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MICHPATIM - SÉRIE 1994

Le cours

 

(1994)  מִּשְׁפָּטִים

 Nous allons étudier un certains nombres de thèmes dans la Parashah de מִּשְׁפָּטִים à partir du chapitre 21. Vous avez me dire rapidement si vous avez des questions particulières sur la Parashah ? Dites-moi si vous avez un sujet particulier ?

 

Q: Le problème de l’esclave marié avec enfant obligé de quitter seul son patron ?

 

R : Lorsque vous dites esclave vous parlez du עִבְרִי עֶבֶד. Ce n’est pas exactement un esclave.

La Parashah passée avait comme texte central les 10 commandements. La Parashah de יִתְרוֹ est le récit de la révélation des 10 commandements. עֲשֶׂרֶת הַדְּבָרִים les paroles révélées par Dieu à tout le peuple mais par l’intermédiaire de Moise surtout après les 2 premières paroles, et il y a un certain niveau de généralités des principes qui sont énoncés dans ces versets.

 

Une fois la Parashah achevée, on arrive à notre Sidra de מִּשְׁפָּטִים et il y a apparemment une différence de niveau. On entre dans la jurisprudence des 10 commandements.

 

Le 1er mot important de cette Parashah – מִּשְׁפָּטִים a été choisie pour désigner cette jurisprudence. Il y a une différence entre la loi et l’application de la loi.

 

Je vous donne l’étymologie de 2 termes importants dont on se sert pour dire les lois : חֻקִּים et מִּשְׁפָּטִים: חֹק  c’est le principe de la législation. Au niveau d’une constitution il y a des principes qui disent les règles principales fondamentales de la conception d‘une constitution que nous appellerons une loi : le niveau de la législation. Et ensuite il faut appliquer cette législation à la réalité des membres d’une société. Et ce sont des tribunaux qui sont chargés d’interpréter ce que dit la loi, pour chaque question qui se posera pour les membres de la société. חֹק  , c’est la loi au niveau de la législation. L’application de cette loi à travers la jurisprudence des tribunaux c’est le מִּשְׁפָּט

 

Nous retrouvons dans beaucoup de versets le lien entre ces deux termes ‘Houkim et Mishpatim.

Il faut bien comprendre ce terme deחֹק  en hébreu. חֹק  est une décision de la volonté du législateur. En arabe ’Haq = le caractère absolu d’une vérité qu’on ne discute pas. La racine en hébreu est חַקֹּק =creuser, graver.  En araméen on se sert de cette racine pour traduire une nuance de l’acte de créer. Dieu a créé le monde en gravant des lois. Le terme français « le statut » = leחֹק  . En hébreu c’est soit au fémininחֹקָה , soit au masculin חֹק , il y a des nuances. Il  y a חֻקִּים et חֻקּוֹת. C’est un premier niveau pour désigner la législation de la loi.  

 

Exemple des institutions :

Le parlement légifère et ensuite c’est la justice qui au nom de cette loi décidée par le parlement va dire ce que sera l’application de la loi. C’est ce que j’entends par la jurisprudence. Chaque fois qu’un tribunal a décidé pour une première fois qu’un cas s’est posé, c’est ainsi qu’il faut comprendre la loi. Cela fait jurisprudence et finit par faire corps avec la législation elle-même, mais a postériori et avec une différence de niveau. 

 

חֻקִּים = principes de la loi au niveau de la législation.

מִּשְׁפָּטִים = application concrète à travers la justice de l’appareil judiciaire des tribunaux.

 

En mathématiques, les axiomes et les théorèmes.

Les théorèmes sont l’application des axiomes pour tel ou tel cas particulier d’une règle mathématique. Or les axiomes en principe sont indémontrables. On les appelle aussi des postulats.

Mais le théorème lui peut être déduit ou induit d’un axiome. Mais c’est très différent dans le principe comme force de la loi. Le חֹק  est beaucoup plus fort. Il ne se discute pas. Le מִּשְׁפָּט c’est le résultat d’une interprétation : comment expliquer le חֹק  à la réalité dans l’histoire.

 

Alors voilà notre problème : on vient d’entendre dans la Parashah Yitro quels sont les principes de la תּוֹרָה, les 10 commandements. Et puis immédiatement après, on entre dans ce qui apparait déjà comme un modèle de jurisprudence dans la תּוֹרָה elle-même ?

Nous allons lire le premier verset pour voir comment Rashi va préciser ce problème.

 

Au fond je vais définir ce que nous allons étudier : la notion du מִּשְׁפָּט.

Racine שׁ/פּ/ט = שָּׁפֹּט= le fait de juger.

