition orale, la tradition juive aurait été une tradition sans livre. Livre qui est une béquille. Israël n’est pas « le peuple du livre » comme on le lit et l’entend.  

 

La véritable formule dans l’enseignement du Rav Kook à ce sujet : « ce n’est pas le peuple du livre mais le peuple de la parole qui a été mise par écrit dans le livre ». C’est par incapacité de véhiculer la parole comme parole que…/… (cela a été mis par écrit).

 

 

 

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