Berechit

Mikets : Yossef, le frère de l’extériorité

Yossef, interprète des rêves de l’humanité     Béréshit, XLI, 2 : « Et ce fut à la fin de deux années et Phar’o rêve, et voici : il se tient debout sur le Fleuve עומד על היאור ». Dès lors, il envoya quérir Yossef et le faire sortir de sa geôle pour qu’il lui interprète son songe. Une fois Yossef habillé et rasé de frais, Phar’o lui dit, au verset 17 : « Dans mon rêve, הנני עומד על שפת היאור je me tiens au bord du fleuve ». Car se tenir debout sur le fleuve, cela est impossible à concevoir pour la logique humaine, surtout quand il s’agit du Nil dont les crues habituelles envahissent les terres et submergent les petits torrents, mais se tenir au bord du fleuve, cela va de soi pour tout esprit rationnel. Cependant, avant de livrer son interprétation, Yossef indique à Phar’o une notion fondamentale, en guise d’introduction, avant même d’entamer le dialogue, au verset précédent : « Ce n’est pas moi, c’est Dieu, qui donnera une réponse pour le Shalom de Phar’o ». D’une part, tout d’abord, il faut savoir qu’une réponse aux songes ne vient que de Dieu, et cela devrait tranquilliser Phar’o ; d’autre part, le but recherché, dans l’interprétation des songes, est la pacification de Phar’o avec l’apparition du Shalom, la paix.     Pour Yossef, le rapport avec Phar’o est celui d’un dialogue entre personnes, et ce n’est pas le fruit accidentel du hasard si on l’a sorti de prison mais c’est Dieu, changeant l’orientation de sa directive stratégique, qui intervient dans l’histoire pour conduire Son projet d’humanité afin d’établir le Shalom. Tout le souci de Yossef est de se présenter en tant que frère de l’humanisme égyptien pour restaurer le Shalom, l’unique solution de la coexistence des frères de toute l’humanité entre eux. C’est d’ailleurs ce qu’il a appris de la rivalité avec ses propres frères à l’intérieur de sa famille. Mais alors qu’à l’intérieur de sa propre famille, tous savent que les hommes sont des créatures créées par notre Créateur, à l’extérieur, en Égypte, cela n’est guère une évidence qui va de soi. Le rêve de Yossef     Le rêve de Yossef est d’être Israël, levain et ferment des civilisations extérieures, il met en gerbes des moissons d’épis là où le blé pousse, révolutionnaire de la redistribution équitable des biens matériels, il est champion de l’économie et de la politique sociale. Il veut être la lumière qui chasse l’obscurité de l’extériorité. Star montante du siècle des Lumières, il a la certitude que la rencontre avec Phar’o précipitera la réalisation de son rêve. En fait, son rêve et celui de Phar’o ont le même but : des catalyseurs de l’histoire. N’ayant pas, comme ses frères chez Lavan, vécu l’expérience de l’échec en diaspora, Yossef va s’engager, avec toute la vigueur et l’inexpérience de sa jeunesse : que c’est Dieu qui dirige ses pas pour le bien du plus grand nombre. Malgré l’engagement extrême et inconditionnel de Yossef, et de ses frères qui le rejoindront en Égypte, cette civilisation du soleil éternel, où l’identité juive cosmopolite se complaît tant, périclitera dans