 

מִּשְׁפָּטִים 21.1 :

 

וְאֵלֶּה, הַמִּשְׁפָּטִים, אֲשֶׁר תָּשִׂים, לִפְנֵיהֶם

Et voici les principes de modèles de jurisprudence que tu placeras devant eux.

 

וְאֵלֶּה

Et voici : c’est important de voir qu’il n’y a pas que la forme אֵלֶּה voici.

Les jugements dans le sens de jurisprudence.

On ne peut plus traduire מִּשְׁפָּטִים simplement par le terme de lois.

 

On va d’abord étudier la forme du verset :

Et voici les principes de modèles de jurisprudence que tu placeras devant eux.

Le sens c’est : « que tu leur proposeras » Pourquoi est-ce dit de cette manière ?   

 

On va étudier la notion de שׁוּלחָן עָרוּך avec  l’explication de Rashi. Il y a ici une indication qui est ici très importante et que l’on a fini de perdre de vue. La loi est proposée, jamais imposée. La loi a suffisamment par elle-même une force d’évidence, et n’a pas besoin que l’homme de loi vienne au secours de la loi pour lui donner force. Ou bien elle a sa propre force par elle-même - c’est la force de la révélation – ou bien elle n’est pas souveraine. Mais si elle est souveraine, elle est souveraine par consentement de celui qui la reconnait comme souveraine. Dans la notion de שׁוּלחָן עָרוּך on a fini par avoir l’impression que c’est une sorte de discipline imposée, coercitive, alors que le verset nous dit tout le contraire :

 

« Et voici les lois des modèles de jurisprudence que tu placeras devant eux » :

Cela veut dire que tu leur proposeras.

 

אֲשֶׁר תָּשִׂים לִפְנֵיהֶם

 

Nous allons lire Rashi pour savoir d’où vient la notion de שׁוּלחָן עָרוּך pour dire le code ? שׁוּלחָן עָרוּך signifie « la table disposée ».

 

2ème Rashi :

 

On se demandera ce que Rashi a voulu expliquer ? Précisément ceci : la loi est proposée pas imposée. Rashi cite un Midrash :

                                             

אָמַר לוֹ הַקָּבָּ"ה לְמֹשֶׁה לֹא תַּעֲלֶה עַל דַּעְתְּךָ לוֹמָר אֶשְׁנֶה לָהֶם הַפֶּרֶק וְהַהֲלָכָה ב' אוֹ ג' פְּעָמִים עַד שֶׁתְּהֵא סְדוּרָה בְּפִיהֶם כְּמִשְׁנָתָהּ וְאֵינִי מַטְרִיחַ עַל עַצְמִי לַהֲבִינָם טַעֲמֵי הַדָּבָר וּפֵרוּשׁוֹ לְכָךְ נֶאֱמַר אֲשֶׁר תָּשִׂים לִפְנֵיהֶם כַּשֻּׁלְחָן הֶעָרוּךְ וּמוּכָן לֶאֱכוֹל לִפְנֵי הָאָדָם

 

הַקָּבָּ"ה a dit à Moïse : « Voici ce que Dieu a dit à Moïse : ne pense pas, ne va pas te dire : je leur enseignerais le chapitre ou l’article de loi deux ou trois fois jusqu’à ce qu’ils le sachent par cœur

 

(Dieu à Moïse : Si tu dois leur enseigner un principe de loi ne pense pas que tu vas leur répéter 2 ou 3 fois jusqu’à ce qu’eux aussi puissent le répéter mécaniquement. Et c’est bien ainsi que l’on commence à étudier : répéter par cœur jusqu’à ne plus faire de faute. Dans le vocabulaire technique de la logique on appelle cela un enseignement acousmatique – on répète ce qu’on a entendu. Cela ne veut pas dire qu’on a compris mais on a appris, c’est la tradition acousmatique. Acousmatique = Ce que j’ai entendu je dis. Beaucoup de savants sont des savants acousmatiques. )

 

Comme cela est écrit dans l’enseignement : « et je ne me fatiguerais pas à les rendre capable de comprendre les raisons de la chose et son explication » C’est pourquoi il est dit: “que tu placeras devant eux”, comme une table, disposée [avec la nourriture] et prête à manger, [placée] devant l’homme. — [Me’hiltah, Erouvin 54b]

 

 

Lorsqu’un homme va manger il faut que tout soit prêt et qu’il n’ait plus qu’à manger. Il y a un enseignement qui est plus que de la pédagogie, c’est un enseignement de la transmission traditionnelle : il ne faut pas se borner à faire répéter ce qu’on a appris de telle sorte que ce soit une répétition jusqu’à la fin des temps, (à l’école c’était une punition), mais il faut faire comprendre. C’est à l’opposé de ce qu’on à l’habitude de comprendre par le terme שׁוּלחָן עָרוּך.

