L’OEUVRE DE LA CRÉATION
LES ENGENDREMENTS
JUIFS OU HÉBREUX
ISRAËL ET LES NATIONS
MESSIANISME
THÈMES FONDAMENTAUX

CHEMOT - SÉRIE 1995

Le cours

 

(1995) שְׁמוֹת

 

שְׁמוֹת en français l’Exode.

Je rappelle simplement que la dénomination des 5 parties de la תּוֹרָה en hébreu se dit חֲמִישָׁה חוּמשֵׁי תּוֹרָה. Chacun des livres est appelé un חוּמָש. En hébreu cela veut dire 1/5ème.

Puisqu’il y a 5 livres  חֲמִישָׁה חוּמשֵׁי תּוֹרָה signifie les 5/5ème de la תּוֹרָה.  

La raison pour laquelle le texte de la תּוֹרָה a été divisé en 5 parties est indiquée par le Midrash. Ce n’est pas notre sujet. Il est important de savoir qu’il y a 5 sujets différents qui se déroulent à travers tout ce texte de la תּוֹרָה.  

                                                                          

Le 1er c’est en hébreu « בְּרֵאשִׁית », traduit habituellement par « Au commencement » qui n’est pas non plus la traduction exacte d’après les commentaires des Midrashim, mais c’est la traduction habituelle des traducteurs de traduire : Au commencement.

Le Midrash donnent une  lecture beaucoup plus précise, j’en dirais quelques mots pour que vous perceviez les difficultés de traductions.

Rashi explique qu’il s’agit là d’un barbarisme, parce que « Au commencement » c’est en hébreu le  « commencement de... ». Or, ici il est à employer dans le sens de l’absolu, בְּרֵאשִׁית. Ce qui n’est pas le cas dans le texte de la bible en général.  

Pour ceux qui savent lire les טַעַמִים, l’accentuation qu’il y a sous le mot de Bereshit est un accent disjonctif qui isole le mot de בְּרֵאשִׁית de la suite.

 

Le 2ème commentaire de Rashi sur ce verset pose la question suivante : si cela voulait dire que « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » qu’aurait-Il créés après ? Or, c’est un récit étalé sur 6 jours, donc c’est qu’on ne sait pas traduire exactement ce que cela veut dire en hébreu. Il cite alors le Midrash, et il y a un tas d’interprétations du Midrash d’une toute autre catégorie, c’est une notion de projet qui va être révélé à travers l’histoire du monde.

Cette notion de commencement - רֵאשִׁית en hébreu - appelle une notion corollaire d’un terme, d’une visée, quelque chose qui sera en fin de compte – c’est le mot hébreu de שֵׁאֵרִית qui s’écrit d’ailleurs avec les mêmes lettres.  

Il faudrait mieux traduire le mot de בְּרֵאשִׁית par l’expression française Par commencement.

Le בּ peut se traduire en hébreu soit par « avec » soit par « dans ».

« Avec » un projet qui a un commencement...

C’est  une histoire qui aboutira à un שֵׁאֵרִית – un reste. Et tous les éléments de ce reste sont déjà dans le commencement. Ce sont les mêmes lettres que רֵאשִׁית. Mais il y a tout un processus d’agencement à travers l’histoire du monde, de ce qui a été crée au commencement du monde doit aboutir à une certaine finalité. Donc c’est d’une tout autre catégorie que le Midrash nous explique sur ce verset.  

 

Je vous signale simplement dans cet exemple que la correspondance des traducteurs pour les noms des 5 livres de Moïse n’est pas toujours très précise.

 

La notion même de « Au commencement » dans sa traduction introduit une difficulté d’exégèse incontournable. « בְּרֵאשִׁית בָּרָא: Au commencement Créa »

Ce mot « Au commencement » est de trop car cela ne peut être ni avant ni après que Dieu créé puisque l’instant de création est lui-même le commencement. Ce ne peut pas être ni avant ni après la création ! On lit donc autre chose ! En général, on lit la traduction grecque de l’hébreu traduite en d’autres langues...  

 

Les traducteurs ont l’habitude de traduire le mot בְּרֵאשִׁית par celui de « genèse », mot d’origine grecque signifiant la création. Et son sens différé : ce qu’il y a au début des engendrements de quelque chose.  

 

Pour שְׁמוֹת, les traducteurs le traduisent par l’Exode : derrière ces traductions, il y a des options intellectuelles qu’il faut toujours déceler.  

La tradition hébraïque a l’habitude de définir un texte ou une Parashah par le premier mot important du verset qui donne la signification du thème général du texte dont on va parler. שְׁמוֹת est le 1er mot important du 1er verset de la 1ère Parashah du 2nd livre du Pentateuque. On va y rappeler les noms des enfants d’Israël qui était descendus en exil en Egypte.   

Un des Midrashim met en évidence le fait qu’ils ont gardé leurs noms quand ils sont descendus en exil dans la Parashah וַיִּגַּשׁ. La תּוֹרָה y énumère les noms des enfants de Jacob, et voilà qu’à la sortie d’Egypte on retrouve les mêmes noms, fondamentalement les noms des fondateurs des tribus. Ils étaient 70 en descendant en Egypte, et dans les premiers versets de notre Parashah le texte a tenu à nous le faire savoir, dit le Midrash.  

 

Cela nous permet de diagnostiquer quelque chose d’important dans l’histoire des exils :

Est-ce que le peuple d’Israël descendu en exil avec une certaine dénomination hébraïque va se retrouver à la fin de l’exil avec cette même dénomination, où est-ce qu’il va y a voir une dénaturation de son identité ?  

 

Le Midrash qui parle de cela se situe au temps de l’occupation romaine. Les Maîtres du Midrash prennent des références dans les noms romains de l’époque. Le Midrash dit : Réouven est resté Réouven et n’est pas devenu Rufus...etc. On voit l’analogie avec les noms contemporains. Dans l’exil de Rome contemporain, les Juifs sont descendus en exil avec des noms judéens en reviennent avec des noms européens. C’est plus que du folklore mais de la sociologie qui est étudiée minutieusement par des sociologues.  

On trouve l’exemple des doublets français-hébreux donnés aux enfants, cela dépendait des communautés : par exemple Maurice en français pour Moïse, Albert pour Abraham, Jacques pour Jacob ou Isaac selon les communautés... etc.  

Le Midrash l’a décelé déjà au temps de l’occupation romaine en nous parlant du problème des noms. Donc c’est très important.

 

Il y a un Midrash qui explique les 4 mérites des Hébreux pour sortir d’Egypte. Et ces 4 mérites sont tous des fidélités nationales, et non pas du tout des fidélités religieuses comme on pourrait le croire lorsqu’on étudie ce problème de la עָלִיָה.  

Quelle est la motivation de la עָלִיָה – c’est-à-dire la fin de l’exil et le retour au pays - est-ce que ce sont des motivations d’abord religieuses ou d’abord nationales ? 

Etant donné que la religion d’Israël est une religion nationale c’est un problème un peu brouillé et les critères se mélangent, mais selon ce Midrash les mérites par lesquels les enfants d’Israël sont sortis d’Egypte ce sont tous des critères nationaux. En particulier, ils n’ont pas changé leurs noms.  

 

Vous savez à quel point d’ailleurs pendant la Shoah, cela a été un problème des sociétés juives d’Europe car  énormément de Juifs ont changé leur nom et prénom en espérant se camoufler de la persécution. Mais les services secrets avaient des moyens de détections pour savoir ce qui se cachait derrière ces noms d’emprunt en effectuant des recherches en remontant jusqu’à la 4ème génération.

 

Les traducteurs traduisent ce titre de שְׁמוֹת par celui de l’Exode. Regardez ce qui se passe derrière. L’exode signifie quitter chez soi pour aller en exil. Or, ici il s’agissait de quitter l’exil pour aller chez soi. On appelle la sortie d’Egypte en français « l’Exode » !  

Cela me rappelle une anecdote israélienne, les villes du Nord ont été peuplées dans les années trente par les 1ers rescapés allemands du nazisme. Les personnes âgées de ces villes encore maintenant ne parlent pas hébreux mais allemand entre elles. Elles n’ont pas eu le temps, à l’époque il fallait construire le pays. Ils sont d’une fidélité à la culture allemande très profonde.

