L’OEUVRE DE LA CRÉATION
LES ENGENDREMENTS
JUIFS OU HÉBREUX
ISRAËL ET LES NATIONS
MESSIANISME
THÈMES FONDAMENTAUX

BECHALLAH - SÉRIE 1995

Le cours

 

(1995) בְּשַׁלַּח

L’épisode le plus important c’est le passage de la mer rouge- יַם-סוּף קֶרַע: la déchirure de la mer rouge. En particulier le Maharal et beaucoup d’autres commentateurs ont mis en évidence le fait qu’il ne suffisait pas d’avoir l’expérience de la sortie d’Egypte elle-même, c.à.d. de la fin du lien d’oppression et de possession des Hébreux qui se trouvaient en Egypte par Pharaon et son régime, il ne suffisait pas de cette expérience de la fin de cet exil d’Egypte qui est commémoré à la fête de Pessah en son 1er jour qui commémore la sortie d’Egypte elle-même. Et il y a toute la série des événements qui ont rendu possible cette sortie – la fin des Hébreux en Egypte – qui nous sont racontés déjà au début du livre de l’Exode.  

 

On aurait pu penser à priori si on ne connaissait pas la suite du texte que l’expérience qui a été le fondement de la foi d’Israël - le fait que cette sortie d’Egypte ait été possible - c’est le fondement historique de la foi d’Israël. לִיצִיאָת מִצְרָיִם זֵכֶר.

בְּרֵאשִׁית למַעֲשֵׂה זִכָּרוֹן, c’est la relation à la création du monde.

Mais לִיצִיאָת מִצְרָיִם זֵכֶר c’est la relation à l’événement de la sortie d’Egypte qui fonde la foi d’Israël.  

 

La foi d’Israël n’est pas seulement une foi théologique que le monde a un Créateur mais au-delà de cette foi fondamentale qui était la foi des sémites, de toute la lignée des initiés depuis le 1er homme jusqu’à Abraham, à partir d’Abraham, la foi d’Israël c’est la גֵּאֻלָה ! C’est la délivrance de la condition d’exil !  Nous avons étudié cela de différentes manières.  

On aurait pu donc penser apriori que cette expérience de la גֵּאֻלָה, de la délivrance de la sortie d’Egypte, avec toute l’importance qu’elle a et que je viens de rappeler brièvement, aurait suffit du point de vue de l’événement qui met fin à cette préhistoire d’Israël. Puisque l’histoire d’Israël en tant que collectivité va commencer. Elle a énormément de péripéties jusqu’à l’achèvement, l’aboutissement de l’histoire humaine, jusqu’au temps messianiques. Cela commence à la sortie d’Egypte. Donc on aurait pensé que l’événement de la sortie d’Egypte, commémoré le 1er jour de Pessah, aurait suffit comme expérience.  

 

Et voilà que nous allons voir le récit d’un 2ème événement de délivrance : le passage de la mer rouge. Pessah est commémoré pendant 7 jours. Les six premiers jours commémorent la sortie d’Egypte elle-même avec essentiellement comme gros plan la 1ère nuit du Seder de Pessah ; et le 7ème jour de Pessah commémore un 2ème événement qui lui est relié et qui en est d’une certaine manière le parachèvement : la traversée de la mer rouge.   

Deux expressions en français sont habituelles : La traversée ou le passage de la mer rouge. Mais en fait l’expression hébraïque est beaucoup plus précise et beaucoup plus significative : יַם-סוּף קֶרַע: « la déchirure de la mer des joncs ». לִקרוֹעַ c’est déchirer. Le fait que la mer se soit déchirée pour laisser le passage à sec pour les tribus d’Israël. Selon le Midrash, il y a eu douze chemins. Et je ne rentrerais pas dans le problème de l’événement en tant que miracle, que j’évoquerais en passant, mais je citerais très rapidement quelques références pour mettre évidence l’importance de cet événement de יַם-סוּף קֶרַע la déchirure de la mer rouge. C’est mal traduit : en réalité יַם-סוּף c’est la mer des joncs.  

La גְּמָרָא en Massekhet Sotah page 2 dit que la chose la plus difficile au monde c’est la déchirure de la mer rouge et elle la compare aux choses difficiles de la destinée humaine.

Je ne donne pas d’exemple pour ne pas ouvrir trop de parenthèses qui rendrait trop de temps.

 

Une certaine catégorie de mariages réussis est aussi difficile que יַם-סוּף קֶרַע…

« יַם-סוּף כּקֶרַע קְשֵׁה».

 

Qu’y a-t’il de difficile pour le Tout-Puissant ?

Dans la cohérence du discours biblique, ce genre d’enseignement de la תּוֹרָה orale, du Talmud, implique une certaine difficulté de ce que nos maîtres ont vu dans cet événement exceptionnel de la traversée de la mer rouge.

 

Je laisse de côté le problème du miracle en soi. Il y a énormément de théologiens rationalistes qui essaient de rationaliser cela en le comprenant comme un phénomène de marée exceptionnelle accompagnée d’une éclipse de lune… Moïse étant une très grand géographe, il en connaissait le passage à gué... Ce sont des explications très plates. Il y a énormément de facteurs qui montrent que c’est un événement exceptionnel.

En termes de cohérence talmudique, pour אֵל שַׁדַּי qui intervient dans Son monde qu’y a t’il de difficile à ouvrir la mer pour que Son peuple soit sauvé ? Cela s’étudie d’autre part.

 

Un Midrash nous dit que lorsque la mer s’est ouverte, toutes les mers du monde entier se sont ouvertes. Il y a ici un enseignement important. Dans mes études d’ethnologie, j’ai rencontré très souvent des traditions de sociétés anciennes qui ont dans leur mémoire des événements analogues.  

Le Midrash veut dire que lorsqu’une loi de la nature est suspendue, elle l’est à l’échelle universelle ! De la même manière, le Midrash explique que lorsque Dieu se révèle à Israël en direct en hébreu des prophètes, mais Il se révèle en même temps dans les 70 langues aux prophètes des nations. Il y a une perspective de la providence à l’échelle universelle qui est indiquée par les Midrashim.  

 

Un des grands auteurs, grand commentateur de la Mishna en particulier, a donné une réponse que je vous cite c’est le Olelot Ephraim [ndr. : Keli Yakar - Salomon Ephraim de Luntschitz (1550 - 1619)]: Ce qu’il y avait difficile pour Dieu dans la déchirure de la mer c’est cet événement lui-même : pour sauver Israël, il fallait sacrifier l’Egypte !  

 

On est là renvoyé de nouveau à un niveau de monothéisme absolu, intégral, qu’il faut toujours avoir en mémoire. Il y a effectivement une situation d’impasse au moment où Israël se trouve devant la mer, avec derrière lui l’armée égyptienne. Nous allons reprendre ce textes tout à l’heure. Il faut que Dieu intervienne et semble-t-il, la balance du זְכוּת, la balance des mérites et démérites, est tellement équilibrée qu’on ne comprend pas pourquoi Dieu intervient pour Israël contre l’Egypte à ce moment-là, bien qu’Il l’ait déjà fait, mais justement Il l’a déjà fait ! Que se passe-t-il à ce moment-là ? Et le Olelot Ephraim met en évidence, dans un texte extrêmement précis et dense, qu’il y a beaucoup de situations dans l’existence qui sont ainsi : pour sauver quelqu’un il faut perdre quelqu’un d’autre. C’est aussi le mystère des mariages difficiles. Je ne dis rien de plus sinon cela va me prendre toute l’heure. Je ne sais pas pour qui je dis cela mais ce n’est pas grave. Et alors pour qu’Israël soit sauvé, il faut envisager la perte de l’Egypte. C’est ce qu’il y a de difficile dans יַם-סוּף קֶרַע.

 

Maharal :

Là je cite le Maharal très brièvement : Il y a eu une 1ère expérience de la foi : Dieu intervient pour délivrer celui qui est aux prises avec l’oppression de quelqu’un d’autre : la volonté humaine souveraine sur quelqu’un et le rendant esclave. C’est une expérience fondamentale de la foi d’Israël : le fait que le faible peut être délivré du puissant.  

 

Apparemment, dans une réflexion qui ne tiendrait compte que des lois impersonnelles du monde, les Grecs ont beaucoup mis cela en évidence, il y aurait là la tragédie d’une situation inextricable dans laquelle la morale serait mise en échec parce que le fonctionnement du monde fait que le puissant est plus puissant que le plus faible. Une des données de la foi c’est qu’une fois arrivé à ces situations d’impasses, il peut y avoir intervention du dehors du monde. C’est le contenu du récit historique de la sortie d’Egypte. On comprend donc l’importance de ce récit historique dans la foi d’Israël. Si Dieu intervient ce n’est pas pour des questions religieuses mais c’est parce que le fonctionnement du monde nécessite, pour que la justice et la morale soient rétablies, une intervention du Créateur.

