Le risque de l’émergence
d’un régime totalitaire ?
La charité c’est quand on donne à tous, quel que soit celui à qui on donne. Si on commence à se demander à qui on donne, alors on quitte la charité et on bascule dans la justice.
Inversement si on souhaite être juste alors on condamne toutes les fautes même les plus anodines. Si on commence à faire preuve de clémence, on quitte la justice et on bascule dans la charité.
Les deux valeurs sont exclusives l’une de l’autre. Ainsi quand on est juste on n’est pas charitable et quand on n’est charitable, on n’est pas juste
Abraham est le juste de la charité pure et que cela. Il entre dans le récit comme existant déjà. Il n’a pas à se justifier pour être. Il rencontre le créateur comme étant celui qui donne sans se préoccuper si celui qui reçoit mérite, et c’est ainsi qu’il est confronté à Dieu. Dieu Lui donne sans chercher à savoir s’il mérite ce don. Abraham entre dans le récit sans avoir à se justifier. Il n’a pas à mériter pour être.
C’est vrai, la dernière épreuve à laquelle il est confronté, qui est celle de la ligature d’Isaac (c’est une épreuve pour Abraham et non pour Isaac), est une épreuve de justice. Mais c’est le premier niveau de la justice pour s’assurer que nous nous dirigeons bien vers l’objectif de la réalisation de l’unité des valeurs entre charité et justice. Il faut donc s’assurer que le juste de la modalité de charité pure, et que cela, est, malgré tout, capable de faire preuve de justice. Si ce n’est pas le cas alors la modalité de charité est indépendante de la modalité de justice, décorrélée de la modalité de justice, fonctionne en autonomie et il n’y a alors qu’aucune chance d’aboutir à l’objectif qui est recherché dans les engendrements, c’est-à-dire réussir à engendrer l’homme de la modalité de miséricorde, c’est-à-dire celui qui est capable d’être frère, à mi-chemin entre la charité et la justice, au point d’équilibre entre la charité et la justice
Il faut donc s’assurer que ce juste de la modalité de charité soit également capable de justice et c’est aussi le principe de l’épreuve de la ligature d’Isaac : Je t’ai donné un fils par grâce. A présent que tu l’as reçu, rends le moi !
Donc Abraham est le juste de la charité pure.
De même Isaac est le juste de la vertu complémentaire, celle de la justice stricte. Comment parvenir à mériter l’être qu’on a reçu par grâce : en le donnant et c’est quand on est prêt à le donner qu’il s’acquiert. Isaac était disposé pour le sacrifice, il a donc acquis son être en vertu du principe de la justice stricte. Pour Isaac ce n’est pas une épreuve, il est prêt, il est interpellé au niveau de son identité qui est celle du juste de la modalité de justice stricte.
Cette ligature d’Isaac est pour Abraham une épreuve au niveau de sa vertu alors que pour Isaac c’est une confirmation de son identité
Jacob est au milieu, entre Abraham et Isaac, entre la charité et la justice, c’est le juste de l’unité des valeurs. Mais on apprend que sa tête est légèrement penchée du côté d’Abraham comme pour nous indiquer que dans les cas de conflits entre la modalité de charité pure et la modalité du justice stricte, il faut toujours arbitrer en faveur de la charité.
Abraham est à droite car la modalité de charité pure se trouve du côté droit. Isaac se trouve du côté gauche car la modalité de justice stricte se trouve du côté gauche. Jacob se trouve donc au milieu et sa tête penche donc légèrement du côté droit.
Il est donc possible de déduire de ces enseignements qui viennent de notre tradition que dans le domaine du social, lorsque la charité s’exerce nous nous trouvons du côté gauche (inversion des valeurs) de l’échiquier politique, et lorsque que c’est principalement la justice qui est recherchée, alors nous sommes plutôt du côté droit à l’assemblée.
On peut aussi remarquer, comme une confirmation de cette interprétation que l’idéal de la gauche en générale un idéal de justice sociale. On se fixe toujours comme idéal la vertu qui nous manque. La gauche est au cœur de la charité, elle veut tendre vers la justice, parce que c’est la vertu qu’elle n’a pas encore totalement acquise.
Ainsi un excès de charité et que cela, déconnectée du projet de l’unité des valeurs, peut probablement se retrouver dans l’attitude et l’idéologie de la France insoumise qui adopte une charité excessive et démesurée à l’égard d’une catégorie de population spécifique à l’intérieur de la société au détriment de tous les autres.
La charité lorsqu’elle n’est pas inséré au sein du projet de l’unité des valeurs mais fonctionne de manière autonome finit par se détourner de son objectif, se travestir, et se dénaturer, comme cela peut se voir de manière singulière dans le projet proposé par la France insoumise qui finit par faire le contraire de ce vers quoi elle veut tendre.
