Un silence déraisonnable du monde

Olivier Cohen

Un silence déraisonnable du monde

Albert Camus disait dans son mythe de Sisyphe : « l’absurde nait de la confrontation de l’appel humain et du silence déraisonnable du monde »

Appel au monde vu comme transcendant face à l’humanité qui s’interroge et qui interpelle. Et on sent derrière cette tirade comme une demande de spiritualité inassouvie. Devant ce silence « du monde » à nos interrogations il est possible de comprendre l’absurde, mais aussi la révolte, la colère. Comment avoir la foi devant ce silence déraisonnable semblait aussi dire Camus ?

Les choses ont beaucoup changé depuis l’époque à laquelle Camus a écrit ces lignes, et aujourd’hui le silence déraisonnable du monde ne vient pas du ciel, mais il vient de la terre, de l’humanité, d’une humanité qui semble avoir perdu tout sens commun, qui a perdu ses repères et qui refuse d’accorder la moindre compassion à Israël dans le drame qu’il est en train de vivre au quotidien. La planète entière se tait, reste muette, insensible.

Après les actes de barbarie d’une violence inédite et inouïe qu’elle a vécu ce 7 octobre 2023 sur son sol par des êtres vivants dont on peut raisonnablement se demander si ce sont des êtres humains.

Après la prise d’otages par ces barbares dont l’évocation des conditions dans lesquelles elles se sont faites suffit à faire blêmir.

Après la guerre que la société israélienne a dû décider mener contre ses voisins, contre l’islamisme, en avant-poste du monde libre, pour essayer de mettre un terme au terrorisme dont elle est l’objet, avec toutes les conséquences difficiles que cela a du entrainer.

Après la perte de beaucoup de ses enfants, la plupart du temps des jeunes qui se sont engagés courageusement dans cette guerre pour la survie de l’état d’Israël. Après  les innombrables blessés dont la jeunesse parfois saisi ceux qui osent encore venir se promener sur les plages d’Israël.

Voici venu le temps de la négociation, inévitable certes, mais tellement douloureuse. Douloureuse parce qu’il faut négocier avec des terroristes qui ont commis les pires exactions. Douloureuse aussi parce que cela peut rendre d’un coup inutile les sacrifices consentis par la société israélienne pour en finir une bonne fois pour toute avec le Hamas. Douloureuse enfin parce que le monde entier se tait, parce que l’humanité parait indifférente devant ce drame absolu qui se tient sous nos yeux, ou pire encore, parce que le monde semble au mieux mettre les terroristes du Hamas au même niveau que les dirigeants Israéliens, et au pire semble secrètement rêver d’une victoire des islamistes.

Une mise en scène terrifiante, au cœur de laquelle des dégénérés cagoulés, en tenu de camouflage, la tête entourée d’un foulard vert, symbole de la clef du paradis, exhibent fièrement leur force et leurs armes. C’est au cœur de cette mise en scène de la propagande du Hamas ou se déploie une foule hostile, chauffée à blanc, habitée par la haine du juif et d’Israël, et qui semble disposée à vouloir répandre la violence autour d’elle, à quelques encablures des frontières de l’Etat d’Israël, que le monde regarde la libération de trois otages Israéliens. Le monde entier regarde. Mais où sont les marques d’indignation et de colère devant cette cérémonie macabre ? Ou sont les gens disposés à dénoncer cette sauvagerie, ce supplice, cette torture physique et psychologique, dans ce qui pourrait ressembler à la réunion d’une secte ou de fous, si ce n’était pas si grave ? Ou est-il possible de lire la compassion et la solidarité à l’égard de ces otages qui vivent l’invivable, à l’égard de la population Israélienne qui traverse probablement les pires heures de son histoire. Qui dénonce ? Qui condamne ? Ou sont ces voix qui généralement se font entendre pour défendre ceux qui doivent l’être ? 

De cette foule hostile et barbare trois nouveaux otages ont été libérés, trois visages, perdus, meurtris, écrasés par la souffrance, trois nouveaux visages blafards qui semblent revenir du fin fond des camps de la mort. Trois visages qui sortent de l’enfer, deux d’entre eux apprennent, en même temps que leur libération, la mort de leur femme et de leurs enfants. Qui peut survivre à cela ? comment se reconstruire ?

Face à ce drame, face à ces blessures irréparables, le silence assourdissant de la communauté internationale plane. Comment comprendre que si peu de personnes ne s’expriment pour dire un soutien, un geste de solidarité, une tristesse ou une peine. Tout cela reste incompréhensible, mais tout cela est aussi effrayant car il en dit long, aussi bien sur le monde dans lequel nous vivons, que sur notre histoire passée.

Pas un soutien, pas une parole, pas une marque d’attention. Mais ce  silence est aussi un bien, car s’il y a une voix pour s’élever, s’il y a une bouche pour dire l’indicible, c’est pour parler de situation d’apartheid, de génocide, de crime de guerre dont serait coupable l’état Hébreu. Le monde a-t-il perdu la raison ? L’humanité ne ressent elle pas le besoin de hurler son soutien à l’état hébreu dans cette période intense ?

