L’OEUVRE DE LA CRÉATION
LES ENGENDREMENTS
JUIFS OU HÉBREUX
ISRAËL ET LES NATIONS
MESSIANISME
THÈMES FONDAMENTAUX

NOAH - SÉRIE 1992

Le cours

 

 (1992) נֹחַ
 

Les premiers textes de la Genèse sont textes des extrêmement condensés et semblent décrire l’histoire des premières tentatives de l’histoire humaine qui vont depuis la création du 1er homme jusqu’à Abraham.  

Déjà même dans la Parashah de בְּרֵאשִׁית avant le déluge, on voit de même que c’est une histoire extrêmement dense qui est résumée, avec des structures du récit qui sont très importantes à suivre. Je vais prendre quelques exemples pour au moins les formuler même de façon succincte sous forme de deux remarques.

 

1- La première remarque : Il semble y avoir un paradoxe sur ce récit pessimiste : dès que l’histoire de l’humanité commence, il s’agit de toute une série d’échecs qui en fin de compte vont aboutir au déluge. Le paradoxe est de trouver une telle atmosphère de récit dans un livre  comme la תּוֹרָה. Etant donné que la תּוֹרָה est une révélation d’espérance pour l’histoire de l’humanité, alors il est paradoxal de découvrir que le récit est si pessimiste. Il faudra arriver à l’histoire d’Abraham pour que recommence un récit de l‘identité humaine, de l’histoire de la nature humaine, avec les différents problèmes d’ordre anthropologique, moral, sociétal, spirituel, que l’humanité a à résoudre. C’est l’histoire d’une nouvelle humanité qui commence à partir d’Abraham du dedans de la première, et qui elle, est une histoire optimiste qui a pour objet ce que en français on appelle « le salut » ; et que l’histoire humaine a finalement une espérance de résoudre les difficultés, les contradictions qu’elle implique.  

 

L’homme depuis le début du récit, nous apparait comme une créature extrêmement paradoxale. Des Midrashim expliquent que tout peut être expliqué dans l’histoire du monde créé. Chaque manière d’être créature peut être ramenée à des définitions simples, mais l’identité humaine est d’une telle complexité que l’on comprend pourquoi l’humanité a commencé d’être polythéiste avant d’être monothéiste.  

 

Réfléchissant sur l’identité humaine on est renvoyé à des absolus contradictoires.

Je vais relier les deux problèmes important : le caractère tragique de la conscience universelle, dramatique selon la conscience biblique, de l’identité humaine, et d’autre part, le polythéisme qui a précédé le monothéisme. La pensée naturelle de l’homme cherchant à s’expliquer son histoire, son monde, est renvoyée à un « Olympe » d’absolus contradictoires : la guerre des dieux grecs rendant compte de la contradiction des absolus. Les absolus sont contradictoires ce qui est traduit par la guerre des dieux grecs....  

 

Il y a un texte important du Midrash où les rabbis du Talmud discutent avec les premiers philosophes grecs qui ont un certain nombre de questions que l’on retrouve dans la sempiternelle confrontation entre la pensée naturelle et la pensée biblique avec le postulat qu’il y a une révélation du sens absolu du monde depuis le début de son histoire, jusqu’au moment de la lecture du texte par chaque lecteur. Tout ceci a un sens qui nous est caché et qu’il faut étudier pour pouvoir le révéler. Le postulat de la lecture biblique c’est qu’il y a eu révélation.     

 

Ce que j’appelle la pensée naturelle c’est la pensée humaine qui ne pense qu’à partir des limites de ses propres forces avec le postulat qu’il n’y a jamais eu de révélation, c’est la pensée de nature qui peut être extrêmement élaborée et sophistiquée, il n’en reste pas moins que c’est la pensée de l’être de nature qui se connaît sur l’écran de l’impersonnel. L’absolu ne lui a jamais parlé, c’est lui qui parle lorsqu’il parle de lui-même. Cela ne veut pas dire la pensée primitive dans le sens négative que les modernes donnent à ce terme. La pensée naturelle cela peut être Platon.  

 

Je choisis intentionnellement Platon car c’est encore le temps des premiers philosophes encore imprégnés de la mémoire des mythes du temps de la révélation qui a précédé le temps de la philosophie. A la manière de chaque tradition dans chaque société, il y a pu avoir une mémoire d’un temps où les oracles parlaient : c’est un temps analogue aux temps bibliques de la révélation biblique. Le temps de la révélation biblique a duré beaucoup plus tard que le temps des mythes des autres sociétés. Mais on ne connait plus la pensée naturelle à l’état pure car ces hommes de la pensée naturelle ont finalement lu la bible, et alors il faut toujours démêler dans leur discours ce qui en provient et ce qui provient de la pensée naturelle.  

C’est pourquoi le Midrash est important en ce qu’il se réfère à la parole des philosophes avant que la pensée biblique n’ait été diffusée dans le monde. Aujourd’hui il n’y a plus de philosophes à l´état pur. Les philosophes, même s’ils ne l’avouent pas, ont lu la bible et possèdent des tas de livres d’inspirations bibliques dans leurs bibliothèques dont ils citent sans citer les sources les contenus de thèmes provenant de l’enseignement biblique. Surtout chez les philosophes juifs d’ailleurs qu’on nomme « intelligentsia juive ».

 

2- On s’aperçoit au fond qu’il y a deux récits de l’humanité : celui qui commence au 1er homme et dont l’histoire se continue chez les Nations, les גּוֹיִם. Ce sera un des sujets d’étude aujourd’hui. Il semble bien que l’humanité soit vouée à un pessimisme sans issue. A chaque stade de développement des civilisations, l’humanité cherche une espérance, et on va découvrir qu’en général elle cherche cette espérance dans une certaine lignée de l’humanité qui est la descendance d’Abraham.  

Il est donc un 1er récit qui décrit les problèmes de l’identité humaine, dans une perspective tragique. Et puis un 2ème récit qui du dedans du 1er, commençant avec Abraham, reprend  les mêmes thèmes d’identité humaine mais dans la perspective d’une solution de salut.

 

***

 

Il y a donc une intention au fait que jusqu’à ce qu’arrive Abraham le récit soit très condensé ; et à partir de lui et après, cela devient de plus en plus détaillé comme en gros plan. Avec les 12 enfants de Jacob, les tribus d’Israël, les problèmes de l’identité humaines tels qu’ils sont vécus par cette lignée particulière des hébreux, qui recommence son histoire à partir d’Abraham, sont donnés de façon beaucoup plus explicite.  

Dans notre Parashah, qui va du déluge à la naissance d’Abraham, il y a un épisode très important sur lequel nous allons réfléchir : c’est l’apparition des Nations - גּוֹיִם – dans l’humanité. Et corollairement le commencement, la germination, l’apparition de l’identité d’Israël.

