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ISRAËL ET LES NATIONS
MESSIANISME
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HAYE SARA - SÉRIE 1984

Le cours

 

(1984) חַיֵּי שָׂרָה  

Chapitre 23 jusqu’au Verset 18 chapitre 25

Avec la Parashah חַיֵּי שָׂרָה  on se trouve à la fin des récits concernant Abraham, et on entre en plein dans le cycle de l’histoire d’Isaac.

Nous verrons en 1ère partie le contenu de la Parashah pour approfondir sur telle ou telle thème.  

Le 1er passage est le récit connu sous le nom de la caverne de מַּכְפֵּלָה, récit important pour lui même car c’est la 1ère fois que nous avons une indication dans la תּוֹרָה des droits d’acquisition de la terre d’Israël par le peuple d’Israël. Et cela commence au niveau des Patriarches.  

Au moment de la mort de Sarah qui est liée au thème de la fin de la Parashah précédente, qui est le thème de la ligature d’Isaac, Sarah est donc morte à ce moment-là ; et Abraham négocie avec les habitants du pays de Hébron qui, au niveau du récit biblique, s’appelle קִרְיַת אַרְבַּע.  

Aujourd’hui dans les temps contemporains, il semble apparemment qu’il y ait 2 villes différentes, Hébron d’un côté et קִרְיַת אַרְבַּע  de l’autre, avec tous les problèmes urgents et actuels autour des deux villes, mais d’après le récit biblique - קִרְיַת אַרְבַּע הִוא חֶבְרוֹן - il s’agit de la même ville. Je vais d’ailleurs anticiper dans l’histoire contemporaine et dire que c’est קִרְיַת אַרְבַּע  qui est ‘Hébron. Il y a là un texte important. Ce n’est pas celui que j’ai choisi pour cette année.  

 

Simplement je vous indiquerais un thème d’étude à propos de ces passages du chapitre 23.

On voit la discussion entre Abraham et les habitants du pays à l’époque qu’on appelait les Hittites. Une des peuplades que l’on appelait en général les Cananéens. Mais en fait les Cananéens étaient une des peuplades qui habitaient le pays à l’époque d’Abraham et que l’on nommait les 7 peuples. Il y a différentes références, ils sont tantôt 7, tantôt 10, tantôt 13, mais ce sont d’autres problèmes qui s’étudient chacun pour eux-mêmes.  

 

Le thème en question concerne le fait que la personnalité d’Abraham selon le récit est reconnue par les habitants du pays. En particulier dans cette expression du verset 6 du chapitre 23 lorsqu’Abraham se trouve devant la nécessité d’obtenir un caveau, une tombe, pour enterrer Sarah, et dans sa discussion avec les habitants du pays, ces derniers le nomment נְשִׂיא אֱלֹהִים: un prince de Dieu אַתָּה בְּתוֹכֵנוּ nous te considérons... Tu es parmi nous comme un prince de Dieu...    

שְׁמָעֵנוּ אֲדֹנִי נְשִׂיא אֱלֹהִים אַתָּה בְּתוֹכֵנוּ

Ecoutes nous אֲדֹנִי  un prince de Dieu tu es parmi nous  

 

La personnalité d’Abraham est donc reconnue et cependant on voit qu’il a une réticence à lui céder les droits d’acquisition de la tombe qu’il réclame et décide de choisir pour enterrer Sarah. Ce n’est pas n’importe quelle tombe. Le Midrash nous dit que Adam et ‘Havah y ont été enterrés au commencement de l’histoire de l’humanité selon le récit biblique. On apprend d’après Rashi et les autres commentateurs pourquoi c’est d’emblée cette tombe qu’Abraham veut choisir. Il y a réticence des habitants du pays à lui donner les droits par acquisition, bien qu’Abraham soit déjà perçu comme une grande personnalité.

 

Il est « נְשִׂיא אֱלֹהִים אַתָּה בְּתוֹכֵנוּ » aux yeux des habitants du pays qui sont les occupants du pays. En fait selon l’organisation des lignées humaines en relation avec chacun sa terre d’après le récit biblique, le pays qui finalement sera appelé le pays d’Israël – le problème des frontières est un tout autre problème -  appartenait à la descendance de la lignée de Shem et il a été conquis par des peuplades de la descendance de ‘Ham. En particulier les Cananéens, qui sont devenus les occupants du pays. C’est d’ailleurs une situation très analogue que nous avons aujourd’hui. Enfin revenons à  la racine de cette histoire en son temps.  

 

On voit qu’il y a une discussion entre le possesseur de ce temps, provisoirement, de la caverne de מַּכְפֵּלָה, où selon le Midrash était le lieu de l’histoire de la lignée humaine avec Adam et Eve, le 1er homme et la 1ère femme. L’histoire va recommencer avec Abraham et Sarah, et cet homme discute avec Abraham en lui disant qu’il est prêt à lui donner un cadeau et Abraham insiste pour que ce soit un contrat d’achat. C’est un des thèmes les plus importants de ce récit.

 

Il y a une différence de nature entre le fait de disposer d’une terre par contrat de donation ou d’en disposer par contrat d’achat, même si le contrat d’achat reste symbolique. Le contrat d’achat peut être avec une Perouta, un Shekel symbolique. Juridiquement, un contrat d’achat quelque soit le prix d’achat, a une force beaucoup plus grande qu’un contrat de donation qui est toujours quelque peu précaire (un jour on peut donner un jour on peut reprendre). Alors qu’il est important de trouver ce texte concernant un contrat d’achat dans le récit de la תּוֹרָה qui nous averti à l’avance que nous aurons des problèmes à ce niveau.  

Tout se passe comme si Abraham a le pressentiment qu’il y a là un problème particulier. Au niveau de la légalité biblique, il insiste pour que sa descendance puisse se référer à un texte qui parle de cette différence entre contrat de donation et contrat d’acquisition.  

En fait le sujet d’étude fondamental c’est le lien entre la nécessité d’avoir à enterrer Sarah, et donc de trouver une tombe pour enterrer Sarah (paradoxe d’un pays, d’une société sans tombe pour les étrangers) et le droit d’acquisition de la terre. Ce lien entre la mort de Sarah reliée par le Midrash à l’épisode de la ligature d’Isaac, et d’autre part les droits d’acquisition à אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל.

 

***

 

Ensuite, il y a un très long texte qui a pour sujet le mariage d’Isaac.

Après ce texte, à la fin de la Parashah, survient le thème de la reprise des généalogies d’Abraham en dehors d’Isaac. On arrive à la fin de la Parashah. Il y a un thème important qui reprend l’histoire du conflit entre Ishmaël, le 1er fils d’Abraham (alors qu’il s’appelait encore אַבְרָם) et Isaac.

Avec pratiquement une perspective prospective, si j’ose dire, qui nous indique les termes et les catégories de la solution de ce conflit entre Ishmaël et Israël.  

Nous sommes là confrontés à un problème d’actualité importante, et peut-être nous aurons à le reprendre d’année en année, jusqu’à ce que la solution annoncée par le texte arrive à se dessiner à l’horizon, si j’ose dire.  

 

Nous allons malgré tout  d’abord faire une identification des personnages. 

Concernant l’identification d’Abraham : bien entendu nous aurions besoin d’énormément d’élucidations de détails à l’appui des textes précédents et je vais prendre comme postulat que vous en connaissez les contenus. En particulier dans les Parashiot précédentes, on nous parle d’Abraham comme de quelqu’un qui quitte la civilisation de Mésopotamie qu’on appelle à l’époque Our-Qasdim selon le nom de sa capitale. On l’habitude grosso-modo d’appeler cette région la Mésopotamie, c’est la Chaldée, où habitaient les Qasdéens, indépendamment des Chaldéens. Nous savions par les Midrashim et nous savons maintenant du point de vue de l’historiographie contemporaine, en dehors de la tradition juive elle-même, qu’il s’est agit de la grande civilisation de ce temps-là qui avait déjà une filiale en Egypte. Un peu comme la civilisation européenne de notre contemporanéité possède sa filiale en Amérique et qui forment ensemble le même ensemble de civilisations.