 

Ils emploient une formule dans les prières où l’on fait attention à l’exil et où l’on dit « Galinou galinou meartsénou » nous avons été exilés de notre propre pays... Ils sont arrivés en disant « Galenou Bé-Ertsenou » Nous avons été exilés dans notre pays. Enormément de Juifs arrivant en Israël ont l’impression d’être exilés de leur pays natal. C’est un peu ce qui se cache derrière cette traduction de « l’Exode ».  

Je reprendrai ce problème à propose de l’identité de Moïse puisqu’il est le personnage central du récit qui va apparaître dans ces textes.

 

***

 

Tout de suite nous sommes interpellés par la personnalité de Moïse.

Avant d’aborder la définition du profil d’identité de Moïse je voudrais rappeler celle de Joseph.

 

שְׁמוֹת 1:1

וְאֵלֶּה, שְׁמוֹת בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, הַבָּאִים, מִצְרָיְמָה:  אֵת יַעֲקֹב, אִישׁ וּבֵיתוֹ בָּאוּ

Et voici les noms des enfants d’Israël Venus en Egypte

(En fait il y a un présent. Cela s’étudie pourquoi c’est un présent et pas un passé)

Avec Jacob Chacun est venu avec sa maison (sa femme et ses enfants).

 

 דָּן וְנַפְתָּלִי, גָּד וְאָשֵׁר יִשָּׂשכָר זְבוּלֻן, וּבִנְיָמִן  רְאוּבֵן שִׁמְעוֹן, לֵוִי וִיהוּדָה

וַיְהִי, כָּל-נֶפֶשׁ יֹצְאֵי יֶרֶךְ-יַעֲקֹב--שִׁבְעִים נָפֶשׁ; וְיוֹסֵף, הָיָה בְמִצְרָיִם

Au nombre de 70 Et Joseph était en Egypte.  

 

Pour les frères de Joseph, on trouve dans le 1er verset le mot מִצְרָיְמָה: en direction de l’Egypte. Alors que le texte précise וְיוֹסֵף, הָיָה בְמִצְרָיִם.

Il y a ici un thème important.

 

On voit dans les textes précédents qu’il y a une réticence de la famille de Jacob à s’installer dans l’Egypte même. C’est déjà la mise en place des grandes différences de ce qu’on pourrait appeler la conception de la société chez les Egyptiens et chez les Hébreux.

 

Un exemple typique à travers les conséquences des rêves du Pharaon que Joseph a expliqué : la stratégie de politique sociale installée par le Pharaon sur les conseils de Joseph a finalement abouti à un régime ou le pays n’appartenait plus à ses habitants, mais il appartenait au Pharaon et à son parti. Il y avait dans l’Egypte - c’est indiqué par de nombreux versets – le Pharaon, ses serviteurs (le parti de la cour, ses courtisans) et les Égyptiens. Le seul modèle qui peut nous éclairer d’une civilisation parallèle  c’est celui de la Russie soviétique : le dictateur et le parti du dictateur, et d’autre part les habitants du pays. C’est très frappant, très parallèle. Finalement, le pays n’appartenait pas à ses habitants mais il appartenait au parti.  

C’est déjà indiqué, dans les commentaires du Midrash, lorsque Dieu annonce à Abraham l’éventualité de l’exil.

 

Le verset c’est חַיֵּי שָׂרָה 15:13 :  

וַיֹּאמֶר לְאַבְרָם, יָדֹעַ תֵּדַע כִּי-גֵר יִהְיֶה זַרְעֲךָ בְּאֶרֶץ לֹא לָהֶם, וַעֲבָדוּם, וְעִנּוּ אֹתָם--אַרְבַּע מֵאוֹת, שָׁנָה

 « Savoir, tu sauras que ta descendance sera étrangère dans un pays qui n’est pas à eux… » 

 

La lecture habituelle « qui n’est pas à eux » signifie « à tes enfants toi Abraham, les hébreux». Mais en fait on lit : pas à eux – pas aux Égyptiens - le pays qui n’appartient pas à ses propres habitants. C’est dire que c’est un système totalitaire.  

La même idée se retrouve dans le commentaire sur le 1er des dix commandements : « Je t’ai fait sortir d’Egypte, du pays de la maison des esclaves i.e. les Égyptiens eux-mêmes – de la maison où l’on est esclave. Les Hébreux étaient désignés en Egypte par le Midrash comme « עֲבָדִים לַעֲבָדִים - esclaves d’esclaves ».

 

Dans mon expérience de diagnostic d’analogie des sociétés humaines, je crois que c’est évidemment l’empire soviétique qui a montré la plus forte analogie avec ce système impérial des Pharaons. C’était très différent au temps d’Assuérus en Perse : il y avait le même système d’empire totalitaire avec son dictateur Assuérus, un dictateur débonnaire, et puis il y avait le parti de la cour, le parti des Amalécites, et puis les peuples des différentes provinces. La constitution de l’empire perse au temps d’Assuérus était officiellement très libérale, mais la réalité était celle de l’asservissement des minorités.

 

Alors que dans l’Egypte des Pharaons nous verrons la différence à deux niveaux :

-          Le Pharaon de Joseph était un Pharaon libéral.

-          Le Pharaon au temps de Moïse était déjà un dictateur de régime totalitaire.

 

C’est au contraire Joseph qui avait mis en germe les principes qui ont mené au totalitarisme socio-économique de l’Egypte. Mais la grande différence qui nous est montrée dans le texte entre la structure de la société hébraïque que la תּוֹרָה veut induire et d’autre part la structure de la société égyptienne, je vous donnerai deux critères parmi d’autres:

 

  • dans la société hébraïque de la תּוֹרָה, il y a les Kohanim qui n’ont pas de participation au problème économique et qui ne possèdent pas un héritage terrestre alors que chez les Égyptiens c’est l’inverse, c’est le parti de la cour et les prêtres, qui possèdent le pays.

 

  • d’autre part, quelque chose de beaucoup plus profond et important, on apprend que les Égyptiens ont les bergers en horreur alors qu’Israël c’est un peuple de bergers. Si on rattache cela au conflit Caïn-Abel à l’origine de l’histoire de l’humanité, on s’aperçoit que ces 2 sociétés sont tout aussi rivales qu’étaient rivaux Caïn et Abel.

 

Le Shla’h grand commentateur du monde ashkénaze du 19ème siècle, auteur des Shnei Lou’hot Habrit, issu d’une famille de rabbin du Sud de la Russie, mais originairement des rescapés de l’inquisition d’Espagne, une famille Halevi qui s’est installé dans une province dont le nom du Seigneur était Horowitz et donc leur nom est devenu Halevi Horowitz... Beaucoup de noms juifs sont dans ce cas, empruntant le nom du seigneur de la ville. Il enseigne que finalement le conflit entre Caïn et Abel va se résoudre dans le conflit entre Moïse et l’Egyptien.  

On apprend ici que seul Joseph est capable d’être dans l’Egypte et de résister simultanément aux tentations de l’assimilation à la société égyptienne. Alors que ses frères s’installent « en direction de l’Egypte » (מִצְרָיְמָה, ה final indique la direction) dans une province de l’Egypte du nom de Goshen mais pas dans l’Egypte-même. C’est si vous voulez une sorte de province-ghetto parce qu’être en plein dans la société égyptienne aurait abouti à une érosion d’identité beaucoup plus rapide que celle qui a eu lieu finalement quand même. Il y a risque de perte d’identité donc il a fallu accélérer le temps de la sortie d’Egypte. La raison de cette accélération des événements nous est racontée dans les trois 1ères Parashiot.  

 

Au lieu de 400 ans d’exil, il n’y aura que 210 ans, parce que si le peuple d’Israël était resté trop longtemps en exil, les deux causes habituelles du danger dans l’exil auraient joué :

 

  • la persécution qui est la cause extérieure,

 

  • l’assimilation qui est la cause intérieure.

 

Dans tous les exils, nous sommes aux prises avec ces deux problèmes. Quelque soit la diaspora, les problèmes qui préoccupent les chefs de communauté juive de diaspora, c’est la lutte contre l’antisémitisme et la lutte contre l’assimilation. Ces deux périls étaient grandement présents en Egypte, la civilisation égyptienne de ce temps était une haute civilisation. Ne pas croire qu’il s’agissait de primitifs.  