 

Je répète souvent que le Dieu d’Israël dont parle la Bible d’Israël n’est pas un fondateur de religion, Il est le Créateur des mondes. C’est très différent. Il faut comprendre ces textes bibliques à ce niveau-là.

 

וַיְהִי et Vav conversif :

 

Une leçon importante nous est donnée : C’est que cette expérience de la traversée de la mer rouge se fait dans une atmosphère de catastrophe. Chaque fois qu’un texte de la תּוֹרָה commence par l’expression « וַיְהִי », « et il arriva que » on est averti qu’il s’agit d’un événement catastrophique. Nous avons ici une forme verbale qui n’existe que dans la langue hébraïque à ma connaissance : le futur converti en passé par le Vav « conversif ». Je vous cite l’expression des grammairiens.

יְהִי = il sera ; וַיְהִי = il a été.

Le Vav devant le futur יְהִי, invertit le futur en passé.  

Selon la logique de l’herméneutique talmudique, si un événement qui est de l’ordre du futur est encore un événement de l’ordre de la promesse, il porte encore l’espérance. L’événement de l’ordre du passé est un événement révolu. Il porte le regret du révolu. Le summum de l’atmosphère de catastrophe : c’est lorsque quelque chose qui était de l’ordre de la promesse de l’avenir est transformée en passé irréversible.  

C’est cette indication de la forme verbale du Vayehi que le Midrash va exploiter : ce récit commence par une indication très directe qu’il y a une atmosphère d’inaccompli, de non-réussite.  

[Je ne veux pas employer le terme d’échec qui risque de fausser l’étude que nous allons avoir, quelque soit la difficulté des traductions que nous aurons.] Retenez la règle :

Chaque fois qu’un récit commence par וַיְהִי, on est averti que cela s’est mal passé ! Et pourtant, c’est une expérience qu’il fallait traverser.

 

Maharal :

Au moment de la sortie d’Egypte on commémore cette expérience de la foi d’Israël qu’on peut être sauvé de la volonté oppressante, de la sujétion d’une autre créature, et l’expérience du passage de la mer rouge c’est qu’on peut être sauvé des lois de la nature elle-même. Donc l’expérience de Shivii Shel Pessah le 7ème jour de Pessah, pour la foi d’Israël est encore beaucoup plus profonde que celle de Pessah elle-même.

 

Maharal nous dit ceci: Lorsque j’ai à me mesurer à la volonté de quelqu’un d’autre, d’une part c’est très difficile parce que l’autre est méchant, mais cela peut être moins difficile que cela parce que l’autre est un homme, on peut arriver à toucher des sentiments du bien chez lui.

 

Il y a les deux aspects : la sujétion à la volonté de quelqu’un d’autre est quelque chose de beaucoup plus grave que la sujétion aux lois de la nature. Parce que pour les lois de la nature, si j’ai le minimum de science et de connaissances de ces lois qui me permet de négocier avec ces lois, alors dans une stratégie de confrontation qui est celle de la science et des techniques, si je connais les lois de la nature, je pourrais m’en rendre maître d’une manière ou d’une autre. Tandis que la volonté de quelqu’un d’autre c’est l’arbitraire absolu car la volonté de l’autre est agie, mue, par des pulsions, des passions, des instincts, et c’est le domaine de l’arbitraire absolu.  Les Juifs savent cela de leurs ennemis héréditaires. Je pense surtout à ce qui s’est passé au temps des du nazisme. On voit la situation avec Pharaon, et l’arbitraire absolu.

 

Tandis que dit le Maharal, par rapport aux lois de la nature, c’est beaucoup plus grave en ce qu’on affronte l’impersonnel et non pas une personne mais d’un autre côté, c’est moins grave, parce que la loi de la nature peut être surmontée.

 

Quoiqu’il en soit, j’ai en tête le problème de la médecine qui est l’indice de la faiblesse de l’homme de science par rapport à ce dont il est parlé là, et il faut une connaissance du fonctionnement de la maladie et de la guérison pour s’en rendre maître. C’est le plus grand scandale dans l’histoire du monde selon l’enseignement de la prophétie hébraïque.

 

J’ouvre ici une petite parenthèse linguistique pour vous montrer comment les prophètes hébreux ont pensé cela.  L’existence de la maladie, et donc de la mort qui est la maladie à son point culminant, est perçue comme un scandale absolu, au point qu’il est interdit au Kohen au prêtre d’avoir relation avec la mort, alors que dans tout autre religion le prêtre ne s’occupe que de cela.

 

Nous avons dans le judaïsme des confréries qui s’occupe du respect et des devoirs dus aux morts mais jamais le prêtre ne s’en occupe. Le rabbin n’est pas un prêtre, lorsqu’il s’occupe d’un enterrement, il joue le rôle du ’Hazan. Le rôle du rabbin est celui du juge au tribunal. J’espère tout le monde familier à cette impossibilité de traduire l’hébreu en français lorsqu’on parle des sujets de fond. Il est interdit au Kohen d’être en relation avec la mort, c’est le blasphème absolu. Le blasphème du blasphème commence dans la maladie.

 

En hébreu : la maladie = מַחֲלָה – un malade = חוֹלֶה – cadavre = חָלָל.

Regardez le lien sémantique. Un trou = חוֹל – le profane =  חוֹל

 

Cela suggère du point de vue de l’intuition sémantique qu’il y a une vacuité, un trou, dans l’être du monde qui commence par la maladie et qui culmine dans le cadavre. Et c’est une profanation de la sainteté du monde en tant qu’il est créé par Dieu. Donc le blasphème absolu c’est la maladie !

 

Les médecins savent qu’ils sont les seuls á savoir ce que peut être la misère humaine au niveau de la maladie. Les grands maîtres, de toutes les traditions, ont aussi été des médecins. Je pense surtout à Maïmonide. Mais il n’est pas le seul. C’est aussi le cas de Descartes, un des plus grands penseurs que l’Occident ait connu. Il était génial en ce sens qu’il a eu la même intuition que Maïmonide : s’occuper essentiellement des mathématiques pour maîtriser les lois de la nature et de la biologie pour guérir la maladie. Descartes n’était pas médecin mais un grand biologiste.

 

***

Retour au sujet :

 

On est averti qu’on est au point culminant de l’expérience de la sortie d’Egypte. La 1ère étape est la sortie d’Egypte elle-même avec laquelle on s’extrait de la sujétion de Pharaon et de ses serviteurs au pouvoir. Et deuxièmement, avoir cette expérience qu’on peut être sauvé des lois de la nature.

 

Nous avons là l’événement historique qui fonde la foi d’Israël et qui vient compléter la logique et la cohérence de la théologie du monothéisme. D’abord, il s’agit du Créateur du monde et ce Créateur du monde intervient dans le monde pour mettre fin aux situations d’exils et d’aliénations. Aliénation à l’autre homme, aliénation au destin comme disaient les Grecs, aliénation aux fonctionnements aveugles des lois impersonnelles de la nature.

 

Cela explique, en grande partie mais pas complètement, pourquoi tant de cultures humaines se sont définies par rapport à la foi d’Israël pour définir leur propre foi théologique. Je prends l’exemple de la chrétienté qui se réfère à Pessah la Pâques Juive dont elle a fait le fondement de sa propre foi la transformant en les Pâques chrétiennes.

 

Cela vient du fait que la situation d’exil est la condition de la créature. La créature est en exil du Créateur. Et donc, le fait même inconsciemment de percevoir qu’il y a un peuple dont l’histoire témoigne de la possibilité de sortir d’exil, prouve que l’histoire de ce peuple témoigne de ce que le salut est possible au niveau métaphysique le plus total.

C’est au fond cela qui rend compte du fait pourquoi tellement de nations, de sociétés et de traditions, qui n’avaient rien à voir avec Israël se sont raccrochées chacune à leur manière à la foi d’Israël. Dans les rivalités que vous connaissez, mais cela se relie à cette expérience.

 

Et ceci dit, le passage de la mer rouge, complément de l’expérience de la sortie d’Egypte elle-même, avec ces difficultés, dans la cohérence du monothéisme (pour sauver Israël il faut perdre l’Egypte...) avec toute cette importance cela nous est donné dans une atmosphère de catastrophe ?