 

De la même manière à cette époque la civilisation c’était la civilisation de Babel, la Mésopotamie, et corollairement, de l’autre côté de אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל, qui s’appelle à l’époque      אֶרֶץ כְּנַעַן du nom des occupants, cela ressemble un peu à la situation actuelle où אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל s’appelle la Palestine aux yeux des גּוֹיִם, du nom qu’ont donné les occupants. Et de l’autre côté il y avait l’Egypte. Bien sur ce sont deux civilisations indépendantes apparemment, mais c’est la même civilisation. Je crois que l’analogie la plus claire c’est l’Europe et l’Amérique, sinon l’Europe et la Russie. C’est la même civilisation finalement.    

Habituellement, on perçoit les premières données de ce récit de la manière suivante : un homme de cette civilisation-là, d’Our-Qasdim en Mésopotamie qui s’appelait אַבְרָם a quitté Our-Qasdim pour Israël comme un étranger absolument viendrait dans une terre étrangère absolue. Je voudrais corriger ce cliché-là en vous donnant une 1ère référence.

 

Chapitre 14, verset 13 :

A propos du récit de la guerre où Lot a été fait prisonnier et Abraham va à son secours, Abraham est appelé אַבְרָם הָעִבְרִי– Abram l’hébreu.  

Il y a ici notion d’Abraham à la lignée des Sémites, puisque Ever, qui lui donne son nom d’hébreu, הָעִבְרִי, est un descendant de Shem.  

La réponse que je vais vous donner au nom des Midrashim qui en font foi : tout se passe comme si une des lignées des Hébreux était en exil dans la civilisation du temps. Et il y a là une sorte de préfiguration, de pré-modèle, de ce que sera très souvent à chaque étape de développement des grandes civilisations dans l’histoire, la situation du peuple d‘Israël : être en exil dans la civilisation du temps.

 

J’ouvre une parenthèse pour vous l’expliquer par un Midrash très connu qui nous raconte la vocation d’Abraham: Le père d’Abraham Terah était un fabricant d’idoles. Etאַבְרָם  enfant (3 ans selon le Midrash) (re)découvre l’intuition monothéiste face à l’idolâtrie polythéiste où l’on voit Terah vendeur d’idoles... Abraham a décidé de donner une leçon à son père, avec tout le respect, le  וַאֵם  אָב כִּבוּד imaginable : il a détruit toutes les idoles sauf la plus grande, dans les bras de laquelle il a mis une hache et une offrande à ses pieds. D’après le Midrash c’était une assiette avec de la fine fleur de farine. Lorsque Terah arrive, il voit le massacre et demande des explications ? Abraham explique qu’un homme pieux est venu faire une offrande... et les idoles se sont disputées l’offrande et la grande a gagné.  Terah n’y croit pas : à moi tu vas me dire cela ?

 

Le Midrash s’arrête là. Un commentateur a ajouté une très jolie chose et a mis dans la bouche d’Abraham parlant à son père : « fais entendre à tes oreilles ce que tu dis avec ta bouche ».  

La signification de cet événement tel que le raconte le Midrash c’est qu’effectivement, Terah était le grand prêtre de la civilisation de ce temps-là. Tout se passe comme si une identité hébraïque clandestine travaillait dans la civilisation de ce temps-là. Ce n’est que plus tard que cette identité hébraïque va sortir de cette clandestinité, et que plus ou moins ès-qualité parce qu’il y a eu énormément d’efforts à travers les civilisations où c’était quand même clandestin. Cette identité hébraïque travaille et se relie à la civilisation du temps dans une formule qui éclatera au moment de la sortie d’Egypte, lorsque la destinée d’Israël sera formulée par Moïse à la sortie d’Egypte : מַמְלֶכֶת כֹּהֲנִים וְגוֹי קָדוֹשׁ – la lignée des prêtres de la civilisation du temps.

Mais à cette époque c’est vraiment récessif, clandestin, camouflé.  

Que signifie un fabricant d’idole ?

Etre « fabricant d’idoles » cela signifie être celui qui fabrique les symboles concrets qui représentent les idéaux proposés au peuple en question. Cela veut dire le grand-prêtre. Le grand-prêtre au sein d’une civilisation polythéiste ne peut qu’être fabricant d’idoles, d’idéaux proposés à la croyance des croyants.

 

La mutation qui se produit au niveau d’Abraham va, nous dit le Midrash, déclencher des persécutions contre la famille d’Abraham – c’est le thème important de la fournaise d’Our-Qasdim – et ce Midrash nous situe cette famille avec Terah, comme étant très exactement dans la situation qu’a connue souvent, mais surtout malheureusement de notre temps de manière énorme, les peuples juifs avec les fours crématoires. Ce sont exactement les mêmes termes.  

 

Seulement cette identité hébraïque est camouflée et devient une identité d’exil qui s’appelle l’identité araméenne. Dans cette lignée des Hébreux rescapés, d’autres se sont perdues, une des lignées mène à Abraham. Et elle est connue en ce temps-là comme étant l’identité

« אַרָם », mot hébreu qui veut dire Araméen.  

Nous avons un enseignement du Talmud qui interprète le niveau אַבְרָם  par l’expression אַב אַרָם,  père-principe de l’identité אַרָם. Ce n’est que lorsqu’il s’appellera אַבְרָהָם, qu’un autre niveau d’identité apparaitra, celui que nous connaissons comme Abraham de l’Israël des  Hébreux dévoilés, et sortis de la clandestinité.  

 

Dans ce verset cité supra chapitre 14, verset 13, אַבְרָם הָעִבְרִי, il y a une indication de la תּוֹרָה qui est très importante et qui nous oblige à réviser ce cliché qui fait d’Abraham un mésopotamien converti au judaïsme. C’était un hébreu en exil dans la civilisation mésopotamienne. L’identité d’un hébreu en exil dans cette civilisation était l’identité araméenne. De la même manière que dans le temps contemporain, l’identité du peuple hébreu en exil dans la civilisation contemporaine a été l’identité juive. L’indice juif de l’hébreu de notre temps est analogue de l’indice araméen de l’hébreu dans la civilisation mésopotamienne.  

 

Un araméen, du point de vue de l’identité humaine au temps de la civilisation mésopotamienne, indépendamment de la langue, c’est exactement le Juif dans la civilisation romaine.  

Dans le temps de cette civilisation de Babel d’où va sortir la famille d’Abraham, sous la direction d’Abraham, et sous l’initiative seconde de Terah son père d’ailleurs d’après le récit, cette identité de l’hébreu en exil c’est l’identité araméenne.

 

On retrouve la même tension, dans cette polarité d’identité à ces deux périodes différentes, mésopotamienne et romaine. Il y a une identité seconde qui sert à la fois de protection et de camouflage à l’identité hébraïque. C’est l’identité juive de notre temps et c’est l’identité araméenne en ce temps-là.  

 

De toutes les façons, les identités juives que nous avons connues de notre temps, le yiddish, le judéo-arabe, le judéo-espagnol, le judéo-provençal, le judéo-portugais...etc. ces valeurs-là s’intègrent dans l’identité hébraïque à chaque moment du retour au pays. Il y a un privilège à l’identité araméenne parce qu’elle était beaucoup plus collective et universelle à tous les hébreux que ne l’ont été les identités juives des juiveries partielles. Mais pour quelqu’un qui est d’identité juive yiddish, c’est cela son araméen. A la limite c’est aussi קָדוֹשׁ, marqué de sainteté, que l’araméen par rapport à l’hébreu. De la même manière pour le judéo-arabe...etc.

 

Ces langues juives étaient le véhicule d’expression d’une identité de l’exil.

Un hébreu de l’exil en Espagne était  judéo-espagnol.

Un hébreu de l’exil en Allemagne était  judéo-allemand.

Un hébreu de l’exil en Chaldée en ce temps-là était araméen.

