L’offrande
Shemot XXV, 1-8 : « Et Dieu parla à Moshé en ces termes : “Parle aux enfants d’Israël, et ils prendront pour Moi une offrande. De la part de quiconque y sera porté par son cœur, vous recevrez Mon offrande.” Et voici l’offrande que vous recevrez d’eux : or, argent et cuivre ; étoffes d’azur, de pourpre, d’écarlate, de fin lin et de poil de chèvre ; peaux de bélier teintes en rouge, peaux de ta’hash et bois de chittim ; huile pour le luminaire, aromates pour l’huile d’onction et pour la combustion des parfums ; pierres de shoham et pierres à enchâsser, pour l’éphod et pour le pectoral. Et ils Me construiront un Sanctuaire, pour que Je réside au milieu d’eux ».
Toute offrande quelle qu’elle soit avait pour but la construction du sanctuaire et le service divin au Tabernacle, et plus tard au Temple. D’où les enfants d’Israël sortis si précipitamment d’Égypte pouvaient-ils posséder autant de ces biens précieux ? La Torah l’indique déjà quand Dieu se révèle dans une vision à Avram lors de l’Alliance entre les morceaux, Béréshit XV, 14 : « Mais, à son tour, la nation qu’ils serviront sera jugée par Moi ; et alors ils la quitteront avec de grandes richesses ». Pour ne pas démentir à Sa parole, Dieu confirme Sa promesse et la réalise, Shemot XII, 35 : « Les enfants d’Israël s’étaient conformés à la parole de Moshé, en demandant aux Égyptiens des vases d’argent, des vases d’or et des vêtements ; et le Seigneur avait inspiré pour ce peuple de la bienveillance aux Égyptiens, qui lui prêtent ; de sorte qu’il dépouilla les Égyptiens ». Or, tous les biens des Égyptiens provenaient de l’effort de Yossef, le frère juste, Talmud Pessa’him 119a : « Rabi Yéhouda dit au nom du Sage Shmouel : tout l’argent et tout l’or du monde, Yossef les récolta et les fit venir en Égypte, comme Béréshit XLVII, 14, dit : “Yossef recueillit tout l’argent qui se trouvait”, et lorsqu’Israël monta d’Égypte, il les firent monter avec eux, et le verset de confirmer : “Ils dépouillèrent les Égyptiens” ». Tous les matériaux qui devaient servir à la construction du Temple et ses ustensiles proviennent certes des Égyptiens, mais ils les détenaient de leur bienfaiteur hébreu Yossef, envoyé par Dieu en Égypte pour le salut de ses frères. Voici le fil conducteur à travers les temps qui fait réussir le monde : la fraternité, la recherche aboutie en fraternité acceptée, ce que le verset implique : « Et ils Me construiront un Sanctuaire, pour que Je réside au milieu d’eux ». Dieu réside en eux, au milieu des frères d’Israël, en ces personnes qui font ensemble l’histoire de l’humanité, et pas seulement en lui, le sanctuaire, l’objet de sainteté qui se trouve en un point précis de l’espace du monde. Dieu réside là où Il veut quand l’homme veut Sa volonté.
Un sanctuaire dans l’espace
Rav Shlomo Aviner enseigne, Le Verger de Joël, p. 91 : La qedousha, la sainteté réside dans le temps, dans l’homme et dans l’espace. D’abord, la sainteté apparaît dans le temps, Béréshit II, 3 : « Et Dieu bénit le jour septième et le proclama saint ». Ensuite, elle se révèle dans le peuple tout entier, Shemot XIX, 6 : « Vous serez pour Moi une dynastie de Cohanim et une nation sainte ». Au final, une troisième dimension se dévoile : « Et ils Me construiront un Sanctuaire, pour que Je réside au milieu d’eux ». Ces trois degrés de révélation de la sainteté sont cumulatifs et non alternatifs. Il est évident qu’il n’y a aucune restriction de l’un par rapport à l’autre. Dieu est présent de tout temps mais Sa présence est plus intense le Shabbat. Le Seigneur est transcendant, mais Il se révèle dans le temps et forcément plus le Shabat. De même, à l’intérieur des familles humaines, un niveau de Présence divine investit au plan collectif le peuple d’Israël, non à l’individuel mais à titre de nation. De même pour l’espace, la Présence éclaire tout l’espace, jusques aux moindres poussières dérivant dans l’interstellaire, aux infimes pensées dans les circonvolutions du cerveau. Mais notre Seigneur est transcendant, Il est avant l’espace, dans l’espace et par-delà l’espace ; Il se révèle à divers degrés d’immanence : d’abord avec le Tabernacle, puis particulièrement en Terre d’Israël, plus à Yéroushalayim et au top niveau au Temple. Le Créateur a créé le monde de la matière pour avoir une résidence ici-bas, dirah bata’htonim (Rabi Méïr Ibn Gabaï, Avodat Haqodesh).
Le Rav Kook, Lumières de sainteté III, p. 324 s’exprime ainsi quant à la renaissance d’Israël sur sa terre et la future reconstruction du Temple : « Si nous avons été détruits, et le monde a été détruit avec nous, à cause de la haine gratuite, nous nous reconstruirons, et le monde avec nous sera reconstruit, grâce à l’amour gratuit ». Nous aimons tous nos frères d’un amour intrinsèque, en lui-même, in sui generis, d’un amour autonome, qu’on ne peut comparer à d’autres. Cet amour spécifique vient du fait que nous faisons partie de la même fratrie, du même peuple garant d’une histoire qui nous dépasse, qui remonte à la nuit des temps, à la création du temps, de l’espace et des âmes, parce que nous formons un seul corps divin au service du divin, par dévouement absolu, « porté par son cœur », par un mouvement du cœur, par l’élan de l’amour porté envers quiconque d’Israël.