 

Il faut remonter plus haut dans la Parashah בֹּא, où la תּוֹרָה nous donne les lois de Pessah.

Or, elle donne d’abord les lois de Pessah, les lois de la עֲבֹדַה, du culte, de la sortie d’Egypte elle-même qui s’appelle en hébreu « Pessah deMitsraïm » : le Pessah même de l’événement de la sortie d’Egypte.

 

Et juste après, la תּוֹרָה nous donne déjà les lois de la commémoration de cet événement de Pessah : les lois de Pessah en tant qu’on l’appelle « Pessah Shel Dorot » - le Pessah des générations à venir, en tant que ces générations à venir commémorent le Pessah  de la sortie d’Egypte.

 

C’est cela qu’il faut découvrir. Je vous demande suivre avec attention.

 

Analyse : Si on commémore un événement c’est le signe qu’il n’est pas complètement accompli. Si on a commémoré un événement, pour le mémoriser, pour le souvenir, pour s’y rattacher... cela signifie que l’événement en question n’est pas achevé, ni totalement accompli.

 

On aborde là un paradoxe : l’événement de la sortie d’Egypte est un événement irréversible. Et cependant, il est à commémorer ? Donc, cela veut dire qu’il est de l’ordre de l’inaccompli ! Il est le point de départ de ce que sera la dernière commémoration qui, elle, nous fera passer vraiment dans le post-Egypte qui avait commencé mais en tant que préhistoire lors de la sortie d’Egypte.

 

Je vous donnerais une référence à cela. Il faut noter qu’on ne commémore pas l’événement qu’on aurait pu considérer comme point de départ de notre histoire : la sortie d’Abraham d’Our-Kasdim. Abraham à l’échelle individuelle a vécu la même histoire que la sortie d’Egypte dans sa sortie d’Our-Kasdim. Les versets qui s’y réfèrent pour Abraham  ont la même forme que les versets qui se réfèrent à l’événement de la sortie d’Egypte pour Israël en tant que peuple. C’est l’expression « אָנֹכִי יְהוָה אֱלֹהֶיךָ, אֲשֶׁר הוֹצֵאתִיךָ מֵאֶרֶץ מִצְרַיִם » et pour Abraham « אֲנִי יְהוָה, אֲשֶׁר הוֹצֵאתִיךָ מֵאוּר כַּשְׂדִּים »

 

On ne commémore pas la sortie d’Abraham d’Our-Qasdim. Pour deux raisons.

L’une théologique que j’aborderais par allusion car il me faudrait trop de temps pour l’expliquer :  

La religion d’Israël ne se base pas sur l’expérience d’un héros singulier, individuel, fut-elle véridique, fut-il le plus important ou le point de départ, comme Abraham. La religion d’Israël se base sur l’expérience de la collectivité d’Israël. Parce que l’histoire de la collectivité d’Israël c’est la mienne  dont je suis membre, tandis que l’histoire d’Abraham c’est l’histoire de mon ancêtre auquel je me relierais par la mémoire. C’est une pseudo-religion, c’est une religion selon l’esprit – pneumatique disent les Grecs – et c’est tout à fait extérieur à la religion d’ordre biblique.

 

Je vous cite un principe (Haggadah):

« Chacun, le soir du Seder de Pessah, doit se considérer comme s’il était lui-même sorti d’Egypte ».

Et non pas que je me rappelle que mes ancêtres sont sortis d’Egypte. Si je me rappelle que les ancêtres sont sortis d’Egypte, je renvois les ancêtres dans le passé ! Ce serait une pseudo-tradition qui consiste à se remémorer le passé comme passé ! Alors que la vraie tradition consiste à actualiser le passé au présent : c’est mon histoire que je vis !

 

Et effectivement, des religions se basent sur la communion à la légende du héros, et la communion á la légende du héros. C’est extérieur au judaïsme et à la bible. Ce sont des religions du type grec.

En fait, c’est la raison pour laquelle on ne commémore pas la sortie d’Abraham d’Our-Qasdim sinon nous aurions eu le culte abrahamique : le saint Abraham !

De la même manière qu’on ne commémore pas des événements importants comme la naissance de Moïse qui aurait pu être un Noël hébraïque extraordinaire ! C’est justement évacué dans le principe. Lisez l’histoire de Moïse pour vous rendre compte qu’on n’a pas fait un culte de Moïse. Il n’y a que les Goyim qui sont capable de faire des cultes de ce genre. 

 

La raison essentielle c’est qu’Abraham est un individu. Or, il ne faut pas oublier que c’est son histoire que nous vivons mais nous la vivons en tant que collectivité dans l’histoire de la sortie d’Egypte.

 

Une 2ème raison :

C’est la différence entre le mythe et le Midrash.

Dans le mythe on met en évidence un cas particulier d’une identité collective, à l’échelle exceptionnelle et exemplaire, et on substitue le profil d’identité d’un individu, à l’universel humain. Alors que dans le midrash c’est l’inverse. On élargit à la collectivité les signes d’excellence d’un individu exceptionnel. Puisque Abraham a été Abraham, Dieu va s’adresser à lui pour sa descendance. Moïse ne dira jamais : « Mon Dieu m’a dit de vous dire que... ». Il dira : « notre Dieu, m’a dit de vous dire que... »

 

Les Midrashim parlent toujours à l’échelle de l’universel : Si Dieu parle, il parle toutes les langues à la fois, « en direct » i.e. en hébreu pour Israël, mais « en différé » pour les autres. C’est le mystère et le problème de la traduction. Et il faut prendre acte que la Bible est le livre le plus traduit au monde. Ce n’est pas pour rien ! Qu’a donc vu l’humanité dans ce livre ? Elle le sait !

 

Our-Qasdim / Mitsraïm :

 

 La 2ème raison qui est la plus essentielle c’est que la sortie d’Abraham d’Our-Qasdim est irréversible et définitive. Et je cherche un mot plus fort qu’irréversible car la sortie d’Egypte est aussi irréversible bien que pas autant. Abraham est sorti d’Our-Qasdim est c’est fini. Et il demande comme consigne pour marier ses enfants qu’on ne les ramène jamais là d’où il est sorti. Cela veut dire que c’est un événement réussi. Tout ce qui est avant Abraham – les historiens sont obligés de s’en rendre comte – c’est la préhistoire dans le monde entier. C’est quelque chose de très frappant. En gros plan d’ailleurs, avant la sortie d’Egypte, partout, c’est le temps mythologique. Avant ce temps-là on nous parle toujours de dieux, de héros, de demi-dieux... Toute la mythologie. La seule histoire normale se trouve dans l’histoire biblique ! Nos ancêtres non seulement étaient de simples hommes mais c’étaient en plus des esclaves... C’est une différence de nature.

 

C’est très frappant : dès qu’on étudie la manière dont les nations comprennent leur propre préhistoire, on s’aperçoit qu’elle est toujours mythologique. Il n’y a aucune exception. Il n’y a que dans l’histoire biblique que cela commence avec des hommes.

 

Quoiqu’il en soit, la sortie d’Abraham d’Our-Qasdim met fin à cette période antérieure devenue préhistorique totalement. Alors que la sortie d’Egypte c’est le commencement d’un processus à achever. C’est ce paradoxe-là qu’il faut arriver à comprendre.

 

C’est déjà annoncé dans Parsahah בֹּא  dès que la תּוֹרָה nous donne à commémorer la sortie d’Egypte.

 

Je vous donne une petite indication pour ceux qui ont en mémoire le texte de la Haggadah de Pessah : à la fin on dit un très beau poème qui est très beau d’ailleurs, à la fin du Seder:

 

« S’est achevé l’ordonnance du rite de Pessah selon sa règle, de même que nous avons eu le mérite de pouvoir l’ordonnancer en tant que rite, de même que nous ayons le mérite de le faire »

 

On voit la différence entre le rite de commémoration et l’événement. Et alors l’événement est le point de départ d’un rite de commémoration qui doit mener à un événement d’aboutissement irréversible et définitif, que j’appellerais, entre guillemets parce que les Chrétiens se sont emparés de l’expression, « la dernière Pâque ». Le dernier Pessah.

 

Toute la commémoration de Pessah est en vue du dernier des Pessah qui sera la sortie ultime de la condition d’exil de la créature humaine, et que l’on appelle d’autre part dans un autre vocabulaire « le temps messianique ». 

 

Ce qui se passe dans les Pâques chrétiennes où, de manière purement abstraite, nourries de beaucoup de ferveur spirituelle gréco-romaine, on prétend que la dernière des Pâques a déjà eu lieu lors du repas de la cène, et cela passe ailleurs...