 

Par conséquent, l’identification de l’identité d’Abraham en propres termes est mise au point : c’est un hébreu de l’exil qui revient chez lui et non pas un mésopotamien qui déciderait bizarrement de faire son Aliyah et de fonder l’Etat d’Israël de ce temps-là.

 

Avant même le temps où les hébreux, ès-qualité et à visages découverts, sont censés jouer leur rôle au sein de la civilisation dominante du temps, le premier modèle sorti de la clandestinité c’est le peuple des Hébreux en Egypte qui en sort sous la direction de Moïse, c’est le 1er modèle sorti de la clandestinité, avant ce temps-là il y avait quelque chose d’analogue : c’est la même lignée avant la lettre, la lignée des Hébreux, qui joue ce rôle. Mais dans la clandestinité totale.   

Un araméen du temps de Our Qasdim c’est un juif du temps de Rome.  

Je vais vous expliquer pourquoi l’hébreu chez les Romains va s’appeler juif : nous situons à la fin du 2ème temple après le schisme qui a eu lieu au temps du 1er temple entre les tribus du Nord d’Israël qui ont pris le nom d’Israël et les tribus du Sud qui ont pris le nom de Judah, après la destruction du royaume du Nord, puis du 1er royaume de Judah, les rescapés des Hébreux étaient les Judéens du deuxième royaume de Judah. Et le mot de Juif n’est pas autre chose que la traduction en français à travers le latin du mot de Judéen. Un juif est un Judéen, c’est-à-dire un hébreu parti en exil.  

 

Q : L’ordre de לֶך לְךָ: L’exil en Chaldée est-il un exil spirituel ?

R : Non. C’est prendre le problème à l’envers. Exil c’est un terme géographique. Spirituel c’est déjà de la théologie et finalement cela mène à la Jérusalem céleste.  C’est un exil tout court, cela veut dire que l’on n’est pas chez soi. Il y a une fonction dans cet exil. Et j’essaie de restituer le fait que l’identité hébraïque était vraiment en dimension de stratégie de survie, camouflée derrière l’identité araméenne, compromis entre l’identité hébraïque et l’identité chaldéenne, de la même manière que l’identité juive de l’exil a toujours été un compromis entre l’identité hébraïque et celle des גּוֹיִם chez lesquels nous étions en exil.

 

J’explique cela parce que tout cela est à redécouvrir : Quelle différence entre un Juif du Maroc et un Juif de Pologne ? Le Maroc et la Pologne !

Car juif c’est juif. Il n’a jamais existé - sauf cas très particulier des Hébreux chez les Juifs - de Juif tout court comme il a existé un hébreu tout court. Un juif a toujours été judéo quelqu’un d’autre. L’araméen c’est en fait l’hébréo-chaldéen.

 

C’est de cette gangue de son exil géographique, et donc de tous les paysages géographiques culturels y compris, qu’Abraham va sortir pour revenir au pays de ses ancêtres occupé alors par les Cananéens. Et la תּוֹרָה tient à l’appeler « אַבְרָם הָעִבְרִי » alors qu’il est encore dans sa gangue araméenne nommé אַבְרָם. Cela veut dire qu’il se connaissait comme « hébreu » à Our-Qasdim.

 

Nous avons été envahis par la lecture chrétienne en français, venue du latin et du grec sur ce thème comme beaucoup d’autres qui nous renvoie cette image fausse d’un cliché faux d’un mésopotamien (nous dirions aujourd’hui un irakien) devenu hébreu par hasard.

 

 

Fin de Parashah de נֹחַ juste avant לֶך לְךָ:

Chapitre 11,  verset 27

On a rappelé dans ce chapitre la lignée de Shem issue de Noah. La fin de la lignée de Shem qui mène à Abraham commence au verset 27 :  

 

וְאֵלֶּה תּוֹלְדֹת תֶּרַח--תֶּרַח הוֹלִיד אֶת-אַבְרָם אֶת-נָחוֹר וְאֶת-הָרָן וְהָרָן הוֹלִיד אֶת-לוֹט.

Et voici les engendrements de Terah, Terah engendra Abram et Nahor et Haran et Haran engendra Lot.  

 

וַיָּמָת הָרָן עַל-פְּנֵי תֶּרַח אָבִיו בְּאֶרֶץ מוֹלַדְתּוֹ בְּאוּר כַּשְׂדִּים

Et Haran mourut du vivant de son père Terah Dans le pays de sa naissance à Our Qasdim.

 

וַיִּקַּח אַבְרָם וְנָחוֹר לָהֶם נָשִׁים שֵׁם אֵשֶׁת-אַבְרָם שָׂרָי וְשֵׁם אֵשֶׁת-נָחוֹר מִלְכָּה, בַּת-הָרָן אֲבִי-מִלְכָּה וַאֲבִי יִסְכָּה.

Et Avram et Na’hor prirent des femmes pour eux le nom de la femme d’Avram est Saraï

le nom de la femme de Na’hor est Milka

La fille de Haran (cela veut dire qu’il s’est marié à sa nièce) père de Milka et père de Yiska.  

 

De là on apprend que Sarah s’appelait aussi Yiska. C’est un autre sujet.

 

Verset 30 :

וַתְּהִי שָׂרַי עֲקָרָה אֵין לָהּ וָלָד  

Et Sarah était ‘stérile’ et n’avait pas d’enfant.  

 

Cela joue un rôle de grande importance dans le récit. Pourquoi les mères d’Israël étaient stériles et encore aujourd’hui, avant de pouvoir enfanter. Et si elles ont enfanté c’est qu’elles n’étaient pas stériles. Il faut donc traduireעֲקָרָה  différemment : empêchée d’enfanter jusqu’au moment où elle enfante...  

 

וַיִּקַּח תֶּרַח אֶת-אַבְרָם בְּנוֹ וְאֶת-לוֹט בֶּן-הָרָן בֶּן-בְּנוֹ וְאֵת שָׂרַי כַּלָּתוֹ אֵשֶׁת אַבְרָם בְּנוֹ

וַיֵּצְאוּ אִתָּם מֵאוּר כַּשְׂדִּים לָלֶכֶת אַרְצָה כְּנַעַן

Et Tera’h prit Avram son fils Et Lot fils de Haran fils de son fils   Et Saraï sa brue femme d’Avram son fils et ils sortirent avec lui d’OurQasdim pour aller en direction de Canaan.  

Ils n’ont encore reçu aucune révélation concernant le pays de Canaan.  

 

וַיָּבֹאוּ עַד-חָרָן וַיֵּשְׁבוּ שָׁם

Ils arrivèrent à ‘Haran et s’installèrent là.

 

Ensuite on nous dit combien de temps Terah a vécu.

Ce texte est avant לֶך לְךָ. La question que tu poses s’est posée chez les commentateurs : l’ordre de לֶך לְךָ pour aller on ne sait où est une phrase sibylline et ambigüe : « Pour aller vers la terre que je te montrerais... » Mais on ne trouve pas le nom de Erets Knaan.  

 

Il y a discussion des Méfarshim pour savoir si « לֶך לְךָ» a été dit à Abram à Our-Qasdim ou à ‘Haran ? Ce problème est très complexe chez les Mefarshim.  

En fait, on apprend qu’il y a ici un récit récapitulé : Abraham est une première fois venu en Erets Kenaan avec toute sa famille et ensuite Terah a fait sa Yéridah, Abraham y compris, mais entre temps Abraham a eu une vision dans אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל et ensuite אַבְרָם  depuis ‘Haran est de nouveau revenu en Israël...  

La discussion existe dans le Talmud et les Midrashim et entre temps il a eu la vision de la בְּרִית בֵּין הַבְּתָרִים.  

 

Mais considérant le texte en Pshat simple : il est clair que, le moment venu, pour les raisons indiquées brièvement précédemment, où cette famille doit s’enfuir de cette civilisation devenue concentrationnaire, elle sait où elle va car elle retourne chez elle.  

 

וַיֵּצְאוּ אִתָּם מֵאוּר כַּשְׂדִּים לָלֶכֶת אַרְצָה כְּנַעַן

Et ils sortirent avec lui d’Our Qasdim pour aller en direction de כְּנַעַן אֶרֶץ...