A l’inverse un excès de justice aboutit à une idéologie qui pourrait ressembler à celle qui est proposée par le Rassemblement National, avec un projet qui ne s’appliquerait que pour les français et cette idée de préférence nationale qui serait mise en avant. Là encore le principe de justice rendu autonome et indépendant du projet de l’unité des valeurs finit par trahir l’idée qu’elle est censée vouloir mettre en œuvre.
La charité et la justice, sa vertu complémentaire, pour qu’ils restent conforment à leur propre principe doivent s’intégrer dans une stratégie qui vise à trouver le point d’équilibre entre les deux, et c’est ce que devrait viser tout projet.
Evidemment lorsqu’on est plutôt à gauche sur l’échiquier politique dans la dimension sociale alors on penche du côté de la charité, mais tout l’enjeu de ce positionnement est de faire jouer en permanence une tension qui permette toujours à la justice d’exister, même de manière faible, en mineur, afin de ne pas dénaturer le principe que l’on est censé défendre.
A l’inverse, si on est à droite, toujours dans la dimension sociale, alors la tendance est à la justice, et pour préserver le principe de justice, il est, là aussi, indispensable de faire jouer une force qui permette à la charité de ne pas disparaître, même si son principe est largement minoritaire, afin que l’idée même de justice soit préservée.
Le principe des extrêmes est précisément de tendre vers l’une ou l’autre de ces valeurs en oubliant l’autre. La valeur est érigée en principe de telle manière qu’il n’y a qu’elle, à tel point que la valeur complémentaire disparaît, et de ce fait la valeur elle-même se transforme et finit par disparaître également.
Par exemple lorsque la charité ne s’inscrit pas une stratégie de l’unité des valeurs, en ayant en tête que la valeur complémentaire, celle de la justice, doit exister également, même modestement, et qu’une tension doit être maintenue en permanence pour la faire exister, alors la charité elle-même finit par disparaître. Le principe de la charité s’évanouit car sa vertu complémentaire par laquelle elle trouve son sens n’a pas été préservée un tant soit peu.
Et le raisonnement est identique pour le principe de la justice. Lorsque l’une des valeurs exclut l’autre au point de disparaître elle-même on offre une voie de passage à l’établissement d’un régime autoritaire ou de dictature.
Si la charité n’est pas préservée par le filtre de la justice, lorsqu’elle est décorrélée du principe de la justice, alors elle est dévastatrice. Je t’aime tant que je t’avalerai, que je ferai de toi mon repas sacré. C’est l’injonction tyrannique de celui qui n’est que dans la charité et recherche coûte que coûte la fusion, la nécessité impérieuse d’avaler l’autre, que l’autre finisse par être un autre lui-même. Et on voit bien toutes les dérives que cela peut entraîner.
De même si la justice n’est pas adoucie par le principe de charité, alors elle devient impitoyable et sans appel. Et de ce côté-là également on imagine les dérives possibles.
On comprend alors que lorsqu’on est du côté de l’extrême gauche, au sein de la France insoumise par exemple, le principe de justice a disparu du discours, ce qui transforme la valeur de charité, que les responsables de ce parti estiment défendre, en un principe qui n’est plus la charité. Et on voit bien que la porte s’ouvre à un régime particulièrement autoritaire et violent. Les propos des représentants de la France insoumises nous laissent imaginer dans quelle France il est possible de basculer.
Lorsqu’on est du côté de l’extrême droite qui présente la justice, que la justice, rien que la justice, sans la rattacher au principe de charité, le principe de justice est dévoyé et il risque d’amener à un régime fasciste et autoritaire dont les faits d’armes de certains parmi les candidats du Rassemblement National laissent imaginer l’ampleur.
A avoir voulu gouverner au centre, ET à droite ET à gauche, Emmanuel Macron à fait monter les extrêmes en France d’une manière spectaculaire et inquiétante, traduisant certainement une crise politique inédite dans laquelle la France est plongée, le défi des français par rapport à leurs gouvernants et de manière plus générale aux élites du pays, mais aussi la souffrance des français au quotidien.
Cette crise peut être un bon moyen de nous rappeler ces enseignements de la recherche du compromis, du consensus, du point d’équilibre vers l’unité des valeurs. On peut gouverner à gauche, avec la charité, mais il faut garder une tension pour laisser exister la valeur de justice. On peut gouverner à droite, avec la justice, mais il faut laisser jouer une force pour continuer de faire exister la valeur de charité. Mais si on souhaite gouverner avec la charité seule, ou avec la justice seule alors on risque de faire émerger en France un régime totalitaire dont la violence sera à l’image de la violence qui est en train de s’emparer du pays.
Olivier Cohen