 

J’ai l’habitude de l’expliquer de la manière suivante : Ce n’est pas parce que c’est écrit que c’est vrai. C’est parce que c’est vrai que cela a été mis par écrit. Il faut donc comprendre à quel point c’est vrai, pas ce qu’il y a d’écrit. Il y a là tout un thème, je me souviens de mon maître le Rav Kook za’l lorsqu’il critiquait la formule de Radaam qui désigne le peuple d’Israël comme le « peuple du livre » « הַסֵּפֶר עַם » : « nous ne sommes pas un peuple de libraires ! Nous sommes le peuple de Celui qui a donné le livre et si on l’a mis par écrit c’est pour pas qu’on l’oublie au temps des Grecs et des Romains » C’est pourtant ce qui est arrivé. On ne sait plus. Cela s’est oublié quand même.

 

Voilà ce que nous dit Rashi :

Il ne faut pas croire qu’il suffise de répéter pour savoir. Celui qui enseigne doit transmettre de telle sorte qu’on ait compris ce qui est transmis. C’est de là que vint l’expression de שׁוּלחָן עָרוּך. « La table disposée ». Il y a ici un thème que l’on retrouve également dans d’autres traditions comme celle du Banquet de Platon : on invite au Banquet pour se nourrir de ce qu’il faut savoir…

 

21 :1

וְאֵלֶּה הַמִּשְׁפָּטִים אֲשֶׁר תָּשִׂים, לִפְנֵיהֶם

Et voici les principes de modèles de jurisprudence que tu placeras devant eux

 

On va se demander pourquoi la תּוֹרָה de suite après la révélation des 10 commandements a pensé nécessaire de donner des modèles de jurisprudence ?

 

Ces מִצוֹת que nous apprenons dans מִּשְׁפָּטִים sont la תּוֹרָה שֶׁבִּכתָּב. Mais on voit ici la racine de ce que sera la תּוֹרָה שֶׁבְּעַל פֶּה. Il ne s’agit pas du tout de תּוֹרָה orale ici. לְמַעֲשֵׂה הֲלָכָה on l’apprend de la תּוֹרָה orale.  Mais c’est toujours la תּוֹרָה שֶׁבִּכתָּב, la תּוֹרָה écrite. C’est au niveau des חֻקִּים. Et donc on se demande pourquoi, au niveau des חֻקִּים, la תּוֹרָה a jugé nécessaire de nous donner des modèles de מִּשְׁפָּטִים? Et on se posera la question à propos de la 1ère מִצְוָה qui est indiquée. Et je retrouverai la question posée tout à l’heure.

 

On a les principes de la תּוֹרָה : les 10 commandements, et une fois la Parashah יִתְרוֹ achevée : Et voici les modèles de jurisprudence, d’application de ces 10 commandements que tu placeras devant eux... ». De quoi s’agit-il ?

 

21 :2

כִּי תִקְנֶה עֶבֶד עִבְרִי

Lorsque tu acquerras un « esclave » hébreu…

 

Je n’ai pas traduit par « lorsque tu achèteras » mais en hébreuכִּי תִקְנֶה   Lorsque tu acquerras.  En hébreu, un des modes d’acquisition c’est l’achat, mais ce n’est pas le seul. Un troc d’argent. Il faut évacuer cette mentalité mercantile qui a envahi le judaïsme de l’exil.

 

Pour ceux qui étudient la גְּמָרָא: cf. la notion de קִנְיָן.

Le קִנְיָן = faire passer un חֵפֶץ - un objet qui a de la valeur, l’objet d’un désir – non de la concupiscence mais un objet dont on ne peut se passer - d’un רֵשוּת à un autre רֵשוּת – d’une aire à une autre. Et il y a différents procédés pour cela : l’un d’eux est l’achat. C’est très tardif et rudimentaire. Un verset montre que c’est Jacob qui a institué l’usage de la monnaie. Lorsque Jacob revient d’exil de chez Laban il arrive à Shekhem nommée aujourd’hui Naplouse d’un nom romain.

 

Bereshit Chapitre 33 verset 18 :

וַיָּבֹא יַעֲקֹב שָׁלֵם עִיר שְׁכֶם, אֲשֶׁר בְּאֶרֶץ כְּנַעַן בְּבֹאוֹ מִפַּדַּן אֲרָם וַיִּחַן אֶת-פְּנֵי הָעִיר

Qui est dans le pays de Canaan  Lorsqu’il revint de Padan Aram Il campa face à la ville.