 

Entretemps, ils se sont arrêtés en route, et là Dieu dit à Abraham « לֶך לְךָ... Va quitte définitivement  les hésitations de Alyah de ton père et fais ton Alyah vers la terre que Je te montrerais... » Sans préciser qu’il s’agit de כְּנַעַן אֶרֶץ. Or, c’est là-bas qu’Abraham va, c’est donc qu’il sait où il va !  

 

Or, on apprend que plus tard à propos de l’histoire de Joseph, ce pays est appelé אֶרֶץ הָעִבְרִם le pays des hébreux. Lorsque Joseph explique qui il est au Pharaon lorsqu’il est en Egypte, il dit comme quelque chose de connu qui va de soi dans la civilisation du temps : « j’ai été volé du pays des Hébreux ». Et Pharaon ne demande pas ce qu’est le pays des Hébreux ! Il sait ce que c’est.

La תּוֹרָה précise d’Abraham qu’il est un hébreu !

Que fait un hébreu à Our-Qasdim ? Il est en exil de chez lui.

 

La parole, l’ordre de Dieu à Abraham, c’est la première chose que Dieu dit á Abraham dans le récit biblique et cela ne concerne pas un changement de spiritualité c’est l’inverse : il doit changer d’endroit géographique pour que sa spiritualité hébraïque se dévoile vraiment. Je paraphrase : « Abraham ! Le moment est arrivé, va là-bas. Et si c’est là-bas que tu vas Je me montrerais à toi au pays que je t’indiquerais, cela veut dire en hébreu « au pays où je me révélerais à toi... » Il n’y a pas du tout ici d’appel à changer de catéchisme. Il y a un appel à un dépaysement dans le sens géographique strict.  

 

Dans les parashiot précédentes cette réhébraïsation d’Abraham, le fait qu’Abraham se défasse de cette gangue araméenne, prend du temps. Jusqu’à ce qu’il arrive à se débarrasser de cette gangue, qui est un uniforme de stratégie survie qui a fait corps avec sa peau : l’identité araméenne. Jusqu’à ce qu’il puisse être fécond dans le sens strict. A ce moment-là seulement il va s’appeler Abraham et il sera l’Abraham père d’Israël.  

Entre temps, il a enfanté Ishmaël alors qu’il s’appelait encoreאַבְרָם  et nous aurons un problème avec ses descendants dans la rivalité d’identité.

 

Abraham est appelé « Abraham l’hébreu ». Donc il est appelé par sa nation d’origine et non par une nation à venir qu’il va fabriquer. C’est une nation qui existe déjà depuis le 1er homme mais qui est clandestine dans l’histoire. Et la תּוֹרָה tient à nous le dire : les Hébreux. C’est une nation qui ressuscité. Exactement comme l’identité israélienne contemporaine fait ressusciter l’identité hébraïque chez les Juifs revenus d’exil de chez tous les גּוֹיִם. Cela commence avec Abraham.  

L’évidence à redécouvrir c’est que la nation des Hébreux existe déjà, depuis Ever. Elle se prépare depuis Shem, depuis Noah, et au-delà depuis la lignée des grands initiés entre la génération d’Adam et de Noah. Essentiellement ‘Hanokh, Enosh, Shet et Adam. Depuis הָרִאשׁוֹן אָדָם cela se prépare. Mais cela sort de la clandestinité de sa vie «embryonnaire » si j’ose dire, avec Abraham. Cela n’est pas facile. C’est un accouchement dans la douleur. Abraham est le point de départ d’une sortie au grand jour.  Mais cette nation existe déjà. Et la תּוֹרָה en passant ne nous a parlé que de la famille des rescapés de la famille d’Abraham. Tous les autres hébreux se sont assimilés aux « Chasdiens ». Et cela a failli arriver à Terah. Il jouait son rôle de juif clandestin.

 

Prenons l’exemple de l’époque de la civilisation contemporaine de la sortie des ghettos : l’émancipation. Enormément de Juifs assimilés ont bouleversé les coordonnées de la civilisation contemporaine, mais pas à titre de Juifs. C’était des Hébreux assimilés. Ils ont joué leur rôle mais de façon caricaturale. Prenez toutes les grandes disciplines de la culture contemporaine, elles ont été bouleversées dans leurs objectifs, dans leurs objets et dans leurs méthodes par des Juifs sortis des ghettos émanant de l’émancipation d’Europe. Freud, Lévi-Strauss, Einstein, Cantor... etc.

 

Toute la sociologie, la psychologie, la philosophie, la mathématique. Un bouleversement provenant des hébreux clandestins en tant que juifs assimilés chez les romains qui, dès l’émancipation, jouent leur rôle de « מַמְלֶכֶת כֹּהֲנִים וְגוֹי קָדוֹשׁ » dans la caricature absolue.  

 

Dans la civilisation de Mésopotamie, les Hébreux jouaient ce rôle-là comme ils vont le jouer en Egypte, en Perse, en Grèce, à Rome et jusqu’en France contemporaine... Qui sont les conseillers de Mitterrand ? [J’ai lu dans le journal que les Syriens ne veulent pas  des Juifs de Mitterrand, et en particulier d’Attali. On avait le mythe du juif errant et maintenant le juif du Mitterrand.] Ils jouent leur rôle mais pas ès-qualité, mais dans la caricature d’eux-mêmes, c’est ce qui était arrivé aux Hébreux de Mésopotamie eux-mêmes, sauf pour une famille de rescapés.

 

Ces Midrashim racontant la sortie, l’escapade, le salut de la famille d’Abraham sortant de la fournaise d’Our-Qasdim, c’est le récit de la génération précédente contemporaine : les rescapés des camps nazis et des fours crématoires qui sont revenus chez eux. Ils savaient où ils allaient en rentrant chez eux !

  

L’idéologie sioniste politique pouvait hésiter : un pays pour les juifs cela pourrait être l’Ouganda mais le sens viscéral des juifs sionistes eux-mêmes les a amenés chez eux. Ils sont revenus chez eux.

 

C’est ce qui arrive à cette famille.

 

 

Q : גֵּר-וְתוֹשָׁב אָנֹכִי …

R : Ce n’est qu’à partir de Jacob devenu Israël qu’il y a l’identité Israël. A postériori de l’identité de Jacob devenu Israël, Isaac est d’Israël et Abraham aussi. Mais il y a un changement d’identité qui commence au niveau d’Abraham.

 

Q : ….

R : Ce n’est pas lui c’est son ancêtre. La lignée des Hébreux qui ont été contraints pas les descendants de ‘Ham, conquérants du pays d’Israël qui était l’héritage de Shem. Ils ont été exilés dans cette civilisation qui est la civilisation du temps. Par exemple, c’est comme si vous demandez à un juif contemporain vivant à New York d’où vient son père. La réponse en fin de compte c’est l’exil, mais à travers toute une série de péripéties qui sont formellement analogiquement les mêmes en ce temps-là. Imaginez les descendants de ‘Ham occupant le pays et déportant les Hébreux du pays.

 

Je crois que c’était nécessaire de revenir là-dessus, même si cela nous prend du temps. De toutes les façons, il y a une invraisemblance énorme au niveau de la théologie. C’est en grande partie une production de la mentalité chrétienne : c’est de considérer que cette identité hébraïque qui va devenir cet Israël, l’interlocuteur de Dieu à la révélation de la תּוֹרָה, c’est un irakien d’origine ! Il était irakien comme des Juifs ont pu être français. Il était un hébreu dans la situation d’exil et dans la peau d’un araméen. C’est un peu cette stratégie de survie qui fait que les hébreux se sont déguisés en Juifs pour pouvoir rester hébreux : le temps est arrivé d’enlever le déguisement et de redevenir des hébreux. Cela pose problème. La tunique de Nessus. Cela fait corps.  

Nous verrons que cette gangue araméenne a sa valeur propre qui est une valeur conservative qui a fait ses preuves. Mais elle a conservé l’hébreu en lui et il leur faut redevenir hébreu. C’est ce qui va arriver à Abraham.