 

Chapitre 11, verset 1 :

וַיְהִי כָל-הָאָרֶץ, שָׂפָה אֶחָת, וּדְבָרִים, אֲחָדִים

Toute la terre avait une même langue et des paroles uniques 

 

Au cœur de la civilisation occidentale, il y a l’intuition qui rejoint l’enseignement biblique que l’humanité est une. C’est l’intuition de l’universel humain. Ce n’est pas une évidence première dans l’histoire de la pensée humaine. Pour la pensée naturelle, on parle d’abord des hommes et des différentes manières d’être homme, et ensuite, à la suite d’une conquête de l’esprit humain, on arrive à la notion de l’unité de l’homme et de l’universel humain.

 

Le 1er concept est celui de la multiplicité des manières d’être homme. On a remarqué en ethnographie que dans beaucoup de langues anciennes, le mot « homme » emploie le nom propre qui désigne la nation considérée. Il y a les hommes et les autres… Le mot « barbare » qui dérive du grec « étranger ».... etc.  

Seulement après arrive une conquête de l’esprit qui prend conscience de l’homme universel humain.  

 

En hébreu c’est l’inverse. Le nom אָדָם qui désigne l’homme ne se met pas au pluriel. On dit les fils de l’homme « אָדָם בְּנֵי » pour indiquer qu’il y a une unique manière d’être homme. Ensuite, l’histoire fait que cette manière d’être homme unique, malgré les formes qu’elle prend, s’est différenciée de différentes manières d’être homme. Mais c’est un phénomène second. La langue nous oblige à dire « les fils de l’homme ». C’est pareil en arabe.    

Il y a d’autres expressions qui indiquent cette multiplicité plurielle des manières d’être homme mais il y a d’abord la notion d’un unique « אָדָם » et ensuite des « אָדָם בְּנֵי » différents mais qui sont tous des « אָדָם בְּנֵי ».  

Par ailleurs, la notion de fils aîné, notion biblique très importante. Jusqu’à très récemment il y a discussion entre juifs et chrétiens pour savoir qui était « le fils aîné ». Assez récemment on a entendu du Vatican que le fils aîné c’était quand même les Juifs. Ce fut quand le pape s’est déplacé dans la synagogue de Rome pour le dire au grand rabbin de Rome, 2000 ans après ! Ce que les chrétiens avaient oublié dans cette compétition au titre de fils aîné: Il y a un fils ainé ce qui signifie que les autres aussi sont des fils ! Les ecclésiastiques non-européens reconnaissent ce fait sans problème et même avec la fierté d’être les petits-frères.

 

Pour en revenir au sujet, je voulais mettre en évidence cette intuition de l’humanisme contemporain, mais probablement la source de cette idée provient du temps de la découverte de l’Amérique, avec les encyclopédistes qui découvrent d’autres sociétés d’hommes sans les dévaloriser. Mais dans le discours biblique, l’ordre des propositions est radicalement inverse : premièrement il y a אָדָם, et après les אָדָם בְּנֵי. Il n’y a aucune ambiguïté. Ensuite, on rencontre le problème des lignées humaines pour savoir comment sont nés les גּוֹיִם, les nations, c’est-à-dire les différentes manières d’être homme.  

Depuis des années je me suis habitué à employer cette expression de « manière d’être homme » pour éviter tout un vocabulaire comme celui de « race » qui renvoie au racisme, « nation » qui renvoie au nationalisme... etc.  

Il y a toute une espèce de réticence de l’intelligentsia contemporaine à tout ce qui pourrait représenter l’affirmation d’une spécificité de chaque peuple, de chaque manière d’être homme. Comme si tout le monde avait le droit d’affirmer sa spécificité sauf Israël. Dès qu’Israël affirme sa spécificité, alors on l’accuse de racisme. Nous sommes victime d’un terrorisme intellectuel raciste.     

 

***

 

Pour le récit de la Bible, il y a d’abord l’humanité qui est une à l’échelle universelle, et ce n’est que de façon seconde que les nations sont apparues comme une sorte d’éclatement, de brisure, de l’unité humaine, et les nations sont le résultat de cet éclatement.  

J’ai l’habitude de cite une image du Zohar qui est beaucoup plus qu’une image : Imaginez un miroir où Dieu s‘est regardé pour créer l’homme et le miroir s’est brisé. Alors chaque éclat du miroir ne renvoie qu’une défigure du miroir de l’homme : c’est différentes manières d’être hommes, très partiales parce que partielles, défigurées parce que issues d’un miroir brisé... On voit le visage de l’homme chez tout homme, mais à la manière de chacun. Et donc le visage de « l’homme » a disparu derrière les visages des hommes.  

Vous approfondirez cette intuition du Midrash du Zohar par vous–même. Cela ne veut pas dire que c’est l’image de Dieu. Ce serait la lecture chrétienne.    

 

Le miroir où Dieu s’est regardé pour créer l’homme. Cela veut dire où il a imaginé le projet qu’il avait pour l’homme. L’homme a été créé - בְּצֶלֶם אֱלֹהִים - à l’image de l’idée que Dieu s’est faite de l’homme. Il  y a une image idéale de l’homme idéal que Dieu a projeté, et c’est à l’image de cette image que l’homme a été créé. Je vous explique l’expression si mal comprise, parfois même dans le discours rabbinique que l’homme a été créé בְּצֶלֶם אֱלֹהִים.  

 

Beaucoup de textes rabbiniques de bonne foi nous laissent entendre que c’est très mystérieux : il y a quand même quelque chose dans le modèle puisque l’image est ce qu’elle est : il y a quelque chose dans l’image qui viendrait du modèle....   

Un remarque du Rav ’Hayim de Volozine (Talmid ‘Haver du Gaon de Vilna) dans Nefesh Ha‘hayim.  

 

Il y a en général chez les commentateurs une tendance à 2 systèmes. Le premier de Maïmonide :   Quelle est la ressemblance entre l’homme et Dieu, la créature et le Créateur ? Il y a un abîme de différences : le Créateur existe en donnant l’être, la créature existe en recevant l’être. C’est une mentalité païenne qui nous fait comprendre cette idée de ressemblance dans ces catégories simplistes de modèle et image.    

Dans la philosophie rationaliste on aurait tendance à dire que c’est le privilège de la pensée que Dieu en tant que Créateur a donné à sa créature humaine.

 

Pour Descartes, l’essence de l’homme c’est la pensée et c’est en cela que l’auteur a mis la trace de son génie dans son ouvrage humain en en faisant un être pensant.  

Pour les rabbins kabbalistes, c’est le fait d’être doué de volonté - רָצוֹן– être capable d’avoir un projet, qui définit, parmi toutes les créatures, la spécificité de l’homme.  

