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Qu’il vienne et que je ne le voie pas !

Olivier Cohen

Depuis 1948 on nous dit et on nous répète qu’un événement majeur s’est produit : la création de l’Etat d’Israël, la reconstitution de l’identité hébraïque sur sa terre.

C’est pour beaucoup la première étape de la période messianique, et nous pourrions donc être à ce moment charnière entre deux périodes, celle de ce monde ci et celle des temps messianiques avec ce mouvement de retour de l’identité hébraïque, des enfants de Jacob sur leur terre.

Et ce retour s’accompagne de nombreux mouvements et forces à la fois convergents et contraires, les uns qui contribuent à faire de cette période un moment de grandes espérances et les autres, au contraire, qui viennent nous interroger et remettre en cause ces grands principes messianiques, tant l’ampleur de certains phénomènes et drames que nous traversons nous touchent et restent difficiles à décrypter.

Les mouvements semblent s’accélérer, s’amplifier dans notre période contemporaine ou les événements et phénomènes sont intenses.

Alors, il faut se rappeler des interpellations de Oula, sage de la Guemarra, dans le traité de Sanhedrin, lorsqu’il parle de l’arrivée du messie, et qu’il nous dit : « qu’il vienne et que je ne le voie pas ! ».

Comment cela ? Les sages préfèreraient ne pas voir le moment de l’arrivée du Messie ? Ne pas être présents au moment de sa venue ? Mais pourquoi ? Qui voudrait rater un moment pareil ?

A une période ou le sensationnel a envahi notre quotidien, ou le moment présent, l’instant, l’immédiateté ont fait irruption dans notre monde et nous empêchent de penser l’avenir au-delà de l’instant qui vient, de l’instant qui suit, seuls des sages peuvent dire qu’ils préfèrent éviter d’être présent au moment du commencement du dévoilement de notre histoire.

A une période où il faut faire preuve d’une capacité de résistance intense face aux injonctions du quotidien comment dire : « qu’il vienne et que je ne le vois pas ! ». C’est plutôt que je sois là et que je puisse donner mon avis, commenter, twiter, notifier.

Mais pourquoi refuser d’assister à l’événement ? Pourquoi ne pas vouloir y être ? Pourquoi ne pas vouloir le voir ?

Certes on nous dit que le temps ne sera pas anticipé par notre mérite, et devrait donc arriver en son temps, et alors, dans des catastrophes, mais des catastrophes telles, que les sages préfèrent ne pas y assister ?

Pourquoi ne pas y assister ?

Les sages ne devraient-ils pas se dire au contraire qu’ils doivent être là, plus que jamais, justement pour accompagner le peuple au moment où, à l’approche de la délivrance finale, des catastrophes s’abattront, et le doute pourrait s’installer. Ne devraient-ils pas justement vouloir être présent, avec courage, pour parler au peuple, expliquer ce qu’il se passe, le rassurer. Nous avons aujourd’hui plus que jamais besoin de personnes qui pourraient allumer la lumière sur ce qu’il se passe réellement et poser un regard plein de sagesse sur nos difficultés.

Les sages ont prophétisé que les temps messianiques se réaliseront dans des catastrophes. Très bien. Mais pourquoi ne pas les voir ? Pourquoi ne pas y être ? Ou alors peut être que ces catastrophes seront terribles. Mais alors raison de plus pour y être courageusement et pour être solidaires du peuple dans ces moments ambigus entre drames et délivrances.

Donc s’ils préfèrent ne pas y être c’est certainement qu’ils ont une raison. Peut-être parce que ces catastrophes les concernent directement ?

On peut alors essayer d’avancer une hypothèse :

La période particulière que nous traversons nous permet de réaliser aussi la tension qui est en train de s’installer de manière de plus en plus vive au sein de notre peuple sur notre propre identité. Nous vivons une période où les tentations d’émancipation sont grandes, et ou la tentative d’autonomisation de certains juifs de l’exil vis-à-vis d’Israël s’intensifie.

La ré émergence de l’identité hébraïque du dedans de son écorce de protection, qu’a été pendant toutes ces années l’identité juive, fait réapparaitre le conflit entre Jacob et Laban.

Le fruit s’est débarrassé de son écorce et l’écorce revendique désormais une place en tant qu’identité autonome. Elle est en train de s’ériger en rivalité d’identité à l’identité Israël. Cette écorce de protection qui a permis à l’identité hébraïque de se survivre à elle-même pendant le temps de l’exil, qui a servi à la fois de protection et de camouflage à l’identité hébraïque, qui s’est caractérisée comme araméenne du temps d’Abraham, et comme juive de notre temps, est en train de revendiquer sa place et son statut particulier à l’intérieur des nations et de s’ériger en adversaire impitoyable à l’identité hébraïque qui redevient Israël.

Les plus grandes rivalités sortent de notre propre famille et cela culmine lorsqu’Israël rentre sur sa terre avec l’identité araméenne qui s’installe en rivalité d’identité impitoyable à l’identité Israël dans la relation entre Jacob et Laban, et comme préfiguration de ce qui se passe aujourd’hui ou l’identité juive de l’exil risque de s’installer en rivalité d’identité impitoyable à l’identité d’Israël qui est en train de réémerger de son dernier exil.