 

Relisez ces textes avec Rashi et tous les Midrashim:  

אַבְרָם met du temps à redevenir « אַבְרָם הָעִבְרִי » comme il s’appelle dans le texte. Il lui faut passer de l’expérience de l’identité juive de son temps - l’araméenne – à l’expérience de l’homme de אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל. Cela ne va réussir finalement que chez son petit-fils. Son petit-fils recevra le nom d’Israël. Alors à postériori - et le Midrash explique beaucoup cela - c’est Jacob qui a sauvé Abraham. A postériori, Abraham est d’Israël. C’est le thème important des enfants qui tiennent en main le destin de leurs pères.  

 

Imaginons chez les descendants d’Ishmaël comment on peut parler d’Abraham ? Il s’agit d’un autre Abraham : c’est Ibrahim, le père d’Ishmaël. Ce n’est pas le même que le nôtre. C’est à posteriori d’Israël qu’Abraham est le nôtre.  Sans refaire l’histoire mais par simple hypothèse d’école : sans Isaac et sans Jacob, jamais la Bible n’aurait parlé d’ אַבְרָם père d’Ishmaël.

 

Q : לֶך לְךָ... quel est l’ordre ?

R : Beaucoup de commentateurs insistent là-dessus et d’ailleurs Rashi sur d’autres versets y répond. Il a fallut attendre notre temps pour pouvoir diagnostiquer cela, la difficulté d’une Aliyah : on a un problème avec la famille, avec la culture d’origine, avec le paysage d’origine. Alors « לֶך לְךָ » il faut quitter les trois ! Si tu n’as pas quitté les trois tu es encore attaché à ton passé décomposé... 

 

 

Q : et les vertus des גּוֹיִם ?

R : Il les ramène avec lui. Mais l’essentiel est de ne pas ramener les défauts. Par exemple comme je dis souvent le rassemblement des Juifs de tous les pays Goï d’où ils viennent a un sens messianique : on ramène l’humanité derrière nous par délégation. Alors il faut faire attention à ramener les qualités et non pas les défauts. On ramène le camembert et la baguette de pain, c’est très bien, mais il faut aussi ramener la politesse française, ça c’est important ! Si la France n’avait existé que pour ça, cela valait la peine. Il y a aussi autre chose mais c’est leurs histoires. A l’échelle universelle, la contribution de la France à l’avenir messianique de l’humanité passe par ses Juifs.  

 

Q : inaudible

R : C’est le premier problème duquel Rashi s’occupe dès le premier commentaire de la תּוֹרָה : à chaque fois qu’Israël sorti d’exil réclame sa terre, il a des problèmes avec les occupants. C’est à propos de cela, je vais vous cite le verset : [Deut. 2:23] : כַּפְתֹּרִים הַיֹּצְאִים מִכַּפְתֹּר, l’occupation du pays par les Crétois. Les Midrashim expliquent que le pays appartenait à la descendance de Shem, en s’appuyant sur le verset,  mais a été occupé par des envahisseurs venus de Crête – les כַּפְתֹּרִים.

 

וְהָעַוִּים הַיֹּשְׁבִים בַּחֲצֵרִים עַד-עַזָּה--כַּפְתֹּרִים הַיֹּצְאִים מִכַּפְתֹּר, הִשְׁמִידֻם וַיֵּשְׁבוּ תַחְתָּם

De même, les Avvéens, qui habitaient des bourgades jusqu'à Gaza, des Kaftorîm sortis de Kaftor les ont détruits et se sont établis à leur place.]  

 

C’est une des tribus des Philistins. Les travaux contemporains de l’historiographie indique que les Philistins, les Cananéens, étaient des européens nordiques et que finalement à travers la civilisation crétoise, ils se sont installés surtout dans les comptoirs de la côte : Ashdod, Aza, Ashkelon... cette zone qui s’appelle la Philistée dans le vocabulaire biblique. Finalement, la civilisation qui s’était installée là était la civilisation ‘Hamitique. Alors que cette terre est la terre des Hébreux.  

 

Il y a là un problème très important et d’ailleurs vos questions l’indiquent :

Il y a dans notre identité héréditaire de Juifs de l’exil une résistance à ce lien, qui semble aller de soi pour la תּוֹרָה, entre le peuple et cette terre. Comme si on essaie de faire la preuve que nous sommes ici des étrangers comme le disent nos ennemis. C’est très grave.

Une espèce d’ambivalence et de tension très difficile au niveau de l’exil spirituel : on parlait de la terre sainte et évidemment de Jérusalem.

Il y a un véritable mystère dans la relation du peuple Juif avec אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל. Une sorte d’ambivalence que l’on ne rencontre jamais ailleurs.  

Je me rappelle une phrase de Edmond Fleg qui nous disait : « Dieu n’a jamais promis leur terre aux peuples, Il leur a donné. Il a promis cette terre à Israël et Il ne la leur donne pas ? La réponse c’est parce qu’au fond Israël n’en veut pas et lui préfère une autre terre ».  

Si l’on fait le bilan démographique de la proportion des israéliens par rapport aux juifs de l’étranger c’est une proportion inquiétante. Cela veut dire que 4/5ème du peuple juif fait comme si cette terre qui est la sienne n’est pas la sienne et lui préfère une autre terre. C’est cette espèce de choc qu’Abraham s’entend dire.   

Dans le texte on voit que l’initiative est venue de la famille d’Abraham. Pourquoi ?

Parce que c’était en fin de compte invivable : on les jetait dans les fournaises...

Alors finalement la sortie d’Our-Qasdim.


*** 


On va faire le premier Rashi, cela vaut la peine.

Toute la révélation à Moïse en Egypte désigne le pays promis aux pères d’Israël. Or, effectivement les Hébreux en Egypte sont nés en Egypte. Alors cela a l’apparence de gens venus d’une terre étrangère qui viennent conquérir une terre qui ne leur appartient pas. Ce sont les arguments contemporains des ennemis d’Israël.  

Le monde entier sait que s’il y a quelque part un droit d’un peuple sur sa terre, c’est Israël et sa terre. Midrash : seul Israël est sur sa terre tous les autres l’ont conquise.

 

Un Maharal enseigne ceci : il y a une ambivalence entre le peuple juif et sa terre. Le Maharal nous dit très exactement : Si c’était la génération de la sortie d’Egypte qui elle était entrée en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל, le lien entre le peuple et sa terre n’aurait jamais pu être atteinte. Mais, dans la génération du désert, le peuple d’Israël a dévoilé qu’il avait un problème. Cette tentation de revenir en Egypte les a fait mourir dans le désert, et c’est une génération différente, non sortie d’Egypte mais née dans le désert, qui entre en Israël. Sauf deux exceptions Kalev et Yoshouah. C’est un peu ce thème que nous vivons dans notre histoire. Il n’y a pas de doute que les Juifs doivent faire un bilan de conscience, concernant leur propre sincérité messianique.

 

Il y a deux dimensions d’identité très importante, ensemble, dans l’identité hébraïque. Celle de l’universel humain (et malheureusement cela se traduit par l’exil), et celle de la spécificité hébraïque qui est difficile à récupérer en fin d’exil.  

