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Bo : la maîtrise du temps et de l’espace

“ Israël, libérateur du temps     Shémot, XII, 1 et 2 : « Et Hashem parla à Moshé et à Aharon, au pays d’Égypte, en ces termes : “Ce mois-ci sera pour vous le commencement des mois ; il sera pour vous le premier des mois de l’année” ». Ce commandement du premier des mois de l’année est la première loi constitutionnelle de la Torah considérée comme ensemble des mitsvot de la loi de Moshé, en tant que législation ordonnée à la collectivité du peuple d’Israël. Depuis la sortie d’Égypte, à la naissance du collectif social du peuple des enfants d’Israël, la Torah donne des lois révélées à la génération d’Israël dirigée par Moshé jusqu’à l’entrée au pays de Cana’an. La Torah s’était présentée d’emblée comme un récit historique qui débute par la création du monde jusqu’à l’évènement de la sortie d’Égypte, avec, pour charnière, cette prescription du rosh ‘hodesh, la tête du mois qui se rapporte au respect extrêmement particulier de la néoménie, le renouveau de la lune. À partir du récit de la traversée au désert, la Torah pourrait être considérée comme uniquement un code d’ordre purement législatif, les lois révélées proprement dites étant alors insérées au fur et à mesure, où sont rassemblés les innombrables éléments qui fondent la vie quotidienne du collectif d’Israël,.     Nous aurions pu croire que la Torah est scindée en deux ensembles radicalement différents ; d’une part, un récit historique et, d’autre part, un code de lois morales et spirituelles à accomplir dans le temps et l’espace. Si la Torah n’avait prôné qu’une orthopraxie de l’accomplissement des règles de fidélité pour acquérir le mérite des actes, nul besoin alors d’une si longue introduction historique depuis la création du monde jusqu’à notre verset. Mais avec cette prescription du renouvellement de la lune, la Torah indique qu’avec le mérite des actes, Israël doit acquérir le mérite d’être sur la base du mérite des actes.     De nouveau, la Torah nous intime ici sa conception d’unité du monde : le récit événementiel de l’histoire est intimement lié aux lois de Moshé, notre maître. L’édification de l’étage supérieur du peuple d’Israël en tant que collectif social s’est bâtie sur l’édification spirituelle d’individus exceptionnels que furent nos patriarches. La réussite du collectif Israël, si complexe à faire aboutir, est fondée auparavant sur la réussite de l’individu. Cependant, obtenir de notre Seigneur le mérite d’accomplir des actes dépend étroitement d’un mérite d’être en potentiel, imprégné auparavant dans l’âme du peuple. Rav Yéhouda Léon Askénazi affirme que le « mérite d’actes » est d’abord révélateur du « mérite d’être ». La prescription d’une application pratique de la Torah ne peut être émise que pour ceux qui ont la capacité, en leur âme profonde, par leur nature spécifique, d’en assumer la pleine application : « Tout ce qui était occulté, évanescent comme une essence, – devient dès lors réalité bourgeonnante, apparition, naissance à l’existence. Ce qui n’était qu’en puissance בכוח, bekoa’h, émerge à l’histoire des réalités בפועל, bepo’al ».     Depuis le commencement de la Création et à l’époque des patriarches, notre Seigneur fixait les mois et déterminait les années embolismiques selon le début du temps de l’année universelle à Tishri, avec pour référence la création du monde. À partir du moment où Israël accède à son être collectif, le Créateur se décharge de ce pouvoir pour le transmettre aux Enfants d’Israël, avec pour point d’appui la sortie d’Égypte et Pessa’h. Au 1er Nissan, le temps devient celui du commencement de l’année de commémoration des évènements constitutifs de l’histoire de la collectivité hébreue : « Jusqu’à aujourd’hui, c’est Moi qui calculais les dates des néoménies et des fêtes, désormais ce sera vous » (Midrash Tan’houma). Cela est absolument inattendu, une véritable révolution qui bouleverse la scène de l’histoire.     Le fait même que Dieu se défasse, de façon si urgente, de la prérogative de maîtriser le temps pour la confier à un peuple rudimentaire et fruste, non encore préparé à cette perfection de déterminer sa destinée historique, est un enjeu très grave. Car jusqu’au temps de Moshé, l’humanité n’a pas fourni la preuve qu’elle était capable de fidélité et de perfection par rapport aux valeurs morales telles que Dieu les a projetées. Les sept mitsvot noa’hides, le respect de la volonté divine avec pour corollaire le respect de la vie et du monde, le nerf sciatique, la circoncision n’ont finalement été respectés que par une poignée d’individus. L’histoire du monde en général est celle de l’idolâtrie, de la faute, de ceux qui ont oublié de se souvenir qu’ils avaient un Créateur. C’est alors qu’apparaît une société, les Hébreux fraîchement sortis d’Égypte en toute hâte, et Dieu lui confie la responsabilité de la prérogative d’avoir à définir le déroulement du temps. Dieu accorde au collectif d’Israël un degré de sainteté particulièrement élevé, et c’est le peuple qui, armé de cette qualité intrinsèque qui fait sa spécificité, assure la capacité de sanctifier le temps, prérogative exceptionnelle dans l’histoire et la culture des civilisations.     Le Talmud Bérakhot, 49a, l’indique clairement : c’est Israël qui sanctifie le temps. Notre Seigneur sanctifie Shabat et Israël qui, lui, sanctifie les temps, selon la bénédiction du qidoush qui introduit cérémonieusement nos Shabatot et nos fêtes. Israël devient le seul peuple à dominer le temps, de lui imposer une dimension spirituelle qui est celle de la sainteté et d’opérer la différenciation du profane et du saint. La trame du temps hébreu est tissée entre des points mis à part : le Shabat, les jours de fêtes et les jours de commémoration que le peuple juif impose dans son calendrier spécifique, tel que le Jour de l’Indépendance qui marque le retour d’Israël, collectif et individuel, sur sa terre de prédilection. Il n’est pas de plus authentiques retrouvailles que celles du temps hébreu qui figure sur notre carte d’identité israélienne et de découvrir enfin le vrai jour de sa naissance selon le calendrier instauré par nos Sages depuis le Sanhédrin.    

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