Et le Rav ‘Hayim de Volozine met bien en évidence que dans le בְּצֶלֶם אֱלֹהִים c’est le nom de Elohim qui est employé et non pas celui de Hashem. On traduit צֶלֶם  par « image » comme une image d’une photographie « צָלָם». En français on l’entend dans le terme de « dessin » mais il faudrait l’entendre dans le sens de dessein au sens de projet.  De même qu’Elohim renvoie à l’idée de dignité de toutes les valeurs à la fois - « אֱלֹהִים הוּא יְהוָה » - de même l’homme récapitule tous les absolus à la fois. L’homme comme « créature impossible » (Jankélévitch) mais existant nécessairement. Il est tous les contraires à la fois. Dès que je dis quelque chose de l’homme, je peux dire le contraire. C’est un monstre philosophique, un être impossible qui pourtant existe nécessairement. 

 

Rav ‘Hayim de Volozine a eu le génie de mettre cela en évidence : de même que celui qui est Dieu est tous les absolus à la fois, de même l’homme est aussi l’unité de toute les valeurs à la fois, les valeurs et les contre-valeurs...  

 

Réfléchissons simplement sur cette formule : On peut dire de l’homme chaque chose et son contraire.  De beaux textes du Talmud décrivent le caractère dramatique d’une telle identité.

Dès qu’on dit de l’homme qu’il est l’un, il est aussi l’autre…  

La תּוֹרָה décrit cette équation fondamentale de contradiction : le bien et le mal à la fois. Il s’est nourri du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et mal mélangés. Non pas le fruit de l’arbre du bien ET du mal.  

Il n’y a pas écrit  מֵעֵץ הַדַּעַת הַטוֹב וָרָע: un fruit qui donnerait connaissance de la problématique morale ; mais il y a écrit מֵעֵץ הַדַּעַת טוֹב וָרָע : la connaissance du bien et mal mélangés, l’ambiguïté des choses qui sont cet ensemble des contraires.  

Tout l’effort de la תּוֹרָה est un effort à tous les niveaux de l’être, à tous les niveaux dans la connaissance et dans la pratique pour séparer le bien du mal. « Leavdil beïn tov varâ ».  

Lorsqu’on a séparé le bien du mal on peut commencer à se situer : est-ce que je préfère être du côté du bien ou du côté du mal ? L’homme de nature est l’homme qui vit dans l’ambiguïté et donc dans l’ambivalence des choses pas claires et floues.  

 

Ce qui spécifie l’homme c’est le fait qu’il est à l’image de l’unité des valeurs. Les poètes parviennent à décrire la geste de l’identité tragique de l’homme, les romantiques s’y sont essayés, d’être à la fois le produit d’une antithèse. L’homme est à la fois très grand et très petit, très lumineux et très obscur, très bon et très mauvais. Le même homme va tricher avec cette découverte : c’est ainsi que nous sommes constitués et nous sommes donnés à un problème de tri des valeurs, de telle sorte d’être positionné par rapport à une valeur donnée et c’est là qu’intervient un jugement. « Dis-moi ce que tu as l’habitude de vouloir et je te dirais ce que tu es ». Alors que pour Descartes c’est « Dis-moi ce que tu penses et je te dirais ce que tu es », parce que son équation est « Je pense donc je suis ».

 

Nous avons donc deux positions :

=> La position philosophique générale : ce qui spécifie l’homme c’est la pensée,

=> La position de la tradition biblique : c’est sa volonté.

 

Tout de suite on est situé dans une problématique de jugement :   

C’est la volonté qui est jugée et non pas la pensée. La pensée fonctionne plus ou moins bien chez chaque individu. Ce que dit Descartes avec un sourire ironique si je l’entends parler : « le bon sens est la chose la mieux partagée au monde » c’est faux contrairement à l’affirmation de Descartes. Il y par exemple le chaos et le désordre des synthèses des valeurs que chaque doctrine représente. La chose la mieux partagée au monde, c’est la capacité de bonne ou mauvaise volonté. La capacité de volonté. Nous sommes jugés en tant qu’homme sur notre manière de préférer vouloir ce que nous voulons. C’est un certain positionnement par rapport aux valeurs et pas du tout par rapport aux  connaissances. [Il y a dans cette thèse philosophique l’orgueil de la philosophie d’Epicure : il n’y a que les philosophes qui seraient vraiment des hommes].  

 

Dans l’atmosphère de la tradition biblique, nous avons des catégories différentes. La volonté définit la spécificité de l’homme.

Et chez le Rav Hayim de Volozine la notion de « בְּצֶלֶם אֱלֹהִים - à l’image de Dieu » fait référence à ce point précis de sa capacité à rassembler l’unité des valeurs.

 

***

 

Nous allons lire ce 1er verset du chapitre 11 qui est la préface de l’épisode connu sous le nom de la tour de Babel. L’humanité une va éclater en nations. Comment cela s’est-il produit ?

 

***

 

Q : l’homme qui est בְּצֶלֶם אֱלֹהִים a le bien et le mal en lui, alors comment cela se passe-t-il au niveau de Dieu ?

R : l’homme carrefour rencontre entre 2 forces contradictoires la tendance au bien et la tendance au mal, les des 2 יֵצָרִים (הַטוֹב  יֵצֶר et הַרַע יֵצֶר: « la tendance bonne » et « la tendance au mal » avec une nuance entre les deux expressions qui exprime le souhait que la tendance à vivre, le יֵצֶר, est bonne en elle-même et qu’elle peut porter sur l’objet du désir du mal. Mais nous sommes constitués des deux.

 

וַיִּיצֶר יְהוָה אֱלֹהִים אֶת-הָאָדָם

Et Dieu forma l’homme au verset 7 chapitre 2 avec deux יִּי, alors que pour les animaux, au verset 19, il n’y a qu’un seul יּ:  

וַיִּצֶר יְהוָה אֱלֹהִים מִן-הָאֲדָמָה, כָּל-חַיַּת הַשָּׂדֶה

L’Éternel-Dieu avait formé de matière terrestre tous les animaux des champs

 

Pour l’homme 2 יּ pour 2  יֵצָרִים   

Dire que l’homme est un carrefour, une rencontre de ces deux pulsions, et chaque grande philosophie a sa manière d’exprimer cela, j’ai en tête Spinoza qui dit de l’homme qui est le lieu de 2 tendances : la tendance de l’être à persévérer dans son être et la tendance de l’être à détruire son être que Freud a remise au goût du jour. Il y a une dualité constitutionnelle tragique, s’il n’y a pas de solution.  

 

On le comprend au niveau de l’homme : ce qui fait du bien et ce qui fait du mal. Mais comment comprendre cette unité en Dieu où le bien serait le bien et le mal serait le mal ?   

