On dit généralement que la différence entre un homme d’Etat et un gouvernant, est que l’homme d’Etat est non seulement capable d’avoir une vision, mais il est aussi capable d’imposer cette vision à son peuple, alors que le gouvernant a plutôt tendance à savoir plaire, c’est-à-dire à réussir à utiliser notre système démocratique pour se faire élire et essayer de rester au pouvoir avec les idées majoritaires dans le pays.
Pour le dire plus simplement : un homme d’Etat va réussir à amener le peuple à ses idées, alors qu’un simple gouvernant va aller là où les idées du peuple vont l’emmener.
La fracture, l’antagonisme abyssal et irréconciliable entre les idées majoritaires des peuples des pays européens d’un côté et leurs dirigeants de l’autre nous montre qu’aujourd’hui en Europe, il n’y a plus ni homme d’Etat ni gouvernants.
Déjà au début de l’intégration européenne les difficultés pour faire admettre aux peuples, et notamment au peuple français, les avantages de l’Europe, les dirigeants ont dû rivaliser de créativité et d’ingéniosité. On se souvient des débats sur Maastricht ou François Mitterrand, que l’on peut qualifier sans prendre parti, d’homme d’Etat, a mis tout son poids pour faire pencher la balance du côté du « Oui ».
Si à l’époque les choses pouvaient apparaitre comme bon enfant il semble que désormais la situation se soit particulièrement tendue, et que le divorce entre la position majoritaire des peuples et leurs gouvernants soit irréconciliable, en Europe.
Le double antagonisme qui semble aujourd’hui confirmer cette tendance est d’un côté l’impossibilité des gouvernants de parvenir à convaincre leur peuple d’avancer vers une Europe plus intégrée, de l’autre le refus des gouvernants d’entendre leur propre peuple, et de tenir compte de leur avis, lorsqu’ils sont consultés. Une impression étrange nous dérange comme un système à bout de souffle qui s’enraille avant de cesser de fonctionner.
Les exemples sont nombreux : Parmi eux le « Non » au référendum en France en 2005 pour une constitution européenne (aussi appelé traité de Rome II) a laissé des traces. La raison principale était la perte de la souveraineté nationale française au nom de la construction européenne. En 2008 le traité de Lisbonne qui est le texte de 2005 à peine modifié est voté par le parlement, cette fois ci, sans l’avis du peuple. Une impression étrange que l’Europe devait se réaliser coute que coute, en s’affranchissant de l’avis des peuples, a commencé à s’installer en Europe.
Plus récemment l’exemple du Brexit vient confirmer cette tendance. Même si l’Angleterre a toujours été un peu à la marge dans la construction européenne, un pied en Europe et un pied en dehors, le vote Anglais en faveur du Brexit parait poser un problème majeur à une partie de l’inteligencia, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Angleterre, qui refuse cette idée. Et la situation s’emballe et devient caricaturale, presque grotesque tant on ressent la volonté des gouvernants de s’accrocher encore à l’espoir de voir les Anglais rester dans l’union européenne d’une manière ou d’une autre. Et un vent de panique s’empare violemment d’une Europe à la dérive et prête à tout pour éviter ce désastre.
Dernièrement, en Italie, l’accord politique, bancal et contre nature, entre le parti démocrate et le mouvement 5 étoiles, pour évincer Monsieur Salvini du gouvernement, risque d’aggraver un peu plus encore la fracture et l’incompréhension entre le peuple et les gouvernants Italiens. Il risque également d’avoir des conséquences désastreuses au moment des prochains votes ou le peuple Italien pourrait faire payer aux dirigeants cette volonté toujours marquée en Europe de vouloir passer en force, contre l’avis des peuples.
Bien entendu il ne s’agit pas de faire l’éloge de ces dirigeants, qui ont souvent pu accéder au pouvoir, notamment, ceux cités ici, grâce à des arguments démagogiques, souvent contestables et parfois faux.
Mais il s’agit de faire le constat que nos gouvernants ne sont ni capables d’influencer leur peuple sur une vision renouvelée et plus intégrée de l’Europe, mais ne sont pas plus capables d’accepter d’aller là où les idées sont majoritaires. Et la fracture se dévoile chaque jour un peu plus.
Incontestablement deux forces opposées sont à l’œuvre en Europe et plus généralement dans le monde. Ces deux forces ont toujours exercées leur intensité mais selon le moment de l’histoire une l’emporte sur l’autre.
La première veut continuer cette idée qui a été défendu par l’humanité depuis de très nombreuses années, qui est la recherche de l’universel. Mais si l’idée est authentique au départ, elle est fidèle au projet de la vision universelle du monde, la mise en pratique ne finit-elle pas systématiquement par aboutir à l’impérialisme, et par échouer, comme l’histoire l’a montré si souvent par le passé ? N’est-ce pas ce qui est en train d’arriver avec l’idée européenne qui semble désormais souhaiter s’imposer plus que de recueillir l’adhésion, et dont le projet se fracasse sur la difficulté de la réalité ?
La seconde marque une volonté claire d’un retour aux Etats nations. Elle exprime le souhait diffus des pays de retrouver leur identité, leur manière d’être, à l’échelle de la nation, et que l’intégration européenne aurait plutôt tendance à dissoudre dans une vague identité européenne qui a encore beaucoup de mal à se définir. Et qui d’ailleurs se définit plus par l’idée de civilisation plus que par celle d’identité.
S’il existe encore un peu partout dans le monde des poches de résistance à la liberté, aux droits et devoirs de l’homme pour son émancipation, cette seconde force se réveille avec vitalité dans le monde qui appelle au réveil des identités nationales, et qui se concrétisent progressivement le plus souvent grâce à un réel processus démocratique.
Alors que l’Europe, qui apparait plus que jamais comme une vieille dame essoufflée, résiste à cette tendance générale, avec des procédés parfois contestables et qui poussent les peuples à la révolte, le monde en marche semble, lui, reconnaître ce nouvel ordre des choses.
La première force entraine les partisans de l’intégration européenne, la seconde mobilise actuellement la majorité des peuples en Europe et dans le monde pour le retour à une identité nationale.
Le Rav Kook, Rabbin, penseur, philosophe du début du 20ème siècle avait donné un renouveau de sens à ce que la tradition hébraïque appelle la Téchouva, c’est-à-dire le repentir ou encore le retour, après la faute pour la recouvrir. Avant lui, la Téchouva consistait à faire repentir (ou retour) sur un élément particulier. Il a dévoilé l’idée d’un retour global de la personne ou d’une identité. Son livre, « Les lumières du retour » parle également de l’idée totalement novatrice, que les mondes sont en processus de Téchouva, qu’il y a un retour du monde à sa source.
Ce retour des nations à leur identité, contre lequel les dirigeants européens semblent vouloir lutter, au point de finir par renoncer à une partie du processus démocratique n’est-il pas le plus grand témoignage de ce repentir auquel nous sommes tous appelé, et qui se dévoile ici grâce aux peuples ?
Ne vit-on pas aujourd’hui la Techouva des nations dans le sens ou le Rav Kook l’entendait ?
Par ou passent désormais notre histoire contemporaine ? Par une nouvelle tentative de construction de l’universel humain, dont l’histoire a montré les échecs, ou par un retour aux identités nationales dans le respect des différences ? C’est la question que pose aujourd’hui cette fracture entre les dirigeants européens, dont aucun n’a réussi à émerger pour donner un parfum de renouveau et d’espoir à l’Europe, et les peuples européens qui spontanément semblent s’inscrire dans l’histoire du monde.
C’est, il semble, la question qui est posée aujourd’hui à l’humanité.