Le Talmud Sanhédrin 44a insiste : « Quiconque d’Israël a fauté, il n’en reste pas moins Israël ». Le mal n’abolit pas le bien même chez ceux dont les opinions sont contraires aux nôtres. Le prophète Zékharia VIII, 17, avertit : « Ne méditez dans votre cœur aucune méchanceté l’un contre l’autre, n’aimez pas le faux serment, car toutes ces choses, Je les hais, dit le Seigneur ». Il vaut mieux fauter par amour gratuit plutôt que par haine gratuite car l’amour du prochain n’est pas un sentiment au bon vouloir ou non de l’homme mais il est de source divine comme l’amour d’un autre soi-même, selon le grand principe pédagogique de la Torah, Vayiqra XIX, 17-18 : « Ne hais point ton frère en ton cœur : reprends ton prochain, et tu n’assumeras pas de péché à cause de lui. Ne te venge ni ne garde rancune aux enfants de ton peuple, mais tu aimeras ton prochain comme toi-même, Je suis le Seigneur ».
Rav Yéhouda Léon Askénazi dit : « Pour la tradition hébreue, l’endroit, le lieu, le véhicule de la Présence divine, c’est la société humaine qui est le mishkan, le Tabernacle. Le métier d’homme est de faire du monde un mishkan. Toute l’histoire du monde est vue comme la construction continuelle du mishkan ».
L’offrande spontanée
Tout se passe comme si la Torah tenait à mettre aux normes les élans du cœur humain. Si l’homme a la prérogative de ses sentiments, il faut qu’il les canalise selon ce que préconise la Torah. Quiconque, par son dévouement et son initiative, tient à offrir, sans intérêt et sans condition, quoi que ce soit de ce monde matériel à Dieu, il faut qu’il le fasse pour le service divin au Temple, orchestré par les hommes divins habillés des habits divins et nourris de nourriture divine, à des jours et des heures très précises. Paradoxe : si une personne doit porter offrande à Dieu, ce n’est pas n’importe comment, mais cela doit s’opérer de la façon stricte indiquée par la Torah, selon ses propres normes.
La Torah n’est pas contre les élans du cœur, au contraire, elle les envisage, les accepte et les encourage ; ils sont les bienvenus. Dieu connaît les profondeurs occultes des cœurs et des cerveaux : si par l’impulsion d’un cœur débordant à l’extrême d’amour envers Dieu, une personne veut Lui porter une offrande, elle le fera selon le cadre imposé par la Loi. L’approche de la Sainteté ne doit pas être débridée, anarchique. La matière doit être sanctifiée par le truchement des mitsvot. Dieu veut que nous sanctifiions les matériaux bruts de la terre par la construction d’un sanctuaire, lieu de Sa rencontre avec l’homme, Maison de la Sainteté, endroit du monde où Dieu et l’homme peuvent être ensemble.
L’exemple donné est celui de la Méguila d’Esther qui a drainé la joie des Juifs sauvés du massacre en instituant l’obligation des agapes, les mishloa’h manot, l’échange entre amis et familles, d’une part de son repas, de parts de nourriture, pour que tout Israël participât au festin traditionnel, rite qui consacre la fraternité et l’amitié entre les membres de la communauté. Au début, la communauté juive participe au banquet impur du roi A’hashvérosh. Les plus nobles Juifs ont festoyé dans son palais tapissé d’impureté et orné de belles idoles. Ils ont mangé avec les ustensiles mêmes du Temple, butin de guerre de la royauté perse. Par la suite, la communauté juive fait Teshouva et accepte dans leur intégralité les lois de la Torah parlée, continuation obligée de leur acceptation, au temps de Moshé, de la Torah écrite révélée. Ils ont ainsi perpétué la révélation après la dispersion dans les cent vingt-sept provinces de l’empire impur. Au sein même de l’impureté, la communauté a su obéir aux lois imposées par Mordekhai et Esther. Ils ont finalement sanctifié la réalité impure par la pratique des commandements divins et une conduite héroïque où la Torah est acceptée par la majorité des Juifs. Là se constitue la stratégie de survie d’Israël par la première communauté juive de diaspora, dans la dimension d’une fidélité absolue à la Loi de Moshé, en dépit de la dispersion.
Chaque fois que l’homme parle à son ami en direct, sans détour et faux-semblant, c’est la parole vraie, d’amitié vraie, qui devient dès lors le véhicule de la parole de Dieu à Moshé, Shemot XXXIII, 11 : « ודיבר ד’ אל משה Et le Seigneur parle à Moshé, כאשר lorsque, chaque fois, ידבר איש אל רעהו qu’un homme parle à son ami », les mots ayant littéralement leur sens simple. Ils ont ainsi opéré la restauration partielle de la faute des explorateurs qui divisait Israël, en faisant ensemble cause commune, unis fraternellement.
Pour ainsi dire que Dieu veut faire résider Sa Présence dans un bâtiment de haute prestance, qui élève les sentiments impulsifs et draine les cœurs affolés, à condition que les enfants d’Israël obéissent à Sa Torah. Il faut faire appel à l’intention de noblesse du cœur : « de tout ton cœur, de toute ton âme et de tous tes moyens » pour se soumettre à la Loi incontournable de la volonté du Créateur, la Torah, charte d’identité qui fonde la spécificité d’Israël.
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