La seule réponse claire est chez les Kabbalistes : à la racine, Béshorshav, les valeurs du mal sont bien mais arrivant en bas elles sont mal. La racine de ce que nous connaissons comme mal est un bien absolu. Mais il ne s’agit pas d’oublier qu’à notre niveau, le mal fait mal.  

Je vous donne la formulation du Rav Ashlag, grand maître contemporain : pour bien comprendre le bien et le mal dans le discours biblique il faut bien comprendre le couple altruiste-égoïste. Ce que nous désignons comme le bien, c’est tout ce qui est de l’ordre de la tendance à donner à autrui. Le modèle étant le Créateur. Créer signifie donner l’être à autre que soi. L’acte de création est l’acte moral positif par définition.

Ceטוֹב  יֵצֶר c’est le לְהַשְׁפִּיעַ רָצוֹן, la volonté de donner. C’est cela le bien.

Qu’est-ce que le mal ? C’est complètement l’inverse c’est vouloir recevoir. C’est recevoir qui est mal et donner qui est bien. Cela s’appelle לְקַבֵּל רָצוֹן.  

 

L’analyse phénoménologique de tout ce qui sera nommé mal, quelque soit la doctrine morale, le définit finalement comme un appétit de jouissance qui fait qu’on fait le mal : « l’envie de... ». Si je ne peux pas obtenir sans voler, alors je vole. Le vol a pour origine un לְקַבֵּל רָצוֹן : vouloir avoir une jouissance. C’est le cas pour toute faute. Je ne vous donne pas d’autre exemple vous ferez l’analyse par vous-même.  

Or, nous ne pouvons exister que grâce à cette volonté de recevoir l’être. Par conséquent, l’identité de créature se définit d’abord par la tendance au mal avant de se définir par la tendance au bien.  

Ce qui définit le bien c’est le vouloir donner. Par conséquent, le modèle du bien c’est le fait d’être créateur puisqu’être créateur c’est donner l’être à autrui. La notion de création dans le discours biblique n’est pas que métaphysique mais c’est l’acte moral par excellence. Par conséquent, la créature est condamnée au הַרַע יֵצֶר par la volonté du Créateur.

 

Il y a une sorte de péché originel de la créature qui n’est pas du tout d’avoir fauter mais qui est de risquer de fauter pour pouvoir exister : il faut manger pour vivre ! Mais nous ne nous sommes pas inventé comme cela. L’effort consiste à manger sans voler, manger sans tuer, manger sans envier...etc.  

Mais puisqu’il faut recevoir pour exister, on est donc condamné premièrement à avoir un הַרַע  יֵצֶר. C’est un enseignement du Talmud : l’enfant jusqu’à sa Bar-mitsvah n’a qu’un הַרַע יֵצֶר et il est en apprentissage du טוֹב  יֵצֶר qu’il reçoit au moment de la Bar-mitsvah. Chez l’enfant, le הַרַע יֵצֶר est innocent.  

 

[Petite parenthèse pédagogique : il faut apprendre à l’enfant à avoir envie d’avoir envie, dans l’ordre de ce qu’on a le droit de recevoir. C’est חִינוּךְ, l’éducation. Parce que toute la vie l’enfant n’aura envie que de ce qu’il aura eu envie étant enfant. Enormément de gens court après leur enfance volée par leurs parents.... parce qu’ils ont été brimés, empêchés d’être enfants...

C’est l’erreur d’éducation des parents malhabiles. Je crois que c’est une des tares des civilisations où les enfants ne connaissent pas les grands-parents. Dans les civilisations traditionnelles ce sont les grands-parents qui élèvent les petits-enfants jusqu’à ce que les parents soient capables de prendre le relai. Dans nos civilisations il n’y a qu’à voir le signe révélateur des multiplications des cours de pédagogie de l’éducation de l’enfant. Cela atteint effectivement les civilisations qui font disparaître les vieillards au profit des vieux.]

 

La racine de tout mal en bas est un bien absolu en haut.

Si je n’ai pas la capacité de vouloir recevoir, la vie s’arrête. C’est la condition de l’existence de créature. Je pourrais analyser dans beaucoup de dimensions cette notion, mais je vais simplement vous raconter un Midrash du Talmud pour vous dire jusqu’où les rabbins ont formulé cette notion, et après je reviendrais au fond de la question qui je crois est déjà bien avancée.

 

Midrash du Talmud :

C’est un thème beaucoup plus général que je vais formuler en le résumant :

Il y a eu un temps de la révélation qui était contemporain du temps de l’idolâtrie. On a remarqué cela : Pendant tout le temps de la prophétie, il y a eu idolâtrie en Israël. On remarque que dès que la prophétie cesse, l’idolâtrie cesse. C’est au temps d’Ezra et Néhémie, les derniers prophètes s’arrêtent de prophétiser et les 1er sages commencent à enseigner, c’est le temps de la fin de la révélation. En termes de repère biblique, c’est le temps de la Méguilat Esther. La fin de la révélation. L’idolâtrie s’arrête.

On remarque cela avec beaucoup d’étonnement que les prophètes (qui étaient des géants) n’arrivent pas à extirper l’idolâtrie d’Israël et du temps des maîtres de la Mishna il n’y en a plus !  Quelle est l’explication ?  Lorsqu’il y a révélation, alors on voit et lorsqu’on voit .../... 

Les modernes ne sont pas capables d’idolâtrie parce qu’ils ne sont pas capables de prophétie. Je ne voudrais pas approfondir cette remarque, réfléchissez-y par vous-mêmes.

 

Le Talmud raconte cela ainsi : après la destruction du 1er temple, l’exil de Babel, Ezra a fait une prière pour que le הַרַע יֵצֶר de l’idolâtrie disparaisse.  

Il y a trois הַרַע יֵצֶר: celui de l’idolâtrie (dans les rapports à Dieu), celui de la débauche (rapports  soi-même) et celui du meurtre (rapports à autrui), les trois fautes capitales interdites.  

Ezra a prié pour que le הַרַע יֵצֶר de l’idolâtrie disparaisse. Et la prophétie s’est arrêtée ! C’est effectivement de son temps qu’elle s’est arrêtée. Le temps biblique est clos à ce temps-là et commence le temps du judaïsme comme fidélité à ce qu’a été l’enseignement des Prophètes.

Alors Ezra s’est dit : si déjà c’est « רָצוֹן עֶת », un temps où les prières sont écoutées, alors je vais faire une 2ème prière pour que le הַרַע יֵצֶר de la débauche s’arrête. La Guemara dit alors: On ne trouvait plus d’œuf au marché ! La vie s’est arrêtée » ! Ezra a alors demandé le retour du הַרַע יֵצֶר de la débauche mais de manière affaiblie. L’image du Talmud c’est qu’avant, le הַרַע יֵצֶר était comme un lion, mais maintenant ses yeux sont crevés…   

On s’aperçoit effectivement d’un stade dans l’histoire de l’humanité où les hommes - sauf dans les  cas de génies de perversions (Pompéi) - ne sont plus capables d’autant de débauches que celle des sociétés païennes de l’antiquité.