 

Il y a une séduction que le Midrash signale. Il y a un héroïsme de résistance contre cette séduction à l’assimilation à l’identité égyptienne. Or, on a ce cas particulier de Joseph qui est mis en évidence par le Midrash :    

וְיוֹסֵף, הָיָה בְמִצְרָיִם  Et Joseph était dans Egypte.  

 

Lui, c’est le seul profil d’identité de la communauté d’Israël, capable d’être présent dans le palais de Pharaon et de rester hébreux, secrètement, mais de rester hébreu quand même. Les autres doivent s’enfermer dans un ghetto sinon ils ne résisteraient pas.

 

Très schématiquement, nous retrouvons le drame des sociétés juives dans la diaspora. Et énormément de grands juifs de diasporas ont joué à être Joseph, le seul qui est resté vraiment hébreux c’est celui du récit biblique. Tous les autres ont pris parti pour leur Pharaon et sont devenus le Joseph de leur Pharaon.  

 

Rappelez-vous dans la Parashah de וַיִּגַּשׁ: Juda interpelle Joseph en lui disant, l’obligeant à se dévoiler: « כִּי כָמוֹךָ כְּפַרְעֹה » Le grand danger pour Joseph c’est finalement de se mettre au service de la civilisation du temps. Au point d’épouser la cause du Pharaon du temps. Cela a été l’échec du christianisme d’ailleurs, mais c’est une autre dimension.

 

Rashi à ce propos, sur la fin du verset 5:   וְיוֹסֵף הָיָה בְמִצְרַיִם

 וַהֲלֹא הוּא וּבָנָיו הָיוּ בִּכְלָל שִׁבְעִים וּמַה בָּא לְלַמְּדֵנוּ וְכִי לֹא הָיִינוּ יוֹדְעִים שֶׁהוּא הָיָה בְּמִצְרַיִם. אֶלָּא לְהוֹדִיעֲךָ צִדְקָתוֹ שֶׁל יוֹסֵף. הוּא יוֹסֵף הָרוֹעֶה אֶת צֹאן אָבִיו. הוּא יוֹסֵף שֶׁהָיָה בְּמִצְרַיִם וְנַעֲשָׂה מֶלֶךְ וְעָמַד בְּצִדְקוֹ

Et Yossef était en Egypte Ne faisaient-ils pas partie, lui et ses fils, de ces soixante-dix personnes ? Que vient-on nous apprendre ? Et ne savions-nous pas qu’il était en Egypte ? C’est pour que tu saches la vertu de Yossef. Lui, Yossef, qui menait paître le troupeau de son père, c’est celui-là qui était en Egypte et y est devenu roi. Il ne s’en est pas moins maintenu fermement dans sa vertu [et les changements intervenus dans sa position n’ont entraîné aucune détérioration dans son caractère] (Sifri Haazinou 334).  

« Nous savons déjà que lui et ses enfants faisaient partie du nombre des 70 personnes, que vient nous apprendre ce verset ? Est-ce que nous ne savions pas déjà (du point de vue de l’information pure et simple) que Joseph était dans l’Egypte ? Mais c’est pour faire savoir le mérite de Joseph. Lui Joseph qui faisait paître les troupeaux de son père, ce même Joseph était en Egypte, il est devenu roi, et a tenu sa vertu et est resté צַדִּיק»

 

Nous avons appris du point de vue du texte, la différence entre ces deux mots :

מִצְרָיְמָה « en direction de l’Egypte » concernant l’ensemble de la famille de Jacob

בְמִצְרַיִם « en Egypte » même pour Joseph lui-même mais c’est une différence de nature.

 

Ce que je veux mettre ici en évidence, c’est que va se dévoiler le personnage de Moïse. Or, c’est lui qui va être le levier, le véhicule, de tous les événements qui vont nous être racontés, en alliance avec son frère Aaron.  

Aaron se trouvait dans le pays de Goshen, et il était le grand-prêtre des Hébreux déjà à l’époque. Moïse et Aaron étaient les fils du chef de la tribu de Lévi. Moïse était au palais du Pharaon, à la tête de la civilisation égyptienne, alors qu’Aaron était le grand rabbin, le chef spirituel des Hébreux dans le ghetto à Goshen.

  

Nous allons voir tout de suite une collaboration entre Aaron et Moïse lorsque Dieu se dévoile à Moïse dans la révélation du buisson ardent après sa fuite à Midian. Dieu annonce à Moïse que sur le chemin du retour il va rencontrer son frère Aaron qui va à sa rencontre, et que Aaron allant à la rencontre de Moïse « וְשָׂמַח בְּלִבּוֹ » plein de joie en son cœur.  

Dans cette scène de rencontre, nous, lecteurs, savons qu’il s’agit de deux frères de la même famille. L’un va se présenter comme un שָׁלִיחַ de la עָלִיָה des Hébreux d’Egypte, et l’autre va se présenter comme le rabbin du ghetto juif. On imagine la rencontre entre ces deux personnages et cela se fait dans la joie de la rencontre de deux frères ! Alors que de notre temps, ce n’est pas le cas quand un שָׁלִיחַ de la עָלִיָה arrive dans une communauté, on se regarde avec des yeux perçants…

 

Ici la scène qui se met en place est exceptionnelle en tant que modèle de ce qui se passe en un temps de fin d’exil.

 

Quoiqu’il en soit,  Joseph et Moïse ont le même profil d’identité mais radicalement inversé.

Joseph, c’est l’hébreu qui s’est mis au service de la civilisation égyptienne. Et qui en fin de compte est revêtu de l’habit royal de l’Egypte et est sur le trône du Pharaon. Et voilà que les événements se débloquent et on arrive à une situation qui fait émerger une identité inverse qui est l’identité de Moïse. Moïse qui est l’hébreu par excellence – fils du chef de la tribu de Lévi – qui se trouve à la place de Joseph habillé de l’habit impérial de Pharaon et se trouvant à la tête de la civilisation égyptienne, et c’est lui qui va mettre fin à l’aventure commencée avec Joseph.  

Nous avons-là le cycle de l’exil, qui est formulé de façon exemplaire, comme le modèle – en hébreu דֵגֶם- qui est plus que le modèle, la structure même de ce qui se passe dans une période d’exil.  

Cela commence par l’aventure Joseph qui abouti à l’apparition de Moïse. Il faut bien mettre en évidence le fait que les frères de Joseph ont eu une énorme difficulté à acquiescer, à découvrir, que celui qui était sur le trône de Pharaon était leur frère Joseph.  

De la même manière les Hébreux du temps de la sortie d’Egypte ont eu une énorme difficulté à admettre Moïse. Imaginez Moïse sortant du palais de Pharaon est l’égyptien par excellence et c’est lui qui se dévoile comme étant le Moïse qui va prendre la tête du peuple d’Israël pour la sortie des Hébreux d’Egypte et la révélation de la תּוֹרָה et l’histoire des Hébreux...  

Il faut le percevoir. Et nous vivons cette histoire et on se rend pas compte à quel point nous sommes pris dans ces mêmes pièges d’incompréhension. On en est encore au stade où beaucoup d’Hébreux ne reconnaissent pas Moïse. Pas tous mais pas suffisamment. Je me souviens encore du temps où la réaction du ghetto juif à l’apparition de Moïse dans l’histoire d’Israël contemporaine - c’est-à-dire celui qui déclenche la fin de l’exil et les événements du retour - a été un conflit, et non pas du tout cette alliance que la תּוֹרָה nous décrit entre Moïse et Aaron. Vous savez encore que l’immense majorité du personnel rabbinique est « anti-Moïse ». C’est la même histoire que nous vivons, on a beau revivre les mêmes situations, c’est exactement dans les mêmes ornières mais en pire.

 

N’oublions pas que Moïse va être accompagné de cette difficulté de l’identification par son propre peuple. Tout simplement on a oublié que pour cette génération d’Israël, Moïse est l’égyptien par excellence. Il y a des versets très précis. Il est l’assimilé par excellence. Si l’histoire de Moïse est celle du juif le plus assimilé, pour prendre ce terme anachronique contemporain, qui devient le juif le plus dévoilé, alors tous les espoirs sont permis pour les juifs les plus assimilés. C’est à Moïse que cela est arrivé et c’est lui qui en est le modèle, alors il faut comprendre cette histoire du peuple juif au niveau de la sociologie immédiate et profonde, à travers cet enseignement de la תּוֹרָה.