 

Le texte aurait du porter « וַיִּחַן עַל-פְּנֵי הָעִיר  ». Que signifie « וַיִּחַן אֶת-פְּנֵי הָעִיר  » ?

C’est ce terme de « אֶת » que le Midrash explique cité par Rashi : la manière dont c’est écrit nous fait lire comme si c’était un transitif : וַיִּחַן  il a gratifié de quelque chose, il a ajouté une grâce sur la face de la ville »

 

Le Talmud enseigne á ce propos qu’on n’a pas le droit de s’installer quelque part si on n’a pas contribué à l’amélioration de la vie, la qualité de la vie, là où l’on se trouve. Il y a déjà tout un principe d’écologie dans la תּוֹרָה. Et on l’apprend depuis le 1er homme. Lorsque Dieu a placé le 1er homme : לְעָבְדָהּ וּלְשָׁמְרָהּ « pour le travailler et le préserver ».

גְּמָרָא : on doit améliorer l’endroit où l’on est venu habiter : on l’apprend de Jacob qui ajouté une grâce à la ville. Quelle grâce ? « Et il acquis la portion du champs où il avait planté sa tente.... » On apprend que Shekhem est un des endroits acquis par les Patriarches.       

 

La גְּמָרָא dit : que signifie וַיִּחַן  il a acquis cette portion du champ ? Cela veut dire qu’il a fait un תִּקּוּן – לְתָּקּן – restaurer quelque chose. Quel תִּקּוּן ? La גְּמָרָא explique qu’il a installé 3 choses dans cette cité de Shekhem :

 

  Les bains, les eaux thermales,

 

  Les lois des marchés (les banques, la signature, les tractations commerciales),

 

  La monnaie. 

 

Le קִנְיָן n’est pas forcément acheter c’est une des procédures de l’acquisition.

Je me rappelle dans mes études de sociologie la thèse du sociologue protestant Max Weber sur les banques dans la société protestante d’Allemagne. Mais le modèle c’est les Juifs. Les Juifs s’occupent effectivement de cela. Le hamam c’est les Arabes. Mais le מִקְוֶה c’est les Juifs.

Les valeurs et circulation des valeurs : les Juifs comme intermédiaire. Frapper la monnaie. Dans toutes les archives de toutes les communautés, il y a les registres des comptables juifs…

 

Et pourquoi Jacob arrivant à Shekhem Jacob s’occupe de ces trois choses ?

En relation au mariage de sa fille Dinah. Il leur a expliqué comment on fait un mariage :

Ha-ishah niknet béshalosh drakhim : BéKessef, BéShta’h ouBéBiah ...

C’est ce qu’explique la גְּמָרָא : Il leur a enseigné les lois du mariage qui s’appelle קִנְיָן.

 

La question est la suivante :

כִּי תִקְנֶה עֶבֶד עִבְרִי

Lorsque tu acquerras un « esclave » hébreu…

 

Lorsque j’entends ce verset immédiatement après les 10 commandements on se demande inévitablement au sujet de la première des מִצוֹת: d’où sort cet esclave hébreu ? Et pourquoi c’est  la première des מִצוֹת que la jurisprudence de la תּוֹרָה va nous donner comme modèle ?

On vient d’entendre les 10 commandements qui commence par :

« אָנֹכִי יְהוָה אֱלֹהֶיךָ... Je suis celui qui vous a délivré d’Egypte, de la maison des esclaves ». Il n’y a plus d’esclave et surtout pas d’esclave hébreu ! D’où sort un esclave hébreu ?

 

Le problème est très important : Pourquoi la תּוֹרָה dès qu’elle commence à donner la jurisprudence des dix commandements va-t-elle parler de l’esclave hébreu ? C’est plus que paradoxal !

 

On va un peu réfléchir à la racine du mot עֶבֶד en hébreu.

עֶבֶד: racine עֲבֹד signifie travailler.  

עוֹבֶד = travailleur. En hébreu le עֶבֶד est une manière d’être עוֹבֶד.

 

Ici nous avons une analyse qui est l’essentiel du marxisme avant la lettre.

Qu’est-ce qu’un עֶבֶד? C’est quelqu’un qui a aliéné son temps de travail à quelqu’un d’autre. Mais tous les travailleurs sont des עֲבָדִים. Mais ils sont d’abord עוֹבְדִים. Ils font semblant d’être libres alors qu’ils sont esclaves. Et le  עֶבֶד, est celui qui a aliéné tout son temps de travail. Le  עוֹבֶד c’est celui qui a aliéné une partie de son temps de travail. Huit heures dans les civilisations dites civilisées.