 

…/…

 

La volonté de Dieu qui fait exister le לְקַבֵּל רָצוֹן, la volonté de recevoir, à la racine c’est un bien absolu : c’est la condition même de l’existence que d’être doué de הַרַע יֵצֶר.

Il y a beaucoup de Midrashim : dire de quelqu’un qu’il est mort alors qu’il est encore vivant on veut dire par là que le הַרַע יֵצֶר est mort en lui alors on l’appelle mort.

Il me vient un חִדֻשׁ: en hébreu pour dire mort et mortel c’est le même mot. Or, le texte dit c’est « avec peu de gens » que Jacob est descendu en Egypte - בִּמְתֵי מְעָט -  il faudrait traduire littéralement avec peu de mortels. מֵתִים = mortels ou morts.

C’est le même mot, parce que notre nature est d’être mort à moins d’être donné à la vie. Si je me définis par moi-même, je suis mortel c’est-à-dire déjà mort. Si un jour – Dieu préserve je dois mourir, c’est déjà fait devant l’éternité, - si je me connais par ma nature hors de Dieu qui me ressuscite à chaque instant je suis mort, puisque mortel. Mortel signifie donné à la mort. Or, une fois que je suis arrivé ce à quoi je suis donné c’est fini. Mais par rapport à l’éternité que sont 70 ans de vie ? C’est rien ! En hébreu être mortel signifie être mort, à moins de ressusciter.   

 

Midrash : Les צַדִּיקִים sont appelés « חַיִם- vivant » même dans la mort et les רֶשָעִים sont appelés « מֵתִים - mort » même dans la vie.

 

Le texte dit que Jacob est ses fils sont descendus בִּמְתֵי מְעָט – avec peu de gens – il a fallu qu’ils tuent le הַרַע יֵצֶר en eux pour avoir le courage de descendre en Egypte.  

Il y a 3 catégories de personnes qui sont déclarées mortes même de leur vie : l’une de ces catégories c’est celle de celui qui n’a plus de הַרַע יֵצֶר... Exemple du גָמוּר צַדִּיק: il est appelé מֵת. « Hou émit et itsro » Il a tué son הַרַע יֵצֶר, il est appelé mort.

 

***

Le שׁוֹרֶשׁ du הַרַע יֵצֶר c’est le לְקַבֵּל רָצוֹן.

Il y a donc une contradiction suprême dans l’identité humaine condamné par un côté à vouloir recevoir tout en sachant que le bien c’est vouloir donner, c’est à dire condamné à l’égoïsme. Et il faut donc réhabiliter l’égoïsme : Si je ne m’occupe pas de moi qui va s’occuper de moi ? Si je ne m’occupe pas de moi c’est du suicide.

Cf. Hillel : Eïn ani li mi ? si je ne suis pas pour moi qui le sera ? ), tout en sachant que le bien c’est vouloir s’occuper d’autrui... c’est toute une dialectique de l’égoïsme et de l’altruisme qu’il s’agit de mettre en ordre.

 

Je vous donne un exemple de l’analyse du Rav Ashlag :

 

=> Le 1er âge de la créature qui veut recevoir pour recevoir : le stade de l’enfance à l’abri de la faute car c’est le stade de l’apprentissage du recevoir. Le métier d’enfant c’est d’avoir envie de manger des bonbons. Il faut le protéger de l’indigestion mais lui refuser un bonbon c’est lui refuser d’être enfant... (Il faut acheter des bonbons sans sucre !) Leqabel al menat Léqabel. C’est jusqu’à la Bar-mitsvah.

 

=> S’en suit une révolution dans la conscience morale : on commence à pressentir que recevoir sans avoir mérité c’est mal, alors on ne veut plus recevoir : c’est la que se dessine les crises que l’on appelle d’anorexie. On ne veut pas manger pour ne pas recevoir de celui qui donne, il y a une espèce de raté de la conscience morale. Cela se soigne, mais il faut savoir que c’est un processus naturel : c’est est en fait le réveil de la conscience morale. Les adolescents vont donner toutes les stratégies de réponses possibles et imaginables (pour garder la ligne...) Mais en réalité, c’est cette impression de n’avoir pas le droit de prendre sans l’avoir mérité. Dans les familles traditionnelles juives on procède ainsi pour les soigner.  L’enfant anorexique ne veut pas manger chez ses parents, alors on l’envoie chez la cousine, la tante, parce que ce n’est pas elle qui est censé donner. C’est la mère. C’est le goût de la viande de la mère qui est amer. Il y a un refus de recevoir de celui qui donne, probablement parce qu’il y a une manière de donner qui était inefficace. On va alors chez la cousine, la tante, la grand-mère. Comme il n’y a plus de cousine, plus de tante, ni plus de grand-mère, il y a des médecins… C’est la crise mystique de l’adolescence : recevoir c’est mal, le bien c’est donner. C’est l’altruisme pour l’altruisme, de l’altruisme gratuit. Je donne pour donner, dans l’illusion de ne rien recevoir. En général, c’est un moment très vulnérable. C’est la crise de l’adolescence où l’on se prend pour Dieu. En général, cela passe assez vite.

 

=> On arrive au stade de la prématurité : donner pour recevoir. C’est dans l’ordre de la religion naturelle : donner afin de recevoir : donner sa vertu (les מִצוֹת) pour avoir le paradis. Formulé par les latins par l’expression « Do ut des » – « je donne afin que tu donnes ». C’est le stade de la religion intermédiaire.

 

=> La maturité de la sagesse : recevoir en vue de donner. C’est la formule de la תּוֹרָה: recevoir, alors je suis au service du Créateur qui donne, mais en vue de donner à mon tour : je suis au service du Créateur qui donne. Alors les deux tendances sont dans leur ordre normal et il y a le bonheur d’être. J’ai le droit de recevoir puisque c’est en vue de donner et je désire recevoir le plus possible pour donner le plus possible. Dans les autres stades la conscience est malade. Recevoir et que recevoir sans mérite on est gêné, donner et que donner on est fou... etc. C’est la Halakha : celui qui donne plus que la dîme c’est qu’il est fou.

 

La Guemara établit 3 critères de diagnostic de la folie :

- Celui qui donne plus que le Maasser est fou (il a le droit de faire des cadeaux mais pas le droit de considérer que c’est son Maasser privé, 1/5ème plutôt qu’1/10ème)

- Celui qui aime se balader dans les cimetières la nuit… 

- Celui qui va nu dehors lorsqu’il fait froid... 


