Histoire, mémoire et… idéologie. (Droit de réponse à l’article d’Olivier Cohen sur l’exposition « Juifs d’Orient » à l’Institut du monde arabe)
Olivier Cohen m’a fait l’amitié de m’envoyer l’article qu’il a publié dans le site Manitou à propos de l’exposition « Juifs d’Orient » organisée par et à l’Institut du monde arabe à Paris et à laquelle j’ai eu l’honneur et le bonheur de participer. Les premiers paragraphes de sa recension sont flatteurs. L’incipit donne le ton: « L’exposition permet d’accéder aux grands moments de la vie intellectuelle et culturelle juive en Orient. » C’était bien là notre but, et je me réjouis de lire sous sa plume qu’il a été atteint. Il note que cette exposition qui se tient à l’IMA, est « une grande première » et que l’approche chronologique et thématique retenue est « évidemment passionnante ». Il souligne enfin que le but de cette exposition était de « présenter le récit de cette coexistence, tour à tour féconde et tumultueuse ». Il reconnaît ainsi que nous nous sommes efforcés de montrer dans cette exposition non seulement le visage harmonieux de cette coexistence, mais également ses aspects tumultueux. O certes, pas dans des proportions égales, je m’empresse de l’écrire. C’est que, d’une part, il s’agissait de réévaluer cette culture plurimillénaire largement ignorée dans sa continuité historique, d’en manifester la beauté esthétique – on est dans un musée – à l’intention de celles et ceux qui n’avaient pas conscience de l’existence d’un patrimoine aussi riche, ou pire, la sous-estimaient. C’est aussi, d’autre part, que les exactions et les humiliations ne laissent pas beaucoup de traces, d’autant que longtemps la seule catastrophe que la diaspora était fondée à remémorer et à représenter était celle de la destruction du Second Temple par Titus. Ainsi, pour témoigner de la dureté de la dynastie des Ommeyades ou expliquer le caractère ambigu du statut du dhimmi, nous avons eu pour recours les cartels disposés à l’entrée de chaque salle. Il est vrai qu’aucune mosquée n’a jamais cru bon de représenter la synagogue voilée, à l’instar de la statue bien connue de la cathédrale de Strasbourg, pour manifester la supériorité de son message spirituel. Au XXème siècle, en revanche, la photographie peut apporter la preuve de la violence subie, telles les photos du pogrom de Constantine perpétré en 1934 par la populace arabe dans l’indifférence des autorités françaises, et que la plupart des visiteurs de l’IMA, me semble-t-il, ont vu pour la première fois. Cette recension commençait donc bien et attestait d’un contentement analogue à celui des critiques élogieuses, sinon dithyrambiques, parues dans la presse française. Mais, une fois la première page tournée, les choses se gâtent et tournent à l’aigre, sinon, au réquisitoire. Cette exposition, nous dit-il, est un trompe-l’œil. Elle tend au visiteur une vision radieuse et erronée des relations judéo-musulmanes. Elle est un piège tendu par l’IMA et par le comité scientifique présidé par Benjamin Stora et dont j’ai fait partie. Rien de très nouveau, dois-je avouer. On connaît la chanson : quiconque ne réitère pas que l’histoire juive en terre d’Islam n’était qu’une vallée de larmes est aussitôt soupçonné de vouloir en montrer une image idyllique. (A cet égard, je fais mien le jugement nuancé de Bernard Lewis qui estimait, en substance, que l’Afrique et l’Asie musulmane ont offert aux Juifs ni le meilleur ni le pire dont l’Europe chrétienne s’est montré capable.) Mais Olivier Cohen va beaucoup plus loin et formule un grief majeur Une fois ses éloges prodigués, il développe une thèse que je renonce à synthétiser avec mes propres mots afin de ne pas être accusé de la déformer. Je me contenterai d’en reproduire trois extraits qui en livrent la quintessence : « on peut nommer un responsable à l’éloignement des communautés juives et arabes, un obstacle à la possibilité d’un rapprochement : Il s’agit d’Israël! Ce sont les israéliens qui portent cette responsabilité! (…) Juifs et arabes vivraient encore en harmonie si l’Etat d’Israël n’avait pas vu le jour. (…) Victimes hier, bourreaux aujourd’hui, les juifs devenus Israéliens sont plus que jamais responsables de la fracture désormais irréconciliable entre juifs et arabes. Israël n’est plus seulement l’ennemi des palestiniens, l’ennemi des arabes, l’ennemi de l’humanité, l’ennemi du genre humain, voilà Israël devenu également l’ennemi des juifs et de la nouvelle version du judaïsme moderne. » Il y a au moins un point sur lequel nous serons pleinement d’accord lui et moi : cette façon de penser existe. Oui, des milliers et des millions de personnes sont convaincus qu’Israël est responsable de la fracture entre Juifs et Arabes. Ont-ils tort ? Ont-ils raison ? La controverse est vive et irréductible entre ceux qui pensent de la sorte et ceux qui estiment, au contraire, que c’est l’antisémitisme en pays arabe et musulman qui est la cause profonde et majeure de ladite fracture. Certains n’hésitent guère même à pointer le Coran comme l’origine de cette hostilité. Cette accusation calomnieuse portée contre Israël est largement répandue. Je le déplore comme lui. Mais là où je ne le suis plus, c’est quand il soutient – accrochez-vous bien – que cette thèse circule tout au long de l’exposition, explicitement ou implicitement. Autrement, dit, volontairement ou malgré moi, j’aurais donné ma caution à une entreprise de démolition d’Israël et de sa légitimité. Pour étayer une accusation aussi grave, Olivier Cohen dispose de deux pièces maîtresses : l’exposition et le catalogue. La première rassemble pas moins de 419 œuvres de nature diverse : objets profanes et sacrés, costumes, tableaux, photographies, cartes postales, planches, films, extraits de musique liturgique et profane. La seconde est le catalogue de 224 pages, lequel inclue la reproduction d’un grand nombre des pièces de l’exposition – ce qui le range dans la catégorie des « beaux livres » – et vingt-cinq articles, tous inédits, rédigés par des spécialistes français, américains et israéliens, une introduction générale de Benjamin Stora, un glossaire, une bibliographie – ce qui en fait un livre savant – suivi de la liste des œuvres exposées, grâce à laquelle j’ai dénombré plus haut, de manière exhaustive, les 419 pièces de l’exposition, (voir les pages 210-223 du catalogue qui indique pour chacune d’elles la nature, la date et la provenance). 419 pièces exposées et 224 pages du catalogue,