Dans le prolongement des expositions « Hajj, le pèlerinage à La Mecque » en 2014 et « Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire » en 2017, l’Institut du monde arabe poursuit aujourd’hui sa trilogie consacrée aux religions monothéistes dans le monde arabe avec une exposition dédiée à l’histoire des communautés juives d’Orient.
L’exposition permet d’accéder aux grands moments de la vie intellectuelle et culturelle juive en Orient. Un accent particulier est mis sur les échanges qui ont irrigué les sociétés du monde arabo-musulman durant des siècles, depuis les premiers liens tissés entre les tribus juives d’Arabie et le Prophète Mohammed lors de son installation à Médine.
Le but de l’exposition est de montrer 1500 à 2000 ans de présence juive en terre d’arabes, et en terre d’islam, et de présenter le récit de cette coexistence, tour à tour féconde ou tumultueuse, pour apporter un éclairage sur le rôle de chacun dans l’enrichissement de la culture et de la religion de l’autre.
Le caractère inédit de cette exposition à l’Institut du monde arabes même, est une grande première, cette tentative d’apaisement à travers les origines, les racines, une perspective historique, est louable, l’approche chronologique et thématique qui décline les grands temps de la vie intellectuelle et culturelle juive en Orient, et révèle les échanges prolifiques qui ont façonné les sociétés du monde arabo-musulman durant des siècles, est évidemment passionnante.
Mais une première contestation vient émailler ce tableau probablement un peu trop idyllique.
Suite à une lettre ouverte adressée par un certain nombre d’intellectuels et d’artistes du monde arabe à l’Institut du monde arabe, avec pour titre : « la culture est le sel de la terre, et nous ne permettons pas qu’elle soit utilisée pour normaliser l’oppression ».
Les signataires s’alarment, entre autre, de « signes de normalisation » avec Israël au sein de l’Institut du monde arabe. En cause, notamment, le fait que des pièces de l’exposition organisée dans ses murs, proviennent du Musée d’Israël.
La réponse du professeur de science politique Denis Charbit, membre actif de l’organisation de l’exposition dont le commissaire général est Monsieur Benjamin Stora, permet de lever le voile sur l’étrange sensation qui s’empare du visiteur dès les premiers pas du parcours le long des allées de l’exposition : « cette exposition a eu le mérite d’inciter Elias Khoury, l’un de ses premiers signataires, à reconnaître que le monde arabe avait sa part de responsabilité dans le départ des juifs vers Israël. ».
A la fin de l’exposition un petit film d’une dizaine de minutes, conclu par un slogan qui a été mis en avant tout au long de l’exposition : « Arabes et Juifs, si loin si proches », nous retrace la période de la création de l’état d’Israël et donne la parole à des témoins et des acteurs de la vie politique. Et le niveau sonore de la petite musique que l’on avait commencé à entendre dans les allées de l’exposition se fait alors plus intense.
A en croire la façon dont les choses sont présentées, on peut nommer un responsable à l’éloignement des communautés juives et arabes, un obstacle à la possibilité d’un rapprochement : Il s’agit d’Israël! ce sont les israéliens qui portent cette responsabilité! . Juifs et arabes vivraient encore en harmonie si l’Etat d’Israël n’avait pas vu le jour. Cette terre « qu’il a fallu aménager » pour permettre aux juifs de pouvoir y vivre est à l’origine des tensions extrêmes entre les deux communautés.
Et le fil de la pelote peut alors être tiré progressivement, arguments après arguments, en essayant dans le même temps de nous attendrir sur la situation particulièrement difficile traversée par les arabes… et les juifs de l’exil.
Le terme de judéité fait alors son entrée fracassante au sein de l’exposition. Qu’est-ce que la judéité : l’identité juive définie par un ensemble de caractère religieux, sociologiques et culturels. Autrement dit, alors que l’identité juive est apparue, lors de la destruction du temple, comme une identité seconde, de maquis, une écorce de protection, qui a permis à l’identité hébraïque de se survivre à elle-même pendant le temps de l’exil, voilà le concept de judaïté qui émerge, jaillit, transperce la carapace juive et permet désormais à tout juif de devenir citoyen du monde, sans être nécessairement assigné à résidence, par une terre particulière. Et voila le juif, au même titre que le citoyen du monde, renvoyé au statut de résidant cosmopolite.