Je referme cette parenthèse.
La racine du הַרַע יֵצֶר c’est la motivation du טוֹב  יֵצֶר: Dieu m’a fait capacité de recevoir parce qu’il veut me donner. La racine de ma capacité de recevoir c’est Son désir de donner. La racine du mal en haut est un bien absolu. Une fois en bas, du côté de celui qui reçoit, c’est mal.

Le Talmud dit : « Eïn râ yored mi hashamayim » : « aucun mal ne descend du ciel ».

C’est la manière dont celui qui reçoit qui fait que c’est bien ou mal.

 

Le secret de la תּוֹרָה c’est la notion de mérite. Si ce que j’ai à recevoir je le mérite c’est bien, si je ne le mérite pas c’est mal.

 

***

 

Chapitre 11, verset 1

Préface de l’épisode de la tour de Babel : l’humanité une va éclater en nations

וַיְהִי כָל-הָאָרֶץ שָׂפָה אֶחָת וּדְבָרִים אֲחָדִים

Et il arriva que toute la terre était langue une – שָׂפָה  dans le sens de langage : toute la terre parlait la même langue.

 

וּדְבָרִים, אֲחָדִים Pour ces deux mots-là, les traducteurs ne s’en sortent jamais et font des pléonasmes.

Une traduction française : Et des paroles semblables 

Il est évident que la תּוֹרָה ne dépense pas des lettres pour dire des choses semblables.

 

Talmud Yeroushalmi, Massekhet Meguila 1er chapitre, Halakhah 9 (Dans le Yeroushalmi les chapitres sont divisés en halakhot) :

 

« שָׂפָה אֶחָת – il y a double enseignement de Rabbi Eliezer et Rabbi Yo’hanan : l’un a enseigné qu’ils parlaient les 70 langues… »  

Le verset signifie que toute la terre était « langue unique » et qu’il y avait des « dialectes particuliers » (וּדְבָרִים אֲחָדִים) « des paroles particulières spécifiques » : L’idée étant que l’humanité disposait premièrement d’une langue commune à tous les peuples et que chaque peuple avait la sienne propre. Voilà ce que dit ce verset et pas du tout ce pléonasme lu précédemment en français.  

« et l’autre a enseigné qu’ils parlaient la langue de l’Unique du monde : הַקֹדֶשׁ לָשׁוֹן, la langue qui parle la sainteté »  

 

Voilà quelle était la situation et l’état de l’humanité: une langue commune à tous, et des dialectes particuliers à chaque peuple. C’est là la description de l’universel absolu.

 

Deux remarques à étudier rapidement:

=> Pourquoi l’universel s’exprime-t-il au niveau du langage ?

=> Quelle en est la définition ?

 

Il y a en français 2 termes différents : universel et universaliste.  

 

Un exemple :

Le Christianisme (comme l’Islam) s’est prétendu être une religion universelle : c’est-à-dire une religion qui doit concerner tout l’universel humain. La formule classique « hors de l’Eglise point de salut », tous les autres sont des infidèles et des hérétiques (pour infidèle cf. le terme moyenâgeux de « perfides » (per-fides) en dehors de la foi – appliqué aux Juifs) et des hérétiques.

Ce sont des religions qui sont censées concerner tout le monde : Il y a donc un parti-pris impérialiste. C’est la définition de l’impérialisme : c’est ma manière d’être qui doit s’imposer à tous. C’est pour tous, mais c’est ma manière : c’est le contraire de l’universalisme vrai.

 

L’universaliste renvoie à une toute autre doctrine : c’est une doctrine où il y a une place pour tous, comme ils sont, à certaines conditions communes. Le judaïsme est universaliste, mais n’est pas universel. La grande erreur des théoriciens juifs de la diaspora, c’est de se prendre  pour une religion universelle. On arrive alors à des incongruités.  

Le judaïsme est la religion d’Israël et elle est universaliste : il y a une place pour les Français même chrétiens. C’est normal pour un français d’être chrétiens et c’est normal pour un גּוֹי d’être גּוֹי.

Il y a un raté de la pensée juive en diaspora qui se prend pour une religion universelle.  

L’universalisme dont parle ce verset est un universalisme cohérent : l’humanité dispose de la même langue, et donc tous les hommes sont frères (il faut se demander pourquoi c’est au niveau de la langue)  mais chacun est lui-même : il n’y a pas d’uniformité dans cette universalité : chaque visage est un génie pour lui-même. C’est un génie défiguré mais un génie pour lui-même.  

 

Ce qui est arrivé c’est que la langue unique a disparu parce qu’il y a eu révolte contre le principe d’unité à tous les niveaux. La langue unique a disparu et il n’est resté que les langages particuliers et les hommes ne se sont plus compris. C’est le schéma de l’enseignement de la Bible et non pas l’inverse, non pas cette idée que l’humanité parlait tous la même langue dans une uniformité et puis magiquement chacun se serait mis à parler une langue différente, source d’incompréhension.  

L’exemple familier de la langue française : la France a construit son unité de langage autour du dialecte de l’Ile de France, le français : c’était une toute petite province qui parlait ainsi. L’académie française a imposé par impérialisme des franciliens à tous les habitants du territoire de la France... C’est une langue littéraire qui par rapport aux autres français est une langue artificielle.   

שָׂפָה אֶחָת le français -  וּדְבָרִים אֲחָדִים les patois et dialectes. Imaginons que le français disparaisse et qu’ils ne restent que les patois…      

 

Pourquoi cette unité doit–elle être au niveau du langage ?

 

בְּרֵאשִׁית Chapitre 2, verset 7:

La תּוֹרָה décrit la formation de l’homme, et le définit comme étant נֶפֶשׁ חַיָּה.  

וַיִּיצֶר יְהוָה אֱלֹהִים אֶת-הָאָדָם עָפָר מִן-הָאֲדָמָה וַיִּפַּח בְּאַפָּיו נִשְׁמַת חַיִּים; וַיְהִי הָאָדָם, לְנֶפֶשׁ חַיָּה

Et Hashem Elohim forma l’homme poussière prise de la terre et insuffla dans ses narines (visage) une âme de vie, Et l’homme devint נֶפֶשׁ חַיָּה.  

 

נֶפֶשׁ est traduit habituellement par âme ce qui n’est pas exact. Il y a toute une doctrine sur l’âme humaine. Selon la tradition, il y a 5 niveaux dans l’âme, dontנֶפֶשׁ  est le niveau inférieur : ce qui fait qu’un corps est animé. Vous voyez d’où vient l’erreur : le mot âme traduit le latin animus-esprit ou anima-âme qui font que le corps est animé. Cela en hébreu c’est leנֶפֶשׁ , la partie inférieure qui assure les fonctions vitales biologiques. Ce qui fait que l’homme devient le résultat d’une synthèse entre un corps et une âme c’est-à-dire une personne, c’est cela נֶפֶשׁ חַיָּה.