On va voir en tout cas comment Rashi avec une prescience extraordinaire va nous situer ce problème d’emblée : le 1er Rashi de בְּרֵאשִׁית rapidement. Il faudrait étudier cela au moins 4 heures avant de commencer à l’approfondir :  

 

אָמַר רַבִּי יִצְחָק לֹא הָיָה צָרִיךְ לְהַתְחִיל אֶת הַתּוֹרָה אֶלָּא מֵהַחֹדֶשׁ הַזֶּה לָכֶם שֶׁהִיא מִצְוָה רִאשׁוֹנָה שֶׁנִּצְטַוּוּ יִשְׂרָאֵל וּמַה טַּעַם פָּתַח בִּבְרֵאשִׁית מִשּׁוּם (תְּהִלִּים קי"א) כֹּחַ מַעֲשָׂיו הִגִּיד לְעַמּוֹ לָתֵת לָהֶם נַחֲלַת גּוֹיִם שֶׁאִם יֹאמְרוּ אוּמוֹת הָעוֹלָם לְיִשְׂרָאֵל לִסְטִים אַתֶּם שֶׁכְּבַשְׁתֶּם אֲרָצוֹת שִׁבְעָה גּוֹיִם הֵם אוֹמְרִים לָהֶם כָּל הָאָרֶץ שֶׁל הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא הִיא הוּא בְּרָאָהּ וּנְתָנָהּ לַאֲשֶׁר יָשַׁר בְּעֵינָיו בִּרְצוֹנוֹ נְתָנָהּ לָהֶם וּבִרְצוֹנוֹ נְטָלָהּ מֵהֶם וּנְתָנָהּ לָנוּ:  

A dit Rabbi Isaac: Il était nécessaire de commencer (לְהַתְחִיל) la תּוֹרָה que à partir de (le verset 2 chapitre 12 Shemot- Exode qui indique le premier des commandements que Israël a reçu en tant que peuple à la sortie d’Egypte) “Ce mois sera pour vous” (Exod. 12:2) qui est le 1er commandement (au niveau des lois de Pessa’h à la sortie d’Egypte) reçu par les Israélites.

 

C’est déjà un chapitre très avancé dans le livre de l’Exode. J’explique avant d’aller plus loin : Si je considère la תּוֹרָה comme le livre des Lois, il n’était nécessaire de commencer le livre des lois que par  la 1ère des מִצוֹת donnée à Israël. Toute cette partie historique aurait pu faire un livre pour lui-même avec les autres livres historiques. C’est un peu comme ça qu’on explique d’habitude.  

 

L’expression « était nécessaire de commencer » est un peu bizarre. Parce que s’il y a nécessité de commencer, on commence au commencement ! Que signifie donc cette expression ?  Pour une fois qu’un livre commence au commencement, Rashi nous dit que cela ne va pas ? Et que ce n’est pas au commencement qu’il fallait commencer ?

Pourquoi a-t-il été nécessaire de trouver un commencement à la תּוֹרָה ? Parce qu’il était devenu nécessaire de la mettre par écrit !  

Si déjà il faut la mettre par écrit, alors il n’était nécessaire de la commencer que par la 1ère des מִצוֹת qui historiquement a été donnée à Israël. Tout le reste du contenu de l’histoire pourrait faire un livre pour lui-même. Pourquoi donc commencer le livre des lois par l’histoire depuis le commencement ? Voilà la dimension plus profonde de la question. Il y a ici deux genres radicalement différents : L’explication de l’histoire et la loi. Familiers à l’idée qu’ils soient dans le même livre, nous ne voyons plus le problème : ce n’est pas normal de commencer un code par un livre d’histoire !

 

A dit Rabbi Isaac: Il était nécessaire de commencer (לְהַתְחִיל) la תּוֹרָה que à partir de : “Ce mois sera pour vous” (Exod. 12:2) qui est le 1er commandement reçu par les Israélites.  

Et Rashi explique lui-même :

« Puisque c’est la 1ère מִצְוָה qui a été ordonné à Israël ».

 

La question de Rashi est très facile à comprendre en fin de compte : s’il y a eu une nécessité seconde, parce qu’on devait mettre ce livre par écrit, de commencer quelque part, il était logique de commencer par le commencement de la révélation de loi à Israël.  

 

Rashi pose la question de la manière suivante : et pour quelle raison ouvre-t-il son récit à בְּרֵאשִׁית, au commencement ?

 

Premièrement, il était nécessaire de commencer si déjà il fallait commencer quelque part, mais il était nécessaire de commencer par ce verset qui était la première מִצְוָה; et deuxièmement, si déjà il ne commence pas par où il aurait du, pourquoi commence-t-il au commencement ?

Rashi donne une réponse qui apparemment n’a aucun lien avec sa question : il cite un verset des Psaumes qui est interprété par le Midrash qui lui sert de source de la manière suivante :  

A cause du [verset] “La force de Ses actes Il la raconte à Son peuple, pour leur donner l’héritage des nations » (Psaumes 111:6).  

 

La manière dont Rashi, citant le Midrash, utilise ce verset va contre son objectif : « Il raconte à Son peuple la force de ses actes (par postulat on va admettre qu’il s’agit de l’œuvre du commencement, בְּרֵאשִׁית מַעֲשֵׂה) pour pouvoir leur donner (cette terre que le verset appelle) l’héritage des nations ». Je laisse cela en suspend. Et après cela continue :  

Car si les nations du monde disent « vous êtes des brigands parce que vous avez conquis par la force la terre des 7 nations [de Canaan], ils (Israël) leur répondront : « toute la terre appartient à Dieu, Lui l’a créée et Il la donne à qui est droit à Ses yeux.  C’est par Sa volonté qu’il vous l’a donnée, et c’est par Sa volonté qu’il l’a reprise et nous l’a donné à nous ».   

 

J’ai consulté une fois les traductions en français de Rashi : il y a une expression que je vous ai corrigé il s’agit d’un verset qui se trouve dans le Prophète Jérémie : «  לַאֲשֶׁר יָשַׁר בְּעֵינָיו » que j’ai traduit « à qui est droit,יָשַׁר  , à Ses yeux ». En général les traductions françaises donnent « à qui bon lui semble », et cela n’a pas le même sens. Il est probable que dans l’ancien français cela signifiait « à qui lui semble être bon ».

A qui bon lui semble c’est finalement une projection de la mentalité chrétienne Mais cela projette sur le texte et prête à Dieu un arbitraire qu’il n’a pas.

 

C’est une projection de la mentalité chrétienne. La théologie voit Abraham en faisant abstraction de son passé, et Dieu décide de façon dictatoriale de sauver un homme par grâce, cela tombe sur Abraham. Il faut alors restituer le passé d’Abraham : ce n’est pas n’importe qui, qui a été choisi. Dieu sait ce qu’il fait et ne choisit pas n’importe qui. Et c’est pourquoi la תּוֹרָה depuis le 1er homme nous raconte toute la carte d’identité d’Abraham pour nous montrer qui a été choisi.  

Ici c’est très paradoxal : la réponse de Rashi ne répond pas à sa question, sans compter qu’on ne voit pas très bien en quoi elle pourrait être convaincante pour qui que ce soit.

 

Je reprends les données du problème : la question de Rashi portait sur tout le texte qui va depuis בְּרֵאשִׁית jusqu’à la 1ère מִצְוָה donnée au peuple. Et il répond sur le 1er mot ? Quid du texte entre les deux ? S’il s’agissait, dit Nahmanide, d’apprendre que le monde a été créé et d’en tirer un argument théologique pour un problème politique, cela ne fonctionne pas. Alors il suffirait des 10 paroles du Sinaï où il y a allusion au fait que Dieu a créé le monde - c’est important de savoir que Dieu a créé le monde. Pourquoi tout ce texte historique ? Mais surtout la réponse de Rashi n’est pas adaptée à sa question.

 

Il faut prêter attention aux termes choisis par Rashi : Rashi commence par dire : il était nécessaire de faire débuter (לְהַתְחִיל) la תּוֹרָה par le 1er verset de la première מִצְוָה; or, en tant que livre des commandements la תּוֹרָה commence effectivement par la 1ère מִצְוָה là où elle est mais il y a une préface nécessaire. Cette préface est nécessaire mais la question de Rashi est de savoir pourquoi cette préface commence (פָּתַח  ) à la création du monde ? Il a changé de verbe.  

Il n’était nécessaire de לְהַתְחִיל la תּוֹרָה comme livre de loi que par la première loi révélée à Israël. C’est ce qui a eu lieu. La loi de vérité n’a ni commencement ni fin. C’est une vérité d’emblée. Alors si je cherche un ordre de commencement, le seul ordre nécessaire est l’ordre chronologique de la révélation. Effectivement, c’est ainsi que nous est donnée la תּוֹרָה dans l’ordre chronologique de la révélation.