Puis les arguments s’enchainent : L’exil change de camp. Il ne s’agit plus de quitter l’exil pour rentrer chez soi, mais de quitter les pays arabes pour partir en exil en Israël ! La réponse du professeur Charbit sur « la responsabilité des arabes dans le départ des juifs vers Israël » prend alors tout son sens, et confirme l’idéologie qui se trouve tapie derrière cette présentation.
L’accueil des nouveaux habitants est présenté de manière particulièrement caricaturale. Les nouveaux immigrants seraient traités comme « des moustiques », dont les habitants craindraient de se faire infecter, puis placés dans des tentes, et dans des ghettos.
De plus, et malgré les multiples appels nécessaires à la prise de conscience de l’altérité auxquels ils sont invités à réfléchir, les juifs qui se sont installés en Israël ne semblent pas bien réaliser la situation, ni les difficultés des palestiniens. Que, pour qu’ils aient pu bénéficier de cette terre il a fallu, qu’un autre peuple, disposant également de droits sur cette terre soit déraciné. Il parait alors très étonnant que « ces juifs », qui ont eux-mêmes vécu le drame du déracinement, de la persécution puis de l’extermination ne comprennent pas qu’aujourd’hui le peuple des palestiniens vit ce qu’ils ont eux-mêmes vécu jadis. Victimes hier, bourreaux aujourd’hui, les juifs devenus Israéliens sont plus que jamais responsables de la fracture désormais irréconciliable entre juifs et arabes.
Cette petite musique, évidemment on la reconnait ; alors que le Juif de l’exil est porté au pinacle, l’Israélien essuie désormais toutes les invectives.
Le Juif appartient désormais au projet universel en marche. Lui porter atteinte, c’est porter atteinte à l’homme dans sa diversité reconnue comme autre, et donc susceptible de rejoindre l’universel dans la paix des nations. Le Juif est cet autre devenu un semblable, avec ses aspects exotiques, folkloriques, avec sa « judaïté ».
Mais, le Juif qui revendique son appartenance à Israël, qui confirme son identité hébraïque pourtant disparue pendant plus de deux mille ans, est, lui aujourd’hui combattu, raillé, condamné, non pas parce qu’il est juif, mais parce qu’il défend l’indéfendable : un pays qui serait un véritable anachronisme et « fait tache dans le langage éclairé des nations ». Le juif est d’Orient avant d’être d’Israël.
Au nom du rapprochement entre juifs et arabes, certains juifs revendiquent désormais fièrement leur antisionisme en chaussant des lunettes déformantes pour relire l’histoire.
Peut-on aujourd’hui parler du peuple d’Israël en France sans le critiquer, le stigmatiser, le rendre responsable des toutes les injustices. Et cette exposition à l’Institut du monde arabe n’échappe pas à la règle. Israël est devenu l’ennemi de l’autre, c’est-à-dire l’ennemi du genre humain. Mais cela devient problématique lorsque ce sont des juifs qui sont à la manœuvre. De tous temps il y a eu des juifs qui ont œuvré contre leur propre camp, notre histoire comporte de nombreuses péripéties qui illustrent ces trahisons. Tout cela pourrait être banal, léger, mais aujourd’hui la situation est délicate car il y a derrière la présentation de cette exposition une volonté de remettre en cause notre projet d’identité. Cette propagande anti-Israël, qui ne repose pas sur des éléments objectifs, ni sur les faits historiques réels, n’est pas une opération de communication médiatique de plus pour jeter le discrédit sur l’Etat d’Israël, qui est une cible désignée depuis longtemps en France et dans les pays européens, mais elle est très profonde car elle vient de notre propre famille, remet en cause le principe même de notre identité et annonce certainement des fractures irréconciliables.
Israël n’est plus seulement l’ennemi des palestiniens, l’ennemi des arabes, l’ennemi de l’humanité, l’ennemi du genre humain, voilà Israël devenu également l’ennemi des juifs et de la nouvelle version du judaïsme moderne : La judaïté.
C’est certainement la polémique de trop, celle qui vient de l’intérieur, et qui risque de sceller la discorde entre Jacob et Israël, ou bien peut-être n’est-ce qu’un cauchemar de plus… on peut toujours rêver.
Olivier Cohen