 

Le fait de commémorer l’événement de la sortie d’Egypte indique qu’il n’est pas complètement achevé. Cela n’enlève en rien l’importance de son caractère irréversible de point de départ de ce qu’aura été l’histoire d’Israël porteur de cette foi en espérance qu’on arrivera au Pessah achevé.

 

Il y a une 2ème indication :

Lors de la vision du buisson ardent lorsque Dieu se révèle à Moïse pour le charger de la mission de délivrer Israël qui commence à ce moment là – c’est la 1ère fois que Dieu s’adresse en vision à Moïse et il est alors âgé de 80 ans. Jusque-là il n’a eu aucune révélation. Et la première révélation c’est justement pour réaliser cet événement d’intervention pour le salut d’Israël pré figuratif du salut de l’humanité. Moïse demande sous quel nom il devra parler du Dieu qui se révèle à lui ?

Et Dieu lui répond : אֶהְיֶה אֲשֶׁר אֶהְיֶה.

 

Il faut d’abord expliquer la demande de Moïse : les Hébreux ont déjà leur tradition théologique. Ce sont des descendants des patriarches, et ils portent en eux toute la culture de la foi hébraïque. Cela ne commence pas avec la lecture d’un livre, la bible, qui nous raconte l’histoire des âges passés. Mais c’est l’histoire d’un peuple qui a déjà sa propre culture, sa propre foi, sa propre compréhension de ce dont il sera parlé dans ce livre qui racontera cette histoire. Et alors ils savent que Dieu intervient dans le monde à travers des médiations différentes. Il y en a 13.

J’en cite simplement deux. Dieu intervient dans l’histoire des Patriarches sous forme de Dieu des promesses. Lorsque Dieu s’adresse aux patriarches c’est en tant que Dieu qui promet et le nom est אֵל שַׁדַּי.

 

Et puis d’autre part, il y a cette promesse que le Dieu de la promesse sera le Dieu de la réalisation des promesses.

 

Dans la question de Moïse : « quand ils me demanderont : avec quel nom ? Que leur répondrais-je », il y a déjà cette interrogation : sous quel nom annoncer que le temps de la réalisation est arrivé ? Encore le nom des promesses ? Ou déjà Dieu de la réalisation ?

 

La question de Moïse n’est pas simplement une question d’ignorance, du type : Rappelez-moi votre nom ? Et le texte est finalement plein d’humour : La 1ère fois où Dieu s’adresse à Moïse, celui-ci lui dit : Rappelez-moi votre nom ?                    

 

En réalité la question est différente et demande : « à travers quel attribut ? »

Et Dieu répond : אֶהְיֶה אֲשֶׁר אֶהְיֶה !

La traduction est erronée : « Je suis qui Je suis ».

Il y a une première erreur : אֶהְיֶה  est un futur et non pas un présent : אֶהְיֶה signifie Je serais.

אֶהְיֶה אֲשֶׁר אֶהְיֶה « Je serais ce que Je serais » : cela veut dire que cela dépend de l’événement dans lequel Je me manifeste.

 

L’explication de Rashi sur ce verset est très claire : « quand Je me manifeste en tant que Dieu de la promesse, c’est אֵל שַׁדַּי, quand Je me manifeste en tant que Dieu de la réalisation...etc. Et il y a différente médiations.

 

Le Midrash que cite Rashi fait dire à Dieu répondant à Moïse : « Va leur dire que Je serais avec eux dans les exils futurs comme Je suis avec eux dans le présent exil »

 

Moïse intervient pour dire : « Comment au moment de la délivrance leur annoncer une délivrance qui n’est pas encore finie ? » Cela ressemble aux événements que nous avons vécus à travers 4000 ans. Et puis chaque fois il s’agit de savoir que ce n’est qu’une étape ! 

Dieu lui donne raison : «  Va leur dire אֶהְיֶה: Je Serais. »

 

Plus précisément, il y a dix Noms dans lesquels Dieu se manifeste dans le récit biblique : le 1er des 10 dans les niveaux de Providence est אֶהְיֶה. Et de אֶהְיֶה peut être des autres noms par la suite.

 

De ce Midrash il faut mettre en évidence que nous savons déjà qu’il y aura d’autres exils !

Pourquoi ?

Parce que ce qu’il fallait réussir dans l’événement de fin d’exil n’a fait que commencer à réussir. Il faudra que cela soit achevé dans d’autres étapes.

Déjà nous sommes avertis qu’il y a là un événement important irréversible, le passage de la mer rouge, mais où il est déjà indiqué que ce n’est que le commencement de toute une série d’étapes à réussir.

 

Vous allez prendre le texte du Midrash et le 1er verset de la Parashah :

וַיְהִי, בְּשַׁלַּח פַּרְעֹה אֶת-הָעָם וְלֹא-נָחָם אֱלֹהִים דֶּרֶךְ אֶרֶץ פְּלִשְׁתִּים כִּי קָרוֹב הוּא:  כִּי אָמַר אֱלֹהִים, פֶּן-יִנָּחֵם הָעָם בִּרְאֹתָם מִלְחָמָה--וְשָׁבוּ מִצְרָיְמָה

 

וַיְהִי, בְּשַׁלַּח פַּרְעֹה אֶת-הָעָם

Et il arriva lorsque Pharaon eu renvoyé le peuple

 

Première difficulté : jusque-là le texte biblique nous dit que c’est Dieu qui intervient pour faire qu’Israël soit délivré ! Et voilà que notre verset semble s’opposer à tout ce qu’on a appris jusqu’à présent, dans le style de l’atmosphère de l’événement, que c’est le Pharaon qui a renvoyé le peuple ?

 

Dès qu’on entend ce verset, וַיְהִי בְּשַׁלַּח פַּרְעֹה אֶת-הָעָם on s’aperçoit qu’il y a un contraste absolu dans le déroulement du récit jusque-là : intervention de Dieu à travers toute une série de miracles pour délivrer Israël de l’Egypte. On attend un tout autre verset : « et il arriva lorsque Dieu eut délivré Israël d’Egypte… », mais la forme est complètement autre ! « Et il arriva lorsque Pharaon eu renvoyé le peuple… »

 

Les Midrashim mettent en évidence le fait suivant : il y a eu différentes manières de vivre cette sortie d’Egypte par rapport aux différentes catégories d’Israël en ce temps-là. Il y a eu schématiquement 4 catégories qui sont 5, mais je vous donnerais quelques exemples. Il y a eu :

 

  • Ceux grâce à qui l’événement  a pu se faire : les avant-gardes, ceux qui se lance dans l’histoire et qui sont suivis... Ceux qui sont sortis d’eux-mêmes.

 

  • Ceux qu’on a obligé à sortir. Le verset met ici en dominante le fait que c’est la 2ème formulation qui est employée : en fin de compte, si le peuple est sorti, c’est parce que le Pharaon les a renvoyé !

 

On voit à quel point cela ressemble aux événements de fin d’exil chaque fois que nous avons à les vivre. Il y a toujours une toute petite partie du peuple qui déclenche les événements, mais l’immense majorité des autres les subissent et au fond cela dévoile qu’ils ne veulent pas sortir d’Egypte mais qu’il faut acculer le Pharaon pour les obliger à sortir.

 

Ce qui jette à postériori un éclairage sur l’ordonnance des événements et du récit des 10 plaies d’Egypte. Effectivement, nous avons vécu cela de notre temps : le temps de la fin d’exil est arrivé,  une poignée de pères fondateurs, les נַחְשׁוֹנִים – qui eux ont vécu l’événement en avant-garde - mais pour l’immense majorité du peuple juif, il est bien évident que l’état d’Israël a été un refuge pour ceux que l’on a obligé à revenir.

 

C’est le même événement qui se réalise. Aujourd’hui encore, cela n’est pas achevé. Il y a l’immense majorité de ceux qui arrivent parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement.

 

וַיְהִי, בְּשַׁלַּח פַּרְעֹה אֶת-הָעָם

Et il arriva lorsque Pharaon eu renvoyé le peuple…

 

Et là nous avons deux séries de Midrashim qui vont mettre en évidence cet aspect négatif.

 

C’est une ambivalence extrêmement profonde : tout le monde parle des événements contemporains depuis une centaine d’années comme si c’était les Juifs qui avaient voulu créer un état d’Israël. On ne se rend pas compte que c’est contraints et forcés que les Juifs l’ont fait. Il faut entrer dans les détails mais du point de vue de l’événement massif c’est bien évident.