 

C’est un grand principe de la תּוֹרָה : un homme qui ne dispose pas de son temps de façon libre, qui doit son temps à quelqu’un d’autre, c’est un esclave. Nous sommes tous des esclaves.

 

Il y a dans les 10 commandements le critère : c’est la תּוֹרָה de la libération de l’homme. On a été libéré des conditionnements. Libéré de l’aliénation. Or, nous sommes tous aliénés.

 

Un דִין du שׁוּלחָן עָרוּך: Un esclave n’a pas le droit de lire le שְׁמַע קרִיאָת. Pourquoi ?

On dit dans le שְׁמַע קרִיאָת: « יִשְׂרָאֵל יְהוָה אֱלֹהֵינוּ יְהוָה אֶחָד  שְׁמַע », mais celui qui a un autre patron ne peut pas dire יְהוָה אֶחָד !

 

Ne vous croyez pas dispensés de dire le שְׁמַע קרִיאָת!

Ceux qui ont un autre אֲדֹנ que le אֲדֹנ sont dispensés du שְׁמַע קרִיאָת.

 

Je vous donne un autre exemple : Il y a une discussion de la גְּמָרָא pour savoir si un ouvrier a le droit de dire בִּרְכָּת הַמָּזוֹן pendant son travail. Peut-il prendre et voler quelques minutes à son patron pour dire le בִּרְכָּת הַמָּזוֹן? C’est du vol ! La Halakha l’interdit. Le שׁוּלחָן עָרוּך a tranché : on le dit quand même et on vol le patron ! Il y a un בִּרְכָּת הַמָּזוֹן de 3 mots en araméen quand on n’a pas le temps.

 

Un Midrash dit que les anges se sont plaints à cause de la בִּרְכָּת הַכֹּהֲנִים, dans laquelle on demande à Dieu : « Que Dieu te favorise... ».

Alors les anges demandent à Dieu ce que signifie ce privilège ? Dieu leur répond : « Comment ne pas les favoriser ? Je leur ai dit tu mangeras et tu seras rassasié et tu béniras, et eux, après avoir mangé la grosseur d’une olive de pain et font ½ heure de בִּרְכָּת הַמָּזוֹן... ! »

 

On cite ce Midrash pour féliciter les Juifs et on ne se rend pas compte que le Midrash se moque d’eux !

 

Histoire polonaise :

Quand les polonais étaient sous le régime économique de la Russie, le ministre de l’économie russe a envoyé un télégramme au ministre de l’économie polonais :

- « Serrez-vous la ceinture ! »

Il lui a répondu :

- « Envoyez les ceintures ! »

 

Il y a donc le עוֹבֶד et il y a un niveau du עוֹבֶד qui consiste à être עֶבֶד.

Quelle est la différence ?

Le travailleur aliène habituellement un certain temps de travail à son patron. Le עֶבֶד est celui qui a aliéné tout son temps.

Il ne faut pas y mettre une connotation d’esclavagisme. La תּוֹרָה a été donnée comme charte pour les hommes libres. Mais nous vivons dans un monde où il y a aliénation d’autrui à autrui.

 

Il y avait deux cas dans la société biblique où un hébreu pouvait être dans la situation du עֶבֶד. D’autre part il y a toutes les lois concernant les relations entre le patron et son ouvrier. C’est le צָריך, le עוֹבֶד. Cela s’étudie dans la גְּמָרָא. Mais le עוֹבֶד a donné tout son temps à son אֲדֹנ, son patron. Il y avait donc deux cas :

 

1er cas… et le principe de la loi que l’on lit dans la Parashah, c’est que dans tous les cas, ce contrat n’était valable que pendant 6 ans. La 7ème année il devait être libéré. Si la 7ème année il ne voulait pas être libéré, alors il perdait complètement le droit d’être un jour un homme libre. Mais la תּוֹרָה donne quand même une autre limite, le Jubilé après 49 ans. S’il persistait il devenait esclave dans le sens banal du terme. Par conséquent, il ne possédait plus rien. Le régime matrimonial devenait différent pour lui.

 

2ème cas :

Quelqu’un qui s’était rendu coupable de transgression des lois sociales.

En particulier le vol. Quelqu’un a volé parce qu’incapable de gagner sa vie par son propre travail, alors le tribunal le condamnait  à être vendu comme « esclave » עֶבֶד sur le marché des עֲבָדִים. Alors là aussi la loi exigeait la libération à la 6ème année. 

 

Voilà quel est le raisonnement :

Le peuple d’Israël au Sinaï a entendu les principes  de la loi de la libération des hommes libres. Mais voilà qu’une histoire va commencer où la société va fonctionner : schématiquement, dès que la société fonctionne, inévitablement, il y a des forts et des faibles, des esclaves et des maîtres. 