 

Alors cette מִצְוָה est introduite par un verset :

« Et Dieu s’adressa à Moïse et à Aharon dans le pays d’Egypte pour leur dire parle aux enfants d’Israël et dis leur : « Ce mois sera... »

C’est bien la 1ère מִצְוָה mais elle a une préface : il faut que je sache qui sont Moïse et Aharon et qui sont les enfants d’Israël et que font-ils en Egypte ?...etc.  

J’ai donc bien besoin d’une préface  - en hébreuפְּתִיחָה , du verbe פָּתַח   au livre de la loi. Il faut que je sache qui est cet Israël auquel la loi est donnée. Mais la question de Rashi se restreint et concerne le fait de savoir pourquoi cette préface commence au commencement.

 

Donc la question de Rashi en réalité n’est que sur le 1er chapitre et non pas sur l’ensemble du texte.  

 

Etudions sa réponse :  

L’objection habituelle faite à l’apparence de lecture de Rashi est ainsi : si je parle à des גּוֹיִם qui contestent à Israël sa terre pourquoi employer un argument théologique aussi détourné et compliqué ? On apprendrait de ce livre que Dieu a créé le monde et que tout lui appartient et qu’il donne à qui est droit à ses yeux. Pourquoi passer par un argument si compliqué alors qu’il existe quantité de versets stipulant que Dieu donne cette terre aux descendants d’Abraham, de Itzhak et de Jacob ?

 

Mais c’est que l’argument des גּוֹיִם porte sur autre chose. Leur argument c’est :

« Vous êtes des brigands  (לִסְטִים) parce que vous avez conquis ( שֶׁכְּבַשְׁתֶּם) par la force »

L’argument contemporain contre Israël est le même et on voit la force de Rashi dans sa prophétie.

L’argument des גּוֹיִם est de dire : cette terre est donnée par Dieu en héritage par la grâce. Vous l’avez prise par la conquête. Il ne nie pas qu’elle nous soit promise. Ce à quoi ils s’opposent c’est que nous l’avons conquise. C’est la raison pour laquelle, nous dit Rashi, il faut que le récit de la manière dont, à la Création, Dieu a donné la terre au premier homme, soit connu de ces gens qui lisent la Bible pour savoir comment Dieu donne à l’homme la terre qu’Il lui promet.

 

Verset 28 chapitre 1 :  

Ceci pour arriver à la réponse que j’ai donnée : le fait que la terre ait été conquise -   כִבְשֻׁהָ - au temps de Josué et de notre temps comme le dit le verset n’empêche en rien que la terre appartienne légitimement à ceux qui l’ont reconquise.  

Il s’agit du premier homme et de la terre en général :

וַיְבָרֶךְ אֹתָם אֱלֹהִים וַיֹּאמֶר לָהֶם אֱלֹהִים פְּרוּ וּרְבוּ וּמִלְאוּ אֶת-הָאָרֶץ וְכִבְשֻׁהָ וּרְדוּ בִּדְגַת הַיָּם וּבְעוֹף הַשָּׁמַיִם וּבְכָל-חַיָּה הָרֹמֶשֶׂת עַל-הָאָרֶץ

 

וַיְבָרֶךְ אֹתָם אֱלֹהִים וַיֹּאמֶר לָהֶם אֱלֹהִים פְּרוּ וּרְבוּ וּמִלְאוּ אֶת-הָאָרֶץ וְכִבְשֻׁהָ

Et Dieu les bénit Et Dieu leur dit fructifiez et multipliez, emplissez la terre et conquérez-la.  

La terre promise au 1er homme doit être remplie et conquise !

Le כִבֻשׁ « conquérir » ici ce n’est pas dans le sens français de « conquête » mais il s’agit de subjuguer la terre et de la rendre apte à donner une récolte.

 

Na’hmanide le signale á partir du Talmud : tant que les Hébreux n’habitent pas cette terre, elle est non fertile. Dès que les Hébreux y arrivent il y a récolte. Il ne s’agit pas du tout de la conquête des occupants auxquels il est offert un plan de paix. Ils l’acceptent ou pas. Déjà du temps de Josué, Israël est entré par des chemins mystérieux pour s’infiltrer dans le pays et une fois dans le pays il a proposé la paix aux habitants. Ils ont refusé et il y a eu la guerre. C’est exactement ce qui s’est passé de notre temps.  

Regardez l’ordre anormal du verset « Emplissez la terre et conquérez-là » qui prouve qu’il ne s’agit pas d’une conquête habituelle. Toutes les guerres d’Israël sont parties du centre vers la périphérie.

Et non pas de l’extérieur vers l’intérieur. On n’a pas débarqué ici en conquérant. On est rentré chez nous comme on a pu. Il y a eu la guerre. Alors on l’a faite depuis le centre vers la périphérie.  

 

Le fait que les Hébreux sortis d’Egypte - כָבשׁוּ - ont conquis la terre qui est la leur, ne change en rien le fait que c’est la leur. Nous avons cette idée à la racine dans le récit qui concerne le 1er homme, mais surtout dans l’intuition de Rashi qui choisit parmi tous les Midrashim possibles pour expliquer pourquoi cela commence au commencement, cette réponse-là. Il savait que nous aurions des problèmes avec le lien à la terre.  

 

Ceci met en évidence qu’il y a un problème particulier. Si les nations du monde, אוּמוֹת הָעוֹלָם disent «vous êtes des brigands -  לִסְטִים- parce que vous avez conquis la terre (dont nous savons par ailleurs qu’elle est la vôtre) par la force » c’est qu’il y a un problème. Maharal explique que la force de cette argumentation contre Israël vient de l’ambivalence de ce peuple vis-à-vis de sa terre. Ce n’est pas plus compliqué que cela.  

 

Il y a deux expressions différentes pour dire cette contestation :

Si les nations du monde - אוּמוֹת הָעוֹלָם - disent «vous êtes des brigands parce que vous avez conquis la terre des 7 peuples », il y a deux instances : les nations du mondes et les occupants.  

Or, nous sommes de nouveau dans la même problématique. Il y a une instance des nations du monde qui s’appelle l’O.N.U. et qui elle a cette argumentation concernant les populations occupant ce pays. Tout se passe comme si cette instance des nations du monde ne devait apparaître que corollairement à ce problème. L’O.N.U. s’occupe exclusivement de ce qui se passe ici !  

L’argumentation vient de la mentalité théologique des גּוֹיִם : comment Dieu donne ce qu’il promet ? Pour les גּוֹיִם c’est par la grâce, sur un plateau. Alors que dans la structure de la תּוֹרָה l’homme doit mériter et conquérir ce qui lui est promis. C’est la grande différence.  

Il faut donc citer un verset pour dire à ceux qui savent lire la Bible que leur argumentation ne tient pas : regarder comment Dieu donne ce qu’il promet !

 

Nahmanide dit que cela ne sert à rien : on aura beau leur dire, ils n’entendront pas.

Il cite un verset [Ps. 147:19] :

מַגִּיד דְּבָרָו לְיַעֲקֹב  חֻקָּיו וּמִשְׁפָּטָיו לְיִשְׂרָאֵל

« Il explique ses paroles à Jacob et ses lois à Israël ».  

 

Et il le rapporte à ce problème de Rashi. Qu’est-ce que cela signifie ? Je paraphrase en gardant le sens donné par Nahmanide : En fin de compte, même si on disposait de cet argument face aux גּוֹיִם cela ne changerait rien : cela fait 2000 ans qu’ils ne savent pas lire la bible. Leur argument est précisément celui de Rashi : « vous êtes des conquérants ». « La terre vous appartient mais attendez que Dieu, le messie, vous la donne sur un plateau du Golan... » Nahmanide nous prévient: ne croyez pas que l’argument concerne uniquement les גּוֹיִם, l’argument concerne aussi Israël lui-même s’il a ce doute. Pour Nahmanide ce Rashi-là est en usage interne : Ce sont les Juifs eux-mêmes qui doivent comprendre cela.