 

Moïse :

Nous allons donc assisté à la vocation de Moïse.

On a appris entre temps que Moïse sauvé des eaux, adopté par la fille de Pharaon, va devenir l’héritier présomptif du Pharaon lui-même.    

Selon le Midrash, il est chargé par Pharaon lui-même de la direction générale des camps de concentrations où se trouvaient les Hébreux. C’est intentionnellement que j’emploie ce terme de camp de concentration pour montrer l’étonnement que nous pouvons avoir. C’est lui qui va diagnostiquer que l’histoire doit passer par Israël et non par l’Egypte.    

Nous lisons les versets qui vont déclencher cette vocation de Moïse :

1er thème à mettre en évidence : Le profil d’identité de Moïse en tant que relai de l’histoire de Joseph. Nous verrons par la suite dans Parashah בְּשַׁלַּח  que Moïse ne quitte pas l’Egypte sans emporter les ossements de Joseph.  

Pendant que tout le peuple est occupé à sa sortie d’Egypte – et Dieu sait que cela ne devait pas être facile – Moïse était préoccupé d’une seule chose : retrouver le sarcophage de Joseph et l’emmener avec lui.  

Le Midrash donne deux raisons :  

 

  • L’Egypte, comme cela a été le cas de toutes les civilisations traversées par le génie d’Israël, avait l’habitude d’adorer ses grands hommes, et aurait adoré Joseph, le transformant en mythe, en idole. Ils auraient fait un culte du Saint-Sépulcre du Saint-Sauveur qui les avait sauvé à l’époque…Les civilisations ont toujours adoré les traces de Joseph. Ils l’embaument et ils l’adorent… Jacob avait déjà donné consigne de ne pas laisser son corps en Egypte pour cette raison. Le thème est important. Il y a une sorte de prescience de la civilisation qui se sait traverser par une identité divine, et alors il y a une idolâtrie de leur sauveur qui est toujours un hébreu à l’origine... Vous voyez la cohérence de cette histoire. C’est la première raison que donne le Midrash.

 

  • La deuxième raison est plus profonde, expliquée dans le Zohar : si Moïse avait quitté l’Egypte sans emporter le sarcophage de Joseph cela voulait dire que la sortie d’Egypte aurait disqualifié l’aventure inaugurée par Joseph qui aurait du coup été renvoyée à une préhistoire reniée. Emportant avec lui les ossements de Joseph, cela veut dire qu’il intègre avec lui cette aventure qui avait abouti à l’échec, et la réintègre comme préhistoire de l’histoire d’Israël qui commence avec lui.

 

Effectivement, la תּוֹרָה comme code a décidé qu’elle aurait une préface historique qui raconte l’histoire de l’échec de la tentative de Joseph. La תּוֹרָה est révélée comme conséquence de l’échec de la tentative de Joseph. Il faut savoir cela : la תּוֹרָה des Hébreux c’est la תּוֹרָה de Juda qui met fin au rêve de Joseph. C’est dire que la préface de la תּוֹרָה comme loi c’est l’histoire de la sortie d’Egypte. Et le critère de toutes les מִצוֹת c’est « לִיצִיאָת מִצְרָיִם זֵכֶר en souvenir de la sortie d’Egypte ».  

C’est-à-dire que la תּוֹרָה ne concerne que ceux qui ont fait le bilan de cette génération de la sortie d’Egypte que la tentative de Joseph est un échec.

 

La תּוֹרָה elle-même nous raconte l’histoire d’une tentative de type Joseph, jusqu’au bout de son échec, et alors là seulement Israël devient Israël, lorsqu’elle reçoit, de Moïse qui a fait la sortie d’Egypte, la תּוֹרָה du Sinaï.

 

Il faut bien en comprendre les implications: cela bat en brèche complètement la position du judaïsme religieux qui est en dehors d’Israël. A Paris j’ai entendu à la radio juive de Paris d’un rabbin sympathique, sûrement convaincu de ce qu’il disait, que chacun doit savoir sortir de sa propre Égypte. Le discours se transpose tout de suite dans une religion mythique. Alors qu’il parle de la sortie d’Egypte, il est rabbin d’une synagogue de la banlieue parisienne et il exhorte ses Juifs à sortir de leur propre Égypte intérieure, pour aller où ? Sur la place de la Concorde ! C’est énorme ! C’est un peuple à la nuque raide.  

Une des conséquences de la transformation de l’identité à travers l’exil a été de transformer la תּוֹרָה en une confession religieuse de type chrétienne. Et cela s’appelle « le judaïsme » en diaspora.

 

Retour au texte :

Il y a une expression dans le 1er verset du chapitre 2 qui nous montre le caractère anonyme de l’identité hébraïque dans l’exil.  

 

שְׁמוֹת 2:1

וַיֵּלֶךְ אִישׁ, מִבֵּית לֵוִי; וַיִּקַּח, אֶת-בַּת-לֵוִי

Et un homme de la tribu de Lévi.  

On ne nous dit pas qui c’est, on apprend par la suite qu’il s’agit d’Amram, père de Moïse. Il s’agit précisément du chef de la tribu de Lévi. אִישׁ en hébreu c’est une personnalité.

אִישׁ, מִבֵּית לֵוִי:  l’homme hébreu par excellence.  

וַיִּקַּח, אֶת-בַּת-לֵוִי  Et il prit la fille de Lévi.

 

Commentaire :

Lorsque la persécution s’est tellement appesantie sur les hébreux, il y a eu une réaction que l’on appelle dans l’histoire des sociétés une réaction de tendance au suicide cosmique: arrêter d’avoir des enfants parce que la vie devient insupportable.

A partir du moment où une société diagnostique qu’elle sous le coup de disparition par persécution, sa réaction normale est de refuser d’avoir des enfants. Le 1er qui avait décidé de se séparer de sa femme était Amram, et Yokhevet sa femme, donnant l’exemple et tous les Hébreux se sont ensuite séparés de leurs femmes.

 

J’ai étudié avec Lévi-Strauss les sociétés indiennes d’Amérique qui lorsque les chefs avaient diagnostiqué qu’ils ne tiendraient pas le coup devant l’invasion de la civilisation européenne, ils décidaient ce que les sociologues appellent le « suicide cosmique », arrêter d’avoir des enfants. En particulier, l’une d’elles n’arrivait pas à combattre contre le rhume. Le suicide volontaire lorsqu’une situation apparait comme insupportable.

 

Alors que la réaction des Hébreux en Egypte avait été au contraire de résister à la persécution par la démographie. C’est ce qui avait alerté les Égyptiens craignant d’être envahis par le nombre des Hébreux dans cette démographie galopante.  

Le Midrash raconte que la sœur de Moïse, Myriam, intervient et explique à son père que sa décision est beaucoup plus grave que celle du Pharaon. Pharaon avait décidé de tuer les enfants mâles et de garder les filles pour s’approprier la matrice d’engendrement  d’Israël, alors qu’Amram chef de a tribu de Lévi avait décidé de tuer tous les enfants à venir. Pharaon leur enlevait ce monde-ci et Amram leur enlevait le monde à venir...  

Et voilà que ce que la תּוֹרָה nous raconte ici est absolument exemplaire : une réaction de ce peuple persécuté, qui risque de disparaître par la persécution et l’assimilation. Et en fin de compte il y a cette émergence de cette identité de Moïse qui va prendre la tête de cette civilisation égyptienne.

 

C’est ce qui s’est passé dans l’histoire, ce peuple de métèques plaçant ses élites à la tête et qui a provoqué la réaction de l’antisémitisme inévitablement ... De notre temps l’exemple du judaïsme allemand depuis le siècle dernier qui montre à quel point la symbiose avec la culture allemande avait été de haut niveau. De la même manière que la symbiose judéo-espagnole avait été une réussite extraordinaire, la conséquence en a été l’inquisition.  