 

La תּוֹרָה prend acte que l’histoire va commencer, fait un שְׁפָּט et va directement à l’essentiel :

Il y aura donc des esclaves hébreux parce que la société va fonctionner. Et alors la תּוֹרָה intervient là : « Lorsque tu acquerras un esclave hébreu : libère-le ! »  

 

En général, lorsqu’on cite ces lois de la תּוֹרָה, on les appelle des « lois de justice sociale ». C’est absolument faux, ces lois concernent l’injustice sociale. Le fonctionnement de la société et sa justice voudrait qu’il y ait des maîtres et des esclaves. La תּוֹרָה intervient contre cette justice de la société pour obliger le maître à libérer son esclave.

 

Effectivement, la תּוֹרָה fait allusion à une cérémonie à la fin de la 6ème année, si le עֶבֶד en question ne veux pas être libéré, s’il n’est pas capable de fonctionner de façon autonome, il préfère avoir un patron, (c’est un fait connu en psychologie sociale : l’immense majorité des citoyens sont incapables de fonctionner comme hommes libres, il leur faut un patron) c’est comme arrivant à la retraite, beaucoup en meurent parce qu’ils sont devenus libres et alors ils en deviennent fous.

 

Un exemple au niveau de la psychologie de l’adolescence :

La crise de l’adolescence est souvent une crise d’angoisse d’avoir à voler de ses propres ailes. L’oiseau qui a peur de quitter le nid pour voler de ses propres ailes. Elle touche plus les garçons puisque les filles qui elles ont des ailes, puisqu’elles sont des « demoiselles »...

La תּוֹרָה va à l’essentiel : dès que la תּוֹרָה va fonctionner il y aura עֶבֶד עִבְרִי.

Il faut voir la collision des deux termes antinomiques : עֶבֶד עִבְרִי. Cela ne va pas ensemble !

Là où un homme est vraiment aliéné c’est quand il s’agit d’un homme libre ! Alors si c’est un homme libre qui est aliéné, alors toi libère-le ! C’est la מִצְוָה.  

 

Si donc à la 6ème année il ne veut pas avoir le courage de vivre comme un homme libre, alors on l’approche de la מְזוּזָה‎, on lui transperce l’oreille. Et le Talmud explique : cette oreille qui a entendu le 1er des 10 commandements « Moi qui t’ai libéré de la maison des esclaves... », on va la poinçonner sur le montant de la porte. Le Talmud discute très sérieusement pour savoir s’il s’agit de la droite ou la gauche. 

 

Q : Pourquoi le כְּנַעַנִי עֶבֶד bénéficie-t-il de l’identité juive lorsqu’il devait être libéré ?

R : Ce n’est pas si simple que cela. On ne peut libérer un כְּנַעַנִי עֶבֶד que s’il accepte d’être juif sinon il est עֶבֶד perpétuellement. 

 

Q : Pourquoi le עֶבֶד libéré ne prend pas sa femme et ses enfants ?

R : C’est la 1ère question j’ai peut-être trop répondu par allusion : Finalement, il fait partie des instruments de travail qui appartiennent à son maître. Lorsque cet esclave à la 6ème année doit être libéré il refuse et avance l’argument : « j’aime ma femme et veut rester esclave avec elle ».

Mais cela dépend de la femme. Il faut reprendre cela à partir de l’étude de la גְּמָרָא.

 

Nous vivons dans des sociétés où tout ceci à travers des siècles, des millénaires, de cultures s’est élaboré d’une certaine manière. Alors il ne faut pas juger les principes de ce que la תּוֹרָה nous donne à la sortie d’Egypte d’après ce que nous savons nous des sociétés dans lesquelles nous rencontrons ces mêmes réalités. 

 

Quand on étudie cette législation on comprend ce que la גְּמָרָא dit à propos de ce verset : « celui qui a acquis un esclave en réalité a acquis un maître ».

Les devoirs du maître vis-à-vis de son עֶבֶד d’après la législation talmudique sont exorbitants. Il doit lui donner à manger avant de manger lui-même. S’il a un seul lit, une seule ouverture... il doit les lui donner. Au moment de sa libération, il doit lui donner sa part d’héritage comme s’il était l’un de ses enfants. En vérité, il s’agit d’un apprentissage à la liberté.

 

Dans le système biblique, il n’y avait pas de prison.

La société israélienne n’arrive pas encore à comprendre que la criminalité est fabriquée dans les prisons. J’exagère un peu mais pas tellement. Beaucoup de rabbins tentent de rééduquer ceux qui n’ont pas réussi à être libres et qui finalement sont pris au piège des prisons. Mais la prison n’a jamais éduqué quelqu’un, au contraire. Elle le condamne.