la saturation de violence, le despotisme et l’immoralité. Il en va ainsi de toutes les civilisations qui n’ont pas su, de barbaries civilisées en régimes fascistes, domestiquer la tyrannie de leur conception de l’Autre si ce n’est, de destruction en persécutions, d’Inquisitions en Shoah, d’exterminer autrui pour subsister, tel Qaïn envers Hével. L’Égypte fut une hégémonie jamais égalée mais elle aboutira à l’échec : ce qui démontre que le rêve de Yossef, – cette mission aléatoire dont s’investissent les Juifs de toutes les diasporas, – débouche, à l’extérieur, à chaque fois, sur l’impasse totale.     Pourtant, Yossef veut être le champion du Shalom maintenant, שלום עכשיו : « Dieu donnera une réponse pour le Shalom de Phar’o ». Ce mot ‘Shalom’ revient comme un leitmotiv dans la bouche des enfants d’Israël lorsqu’ils se rencontrent et lorsqu’ils rencontrent des personnes autres qu’eux. Avec pour couple le mot frère, Shalom est ce mot-clé prononcé pour la première fois dans la Torah par Ya’aqov, lors de sa rencontre avec les bergers, Béréshit, XXIX, 4-6 : « Mes frères, connaissez-vous Lavan, (fils de Bethouel) fils de Na’hor (frère d’Avraham) ? Ils répondirent : Nous le connaissons. Il leur dit : Y a-t-il chez lui la paix השלום לו ? Ils répondirent : שלום paix ; et voici Ra’hel, sa fille, qui vient avec son troupeau ». Or Yossef avait la même typologie que Ya’aqov (Talmud Sota, 36b), selon le second verset de Béréshit XXXVII : « Voici les engendrements de Ya’aqov : Yossef ».     Pour Ya’aqov, tout comme pour Yossef, c’est notre Créateur qui nous donne en grâce totale et en altruisme absolu tout l’être qui nous fait être, mais par là-même, Il crée Ses créatures rivales entre elles pour qu’elles activent leur libre arbitre afin d’aimer autrui, – l’autre nous-mêmes. C’est aussi une évidence nette et claire pour les frères de Yossef : le monde a un Créateur qui réclame de Ses créatures la fraternité, potion médicinale excellente contre la rivalité.     Rivalité que l’on retrouve souvent entre l’épouse et son époux tant qu’entre eux ils ne s’appellent pas : mon frère, ma sœur, Shir Hashirim, VIII, 1, chante toute l’attente patiente et lucide de la femme envers son époux : « Oh! Que n’es-tu mon frère? ». Notre Créateur nous donne tout, sauf l’amour du frère, travail qui nous incombe, qu’Il réclame expressément de nous, pour notre salut et, avec nous, le salut de toute l’humanité.     Cependant, le dilemme de Yossef est de savoir si le dialogue, inauguré entre lui et Phar’o, débouchera sur l’avènement du message théologique d’Israël : la fraternité. Ou bien se poursuivra-t-il sempiternellement ce dialogue de sourds, jusqu’à la fin des temps, dans l’utopie désespérée des bergers de l’universel humain qui attendent d’être tous ensemble pour pouvoir, à la fin du jour, retirer la grosse pierre qui bouche la margelle du puits (Béréshit, XXIX, 8) ? Mais si sous l’apparence du Phar’o actuel, ‘Essav par excellence, notre frère rival qui ne veut plus et ne peut plus nous tuer, a déclaré, avant le solstice d’hiver, à ‘Hanouka, vouloir chasser l’obscurité qui