Et Israël est de nouveau seul au milieu du concert des nations comme si l’histoire se répétait pour la sempiternelle fois. Mais cette fois on ne pourra pas dire qu’on ne comprend pas comment ces choses-là ont pu arriver… nous les vivons, et nous ne disons rien, et le quotidien l’emporte sur le reste, et le flots de nos préoccupations anesthésie la nausée que devrait nous inspirer cette situation, qui si elle ne s’était pas produite déjà de nombreuses fois, devrait nous surprendre, nous réveiller, nous interpeller, nous faire réagir, nous indigner.

Alors bien sur il y a tous ceux qui diront comme ils disent à chaque fois… oui mais ces pauvres palestiniens… et Israël est condamné, coupable, avant même d’avoir pu panser ses plaies, comme le dit admirablement Alain Finkielkraut : « Israël est coupable de ce qu’il fait et de ce qu’il fait subir. ». Coupable de génocide, de crimes de guerre, de colonisation etc… le merveilleux renversement des valeurs auquel on est désormais accoutumé qui fait de la victime un bourreau, et qui lui refuse tout droit de défense est toujours aussi efficace… surtout si on le juge à l’applaudimètre. L’argument a une fois encore fait mouche et le silence qui entoure le cataclysme traversé par la société israélienne est inimaginable.

On a envie de dire à tous ces progressistes qui se servent de la souffrance humaine comme d’un tremplin pour la notoriété ou la quête du pouvoir, à tous ces humanitaires de pacotilles qui n’aident que pour mieux s’aider eux-mêmes, à tous ces bienfaiteurs de papiers, à tous ces bienpensants qui baignent dans leur idéologie jusqu’à se noyer dedans : ou est votre compassion, ou est votre solidarité, ou est votre attachement aux valeurs ?

On a envie de leur hurler, pour reprendre l’expression chère à Benny Levy : vous êtes des « petits soldats de l’empire du rien »

Il ne doit pas être bon d’être à la place du miroir qui reflète leur image tous les matins quand ils se réveillent et tous les soirs quand ils vont se coucher, car on peut au moins espérer qu’ils auront à un moment ou l’autre, dans l’histoire de leur vie, un instant même bref, ne serait-ce qu’un instant seulement, la lucidité de finir par prendre conscience de l’énormité de leur position et de la gravité de leur usurpation.

Finalement, a bien y réfléchir, rien n’est plus grave que l’idéologie, cette idéologie au service de laquelle on est disposé à tout justifier, même l’injustifiable. Et lorsque la réalité survient, et qu’elle contredit l’idéologie, et bien malgré tout c’est encore l’idéologie qui a raison, contre la réalité et il semble que ce soit ce qui est à l’œuvre actuellement. 

Nous lisons en ce moment le livre de « chemot »  l’exode. C’est le livre qui nous parle de la sortie des hébreux d’Egypte. Les hébreux étaient asservis par les Egyptiens ils ont été libérés. Dix plaies ont soufflé sur l’Egypte pour permettre aux hébreux de sortir d’Egypte et ont favorisé une libération progressive aux valeurs auxquelles étaient attachés les Egyptiens.

La dernière plaie, la plus terrible, est celle de la mort des premiers nés. C’est celle qui va permettre aux hébreux de quitter l’Egypte pour aller vers la terre sur laquelle vivent désormais les enfants d’Israël. 

Lors de cette plaie on apprend dans le récit le décret de la mort des premiers nés depuis le premier né de Pharaon jusqu’au premier né des servantes (Chemot11,5) : « Mourra tout premier né dans le pays d’Egypte, depuis le premier né de Pharaon jusqu’au premier né de la servante… »

Evidemment on peut se demander pourquoi faut-il aussi tuer, lors de cette dernière plaie, la plus terrible, celle qui va permettre la libération des hébreux, les premiers nés des servantes. En quoi sont-ils responsables du sort des hébreux ?

Rachi nous apporte une première réponse : « Parce qu’ils ont, eux aussi, asservi les Hébreux et se sont réjouis de leur détresse. »

Le rav Elie Munk rajoute : « Les enfants des prisonniers nous est-il rapporté dirent à leur parents : nous préférons rester en prison avec vous pourvu que les juifs restent nos esclaves. Cette attitude infligeait un démenti aux juifs qui croyaient (et qui croient toujours) pouvoir trouver à l’heure de la détresse une sympathie auprès des membres de la classe prolétaire. »

L’histoire s’est écoulée depuis la sortie d’Egypte et les faits infligent siècle après siècle un cinglant démenti à ceux, qui pensent pouvoir trouver, une aide, un soutien, un geste de compassion, un regard bienveillant, de la part de ceux qui vivent dans les conditions les plus défavorisés et de ceux qui prétendent les défendre et les protéger.

Peut être tenons nous là un élément qui pourrait permettre d’obtenir quelques réponses et qui pourrait expliquer ce « silence déraisonnable du monde » face au drame qui se joue et qui touche Israël : Ceux qui défendent la veuve et l’orphelin, ceux qui se prétendent progressistes et ouverts sur l’humanité, ceux qui prétendent être préoccupés par le sort des plus défavorisés et des plus démunis, ceux là sont disposés à défendre toutes les causes sur la planète, même les plus délicates, toute les causes à une exception près : celle d’Israël.

Olivier Cohen

1 réflexion sur “Un silence déraisonnable du monde”

  1. Aimée REBIBO

    Merci Monsieur Olivier Cohen pour ce bel hommage à Israêl et ce silence du monde , avec une grande réserve concernant le message d’AF : « comme le dit admirablement Alain Finkielkraut ». …

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