Chaque fois qu’il y a cette symbiose il faut commencer à craindre que ce qui risque d’arriver est du genre Shoah.  Actuellement l’endroit à risque c’est certainement en Amérique…

C’est certainement en Amérique que c’est le plus visible. Je ne sais pas si vous suivez la littérature américaine : à quel point les personnages des romans américains sont enjuivés parfois jusque dans des expressions passées dans le langage américain.

 

Je reviens en tout cas au sujet :

Voilà que Moïse est installé au palais du Pharaon comme responsable des camps de travail des Hébreux.  

 

Chapitre 2 Verset 11

וַיְהִי בַּיָּמִים הָהֵם, וַיִּגְדַּל מֹשֶׁה וַיֵּצֵא אֶל-אֶחָיו, וַיַּרְא, בְּסִבְלֹתָם; וַיַּרְא אִישׁ מִצְרִי, מַכֶּה אִישׁ-עִבְרִי מֵאֶחָיו

Et il arriva en ces jours-là Moïse grandit et il sortit vers ses frères.  

 

Nous connaissons la suite et nous avons donc tendance à lire וַיֵּצֵא אֶל-אֶחָיו et il sortit vers ses frères les Hébreux parce que nous savons que Moïse est hébreu. Mais objectivement nous ne savons pas du tout qui sont ses frères. On va le savoir à la fin de verset. Le piège c’est la familiarité de lecture. Comme nous connaissons la suite nous sommes souvent empêché de découvrir ce que l’ordre des versets nous dévoile. Le lecteur sait que Moïse est un hébreu mais sait d’autre part que Moïse est le chef de la civilisation égyptienne. Alors qui sont ses frères ? 


Moïse peut considérer les Hébreux comme ses frères et les Égyptiens comme ses frères. Pour le moment, à l’instant de ce verset, il n’a pas encore choisi.  

Les Juifs français se considèrent très sincèrement français et très sincèrement aussi juifs. C’est le drame de l’identité de Moïse. Si on ne s’en sort pas, c’est la schizophrénie. C’est un thème très important et très passionnant pour les sociologues qui ont du mal à cerner comment cette identité juive peut être elle-même et n’importe quelle autre manière d’être homme à la fois : totalement égyptien et totalement hébreu.

 

וַיַּרְא, בְּסִבְלֹתָם

Il vit (considéra) les corvées (les fardeaux)  

En hébreu moderne  סֵבֵל c’est « la souffrance »

סִבְלֹת= les fardeaux – סָבָל c’est = un portefaix.

Là aussi le midrash continue : il y a un contrat de travail entre la civilisation et les étrangers qui travaillent dans la civilisation en question. Alors il y a les maîtres et les esclaves : les deux ont une tâche dans ce contrat de travail. Moïse vit les סִבְלֹת des égyptiens, et il vit les סִבְלֹת des Hébreux. Il y a les patrons et les ouvriers. Mais les deux sont occupés à leurs propres tâches. Alors il a diagnostiqué, il a considéré les uns et les autres. Et voilà ce qu’il découvre.  

 

וַיַּרְא אִישׁ מִצְרִי, מַכֶּה אִישׁ-עִבְרִי מֵאֶחָיו

Et il vit un homme égyptien frappant un homme hébreu de ses frères.  

C’est à la fin du verset que l’on voit que Moïse a choisi qui sont ses frères.

Ce n’est pas du tout pour des raisons d’ordre culturelles que Moïse a choisi la culture hébraïque plutôt que la culture égyptienne. C’est pour des raisons d’ordre morales ! Il a vu un homme égyptien frappant un homme hébreu de ses frères.

 

Beaucoup de juifs de notre temps sont revenus au judaïsme de notre temps par ce même diagnostic, ou en tout cas par un diagnostic analogue. Ils ont voulu être solidaires des persécutés et non pas des persécuteurs. Au-delà et à priori de la différence qu’il peut y avoir entre être גּוֹי européen et être juif.  

 

C’est le cas exemplaire de Jules Isaac par exemple. Il était un juif français très assimilé qui a d’abord réagi au drame de la persécution juive au niveau moral d’abord et cela l’a mené à une identification avec la communauté juive, alors qu’il en était complètement dehors. Il a beaucoup été aidé en cela je crois par son amitié avec Edmond Fleg, qui lui était dans la communauté juive (la communauté libérale de Copernic).   

  

Ce diagnostic est très important. C’est une réaction de type morale et non de type culturel. Si les Egyptiens n’étaient pas tombés à ce niveau de barbarie – on ne refait jamais l’histoire à l’envers - peut-être que l’histoire serait passée par la civilisation égyptienne. Mais voilà que c’est l’échec d’une civilisation devenue totalitaire, et le geste de Moïse va faire basculer l’histoire à travers les Hébreux et va renvoyer l’Egypte dans les sables.

 

Et c’est ce qui s’est passé. Je crois que nous sommes très privilégiés de pouvoir diagnostiquer cela de manière facile. Imaginons que nous étions contemporains de cette époque. Comment comprendre qu’une petite poignée d’esclaves avec à sa tête un transfuge du palais royal allaient faire basculer l’histoire de manière aussi radicale ?

 

Pour ceux qui suivent le cours d’histoire générale depuis le début, voyez comment le critère moral prime tout les autres critères. Le Midrash dit que Moïse a choisi d’être avec les frappés et non avec les frappants. C’est pourquoi il a frappé le frappant. Il n’a pas opté pour une solution suicidaire mais pour une solution active de destruction de l’Egypte.  

C’est donc un moment très important : Moïse s’est déconnecté et désolidarisé d’avec la destinée de l’Egypte. Il est donc en danger par rapport à l’Egypte. Si le Pharaon apprend qu’il a pris partie pour les Hébreux c’est grave pour lui.

 

Chapitre 2 Verset 12-13:

וַיִּפֶן כֹּה וָכֹה, וַיַּרְא כִּי אֵין אִישׁ; וַיַּךְ, אֶת-הַמִּצְרִי, וַיִּטְמְנֵהוּ, בַּחוֹל

Il se tourna ça et là (dans toutes les directions) et il vit qu’il n’y avait personne

Il frappa l’égyptien et l’enfouit dans le sable.  

La forme du verset est importante, le fait d’avoir pris partie pour l’hébreu contre l’égyptien va enfouir cette civilisation égyptienne dans le sable.  חוֹל signifie en hébreu le sable mais aussi ce qui est profane. La civilisation égyptienne de ce temps-là est une civilisation du sacré et elle alors va entrer dans le profane. C’est dire que la sainteté va passer ailleurs.

 

2ème scène au verset 13

וַיֵּצֵא בַּיּוֹם הַשֵּׁנִי, וְהִנֵּה שְׁנֵי-אֲנָשִׁים עִבְרִים נִצִּים; וַיֹּאמֶר, לָרָשָׁע, לָמָּה תַכֶּה, רֵעֶךָ

Et il arriva le 2ème jour, et voici que deux personnages hébreux se querellaient

Et il dit au méchant : pourquoi frappes-tu ton prochain ?

 

La 2ème scène est en contraste absolue avec la 1ère pour laquelle c’est clair : l’hébreu est persécuté et l’égyptien a tort. Mais voilà que le lendemain il s’aperçoit que les Hébreux entre eux se querellent.  

וַיֹּאמֶר, לָרָשָׁע, לָמָּה תַכֶּה, רֵעֶךָ

Et il dit au méchant : pourquoi frapperas-tu ton prochain ?

 

Rashi לָמָה תַכֶּה

אַעַ"פ שֶׁלֹּא הִכָּהוּ נִקְרָא רָשָׁע בַּהֲרָמַת יָד

Pourquoi frapperas-tu ton prochain

Il ne l’avait pas encore frappé, mais il est appeléרָשָׁע  simplement pour avoir levé la main (Sanhèdrin 58b).

 

Le Midrash s’interroge : comment savait-il lequel des deux était méchant ? Celui qui avait la main levée ! C’est ce même Moïse qui sera chargé du message « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

 

שְׁמוֹת 2:14:

וַיֹּאמֶר מִי שָׂמְךָ לְאִישׁ שַׂר וְשֹׁפֵט, עָלֵינוּ--הַלְהָרְגֵנִי אַתָּה אֹמֵר, כַּאֲשֶׁר הָרַגְתָּ אֶת-הַמִּצְרִי; וַיִּירָא מֹשֶׁה וַיֹּאמַר, אָכֵן נוֹדַע הַדָּבָר

Il dit : Qui t’a placé comme prince et juge sur nous ? Parles-tu de me tuer ?