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Vayétsé : Ya’aqov, l’homme de l’universalité

La bénédiction renouvelée     Dans son rêve de l’échelle, Ya’aqov, notre patriarche, voit la bénédiction céleste se renouveler, avec la promesse de Dieu qu’elle s’accomplira par lui, Béréshit, XXVIII, 13-15 : « Puis, le Seigneur apparaît au sommet et dit : Je suis le Seigneur, le Dieu d’Avraham ton père et de Yits’haq ; cette terre sur laquelle tu reposes, Je la donne à toi et à ta postérité. Elle sera, ta postérité, comme la poussière de la terre ; et tu déborderas au couchant et au levant, au nord et au midi ; et toutes les familles de la terre seront heureuses par toi et par ta postérité. Oui, Je suis avec toi ; Je veillerai sur chacun de tes pas, et Je te ramènerai dans cette contrée, car Je ne t’abandonnerai jamais même lorsque J’aurai accompli ce que Je t’ai promis ». La bénédiction pour Ya’aqov s’étend sur plusieurs domaines corrélatifs : la procréation, la terre donnée, toutes les familles de la terre, la Providence vont de pair et il est impossible de séparer l’un de l’autre sans les dégrader. La bénédiction divine, pleine et entière, est là quand tous ces éléments sont présents ensemble. S’il en manque un ou si l’un d’eux est incomplet, Dieu préserve!, alors la bénédiction est partielle et approximative car la qedousha, la sainteté, n’est pas accomplie de facto entièrement. Une tâche double pour un homme double     Conforté par la bénédiction divine, Ya’aqov poursuit son chemin vers Padan Aram pour y trouver la compagne de son rêve. En cours de route, il change de trajet et se trouve à ‘Haran, l’endroit de la colère du monde. Sa motivation a changé, il était parti en quête de la future mère de ses enfants à Padan Aram, mais fuyant la haine et la frustration de son frère ‘Essav, sa destinée le porte à s’occuper momentanément de la colère originelle, de la violence et de l’agressivité du monde qu’il faut apaiser à ‘Haran, ville-étape principale du voyage d’Avraham fuyant la civilisation de Our Kasdim, la ‘fournaise’ de Kasdim, et d’où il était parti pour le pays de Cana’an, à ‘Haran, où son frère Na’hor était resté (Béréshit, XI, 32). ‘Haran, dit Rashi (Midrash Béréshit Raba 70 sur Béréshit XXIX, 4), a le sens de ‘harone af shel maqom, l’endroit de la colère ou la colère de l’Endroit : « Dans le texte massoret de la Torah, le noun final de ‘Haran est renversé, ce qui veut dire que jusqu’à Avraham, la colère de Dieu était sur le monde ». Le Talmud Avoda zara, 9a, enseigne que les deux premiers millénaires de la genèse de l’humanité était dans un état chaotique conséquent au ‘péché originel’ d’Adam, le premier homme, – bien qu’il nous soit difficile de savoir en quoi consistait ce ‘péché’, – mais que depuis l’avènement des patriarches, depuis Avraham, le monde entrait dans une phase de préparation à la Révélation au Sinaï et du règne de la Torah.     Ya’aqov part en exil investi d’une double vocation, d’une double tâche : la sienne propre, la vocation spirituelle pour laquelle il a reçu la bénédiction d’Avraham ; et aussi la vocation matérielle, dont l’essentiel est d’assujettir la matérialité sous la gouverne de la spiritualité, pour laquelle il a reçu la bénédiction propre aux tâches matérielles prévue par Yits’haq pour ‘Essav. Vocation matérielle imposée par sa mère Rivqa afin de réunir la matière et l’esprit par l’homme universel de la vérité. Ya’aqov, homme de la vocation spirituelle, assumera nécessairement aussi les tâches de ce monde ici-bas, les transfigurera et en cela sera nommé Israël, l’homme droit, dont le nom porte en mémoire le Nom de Dieu Un. La guématria d’Israël ישראל est de 541 et donne en chiffres ajoutés simplifiés (5+4+1=10=1) : Un. Ya’aqov est investi du projet du Créateur, réunissant les vocations antinomiques de Kaïn et de Hével qui avaient abouti alors à l’échec (Rav Yéhouda Askénazi, KM, p.81). Cependant, solitude, crainte d’un exil loin de ses parents, sentiment d’illégitimité latent qui étreint tout migrant, ailleurs, à l’étranger, et d’autres complications seront aussi la perspective de sa descendance tout au long de leurs pérégrinations en exil, jusqu’au retour à la terre ancestrale bien-aimée.     Autrement dit : la Présence divine veille à chacune de tes initiatives, surtout à ta résidence sur la terre donnée à tes pères qui sera assurée afin que tu aies une progéniture infinie, mais à l’indice universel, pour que toutes les peuplades de la terre soient prospères et heureuses « par toi et par ta postérité ». Pour que la bénédiction céleste se réalise, Israël doit être présent sur sa terre donnée, sa terre de la réalisation des promesses. « Ta postérité sera comme la poussière de la terre » à condition qu’Israël, en personne, travaille cette poussière pour la féconder. C’est de cette poussière aride que naissent les témoins du projet divin qui ont pour devoir d’étudier la science de cette révélation de l’échelle, de connaître la foi depuis l’évènement du Sinaï, de diffuser le Connaître-Dieu parmi les peuplades de la terre. C’est de la poussière stérile que jaillit la résurrection d’Israël et la rédemption du monde (Maharal). Ainsi, le ciel et la terre sont réunis en un seul faisceau : on appelle l’unification de toutes les valeurs ensemble, קדושה, qedousha, la notion de sainteté. Le ciel d’Avraham et la terre de Yits’haq sont réunis chez l’homme de vérité : Ya’aqov, l’homme de l’universalité. La vocation des pères     Le but des pères était de proclamer de façon générale la présence de Dieu en ce monde : Avraham, dont la vocation est la charité, ouvre sa maison aux quatre coins des vents pour enseigner à tous le Dieu unique. Yits’haq, dont la vocation est la rigueur et la crainte révérencielle de Dieu, creuse des puits pour abreuver toute l’humanité de la réalité de la vaillance divine, y compris les puits de charité creusés par Avraham qui seront bouchés par ses détracteurs. Pour Ya’aqov, notre patriarche, dont la vocation est la vérité, d’où notre bonne nation Israël trouve son origine, cela est différent : il s’agit de l’édification d’une nation spécifique qui fleurira

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