 

J’ouvre une parenthèse à la mémoire d’un de nos maitres qui vient de disparaitre á Jérusalem, le Rav Lévi Na’hmani za’l, et qui avait l’habitude de donner l’enseignement suivant: il y a eu trois dimensions des événements que nous avons vécu et nous les avons vécu malgré nous.

 

  • L’Etat– la nation israélienne – le peuple.
  • La terre d’Israël.
  • La תּוֹרָה.

 

1- Le peuple Juif a fondé un état au bout de 2000 ans. Puisque cela s’est fait malgré nous, et quelque soit par ailleurs le mérite de cette avant-garde – il y avait 600 000 juifs dans le pays lors de la proclamation de l’État, pas plus pas moins. Imaginez démographiquement la relation entre le nombre de Juifs et le nombre d’Arabes qu’il y avait au moment de la proclamation de l’Etat. Tous les arguments concernant le décalage démographique sont réels au niveau statistique mais sont en porte-à-faux au niveau du récit de la Bible. C’est lorsqu’il y a eu 600 000 Juifs dans le pays que l’état d’Israël a été proclamé. Imaginez la relation avec le monde arabe !

En dominante, c’était malgré les Juifs en exil qui voulaient rester dans leur pays d’adoption. Je me souviens d’avoir vécu cette époque en France. Il y a avait énormément peu de Juifs en France pour qui c’était évident que leur histoire les menait dans l’état juif qui venait de se fonder. La majorité des Juifs français se considérait français voulaient rester en France et non pas aller en « Palestine » qui était pour la patrie des apatrides ! Et puis les événements sont arrivés qui ont obligé le peuple juif à devenir la nation israélienne. C’est schématique mais je crois que le Rav a raison de mettre cela en évidence. Est survenu le problème insoluble des réfugiés arabes.

 

2- La deuxième dimension c’est la terre d’Israël. La terre d’Israël nous a été imposée malgré nous. Depuis la guerre des 6 jours jusqu’à aujourd’hui, et encore aujourd’hui, c’est malgré nous que אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל est notre pays ! On fait tout ce qu’on peut pour s’en débarrasser ! Rendez vous compte que nous avons un gouvernement qui a une conception de sa mission dans l’histoire, qui consiste à réaliser l’objectif d’un sionisme de seconde manière. Le sionisme de première manière c’était de construire un état juif`en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל. Le sionisme 2nde manière est de faire un état arabe en Palestine... !  

Au moment de la victoire de la guerre des 6 jours, c’était très sérieux on attendait tout simplement de savoir à qui rendre ces territoires...  2nd problème insoluble : les habitants des territoires que nous ne voulons pas.

 

3- La 3ème dimension c’est la תּוֹרָה par rapport à Israël. Israël n’en veut pas, et cela nous sera imposé par la force. Comment ? Quand ? Personne ne le sait, et je ne crois pas que cela nous sera imposé par la Knesset, par une majorité juive orthodoxe au gouvernement ! Pas plus que le parlement international juif n’a décidé qu’il y aurait l’état d’Israël. Ce sont les sionistes qui l’ont décidé...

 

La conséquence est extrêmement grave : lorsque la תּוֹרָה deviendra la constitution légale de l’état d’Israël. C’est la raison pour laquelle les autorités rabbiniques à la fondation de l’Etat n’ont pas voulu que la תּוֹרָה soit la constitution de l’état d’Israël. Ce que les orthodoxes feignent d’oublier. Les grands rabbins d’Israël au moment de la fondation de l’état ont refusé que la Halakha soit la loi de l’état. Parce que si la Halakhah était la loi de l’état, tout juif qui habite en dehors du pays d’Israël est considéré comme un idolâtre... Vous voyez la gravité du problème. Les Juifs de diaspora ne comprennent pas eux-mêmes que c’est grâce à eux que la Halakha n’est pas loi d’état ! 

C’est écrit en toutes lettres dans la גְּמָרָא. Tant que la constitution est plus ou moins ottomane, britannique et israélienne, tout cela mélangé, alors tous les Juifs sont Juifs. Mais si la תּוֹרָה devient la loi de l’état d’Israël, il n’y a que les Juifs vivant en Israël qui sont considérés comme faisant partie d’Israël. Tous les cas particuliers s’étudiant d’après le שׁוּלחָן עָרוּך. Je referme la parenthèse.

 

וַיְהִי בְּשַׁלַּח פַּרְעֹה אֶת-הָעָם

Et il arriva lorsque Pharaon eu renvoyé le peuple

 

Pourquoi on nous annonce un événement catastrophique ? Parce que בְּשַׁלַּח פַּרְעֹה אֶת-הָעָם. En fin de compte c’est le Pharaon qui a renvoyé le peuple !

Vous voyez les deux lectures.

Premièrement une information simple : Et il arriva lorsque Pharaon eu renvoyé le peuple

Deuxième lecture du Midrash : Il arriva ce qui va arriver parce que c’est le Pharaon qui a renvoyé le peuple. Si le peuple était sorti cela se serait passé autrement !

 

Le Midrash va mettre en évidence une particularité dans la langue hébraïque dans le terme « וַיְהִי »  et va interpréter le mot « וַיְהִי  il arriva que » par l’expression « וַי » : Malheur !

Le Midrash demande : Qui a dit malheur à ce moment là ?  Et donne deux réponses :

Le Pharaon a dit : « Malheur! »

Et Moïse a dit : « Malheur ! »

 

Lorsque le Pharaon eut renvoyé le peuple qui a crié «Malheur ! » ?

Paro !

A quoi cela ressemble ?

A un roi dont le fils était allé dans un autre pays. Il est allé séjourner chez un riche. Et ce riche a reçu le fils du roi avec bienveillance. Lorsque le roi a entendu qui a reçu son fils en hospitalité (c’est-à-dire en otage, c’est le même mot à l’origine) et dans quel pays, il lui a envoyé des lettres demandant : « renvoies-moi mon fils ! ». Une fois, deux fois, trois fois, il lui envoya un message. Constamment et à chaque heure

 

C’est en référence aux récits précédents où Moïse retourne chez Paro et repart à chaque fois : renvoies mon peuple...etc...

 

Jusqu’à ce que le roi soit allé lui-même faire sortir son fils, alors cet homme s’est plaint de ce que le fils du roi soit sorti de sa maison. Ses voisins lui ont dit : pourquoi cries-tu, pourquoi te plains-tu ?

Il cria : J’avais un grand honneur lorsque ce fils de roi était chez moi...

 

Voyez cette chose incompréhensible que les nations ne veuillent pas laisser sortir leur Juifs au moment venu. Il leur faut des catastrophes pour qu’elles les libèrent !

 

Puisque le roi m’écrivait, Il s’occupait de moi, il avait besoin de moi, et j’étais quelque chose de précieux à ses yeux. Maintenant que le roi a retiré son fils de chez moi, il n’a plus besoin de moi, c’est pourquoi je me plains... »   

 

C’est un Midrash extrêmement profond ! Cela veut dire qu’il y a un attachement de Pharaon au peuple qui est l’origine de ces malheurs qui nous sont enseignés. Ce peuple est tellement imprégné du lien de l’Egypte, ce lien que le Pharaon a réalisé en Egypte sur le peuple, que la sortie d’Egypte est inachevée. Il faut encore achever cette sortie d’Egypte !

 

Rav Ben-Tsion Ouziel za’l, grand rabbin séfarade au temps du Rav Kook: il disait nous avons besoin de deux messies : « l’un qui fait sortir Israël de l’exil et l’autre qui fait sortir l’exil d’Israël... ».

 

Voilà ce qu’a dit Pharaon dans cette parabole : lorsqu’Israël était chez moi, le bon Dieu avait besoin de moi. Et j’étais précieux à ses yeux, il m’envoyait des épîtres à chaque moment et Il me disait (שְׁמוֹת chapitre 9 verset 1) : « ainsi dit Dieu, le Dieu des Hébreux : Renvoie mon peuple ! » Et le Pharaon entendait de la bouche de Moïse : « renvoie mon fils ! ». Et lui ne cherchait pas à les envoyer.

Lorsque Dieu est descendu en Egypte et fît sortir Israël (שְׁמוֹת chapitre 3, verset 8)

« Et je suis descendu  pour le délivrer de la main de l’Egypte », alors le Pharaon s’est mis à crier : « וַי … Malheur à moi d’avoir renvoyé Israël ! » C’est pourquoi il est écrit וַיְהִי: et il arriva (sous-entendu un malheur) quand le Pharaon renvoya Israël... »

 

On est prévenu à l’avance qu’on n’est qu’au point de départ du différé de la réussite de l’événement jusqu’à ce que soient évacuées les causes qui ont fait que ce n’est pas le peuple qui est parti mais que c’est Pharaon qui les a expulsé.