Comme tu as tué l’Egyptien ? Moshe eut peur Et il dît : ainsi est connue la chose.  

L’étonnement ici provient du fait que Moïse est tout-puissant. De quoi a-t-il donc peur ?

Ce n’est pas qu’il ait tué un égyptien mais c’est donc qu’il a pris parti pour l’hébreu.

Donc, le Pshat du verset c’est « la chose est connue » : on sait que Moïse a pris parti pour les Hébreux contre les Égyptiens et Moïse risque ici d’être dénoncé par un des Hébreux lui-même.

 

Rashi :    וַיִּירָא מֹשֶׁה

כִּפְשׁוּטוֹ. וּמִדְרָשׁוֹ דָּאַג לוֹ עַל שֶׁרָאָה בְּיִשְׂרָאֵל רְשָׁעִים דְּלָטוֹרִין אָמַר מֵעַתָּה שֶׁמָּא אֵינָם רְאוּיִין לְהִגָּאֵל

A expliquer selon le sens littéral. Selon le Midrash, il a été saisi d’angoisse à l’idée qu’il y avait en Israël des « scélérats » et des délateurs, et il s’est demandé : « Peut-être ne méritent-ils pas d’être délivrés ! »

 

 

אָכֵן נוֹדַע הַדָּבָר

כְּמַשְׁמָעוֹ. וּמִדְרָשׁוֹ נוֹדַע לִי הַדָּבָר שֶׁהָיִיתִי תָּמֵהַּ עָלָיו מַה חָטְאוּ יִשְׂרָאֵל מִכָּל ע' אוּמוֹת לִהְיוֹת נִרְדִים בַּעֲבוֹדַת פֶּרֶךְ. אֲבָל רוֹאֶה אֲנִי שֶׁהֵם רְאוּיִים לְכָךְ

A expliquer selon le sens littéral. Selon le midrash, il s’est dit : « L’énigme qui me tourmentait est maintenant résolue : en quoi Israël a-t-il péché plus que toutes les soixante-dix nations pour être ainsi accablé sous une servitude aussi cruelle ? Je m’aperçois qu’il le méritait! »

 

Il faut comprendre le sens direct que Moïse a pris partie contre les Égyptiens mais le Midrash explique : « maintenant je comprends cette chose qui m’étonnait tellement, en quoi Israël est plus coupable que les 70 nations pour être tellement poursuivi par la persécution ? Mais je vois qu’il le mérite ». Vous voyez, ce Rashi est terrible !  

Que dit Moïse ? Je n’avais jamais compris pourquoi ce peuple est si malheureux, et maintenant je comprends : Ce peuple est censé porter le message du frappé contre le frappant et ils se frappent entre eux ? C’est la שִׂנאָת חִינָם que tous les maîtres du Talmud vont mettre en évidence comme étant la cause de tous les maux d’Israël. Israël chargé de porter le message « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » ne le vit pas lui-même !  

 

Ce qu’il faut dévoiler c’est qu’il y a un danger de la haine gratuite chez les Juifs entre eux qui est beaucoup plus grand que dans n’importe quelle autre société. Du point de vue de l’idéal de la société juive c’est l’unité et la fraternité. C’est ce que Moïse dévoile : Il a pris parti pour l’hébreu parce que l’hébreu était frappé par l’égyptien. Mais le lendemain il voit que les Hébreux se frappent entre eux ! Comme nous le verrons, il est déjà déçu de l’Egypte et ensuite déçu d’Israël, il s’enfuit.  

 

Commentaire d’un rabbin américain d’après la Shoah qui a écrit un commentaire du Talmud qui comportait l’enseignement suivant :

Il y a eu deux calomnies qui ont accompagnées Israël pendant toute son histoire, en tout cas pendant ces 2 milles ans de l’exil :

 

  Israël est un peuple traitre à sa propre foi. Ce qui est faux : aucun peuple au monde n’est resté plus fidèle à sa foi après avoir traversé 4000 ans d’histoire et revenu avec la תּוֹרָה en bandoulière, si j’ose dire, malgré toutes les tentatives imaginables des גּוֹיִם pour nous détacher de la תּוֹרָה. Il y a eu un attachement à la תּוֹרָה énorme dans ce peuple-là. N’importe quel autre peuple se serait complètement détaché de sa propre identité spirituelle et religieuse. Première calomnie : un peuple infidèle à son identité. C’est vrai que des juifs sont infidèles à leur identité mais le peuple juif ne l’a jamais été en tant que collectivité.

 

  2ème calomnie : Les Juifs se tiennent entre eux. Ce qui est faux aussi.

 

Ce Rabbin explique cela de la manière suivante :

Nous avons un enseignement dans le Talmud qui dit que l’exil qui a suivi la destruction du 1er temple a un temps prévu, un temps connu, de 70 ans parce que les fautes qui ont causé la destruction du 1er temple ont été connues (idolâtrie-meurtre-débauche) alors que les fautes ayant causé la destruction du 2nd temple n’étant pas connues, la longueur de l’exil n’est pas connue...

Il objecte lui-même : on connait la faute responsable de cette destruction : שִׂנאָת חִינָם la haine gratuite. Mais elle n’était pas dévoilée : les גּוֹיִם ne savaient pas que les Juifs ne s’aimaient pas entre eux. Alors Dieu a fait venir la persécution. Et dans la persécution, les Juifs ont été solidaires et donc l’exil a pris fin…  

 

C’est une explication à laquelle je n’adhère pas totalement mais qui est terrible.

Effectivement, pendant les temps de persécution de la Shoah, il y a eu une solidarité extraordinaire des Juifs entre eux. A tel point qu’il y a eu des גּוֹיִם solidaires des Juifs également. Mais tout cela a disparu juste après. Il reste des mouvements d’actions sociales juives exemplaires mais ce sont les cas particuliers.  

Cela a été également le cas dans la société d’Israël durant la guerre des 6 jours : il y a eu une société solidaire de manière extraordinaire. A partir de la guerre des 6 jours, c’est de nouveau la jungle, et les loups entre eux : שִׂנאָת חִינָם.  

Il y a une pudeur qui fait qu’on cache cela. Si vous vous baladez dans מֵאָה שֵׁעָרִים et à בְּנֵי בְּרַק vous voyez des affiches des différents chefs de sectes qui s’interpellent dans un langage haineux, et ce sont tous des grands rabbins ! Il faut dévoiler ce problème. Ceux qui lisent les journaux חֲרֵדִים du vendredi peuvent voir comment ils se traitent les uns les autres dans ces sectes-là. Ce n’est là qu’un exemple, mais de façon générale quand la rivalité s’installe entre les frères alors elle s’installe. Voilà ce qui se passe chez Moïse.   

 

De manière phénoménologique :

Moïse est déçu de la civilisation égyptienne et se trouve tout à fait dans la situation dans laquelle les nouveaux philosophes (majoritairement juifs d’ailleurs) se sont trouvés il y a quelques années en France par exemple, déçus du mouvement socialiste. La tendance naturelle serait de chercher dans la société juive le contrepoids d’idéal. Il rentre dans la communauté juive, dans la réunion du Consistoire par exemple, et y rencontre la même désillusion. C’est la deuxième déception. Déçu de la société égyptienne et déçu de la civilisation hébraïque il s’enfuit. Il va se chercher un peuple dont il sera le guide. Fin de la 1ère scène. Les deux déceptions.  

C’est analogue avec ces nouveaux philosophes juifs déçus de la société européenne et de son idéal d’humanisme européen mais ils ne sont pas du tout rentrés dans la communauté juive, sauf un ou deux. Les autres sont complètement assimilés. Ils cherchent à être les inspirateurs et les guides d’une révolution culturelle qui se passerait ailleurs ; ce n’est en tout cas pas en Europe qu’ils en cherchent les modèles et surtout pas dans la communauté juive ou en Israël. C’est un peu le drame de Moïse à ce niveau-là.