 

Dès l’origine il y a cette ambivalence :

Ils sont tous sortis d’Our-Qasdim, la famille de Térah. Haran n’a pas supporté et il est mort là-bas. Ce sont ceux qui n’ont pas quitté l’exil. Ils sont morts là-bas. Nahor a accompagné le voyage mais il est mort comme son père qui n’a pas réussi à accomplir son Alyah. Puis Abraham seul est le rescapé des rescapés. Il y a là une analyse thématique extrêmement claire. Ils connaissaient tous leur pays d’origine, « la terre que je Te montrerais… », le pays de Canaan. Mais il y a des résistances énormes. Quitter une civilisation comme Our-Qasdim est difficile. Même chose avec l’Europe. J’ai vécu cette époque du nazisme en Europe. Il était évident à ce moment-là que le juif qui restait en Europe était siphonné. Imaginez les résistances. Il y avait toute une idéologie ad hoc qu’on s’inventait, l’idéologie de Nahor, l’idéologie de Haran, l’idéologie de Loth ... Il y a donc un problème dans les relations de ce peuple à sa terre. L’ambivalence du lien d’Israël à sa terre débute dès le commencement.

 

Je vous cite Elie Wiesel, je ne sais pas s’il dirait ce qu’il a dit à l’époque, au sortir des camps de concentration, sur la question qui lui fut posée sur le lien entre la restauration d’Israël et la Shoah : « si nous étions vraiment à la hauteur au regard de ce que l’humanité nous a accordé, ce petit territoire indéfendable de l’ONU de 1947, après ce qui s’est passé nous devrions mettre l’Europe à feu et à sang. Mais nous n’en sommes pas capables, nous n’en n’avons pas le courage... »

Il avait raison c’est évident. Pas sur l’Europe à feu et à sang, c’est un autre problème. Mais sur le fait qu’on n’a pas le courage : Arrivé au moment de la décision, cela s’effondre, donc c’est qu’il y a un problème !  

Quel problème ?  

A deux niveaux : A deux niveaux parce que les deux argumentations existent et parce que les deux sont défendables.  

Premièrement, une généralisation par commodité :

Il y a, profondément ancré dans l’inconscient des Juifs, le fait qu’on a définitivement repoussé à un temps mythique de l’arrivée d’un messie mythique (surtout qu’il ne soit pas celui décrit par nos textes) cette histoire de « l’année prochaine à Jérusalem ».

 

« On a eu dans l’antiquité hébraïque une tentative d’avoir une nation à nous cela a échoué, on n’est pas fait pour cela : on sera les Juifs des גּוֹיִם ». Je vous récapitule 3000 ans d’histoire.

Et on se cherche alors tous les alibis possibles imaginables pour camoufler cela qu’en réalité on ne veut pas… et pourtant on ne peut pas ne pas le vouloir puisque c’est notre être... et donc cela prend une dimension mythique : « l’année prochaine à Jérusalem ! »

 

Quand on refait l’histoire de la relation mystique des Juifs à אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל c’est une histoire de fou !

 

Je vous raconte la formule du Rav Aviner pour imager une idée que j’ai aussi entendu du Rav Kook : il y a des Juifs pieux de la piété de Jérusalem qui prient et demandent à Dieu de revenir et qui reviendrait si d’après eux c’est Dieu qui les ramène. Et alors ils sont persuadés que c’est Dieu qui doit les ramener. Ils ont raison dit le Rav Kook, c’est Dieu qui doit les ramener. C’est Dieu qui les ramène mais ils ne voient pas que c’est Dieu qui les ramène... 

 

Exemple : dans les textes du שְׁמַע קרִיאָת : « si tu pratiques les מִצוֹת, Je donnerais la pluie en son temps...etc. et l’herbe des champs… » Il racontait l’histoire d’un juif qui est allé dans son champ et s’est assis sur son tabouret attendant que Dieu fasse tout ce qu’il a promis.

Un autre juif est passé qui lui a dit :

- Qu’est-ce que tu attends ?

- J’attends la pluie !

- Comment ? Et pourquoi tu attends la pluie ?

- J’attends la pluie pour que l’herbe pousse. C’est écrit ainsi : Si tu pratiques les commandements, je t’enverrais la pluie et l’herbe poussera. J’ai pratiqué les commandements et j’attends que la pluie vienne pour que l’herbe pousse…

- Et si tu prenais une pioche une pelle et que tu commençais à travailler de telle sorte que… car c’est comme ça que Dieu te donne: avec ta pioche et ta pelle!   

Vous voyez ce qui se passe dans la mentalité du juif pieux de Jérusalem à l’étranger. Il a raison que c’est Dieu qui doit le ramener mais il n’accepte pas de voir que Dieu fait comme Il le fait. C’est finalement le problème : comment Dieu le fait ?

 

Histoire israélienne du juif qui prie Dieu au כֹּתֶל tous les jours depuis 3 ans pour gagner à la loterie. Cela ne vient pas. Le chef des anges vient demander à Dieu de l’exaucer. Dieu répond: « Et s’il prenait un billet de loterie avant ? » C’est le même problème.

 

En réalité, il y a refus de ce lien et une acceptation que s’il est mystique ou mythique on prend. Que signifie d’avoir prié, sangloté et supplié pendant 2000 ans et le jour où cela arrive on pense à autre chose ? On ne veut plus et on refuse d’entrer en Israël ? C’est la génération de la sortie d’Egypte qui ne veut pas entrer en Israël, alors qu’on est sorti d’Egypte pour ça !  

 

Il y a une 2ème dimension :

Celle-là est négative totalement. Vous en discuterez avec des juifs de la diaspora. Vous discernerez derrière tout ce qu’ils vous diront un refus pur et simple. En cherchant à midi et quatorze heures des raisonnements tordus pour essayer de démontrer que blanc c’est noir et noir c’est blanc…

Dans aucun peuple au monde cela n’existe.   

 

Il y a une dimension beaucoup plus profonde : l’identité hébraïque possède l’indice universel, d’emblée, qui se dévoilera à la fin des temps mais qui travaille dans sa conscience. C’est l’attachement aux diasporas. C’est d’autre part, même inconsciente, la tendance à l’universel. On sacrifie donc à Israël cette tendance à l’universel. Pourquoi ? Parce que cela les travaille plus que la relation spécifique de l’identité hébraïque. La critique de cette attitude c’est qu’il s’agit d’une escroquerie. Parce que ce soi-disant universel n’est en réalité que du cosmopolitisme. Ce qui n’a rien à voir.  

Il faut avoir le courage d’avoir une nation et non pas le refus de cette attitude qui laisse cela aux גּוֹיִם pour rester la communauté juive des גּוֹיִם.  

 

Cela se rattache au sujet : Il faut que Abraham se dégage de sa gangue de  אַבְרָם l’araméen pour devenir Abraham. Israël est encombré de Juifs qui ne sont pas encore devenus des israéliens. Même à la 3ème ou 4ème  génération.   

J’ai un ami israélien né dans le pays, descendant à la troisième génération d’un des fondateurs de Peta’h Tikvah. On s’était rencontré un jour dans cette région-là, je le rencontre en colère. Je lui demande la raison :

- « Tu te rends compte on est obligé de mettre des serrures sur les portes ! »

Je lui demande :

- « pourquoi tu mets des serrures sur les portes ? ».

- « Parce que les Juifs sont arrivés ! »

Et ce n’était pas antisémite. Lisez les journaux vous saurez que c’est comme cela que ça se passe.     

Effectivement, nous sommes des Juifs d’origine et nous ramenons avec nous toutes ces problématiques-là. Il faut s’en dégager et cela prend du temps, c’est difficile...

 

On pourrait en parlez pendant des heures. Il y a 2 polarités :

-  refus plus ou moins inconscient qui recule cela à un temps mythique.

-  quelque chose de l’ordre de la valeur positive dans la relation à l’universel, mais vécu au niveau du cosmopolitisme pur et simple. Et cela c’est un problème très grave.

 

 

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Shira Dray

28 Octobre 2021 à 21h42

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Nicole ohayon

10 Novembre 2020 à 12h02

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