 

Le terme hébreu נֶפֶשׁ  a plusieurs définitions :  

 

=>  נֶפֶשׁ  = souffle de l’expiration, רוּחַ c’est l’inspiration, qui donne en français le mot de esprit. נֶפֶשׁ  est le souffle expiré. C’est le souffle où s’exprime l’identité de la personne en la faisant parler. C’est pourquoi va s’attacher au terme deנֶפֶשׁ  la notion de l’être doué de parole.  

=>  נֶפֶשׁ  désigne la personne dans sa responsabilité morale. La תּוֹרָה pour dire lorsqu’il arrivera qu’un homme ait fait une faute… La תּוֹרָה emploie le terme deנֶפֶשׁ . Nefesh ki Te’heta : lorsque leנֶפֶשׁ  aura fauté… Le corps n’est pas soumis à la responsabilité morale : il fonctionne bien ou mal, c’est un problème biologique pour médecin et non pour les moralistes. L’âme n’est pas soumise à la responsabilité morale, elle est pure et reste pure. C’est la personne qui résulte de l’union entre l’âme et le corps qui est soumise au problème moral et donc à la notion de responsabilité : leנֶפֶשׁ .Par conséquent cela veut dire d’abord ce sens deנֶפֶשׁ  -souffle qui est attesté dans toutes les langues sémitiques. Phéniciens araméen arabe... Ensuite la personne… Ensuite…  

 

=>  נֶפֶשׁ : le cadavre : ce qui reste de la personne lorsque la personne s’en est allée.  

 

=>  נֶפֶשׁ : la tombe : l’endroit qu’occupait la personne lorsqu’elle était personne. Ce qu’il reste et une tombe. 

 

=>  נֶפֶשׁ : la pierre tombale.

 

Ici nous sommes occupés à ce que l’homme est devenu lorsque son corps a été animé par l’âme de vie נֶפֶשׁ חַיָּה = personne vivante.

  

בְּרֵאשִׁית chapitre 1, verset 24 :

Ici la תּוֹרָה va nous formuler le projet du Créateur pour le 6ème jour : נֶפֶשׁ חַיָּה.  

וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים תּוֹצֵא הָאָרֶץ נֶפֶשׁ חַיָּה לְמִינָהּ בְּהֵמָה וָרֶמֶשׂ וְחַיְתוֹ-אֶרֶץ לְמִינָהּ; וַיְהִי כֵן  

Et Dieu dit: que la terre produise-sorte d’elle même personne vivante suivant son espèce

La bête les reptiles et les bêtes sauvages selon leurs espèces. 

 

Le 6ème jour dans sa contribution à la création est de produire une créature qui soit « personne vivante ». Il y a donc dans ce projet נֶפֶשׁ חַיָּה – בְּהֵמָה –רֶמֶשׂ  –  אֶרֶץ וְחַיְתו.

Or, qu’y a t’il eu dans la réalisation ?  

 

Verset 25 :

וַיַּעַשׂ אֱלֹהִים אֶת-חַיַּת הָאָרֶץ לְמִינָהּ וְאֶת-הַבְּהֵמָה לְמִינָהּ, וְאֵת כָּל-רֶמֶשׂ הָאֲדָמָה, לְמִינֵהוּ; וַיַּרְא אֱלֹהִים, כִּי-טוֹב

Et Dieu fit les bêtes de la terre (cela correspond à וְחַיְתוֹ-אֶרֶץ) selon leur espèce et la bête selon son espèce et tous les reptiles selon leur espèces Et Dieu vit que c’était bien.

  

Il manque clairement נֶפֶשׁ חַיָּה!

 

Vous voyez qu’il y a projet, mais dans la réalisation du projet du 6ème jour il y a un décalage : la partie essentielle du projet, la « personne vivante » dans les différents termes explicités : la personne douée de responsabilité morale qui fonctionne comme sujet de la moralité. Et la terre n’a pas réussi à sortir cela d’elle-même.

 

J’ouvre ici une petite parenthèse :

 

Il y a là une grande querelle entre les évolutionnistes et la Bible. Les évolutionnistes nous montrent l’homme comme le dernier stade d’une évolution menant de l’animal à l’homme. Que ce soit par le mutationnisme, le darwinisme, le lamarckisme… Mais en fin de compte l’homme serait ainsi un animal devenu homme. En fait, la terre aurait d’abord produit des amibes qui se sont modifiées pour finir par faire un homme... La תּוֹרָה est d’accord avec cette doctrine pour toutes les créatures sauf pour l’homme : Cf. verset 24 : la terre n’a pas réussi à sortir d’elle-même. La nature n’a pas réussi à faire l’homme mais seulement les animaux les plus évolués, il manque le נֶפֶשׁ חַיָּה.

 

 Verset 26

וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים נַעֲשֶׂה אָדָם בְּצַלְמֵנוּ כִּדְמוּתֵנוּ וְיִרְדּוּ בִדְגַת הַיָּם וּבְעוֹף הַשָּׁמַיִם וּבַבְּהֵמָה וּבְכָל-הָאָרֶץ, וּבְכָל-הָרֶמֶשׂ הָרֹמֵשׂ עַל-הָאָרֶץ

Et dit Elohim - faisons / a été fait - l’homme à notre image (Puisque la terre n’y est pas arrivée, Je vais le faire Moi…) et il faut attendre notre verset 7 du chapitre 2 pour que le terme de נֶפֶשׁ חַיָּה apparaisse. Et quand Dieu a formé l’homme alors il y a eu נֶפֶשׁ חַיָּה dans le monde. La terre n’a réussi qu’à donner le corps de l’homme, mais il fallait que ce corps soit animé pour devenir un homme. Tant que le corps n‘est pas animé par la נִשְׁמַת חַיִּים, en terme talmudique c’est un Golem, une sorte d’être biologique sans âme. Le seul exemple que nous en ayons est le somnambule qui fonctionne comme un homme sans présence à soi. Leנֶפֶשׁ חַיָּה du projet n’apparaît qu’avec l’homme.

 

בְּרֵאשִׁית , verset 7 du chapitre 2

וַיִּיצֶר יְהוָה אֱלֹהִים אֶת-הָאָדָם עָפָר מִן-הָאֲדָמָה וַיִּפַּח בְּאַפָּיו נִשְׁמַת חַיִּים וַיְהִי הָאָדָם, לְנֶפֶשׁ חַיָּה

 

Rashi sur לְנֶפֶשׁ חַיָּה

אַף בְּהֵמָה וְחַיָּה נִקְרְאוּ נֶפֶשׁ חַיָּה אַךְ זוֹ שֶׁל אָדָם חַיָּה שֶׁבְּכֻלָּן שֶׁנִּתּוֹסֵף בּוֹ דֵּעָה וְדִבּוּר

 Les animaux et les bêtes sauvages sont également appelés « âmes vivantes ». Cependant, celle de l’homme est la plus vivante de toutes, car il s’y ajoute la connaissance et la parole.