 

De notre temps, toutes les difficultés que nous avons dans la société israélienne depuis la fondation de l’Etat, viennent d’un fait très analogue. Il faut réfléchir aux motivations de la עָלִיָה qui ont fait que les Juifs ont quitté la civilisation européenne pour revenir en Israël. C’est une situation très analogue. On peut schématiquement mettre en évidence 4 types de motivations de la  עָלִיָה.

Cela ne nous était pas perceptible, cela nous était caché à cause de deux facteurs :

 

  • 1- Depuis la fondation de l’état nous étions tous les membres d’une société assiégée : d’où une solidarité inconditionnelle ! La fracture de la société en différentes tendances est visible lorsque l’on a le sentiment que la société n’est plus assiégée. Alors elle éclate. 

 

  • 2- Nous avons vécu toute une époque –depuis la création de l’état jusqu’il y a deux ans à peu prés – d’une espèce de jubilation extraordinaire de se retrouver au bout de 2000 ans, en hébreu, rescapés de 120 exils différents, de 120 cultures, de 120 paysages différents. C’était un événement tellement exceptionnel que cela nous cachait les différences de motivations de ce rassemblement des exilés.

  

Il semble bien qu’il y ait 4 motivations fondamentalement différentes. Je schématise beaucoup parce qu’á l’échelle individuelle tous les cas de figures sont possibles:

 

  • 1- Celle de ceux qu’on appelle aujourd’hui les חִלּוֹנִים qui sont devenus israéliens pour pouvoir ne plus vivre la condition de juifs qu’ils voulaient rejeter, la condition socio-politique de juif de l’exil. Ils ont voulu rejeté en même temps l’identité juive qu’ils rendaient responsable de cette situation socio-politique. C’étaient de purs sionistes.

 

  • 2- Les Juif venus en Israël pour pouvoir vraiment être juifs. Vous voyez à quel point c’est différent ! Ils avaient une alliance entre eux. L’alliance a volé en éclat lorsque les conditions qui l’avaient  permise ont disparu.

 

  • 3- Une 3éme fraction constituée de ceux qui sont venus parce que c’est la terre sainte. Ils sont complètement en dehors de l’objectif sioniste qui leur permet cependant de vivre en juif sur la terre sainte. Mais ils n’ont rien à voir avec le projet sioniste.

 

  • 4- Une 4ème partie qui semble-t-il constituée de ceux qui ont pris le pouvoir : des Juifs qui même en hébreu sont restés cosmopolites quelque soit d’ailleurs leur idéologie avouée. Il semble bien que ce soit les intérêts d’une identité juive cosmopolite à l’israélienne qui prennent le dessus dans les nouveaux objectifs politiques de la société israélienne contemporaine. C’est tout cela qui est en gésine, en bouleversement.

 

C’est extraordinaire de voir à quel point c’est analogue à ce qui s’est passé lors de la sortie d’Egypte. En lisant le Midrash attentivement on retrouve ces 4 catégories d’ailleurs. 

 

On pourrait formuler ainsi la leçon tirée de ce 1er Midrash : La sortie d’Egypte s’est accompagnée d’une imprégnation de l’influence du Pharaon et de sa civilisation sur Israël. C’est de cette imprégnation qu’il faut se désintoxiquer jusqu’à la fin des temps.

 

Haggadah de Pessah :

 

Après מָה נִשְׁתָנָה lorsque le Maguid répond à la question des enfants, il dit :

 

Nous étions esclaves du Pharaon en Egypte et si Dieu n’était pas intervenu pour nous sauver de l’esclavage d’Egypte nous serions encore nous et nos descendants, asservis au Pharaon » 

 

Le sens qui apparait là c’est que nous sommes sortis d’Egypte mais en Egypte nous étions asservis au Pharaon, mais simplement nous sommes sortis d’Egypte : nous sommes encore  asservis au Pharaon…

Alors il faut donc évacuer cet asservissement au Pharaon et tout ce que cela représente du point de vue de l’identité culturelle d’Israël de ce temps, et qui nous accompagne jusqu’après.

Midrash suivant :

 

Midrash :

Autre enseignement : «וַיְהִי בְּשַׁלַּח פַּרְעֹה אֶת-הָעָם »

Qui a dit וַי ? Qui a dit « Malheur ! » ? C’est Moshe  qui a dit Malheur !

 

C’est très paradoxal en apparence. Qui se plaint ? Pharaon et Moïse !

Le Pharaon aurait du se réjouir de se débarrasser des plaies d’Egypte ! En fin de compte il l’avoue il renvoie le peuple à cause de la menace de disparition sur l’Egypte. On a vécu cela sous différentes formes dans les temps contemporains : mieux vaut se débarrasser des Juifs malgré ce qu’ils apportent dans leur pays de l’exil… C’est cette ambivalence de la relation du Pharaon à Israël.

 

« Parabole : Cela ressemble à quelqu’un qui a été rendu garçon d’honneur de la fille du roi. Or, il a vu dans son horoscope (מָזָל) qu’il la ferait sortir de la maison paternelle mais qu’il ne l’accompagnerait pas dans la maison du mari pour le mariage. Il a commencé à pleurer. On lui a dit : pourquoi pleures-tu ?  Il leur a dit : je pleure parce que j’ai peiné à la faire sortir de chez son père et je ne vais pas l’accompagner au mariage ! Ainsi à dit Moïse : je crie parce que j’ai peiné à faire sortir Israël d’Egypte et je ne rentre pas avec eux au pays... »

 

Cela ressemble tellement à ce que nous avons vécu avec Herzl se fatigant pour nous faire sortir d’Europe mais il n’est pas venu avec nous. On a emmené son cercueil seulement.

 

Il faut donc comprendre ce qui se passe entre Moïse et le peuple pour pouvoir comprendre les raisons qui dès le début - il en est averti et il le sait - l’empêchent d’entrer en Israël. Cela signifie qu’il y aura donc à la fin des temps un événement où il reviendra pour  rejoindre Israël, à la fin des temps dira le Midrash. C’est effectivement une des questions extrêmement importante : pourquoi Moïse n’est-il pas entré en Israël ? Alors que Moïse a réussi à faire sortir Israël d’Egypte, il n’a pas réussi à faire entrer Israël ? C’est Josué qui le fera.

 

Vous voyez que tous ces éléments en faisceau, se rattachent à ces trois mots du début de notre texte

Tout cela arrive parce que c’est Pharaon qui a renvoyé le peuple !

 

וַיְהִי בְּשַׁלַּח פַּרְעֹה אֶת-הָעָם

Et il arriva lorsque Pharaon eu renvoyé le peuple...

 

Et déjà on est averti qu’il y aura le passage des 40 ans au désert. Il va y avoir cette parenthèse du désert, qui va tellement peser sur l’avenir de notre histoire depuis ce temps-là.

 

Un enseignement du Shlah :

 

Il y a là une structure de la destinée du monde extrêmement importante à comprendre : nous allons de niveaux en niveaux d’être. La destinée du monde est d’évoluer. De la matière à l’esprit...etc.  Cette notion de « niveau d’être » je l’aime beaucoup la première fois que je l’ai entendu c’est de Mme E.Amadou Valensi. Elle éclaire beaucoup ce que le Rav Kook appelait les מַדרֵגוֹת: il y a des niveaux en tout. Beseder hamadrega.

 

Le Shlah enseigne qu’entre un Yesh et un autre Yesh, il y a toujours un temps de ע : entre un niveau d’être et un autre niveau d’être il y a un néant qu’il faut arriver à traverser. Cette structure  de l’Egypte – la traversée du désert - אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל est inévitable. Il y a une désintoxication du passé pour pouvoir vivre vraiment l’avenir. Sinon l’avenir est contaminé, intoxiqué...

 

Je vous raconte une petite anecdote qui m’est restée en mémoire : J’ai connu il y a 25 ans un ami israélien צַבָר  « natif » né israélien, né palestinien à l’époque, qui un jour était en colère : le jour où on a commencé à mettre des serrures sur les portes: lorsque les Juifs sont arrivés !

Il y a eu la première phase des fondateurs du pays et les autres sont arrivés, pas encore désintoxiqués. Comme ce que les fondateurs du sionisme avaient fait, très détachés de toute identité antérieure.