 

Il n’y avait pas de peine de prison. Il n’y avait que deux peines :

Un crime tel que le tribunal avait diagnostiqué une volonté mauvaise et inguérissable : c’était la peine de mort. Le Talmud précise de suite : Un tribunal qui a condamné une fois en 70 ans à une peine de mort est appelé un tribunal d’assassins. Pour dire que c’est exceptionnel. Il y a très longtemps que le Talmud a aboli la peine de mort. Ne pas croire que c’est par évolution des mœurs et des idées de l’humanisme. C’est tout le contraire : dans une société où la condamnation par peine de mort est rare et exceptionnelle. Alors c’est une société qui a un niveau moral tel que si la règle de la moralité était violée la punition serait la mort. Mais une société où il faut sans arrêt punir de la peine de mort, c’est une société qui est tombée si bas qu’on enlève la peine de mort qui n’est plus adaptée. Le fait d’abolir la peine de mort est le signe d’une dégradation morale de la société. 

 

Exemple en pédagogie simple : les enfants ont besoin de recevoir de temps en temps une raclée. Ils la cherchent. Mais si un père de famille donne à son fils une raclée par un an c’est en ordre, mais si c’est tous les jours, c’est le père qu’il faut soigner.

 

Il y a avait donc deux systèmes de peine :

 

  • La peine de mort lorsque c’est très grave.

 

  • Le עֶבֶד עִבְרִי: la mise en apprentissage de liberté chez celui chez qui il a fait un dommage, un dol.

 

Effectivement, c’est l’apprentissage de la liberté chez un tuteur. Dans nos sociétés actuelles nous avons oublié cela. Les prisons sont pleines. C’est le système éducatif qu’il faut changer et pas les prisons. 

 

Le עֶבֶד  est en apprentissage de liberté chez un homme libre. Il ne faut pas raisonner sur les droits et devoirs de leעֶבֶד  comme si c’était un homme libre. Il s’est rangé au niveau des outils de travail du patron qui a plus de devoirs encore vis-à-vis de sonעֶבֶד  ...

 

Il ne faut pas projeter sur des données de la תּוֹרָה des notions de civilisations qui n’ont rien à voir. 

 

La justice israélienne prend pour modèle la jurisprudence anglo-saxonne alors que c’est la société la plus esclavagiste, la plus barbare que le monde ait connu.

 

Depuis la dernière guerre mondiale si vous suivez les interventions de la politique américaine sur les 5 continents, à chaque fois et sans exceptions le résultat a été des dizaines de milliers de morts...

 

C’est important de voir que la תּוֹרָה a une vision des rapports sociaux qui va directement à l’essentiel : dès que la société va fonctionner – et c’est pour cela que cela s’appelle un מִּשְׁפָּט– la société va fonctionner donc il y aura des « esclaves » hébreux, donc libère-les.

 

Ce n’est pas une loi de justice sociale mais une loi de charité. La תּוֹרָה intervient : c’est l’achèvement de la sortie d’Egypte, l’achèvement de l’événement de libération. La logique est absolue : juste après les 10 commandements, il faut parler de la libération des esclaves !

 

Q : les villes-refuges quelle est leur place dans ce thème ?

R : Ce n’est pas exactement la même מִצְוָה mais cela se relie au même principe : il y a un meurtrier בִּשְׁגָגָה  par inadvertance – sans volonté de nuire – selon l’exemple du Talmud : un bûcheron qui est en train d’abattre un arbre et voilà que le fer de la hache lui échappe et frappe un autre bûcheron... Normalement son crime doit être puni par la loi de vengeance. La vendetta corse. Le גֹּאֵל הַדָּם - le plus proche parent – doit venger celui qui est mort. Mais ce n’est pas intentionnel ! Alors la תּוֹרָה va intervenir pour protéger ce meurtrier par inadvertance en l’envoyant dans une ville refuge. Les villes refuges font partie de l’héritage de la tribu de Lévi dans lesquelles le meurtrier involontaire va être en apprentissage d’homme libre chez les Lévites tant qu’est vivant le grand-prêtre du temps. Une des fonctions du grand-prêtre est de prier pour que cela n’arrive pas qu’il y ait des meurtres par inadvertance. Si cela arrive, la responsabilité retombe en fin de compte sur le grand-prêtre. Et dès sa mort on libère ce meurtrier par inadvertance. Donc c’est vraiment très parallèle. Les Lévites avaient une manière de vivre exemplaire et on envoyait dans leur villes les gens à rééduquer de la même manière que leעֶבֶד  était envoyé chez un homme libre pour être rééduqué...