 

Verset 2:15

  וַיִּשְׁמַע פַּרְעֹה אֶת-הַדָּבָר הַזֶּה, וַיְבַקֵּשׁ לַהֲרֹג אֶת-מֹשֶׁה; וַיִּבְרַח מֹשֶׁה מִפְּנֵי פַרְעֹה, וַיֵּשֶׁב בְּאֶרֶץ-מִדְיָן וַיֵּשֶׁב עַל-הַבְּאֵר

Et Paro entendit cette chose, et il chercha à tuer Moïse

Et Moïse s’enfuit de devant Pharaon, et il s’installa dans le pays de Midian, et il s’assit auprès du puits.  

Alors on peut se demander pourquoi la תּוֹרָה nous donne ces détails de manière aussi directe.

On sent que Moïse sait où il va. M’appuyant sur le Midrash, je vous explique les mots de ce verset.  

 

On sait qu’Abraham, après Ismaël et Isaac, a eu d’autres enfants de Qétourah. L’un d’entre eux est Midian qui a fondé une civilisation d’origine abrahamique. Dans celle-ci, il y avait un prêtre qui était Jethro. Et le Midrash explique, d’après les péripéties que nous lisons là dont je vous livre l’essentiel, que les filles de Jethro faisaient paître le troupeau de leur père.  

 

Le Midrash intervient : comment ? Il est le grand-prêtre de cette société et ses filles seraient bergères ? Réponse : il avait rejeté l’idolâtrie qui avait court à Midian et donc son peuple l’avait mis en quarantaine. Et ses filles furent ainsi obligées d’être bergères. Que se passe-t-il avec Jethro ? Exactement comme avec Abraham : il rejette les idoles de la société où il vivait et devient donc disponible pour la révélation du vrai Dieu.  

 

Donc Moïse sait où il va, il va directement chez ce descendant d’Abraham à partir duquel on pourrait refaire un peuple d’Israël puisque dans la pensée de Moïse le peuple d’Israël qui est en Egypte est disqualifié. On verra qu’ensuite, 40 ans après, Dieu va se révéler à Moïse pour lui dire qu’Israël est unique et se trouve en Egypte... Mais on voit que pendant toute une période il y a black-out des relations entre Moïse et son peuple : pendant les 40 ans qu’il passe chez Jethro à Midian. Il devient le berger des troupeaux de Midian.

 

En fin du verset  וַיֵּשֶׁב עַל-הַבְּאֵר et il s’assit auprès du puits.

Rashi nous apprend qu’il va faire comme Jacob rencontrant Rachel pour fonder Israël.

 

וַיֵּשֶׁב בְּאֶרֶץ מִדְיָן

נִתְעַכֵּב שָׁם כְּמוֹ וַיֵּשֶׁב יַעֲקֹב

Il s’y installa à demeure, comme dans : « Ya‘aqov demeura (וַיֵּשֶׁב) dans le pays des pérégrinations de son père » (בְּרֵאשִׁית 37, 1).

וַיֵּשֶׁב עַל הַבְּאֵר

לָשׁוֹן יְשִׁיבָה לָמַד מִיַּעֲקֹב שֶׁנִּזְדַוֵּג לוֹ זִוּוּגוֹ עַל הַבְּאֵר

 [Le second וַיֵּשֶׁב  du verset signifie: «il s’assit».] Moshé a retenu la leçon de l’expérience de Ya‘aqov : C’est près d’un puits qu’il avait rencontré celle qui allait devenir sa femme (Mekhilta 10).

 

C’est dire que la tentation de Moïse ici est de fonder un nouvel Israël à partir de la fille de Jethro.

Schématiquement : déçu de l’Egypte, déçu d’Israël en Egypte, Moïse se cherche un ersatz. Il va avoir tendance à le prendre dans Midian. Au bout de 40 ans :

 

Verset 2:21-22

וַיּוֹאֶל מֹשֶׁה, לָשֶׁבֶת אֶת-הָאִישׁ; וַיִּתֵּן אֶת-צִפֹּרָה בִתּוֹ, לְמֹשֶׁה

Et Moïse accepta de résider chez l’homme (Jethro. Et il donna Tsiporah sa fille à Moïse.  

 

וַתֵּלֶד בֵּן, וַיִּקְרָא אֶת-שְׁמוֹ גֵּרְשֹׁם:  כִּי אָמַר--גֵּר הָיִיתִי, בְּאֶרֶץ נָכְרִיָּה

Elle enfanta un fils. Il appela son nom Guershom, Car il avait dit j’ai été étranger dans un pays étranger.  

 

Lorsque Moïse diagnostique qu’il est étranger à l’Egypte et à Midian alors Dieu se révèle à lui, c’est la vision du buisson ardent qui suit. Il y a une identification par filiation et c’est là que commence la révélation à Moïse. Jusque-là il n’y a aucune révélation. Tout ce qu’il a fait c’est de sa propre initiative. Lorsque Moïse diagnostique qu’il est étranger chez les autres, c’est alors là que Dieu se révèle à lui pour le charger de la mission de sauver Israël.

L’enchainement des versets montre que c’est lorsqu’il nomme son fils Guershom qu’il avoue qu’il est étranger ailleurs que chez lui que Dieu se révèle à lui.

 

Chapitre 3, verset 6 :

Voilà comment Dieu se révèle à lui.

C’est là que nous allons avoir le thème de l’identification de Moïse :

  

וַיֹּאמֶר, אָנֹכִי אֱלֹהֵי אָבִיךָ, אֱלֹהֵי אַבְרָהָם אֱלֹהֵי יִצְחָק, וֵאלֹהֵי יַעֲקֹב

Et Il dit : Je suis le Dieu de ton père, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob

 

Le Midrash intervient: Abraham n’est pas son père mais son ancêtre !

Rabbi Yehoushouah Hakohen dit : « lorsque Dieu s’est révélé à Moïse, Moïse était un apprenti dans la prophétie (« …tiron Hayah Mosheh lanévoua » Cf. le mot de Tiron en hébreu pour dire « un bleu » dans l’armée) Dieu s’est dit : Si Je me révèle à lui avec une voix forte, Je vais l’épouvanter, avec une voix faible, et il va s’écarter de la prophétie. Qu’a-t’il fait ? Il a pris la voix de son père. »  

Lorsque Moïse reconnait sa filiation avec son père, alors Dieu peut se révéler à lui. Moïse a été soumis à ce risque de perdition d’identité en Egypte, soumis à cette tentation de chercher un remplaçant de la société d’Israël, mais lorsqu’il nomme le nom de son fils d’après l’aveu qu’il est étranger partout chez les autres, alors Dieu se révèle à lui avec la voix de son père. C’est cette filiation de Moïse à sa nation, et qui commence par son père, qui fait que Moïse sera chargé de prendre la tête d’Israël.

 

Maharal :

Une question que le Maharal se pose dans יִשְׂרָאֵל תִפְאָרֶת: Pourquoi la תּוֹרָה n’est-elle pas révélée au début de l’histoire de l’humanité ? Il répond : il faut que se constitue une nation capable de recevoir la תּוֹרָה à titre de collectivité.

 

Parce que ce qui caractérise le judaïsme de la תּוֹרָה par rapport à toute autre religion, c’est qu’il ne s’agit pas d’une expérience individuelle mise en commun. Il s’agit d’une alliance avec une collectivité que chaque individu réalise chacun à son niveau. C’est la grande différence du problème religieux avec les autres religions, quelques soient les analogies possibles dans les sociétés anciennes comme par exemple ce qu’il reste dans l’islam. Dans les autres religions, c’est un fait d’église, c’est à dire une expérience individuelle que l’on met en commun dans une communauté. Alors que pour Israël, c’est une alliance entre Dieu et le peuple d’Israël. Et chaque individu du peuple d’Israël, qu’il y croit ou pas, fait partie de cette alliance.  

 

Un juif même athée reste juif membre d’Israël, alors qu’un cardinal même pieux n’est pas un juif, le Pape y compris d’ailleurs. C’est difficile pour eux d’intégrer cela parce qu’ils sont vraiment croyants de la Bible, mais ils n’ont rien à voir avec le peuple juif. Tandis qu’un juif même athée c’est Israël. Pour les Juifs qui sont surtout de culture occidentale, cela commence aussi à être difficile à comprendre.  