 

Il va mettre en évidence que même les animaux sont appelés נֶפֶשׁ, mais pas נֶפֶשׁ חַיָּה. L’être de nature est comme une sorte d’asymptote à l’identité humaine mais n’arrive jamais à la coordonnée homme. Alors Dieu intervient et fait partir la courbe de l’homme à partir du niveau parallèle du sommet de l’asymptote animale. C’est pourquoi il y a analogie entre le point de départ de l’histoire de l’homme avec le point d’arrivée de l’histoire animale. Mais il y a une solution de continuité. Ce n’est pas un animal qui est devenu un homme. L’animal est un être vivant qui n’a pas réussi à être un homme ! Et non l’inverse. Cela explique pourquoi en embryologie, les stades embryonnaires du fœtus humain passent d’abord par ces différents stades mais vont au-delà. Alors que l’embryon de l’animal s’arrête là où il s’arrête. Dit sous forme poétique : l’animal est un homme qui était bête qui n’a pas eu le courage de devenir un homme et qui est resté un animal. Vous voyez que le récit de la Bible n’est ni fixiste ni évolutionniste. C’est tout à fait autre chose.

 

Rashi :

Même la bête et l’animal sauvage sont appelésנֶפֶשׁ  mais ce qu’on voulait nous dire ici c’est que leנֶפֶשׁ  de l’homme est la plus vivante de tous, parce qu’elle possède en plus connaissance et parole. נֶפֶשׁ חַיָּה signifie donc personne vivante douée de parole.

 

Pour la bible, la caractéristique de l’homme n’est pas d’être l’être-pensant mais c’est d’être l’être-parlant. Il y a chez l’animal des conduites asymptotique à la parole, il y a des signaux, des systèmes de signes par lesquels l’animal communique au niveau naturel mais qui n’ont rien à voir avec la parole.  

C’est le privilège d’Israël d’avoir garder cette langue qui peut parler des choses de la sainteté qu’on appelle הַקֹדֶשׁ לָשׁוֹן.  

הָרִאשׁוֹן אָדָם parlait le הַקֹדֶשׁ לָשׁוֹן « l’hébreu des prophètes » qui est différent de l’hébreu commun du Oulpan bien qu’étant la même langue. L’une pour expliquer la vérité et l’autre est un langage de communication des consciences.    

 

Que signifie que la lignée hébraïque ait gardé cette langue unique indépendamment de son dialecte propre qui était l’araméen. Nous l’apprendrons par la suite. « Arami oved avi » L’araméen est restée une sorte de langue folklorique.  

Il est important de comprendre que le caractère spécifique de l’homme pour la תּוֹרָה c’est d’être capable de parole.  

Si la תּוֹרָה nous dit que les hommes avaient la même langue cela veut dire réellement que l’universalité de l’humanité était absolue.     

Vous avez remarqué cela, ceux qui suivent un peu la littérature générale, la fascination qu’exercent les problèmes de langage et la communication chez les intellectuels contemporains. C’est un problème de civilisation contemporaine, en particulier la communication entre les générations, ce qui est indiqué par le dernier verset de la Prophétie (Malakhi) : « et il ramènera le cœur de pères vers le cœur des fils, et le cœur des fils vers le cœur des pères.... »

Effectivement, il est bien évident que le grand problème de communication est surtout celui entre les pères et les fils. C’est le problème qui obsède les psychologues et les linguistes contemporains parmi lesquels les Juifs sont surreprésentés.

 

On arrive au fait que le caractère spécifique de l’homme pour la תּוֹרָה c’est beaucoup plus d’être vivant-parlant ‘Haï Hamédaber que le vivant-pensant ‘Haï Hamaskil. Les deux formules sont connues des rabbins. Au moyen-âge est survenue une controverse dans laquelle les philosophes ont préféré le vivant pensant. Descartes disait par exemple : « Res cogitans -  animal raisonnable – chose pensante ». Les rabbins ont préféré à cette expression ‘Hay Hamaskil - vivant doué d’intelligence - qu’ils connaissent aussi l’expression ‘Haï Hamédaber - le vivant parlant.

 

 

Je termine en expliquant pourquoi ce choix est important.

Dans la culture moderne on a suffisamment d’élément pour le comprendre. On sait maintenant que la pensée peut être impersonnelle. Il suffit de mentionner ce qui se passe dans le monde des ordinateurs. La pensée peut être impersonnelle. La pensée c’est le rapport entre deux notions. Penser signifie peser ensemble - pondérer. Le miskal en hébreu et le sekhel sont deux racines très proches. Je pèse deux notions ensemble, je pense le rapport entre deux notions. Or, la pensée peut être impersonnelle. Je peux mettre la pensée en cage, alors que la parole exprime la présence de quelqu’un, la volonté de quelqu’un. Alors que la pensée n’exprime que le fonctionnement de quelqu’un, et la pensée peut être impersonnelle.  

L’importance de cette remarque c’est que le fondement de la morale dépend de cette option de définition.  

 

Dire de l’homme qu’il est le vivant-pensant c’est dire qu’il n’y a pas de fondement à la spécificité de chaque sujet, à la dignité de chaque personne comme sujet singulier. Parce qu’il s’agit d’un fonctionnement impersonnel : ça pense, ça vit, et il y a une illusion de quelqu’un que je crois être. Le quelqu’un n’a pas de fondement dans une philosophie où la caractéristique de l’homme c’est la pensée. C’est le drame de l’éthique de la philosophie occidentale qui s’est substituée à la morale.  

 

Dans la civilisation occidentale contemporaine, on y est féru d’éthique. L’éthique ce sont des conventions de légalité des corporations de métiers. Par exemple, les médecins ont une éthique qui est une convention légale de médecine, ce n’est pas la morale. Les juristes ont une éthique qui est des conventions légales de juristes...etc. La morale c’est autre chose.

 

C’est un grand débat chez les juristes contemporain, cela veut dire qu’il y a tout un mouvement de juristes français, des גּוֹיִם, qui vont fonder une communauté noa’hide pour se grouper autour des 7 מִצוֹת de la loi de Noah parce qu’ils sont déçus de l’éthique telle qu’elle est comprise dans les corps constitués. Je crois que les médecins suivront par la suite.

 

 

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Mikhal Amsellem

20 Janvier 2024 à 17h04

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