 

Il faut comprendre qu’un acte même non-intentionnel a quand même un agent qui a réalisé cet acte. Ce n’est pas volontaire mais c’est instinctif. Et ce n’est pas l’instinct de n’importe qui. Il faut donc qu’il y ait réparation de faite. Les peines des fautes faites בִּשְׁגָגָה  ne sont pas du tout les mêmes que les peines des fautes intentionnelles, mais il faut quand même marquer le coup.

 

Exemple de la faute de violation du Shabbat machinalement sans désir de violer le Shabbat. Cependant l’acte est fait ! Ce n’est pas n’importe qui qui a fait cela ! Et que signifie d’être inattentif le jour de Shabbat ? Il y a quand même une culpabilité même refoulée. Alors il faut donc un apprentissage. 

 

Il y a un principe important de la תּוֹרָה du point de vue des sanctions : Il n’y a pas de sanction dans la תּוֹרָה mais il y a une rééducation.

 

Je voudrais expliquer cela de manière halakhique :

On n’est jamais puni pour le contenu de la faute que l’on a faite mais pour le fait de l’avoir faite. On n’est pas responsable de son contenu, c’est le fonctionnement du monde qui fait qu’A amène B.

On est puni pour le fait de s’être mis dans l’engrenage du fonctionnement du monde qui fait que le résultat d’une action peut être un crime.

 

Il y a aucune exception. J’ai étudié cela à la loupe avec mes maîtres dans la גְּמָרָא. Pour tout acte interdit, il y a toujours une occasion où c’est permis et c’est un bien. Donc ce n’est pas le contenu de l’acte qui est en question. Et c’est pourquoi la peine, la sanction est toujours formelle. On est puni d’avoir violé la loi.

 

C’est-à-dire qu’il faut se déculpabiliser de toutes ces pseudo-culpabilités que les gens trainent dans leur mémoire.

 

Je vous donne un exemple d’un enseignement important sur ce sujet :

On n’est jamais puni pour une mauvaise intention s’il n’y a pas eu passage à l’acte.

«Une mauvaise intention n’est pas comptée comme une mauvaise action ».

Nous sommes traversés par des pulsions. Nous ne sommes pas responsables des pulsions qui nous traversent mais nous sommes responsables de les laisser nous dominer.

 

Exemple des enfants mal éduqués par leurs parents qui les culpabilisent de choses dont ils sont innocents. Il faut déculpabiliser la conscience. La conscience est exilée dans un monde qui est ce qu’il est et fonctionne comme il est. On ne peut pas être puni du fait que cela se passe comme cela, on est puni du fait de se mettre là-dedans.

 

Beaucoup d’hommes pieux ont des scrupules exagérés. Le scrupule est précisément d’éviter de se risquer dans une tentation. Cela devient parfois exagéré.

 

J’ai en tête les autobus cachères avec un rideau au milieu. C’est le scrupule.

 

Je me souviens d’un חֲרֵדִי chez le Rav Kook qui lui demanda: ais-je le droit de m’assoir à côté d’une femme dans l’autobus ? Réponse du Rav : si cela te gêne, cela t’est interdit !

 

Beaucoup par scrupule passent le temps à ne pas vivre.

Il leur manque le courage de l’homme libre. Cela va dans le même sens : C’est des עֲבָדִים. 

« כָּעֲבָדִים אִם כְּבֲנִים אִם» : Les Juifs sont « ou des fils ou des esclaves »

 

***

 

Q : Quelle est la définition de la שִׁפְחָה?

R : Il faut faire une définition du mot même, c’est la même racine que le mot מִשְׁפָּחָה.

Le statut du עֶבֶד et de la שִׁפְחָה est différent mais du point de vue social à proprement parler c’est le même problème. 

Il faut garder en mémoire que la société n’est pas adaptée à ces règles. C’est interdit à un homme d’employer une servante, à moins de lui faire un contrat de mariage. Pour qu’elle sache à l’avance et qu’il sache à l’avance que le jour où elle est libérée elle devient sa femme. On n’a pas le droit d’avoir une femme à son service si ce n’est pas sa propre femme. Aujourd’hui des rabbins qui ont des secrétaires, mais c’est interdit par la תּוֹרָה. Des médecins ont des secrétaires... on sait ce qui se passe, on ne peut pas tricher avec la תּוֹרָה : un homme n’a pas le droit de faire travailler une femme chez lui sauf si il y a un contrat de mariage.

 

 

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Merci de copier les lettres affichées*

benny benichou

29 Janvier 2019 à 12h17

Merci pour cette immense travail