 

J’ai une fois dit à ce sujet : un juif n’est pas celui qui croit en Dieu mais celui en qui Dieu croit. Parce que lorsqu’un juif croit qu’il croit en Dieu, on ne sait pas en qui il croit...il n’y a que Dieu qui sait… C’est Dieu qui a décidé de choisir Israël. Les membres du peuple Israël sont ces hommes en qui Dieu a cru. Ce n’est pas par imitation des גּוֹיִם que les Juifs se définissent dans de critères de confessions religieuses qui sont païennes. Parce que le phénomène religieux en Israël ne va pas de l’homme à Dieu, mais il va de Dieu à l’homme. Lorsque c’est l’homme qui cherche Dieu on ne sait pas où il arrive ! Il arrive en général à la sublimation de son propre être comme mythe d’idole. Le Dieu des גּוֹיִם c’est le Goï à l’échelle du parfait. Chacun à son image. Quand les Juifs tombent dans ce travers, ils se fabriquent des idoles juives, auxquelles ils donnent le nom du Dieu d’Israël. C’est exactement l’inverse : Dieu qui se révèle à Israël en le choisissant.

 

Cela ne veut pas dire que les Juifs ne connaissent pas l’expérience religieuse individuelle qui va de l’homme à Dieu, mais elle reste privée. C’est l’affaire privée de chacun qui ne fait pas partie de l’expérience de la collectivité. Car l’expérience de la communauté c’est l’expérience de la relation entre Dieu et cette communauté. La manière dont chacun, dans sa vie intérieure et sa vie spirituelle, se relie au Dieu d’Israël, c’est l’affaire de chacun.  

Il n’y a pas dans le monde juif des récits mystiques où les Juifs racontent leur foi. C’est indécent. On trouve cela chez les גּוֹיִם. Il n’y a pas de source où les Juifs racontent ce qui se passe dans leur trip spirituel. C’est indécent. La mystique juive, c’est privé.  

Chez les גּוֹיִם c’est l’inverse : Saint Ignace de Loyola, Sainte Thérèse de Avila... On lit des choses indécentes, ils mettent leurs tripes spirituelles sur la place publique. Cela ne se fait pas chez les Juifs. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de mystique juive mais elle est privée. C’est une affaire intérieure, privée, secrète, subjective et délicate. Dès qu’un juif commence à parler de sa foi, il devient hérétique.

 

Pour revenir au sujet :

Demandez-vous comment on dit « religion » en hébreu ? Cela n’existe pas !

 

Maharal : pourquoi ne pas révéler la תּוֹרָה au 1er homme ?    

Il faut une société parce que Dieu confie la תּוֹרָה et le salut du Monde à une collectivité. Parce qu’il s’agit du salut collectif de l’universel humain. Ce n’est pas un individu qui peut être le modèle du salut de l’universel, mais c’est une collectivité. C’est un peuple et non pas une église !  

C’est pourquoi dans le phénomène de l’assimilation, c’est quand les synagogues commencent à imiter les églises. Quand c’est le cas elles se vident, parce que les Juifs ne se sentent plus chez eux. D’ailleurs, les synagogues où les Juifs vont ne ressemblent pas à des églises mais ressemblent au souk. Dés qu’on y rentre on reçoit un souk !  

Le culte hiératique est en dehors de la sensibilité juive. La synagogue est le Beit Haknesset. On est dans la maison et non pas à l’annexe du cimetière. Quand une synagogue commence à ressembler à une sacristie i y a des choses qui ne tournent pas rond. Et d’ailleurs elle se vide…

 

Maharal particularise sa question en disant : on comprend qu’il fallait un peuple pour que la תּוֹרָה soit révélée parce que c’est le peuple qui prend en charge l’universel et non pas l’individu. Mais pourquoi pas avec Abraham ? La réponse concerne l’identité de Moïse : אַמְרָם בֶּנ מֹשֶׁה.

אַמְרָם cela veut dire le peuple élevé, alors que  אַבְרָם signifie le père élevé.  

Abraham a fondé le peuple, mais c’est celui qui représente le peuple qui reçoit la תּוֹרָה. Cela ne veut pas dire qu’Abraham n’est pas capable de recevoir la תּוֹרָה, mais ce n’est pas sa fonction en tant que père. En tant que père, il fait le peuple d’Israël, il engendre les fils d’Israël.  

Le maître d’Israël c’est Moïse car il représente le peuple et non pas sa propre histoire. Moshe s’appelle אַמְרָם בֶּנ מֹשֶׁה.  

Et dans tous les Midrashim où l’on parle de Moshe comme étant celui ayant reçu la תּוֹרָה on l’appelle אַמְרָם בֶּנ מֹשֶׁה.

 

Chapitre 2, verset 19:

וַתֹּאמַרְןָ--אִישׁ מִצְרִי, הִצִּילָנוּ מִיַּד הָרֹעִים; וְגַם-דָּלֹה דָלָה לָנוּ, וַיַּשְׁקְ אֶת-הַצֹּאן

Et elles dirent : Un homme égyptien nous a sauvées des bergers, bien plus, il a même puisé pour nous et a fait boire le bétail."  

 

Cela va encore renforcer le diagnostic d’identité fait tout à l’heure. Avant de voir le Midrash je vais situer le problème.

 

Un Midrash dit que Joseph, qui a dit de lui qu’il était hébreu,  a été enterré en Israël. Alors que Moïse qui a laissé dire de lui qu’il était égyptien n’a pas été enterré en Israël. C’est important car on a vu que c’est une histoire qui commence à Joseph et s’achève à Moïse. Moïse est un Joseph qui en fin de compte va laisser dire de lui qu’il est égyptien.  

Tous les nouveaux Ôlim ont eu cette expérience. On vient tous d’un pays et on est désigné comme juif et une fois arrivés en Israël on est désigné par le nom du pays de provenance. Vous allez à Ashdod et vous demandez votre chemin en hébreu on vous répond en français !

 

L’objection contre ce Midrash est que Moïse ne l’a pas dit de lui-même, et qu’il n’était même pas là lorsque les filles de Jethro l’ont mentionné. En quoi serait-il responsable ? En quoi cela peut-il être une faute ? Une seule réponse : lorsque Dieu a dicté la תּוֹרָה à Moïse et qu’Il lui a dicté ce verset, Moïse n’a pas réagi et a laissé dire Dieu « l’homme égyptien » au moment où il a reçu la תּוֹרָה.  

C’est exactement l’expérience que chacun d’entre nous peut avoir. Quand je suis dans un milieu israélien de צַבָּרִים et qu’on s’adresse á moi comme si j’étais français. C’est flatteur pour ma culture française…  

 

…/…  

 

וַתֹּאמַרְןָ--אִישׁ מִצְרִי, הִצִּילָנוּ מִיַּד הָרֹעִים

Et elles dirent : Un homme égyptien nous a sauvés de la main des bergers.

 

Midrash :

« Est-ce que Moïse était égyptien ? Son habit était égyptien et lui était hébreu ».

« 2ème explication : אִישׁ מִצְרִי Un homme égyptien nous a sauvé  à quoi cela ressemble-t-il ? מָשָׁל - cela ressemble à quelqu’un mordu par un עַרוֹד (lynx?) et il courrait pour rafraichir le pied dans l’eau. Il a mit son pied dans le fleuve et il a vu un תִינוֹק un bébé qui se noyait, il a envoyé sa main et l’a sauvé. Alors le תִינוֹק, le bébé lui a dit : sans toi je serais mort. Il lui dit : Ce n’est pas moi qui t’ai sauvé. C’est l’animal qui m’a mordu qui t’a sauvé parce que je me suis enfui de lui. C’est cela que les filles de Jethro ont dit à Moïse : « nous te remercions de nous avoir sauvé des bergers ». Moïse leur a répondu : « Ce n’est pas moi qui vous ai sauvé. C’est cet égyptien que j’ai tué qui vous a sauvé ». Et c’est pourquoi elles ont dit à leur père « אִישׁ מִצְרִי » un homme égyptien nous a sauvé. Qui a fait que Moïse est venu chez nous ? C’est l’égyptien qu’il avait tué... »

 

Voyez comment le Midrash raconte l’enchainement des causes et des effets c’est grâce à la persécution des Hébreux par les Égyptiens que les Hébreux ont été sauvées

 

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