 

Cela leur a permis de faire ce qu’ils ont fait. Je ne fais pas un plaidoyer pour la négation du passé : 

Ils ont simplement compris qu’il leur fallait se réhébraïser. Pour cela, ils ont pris le parti de se déjudaïser. Si les choses s‘étaient bien passé, les Juifs vraiment Juifs arrivés après les auraient aidé à s’hébraïser en tant que juif. Mais les Juifs qui sont arrivés n’étaient pas hébraïsables... Vous continuez vous-même l’analyse. Bien entendu tous les cas d’exception sont possibles et existent. Mais grosso modo et schématiquement c’est pratiquement ce qui est arrivé.

 

Dès qu’on entend que Moïse ne viendra pas avec eux, cela veut dire que c’est un peuple privé de Moïse qui rentre en Israël. Je vous donne simplement une image : Moïse les a mené au plus haut avec le Sinaï, et puis il y a une descente à pic en bas, et d’en-bas il faut remonter lentement de niveau en niveau jusqu’à remonter au niveau donné au Sinaï mais acquis par l’effort d’Israël lui-même.

 

Donc au fond c’est finalement très rassurant car cela décrit les difficultés en les accusant mais en même temps cela les formules dans une perspective qui nous fait comprendre quel est le lien entre le commencement et la fin.  

 

Alors dire à la fois que ce n’était qu’un commencement et que cependant ce commencement est irréversible comme commencement, ce n’est plus contradictoire !

 

Rappelez-vous d’où nous sommes partis : du fait qu’il faille commémorer Pessah. Et c’est une règle très générale : Tout ce qu’il faut commémorer, c’est le signe que ce n’est pas encore réussi. 

Et c’est pourquoi à la fin des temps on ne pratiquera plus que Pourim et Kippour....

 

Nous allons lire les premiers versets de la Parashah pour bien comprendre comment est annoncée la nécessité des 40 ans dans le désert.

 

Quelle est l’importance du problème ?

 

Ici nous avons un des textes de base qui répond à la question très importante pour la société juive contemporaine : quel était le תַכְלִית, l’objectif, la finalité de la sortie d’Egypte ?

Il y a dans le monde juif contemporain la même question que je vais d’abord formuler au niveau de la sortie d’Egypte elle-même ?

 

-Est-ce que la finalité de la sortie d’Egypte c’était d’aller au Sinaï recevoir la תּוֹרָה, et ensuite d’aller oui ou non en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל?

 

-Ou bien est-ce que la sortie d’Egypte avait pour finalité d’aller en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל et d’y recevoir la תּוֹרָה ?

 

On est tellement habitué à la 1ère formule parce que c’est ainsi que cela s’est passé que cela nous empêche de lire le récit dans l’ordre pour apercevoir que ce que la תּוֹרָה enseigne c’est l’autre scénario.

 

Effectivement, nous analyserons comme est formulée la raison pour laquelle en fin de compte Israël passera par le Sinaï : aucune allusion à la révélation de la תּוֹרָה !

 

J’ai bien conscience que ce que je vous dis là est dépaysant. Parce qu’on a tellement l’habitude de la succession des événements dans cet ordre : Sortie d’Egypte –  תּוֹרָה au Sinaï et אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל – que l’on s’est habitué à fonder la conception diasporique du judaïsme.

 

C’est dire que si l’on sort d’un exil, d’un ghetto, c’est pour aller dans un autre ghetto… jusqu’à la fin des temps où le Messie viendra pour nous ramener en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל!  

Mais entre temps il faut aller à la Yéshivah, aller au Sinaï, apprendre la תּוֹרָה...

 

Alors que l’ordre de l’enseignement de la תּוֹרָה est tout à fait différent :

La sortie d’Egypte en vue d’aller en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל recevoir la תּוֹרָה, d’après le verset :

(Isaïe 2 :3) כּי מציוֹן תּצא תוֹרה 

 

Ce qui st arrivé c’est qu’il y a eu des causes secondes qui ont jouées qui ont empêché Israël d’entrer en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל. Alors si déjà on passe au Sinaï pour faire un stage avec Moïse autant y recevoir la תּוֹרָה, mais c’est à posteriori et secondairement...

 

Relisez dans ces versets vous verrez qu’on n’y trouve aucune allusion au Sinaï comme motivation de ce passage au désert.

…/…

… de la sortie d’Egypte, se heurte à un obstacle inattendu qui oblige Israël à passer 40 ans dans le désert et cela commence par le passage de la mer rouge, par le Sinaï et tous les autres événements  de ces 40 ans dans le désert.

 

בְּשַׁלַּח  13 :17

וַיְהִי בְּשַׁלַּח פַּרְעֹה אֶת-הָעָם

Et il arriva lorsque Pharaon eu renvoyé le peuple...

 

Il faudrait traduire : « Lorsque ce fut Pharaon qui renvoya le peuple... ».
 

וְלֹא-נָחָם אֱלֹהִים דֶּרֶךְ אֶרֶץ פְּלִשְׁתִּים

et Elohim ne les a pas conduit par le chemin de la terre des Philistins...

 

Ce mot de נָחָם  ressemble beaucoup au mot qui va suivre פֶּן-יִנָּחֵם הָעָם

 

Mais Rashi précise qu’il faut le lire ne les a pas conduits.

וַיְּהִי בְשַׁלַּח פַּרְעֹה וְגוֹ' וְלֹא נָחָם

וְלֹא נִהֲגָם כְּמוֹ לֵךְ נְחֵה אֶת הָעָם. בְּהִתְהַלֶּכְךָ תַּנְחֶה אוֹתְךָ

Ce fut, lorsque Pharaon eut renvoyé … Il ne les conduisit pas Il ne les mena pas, comme dans : « Et maintenant va, conduis le peuple » (infra 32, 34), ou dans : « Quand tu marcheras, elle te conduira » (Michlei 6, 22).

 

Mais malgré tout, il y a une assonance. וְלֹא-נָחָם אֱלֹהִים – et Dieu n’a pas eu compassion de ... mais cela veut dire littéralement : il ne les a pas dirigé, דֶּרֶךְ , par le chemin, אֶרֶץ פְּלִשְׁתִּים, du pays des Philistins ... qui est le chemin de la côte.

 

כִּי קָרוֹב הוּא

Car il est proche.

 

Car il est proche de l’Egypte, et s’il y a un obstacle, on risque facilement de retourner en Egypte.

Le Pshat הוּא va sur le דֶּרֶךְ.

L’expression כִּי קָרוֹב הוּא est relié au דֶּרֶךְ  mais comme דֶּרֶךְ  est ici employé au féminin et qu’ici le הוּא est un masculin (bien qu’on puisse parfois employer דֶּרֶךְ  au masculin) il y a une autre lecture que je vous donnerais tout à l’heure.

 

כִּי אָמַר אֱלֹהִים, פֶּן-יִנָּחֵם הָעָם בִּרְאֹתָם מִלְחָמָה--וְשָׁבוּ מִצְרָיְמָה

Car Dieu s’était dit de peur que le peuple ne regrette en voyant (l’éventualité de) la guerre

et ne retourne en direction de l’Egypte.

 

C.à.d. ne fasse sa יְרִידָה. Vous voyez à quel point c’est parallèle.

 

Je vous raconte une petite anecdote que j’aime bien raconter car elle est très significative : Lors d’une conférence une mère de famille m’a demandé de dissuader son fils de faire son עָלִיָה :

« S’il vous plait Monsieur le rabbin empêchez mon fils de faire son עָלִיָה, c’est qu’en Israël, il y a la guerre ! ». Vous voyez à quel pont c’est le verset ! C’est une mère de famille et je comprends très bien. Je lui ai répondu : « Alors pour votre fils il n’y aurait pas la guerre mais pour mon fils, il y a la guerre ? » Elle a eu honte et elle s’est tue. Son fils a fait son עָלִיָה, et Dieu merci tout va bien, il est maintenant officier de l’armée israélienne. Pour vous dire la réaction invraisemblable ! C’est tout à fait le verset !

Ils sortent d’Egypte et savent très bien qu’ils vont aller conquérir le pays de Canaan et que dit le verset ? Ils risquent de retourner s’ils voient la guerre... ! Faut-il leur donner le pays sur un plateau du Golan ?  

 

Je revois toutes ces interviews toute la semaine. Aujourd’hui encore à la télévision ce qui se passait à la Knesset et le vice-ministre qui répondait à toute une série d’interpellations : « Oui il faut savoir que il faut s’attendre à avoir des morts et des morts... » Quand ce sont des morts pour avoir la victoire… mais quand ce sont des morts pour partir du pays, là c’est une autre histoire !   