Ceux qui à l’origine étaient les plus proches sont en train de s’installer en rivaux les plus farouches. Et le comportement notamment de certains juifs en exil, alors que nous sommes censés, en tant que peuple, avoir accepté de nous soumettre aux critères de la loi morale dont la table des valeurs nous est définie par la Torah, commence à poser un certain nombre de problèmes. Les exemples sont nombreux :

Vous avez déjà pris le vol ELAL, Paris – Tel Aviv ? Une catastrophe qui explique à elle seule l’affirmation des sages non ? Les disputes, les bagarres, les incivilités, l’agressivité, le dossier du siège, la tablette, le porte bagage… Mais il y a aussi les personnes qui se répandent dans l’avion comme si elles entraient dans leur résidence secondaire, en s’appropriant le lieu et l’espace sans ménagement, sans égard particulier pour l’autre, pour celle ou celui qui n’est pas eux. C’est effrayant.

De même vous avez déjà surement été dans un magasin cacher en dehors d’’Israël ? Là aussi il y a de quoi se poser des questions : Pas de bonjour, pas de merci, pas de au revoir, et c’est la même chose du côté des clients comme du côté des personnes qui servent. Personne ne veut faire la queue, et tout le monde parle fort, est agressif, veut être servi en priorité et qu’on lui attribue des honneurs au-dessus de ceux qu’on pourrait rendre aux autres.

Il y a aussi tous ceux pour qui l’argent est devenu central, prioritaire, le sens même de la vie, un moyen de montrer sa réussite, un objectif ultime. Et ils sont suffisamment nombreux pour que cela ne soit plus du registre de l’anecdote ou de la caricature.

Il y a également toutes ces personnes qui se revendiquent fièrement « du peuple élu » sans avoir la moindre idée de ce dont il s’agit et qui clament haut et fort leur appartenance à la nation qui les a accueillis en même temps qu’ils clament haut et fort leur appartenance à l’identité juive. En d’autres termes, ils disent aux personnes de la nation dans laquelle ils sont en exil, « nous sommes comme vous, mais en plus nous avons une particularité, une singularité qui nous distinguent de vous : nous sommes juifs ! ». Oula aurait-il vu cela aussi ?

C’est probablement encore plus inquiétant au moment des fêtes de notre calendrier. L’exemple du Shabbat révèle à lui seul ce qu’il se passe. Des personnes qui s’approprient totalement le vendredi soir et le samedi sans égard pour ceux qui sont autres, ils sont seuls au monde, bruyants, parfois outranciers, revendiquent fièrement cette identité juive en exil, comme ayant une place privilégiée dans le monde. Certains vont jusqu’à transformer leur appartement en synagogue, prient, chantent, parlent fort, rient, crient pendant tout le shabbat en s’appropriant l’espace et le temps, et en se déversant sur le monde sans aucune attention particulière pour l’autre, pour celui qui ne vit pas comme eux, et font finalement le contraire de ce qui est demandé le jour du Shabbat, puisqu’à Shabbat il est demandé, de se retirer partiellement du monde pour laisser une place pour l’autre, de faire une place en soi pour que l’autre que soi puisse y être logé.

Il y a enfin tous ceux, à l’intérieur de notre peuple, qui profitent de la moindre faiblesse d’Israël pour souffler sur les braises que nos éternels ennemis entretiennent patiemment en attendant que le feu se répande, alimenté par ceux de notre propre camp et de notre propre famille.

L’histoire bégaye, fait du sur place alors que dans le même temps pour d’autres, elle avance et se met en place.

Dans un verset des prophètes il est écrit : « Tous ceux qui nous détruisent et nous mettent en ruine sortiront de nous ».

C’est un verset positif, c’est-à-dire qu’ils sortiront de nous, nous en serons débarrassés. Mais il faut lire le verset entièrement, et le verset dit également que c’est de nous qu’ils sortent, ils viennent de nous.

De la même manière que Laban était le fils de Nahor lui-même le frère d’Abraham ceux qui s’érigent en rivalité d’identité, avec des valeurs qui sont opposées à celles que nous devons ériger en modèle, viennent de notre propre famille, et c’est peut-être aussi cela le drame auquel n’ont pas voulu assister nos sages. Ce conflit de famille, Cet antagonisme au sein de la même origine familiale qui inévitablement va aboutir à une séparation dramatique.

Au moment de la ré émergence de l’identité Israël sur sa terre, cet antagonisme impitoyable à l’intérieur de notre identité, peut laisser imaginer une scission définitive avec une partie de notre peuple, dont il faudra se séparer pour avancer, comme cela c’est si souvent fait dans toutes les périodes de notre histoire. Mais au moment du dévoilement de la délivrance, on commence alors à comprendre la réticences des sages qui ont anticipé cette situation effrayante qui se déroule sous yeux : « Qu’il vienne et que je ne le vois pas ! ».

Nous avons tous, en nous, chacune des différentes tendances, des différents profils d’identité, qui nous sont décrits dans les récits Bibliques à l’échelle individuelle, et qui réapparaissent avec force et épaisseur de nos jours à l’échelle collective. Nos pères ont eu à vivre une épreuve de foi : ont-ils la capacité d’espérance ? Nous sommes confrontés à une épreuve de réalisation : Avons-nous la capacité de réaliser qui nous sommes réellement ? Pour cela nous devons faire parler l’identité Israël et faire taire toutes les autres tendances d’identité qui existent en nous. C’est une épreuve de réalisation de notre identité pour ne pas risquer de devenir le rival le plus terrible de l’identité Israël.

C’est malheureusement une épreuve qui est désormais collective, et les échecs des uns entraineront les échecs des autres. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle les sages n’ont pas voulu voir cela, et éviter ainsi d’avoir à juger avec autorité, comme l’a fait Pinhas dans la paracha de cette semaine, ceux de notre peuple qui par leur conduite, nous dévalorisent collectivement au niveau du comportement morale. Mais ils nous manquent beaucoup aujourd’hui en exil pour diffuser leur sagesse

Par Olivier Cohen

Depuis les enseignements de Manitou

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