Vous voyez comment la Bible est impitoyable : elle nous raconte notre histoire et on ne peut pas tricher !

 

Une autre histoire :

L’Appel  juif unifié m’a demandé une fois de participer à un séminaire de leur cadre à Jérusalem. Et le problème qu’ils avaient à résoudre c’est que la propagande de l’Appel Juif Unifié d’Amérique ne plaisait pas du tout aux Français, elle consistait à dire grosso modo : « soit vous envoyer vos fils se faire tuer pour Israël soit vous  nous donner de l’argent ! ». Il voulait un slogan différent. L’atmosphère était très tendue parce qu’ils sentaient que quelque chose n’allait pas. Ils sentaient quand même que quelque chose n’allait pas. Et alors je leur ai trouvé le slogan suivant : « ou l’appel ou la pioche ! » Et bien ils n’étaient pas contents !

      

L’argument qui est donné : on ne va pas rentrer directement en Israël - onze jours de marche dira un autre verset pour arriver de l’Egypte à Jérusalem à « כִּי מִצִּיּוֹן תֵּצֵא תּוֹרָה » - parce qu’il y un jugement, un diagnostic, de la תּוֹרָה que ce peuple aura peur de la guerre. Mais ils ne savaient pas que c’est de ça qu’il s’agissait !

 

13 :18

וַיַּסֵּב אֱלֹהִים אֶת-הָעָם דֶּרֶךְ הַמִּדְבָּר יַם-סוּף; וַחֲמֻשִׁים עָלוּ בְנֵי-יִשְׂרָאֵל מֵאֶרֶץ מִצְרָיִם

Et Dieu fit contourner le peuple par le chemin du désert Yam Souf la mer des joncs

Et les enfant d’Israël sont montés en rang par 5 depuis la terre d’Egypte.

 

Et Rashi va nous expliquer que cela signifie « en rang de guerre » : c’est contradictoire avec le verset précédent ?

 

Remarquez une chose qu’il y a trois fois le terme de « עַם », une fois le mot « בְּנֵי יִשְׂרָאֵל », et plus loin dans le texte vous verrez : « יָצְאוּ בְנֵי-יִשְׂרָאֵל בְּיָד רָמָה» les בְּנֵי יִשְׂרָאֵל sortirent en guerre la main haute  

 

Il y a 5 appellations, trois «  עַם - le peuple », et deux « בְּנֵי יִשְׂרָאֵל - les enfants d’Israël ».

 

C’est une des catégorisations que le Midrash va nous donner.

Il y a différents niveaux de l’intensité de l’identité d’Israël, comme dans la נְשָׁמָה il y a différents niveaux de la נְשָׁמָה.

 

A l’échelle individuelle, chaque individu à différent niveaux d’être dans son âme :

נֶפֶשׁ - רוּחַ - נְשָׁמָה - חַיָּה - יְחִידָה.

 

Le niveau de נֶפֶשׁ est le niveau inférieur, la יְחִידָה le niveau supérieur. Il y a des niveaux de l’être, au niveau de l’âme. Le corps n’arrive à incarner que les niveaux inférieurs. A l’échelle d’une collectivité, il y a aussi ces 5 niveaux :

 

  • les trois niveaux inférieurs sont appelés « le peuple »

 

  • les deux niveaux supérieurs sont appelés « les enfants d’Israël ».

 

La logique de cette catégorisation nous montre ce qui se passe. Chaque fois que la תּוֹרָה emploie le mot « le peuple », il faut se référer au chapitre 12 de la Parashah de בֹּא: c’est l’ensemble des non-hébreux  qui sont sortis en même temps que les Hébreux d’Egypte, les בְּנֵי יִשְׂרָאֵל descendants des tribus,  et que Moïse a intégré au peuple. C’est le sujet du עֵרֶב רַב: les non-hébreux qui se sont adjoints à la société juive à la sortie d’Egypte et que je traiterais plus en détail à la Parashah כִּי תִשָּׂא dans quelques semaines.

 

Etant donnée l’influence de cette partie d’Israël très égyptianisée - trois fois le peuple - ce n’est qu’au niveau 4, et au niveau 5 qu’on les appelle les enfants d’Israël, les בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, alors ceux-là sont prêts...

 

Alors, c’est la raison pour laquelle il a fallu faire ce détour dans le désert.

 

Je ne veux pas vous scandaliser et vous dire que si la révélation du Sinaï a eu lieu c’est à cause des étrangers, parce que les enfants d’Israël n’en avaient pas besoin, mais scandalisez-vous ! Il y a un peu de cela ! Regardez à quel niveau nous sommes tombés !

 

Un bon mot de mon maître Jacob Gordin : a-t-on besoin de dire à un pompier que le feu brûle, l’eau éteint le feu ? Si on a besoin de donner le שׁוּלחָן עָרוּך du pompier à un pompier c’est que ce n’est pas un vrai pompier ! A-t’on besoin d’enseigner la תּוֹרָה à Israël ? Si on a besoin d’enseigner la תּוֹרָה à Israël, c’est que ce n’est pas Israël ! (Enfin pas encore).

 

Haggadah : le soir du Seder ont dit une chose étonnante :

 

« Et s’Il nous avait emmené au pied du Sinaï sans nous donner la תּוֹרָה, דַּיֵּנוּ ! Cela nous aurait suffit !»

 

Cela figure dans le commentaire du Rav Ovadia Yossef :

 

« Et s’Il nous avait donné la תּוֹרָה et ne nous avait pas fait entrer en Israël cela nous aurait suffit... »

 

Et il l’a dit sous forme de blague.

Mais ce n’est pas une blague !

Il y a énormément de Juifs qui pense « Et s’Il nous avait donné la תּוֹרָה sans אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל cela nous aurait suffit ! »

Vous voyez à quel point ces sources-là sont impitoyables ! En réalité c’est qu’on ne sait pas lire.

Voilà tous les cadeaux qu’on a obtenu et qu’on aurait du obtenir par nous-mêmes.

 

« Et s’Il nous avait emmené au pied du Sinaï sans nous donner la תּוֹרָה, דַּיֵּנוּ ! Cela aurait du nous suffire ».  

 

Cela aurait dû nous suffire !

 

Arrivés au Sinaï nous Israël avons la תּוֹרָה parce que nous sommes Israël et nous n’avons pas besoin du manuel du pompier. Il faut redécouvrir que les Juifs doivent redevenir hébreux...

 

***

La prochaine fois on prendra la Parashah יִתְרוֹ.

 

D’autre part je vous signale que nous avons l’habitude séfarade le jeudi de la Parashah de Yitro d’avoir une fête surtout chez les Sefardim qu’on appelle « Séoudat Yitro Moshe ».

La תּוֹרָה raconte que lorsque יִתְרוֹ est venu rejoindre Moshe ils se sont assis à un festin, et pour commémorer cet événement le Jeudi d’avant Parashah יִתְרוֹ on mange un repas de fête. C’était un couscous au poulet. D’autre part dans les communautés tunisiennes cette même fête de Yitro est devenue la fête des garçons suite au miracle de l’arrêt d’une épidémie qui touchait les garçons juifs en Tunisie ce jour-là. On a tout fêté ensemble…    

 

Il y a une tradition nord-africaine : il fallait mettre le couscous sur l’armoire pour le mettre à l’abri des chats. On craignait que les chats viennent le voler. Ce jour-là on donnait congé au תּלָמוּד- תּוֹרָה, on donnait des sceaux d’eau aux gosses qui couraient après les chats pour les arroser. 

Lorsque Moïse et Aaron ont offert le festin à יִתְרוֹ ils lui ont bien sûr servi un couscous poulet et c’est là qu’on l’a appelé יִתְרוֹ car on l’a tellement servi qu’il a dit « J’ai trop ! ». Et alors le chat est venu et a emporté le poulet... C’est devenu une tradition folklorique et on a perdu le sens de cette histoire, mais c’est dans le Midrash.  

Il y a beaucoup d’animaux cités dans la Bible sauf le chat. Il faut savoir que c’était une divinité de l’Egypte. Ils avaient des silos de blé et ils avaient besoin des chats pour les souris et les rats.  

C’est pourquoi le chat représente dans cette histoire folklorique le fait que l’Egypte voulait s’interposer entre יִתְרוֹ, Moïse et Aaron. Regardez à quel point derrière ces choses folklorique il y a des choses fondamentales.

 

En tout cas j’ai commencé à mieux comprendre cela en voyant à la télévision la tête de Sadate et c’est impressionnant à quel point son visage ressemblait à celui d’un chat... 

 

 

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