Hamakom

Antoine Mercier

« L’Etat hébreu doit se préparer à une alyah massive due au coronavirus ». C’est la déclaration assez surprenante faite cette semaine par la ministre israélienne de la Diaspora Tzipi Hotovely à l’occasion d’une rencontre avec la direction de l’organisation Nefesh B’Nefesh qui encourage l’immigration juive américaine. Selon, le Times of Israël, la ministre aurait évoqué « un réveil parmi les communautés » et assuré « que le gouvernement devait être préparé à une vague d’alyah ». 

On peut comprendre que certains juifs de diaspora en Europe comme aux Etats-Unis s’inquiètent d’une épidémie qui frappe surtout les pays occidentaux. Mais ces raisons sanitaires paraissent insuffisantes, à elles seules, à expliquer la vague attendue. D’une part, le virus ne menace pas spécifiquement les Juifs – même s’il provoque ici ou là une remontée de l’antisémitisme – et, d’autre part, Israël n’est pas épargnée par la maladie, même si la réaction des gouvernants semble avoir été plus adaptée.  

Il convient sans doute de s’interroger plus avant pour tenter de rendre raison de ce nouvel élan après plusieurs décennies pendant lesquelles les Alyihot en provenance des Etats et d’Europe se déroulaient, en dépit des chocs internationaux, de manière modérée et progressive. 

Si l’on quitte le sens « pchat » (simple) de l’annonce ministérielle, on peut constater aisément que l’épidémie de coronavirus aura eu comme première conséquence concrète de ramener chacun chez soi, que ce soit au niveau individuel avec le confinement ou que ce soit au niveau collectif avec le rétablissement des frontières. En contraste avec les appels du monde global qui vantait les mérites d’une existence sans appartenance, la consigne est dorénavant donnée de « rester chez soi ». Et de fait, chacun a été contraint de retrouver son lieu d’habitation. Cette impérieuse nécessité a aussi été l’occasion d’une plus grande introspection. Chacun d’entre nous a eu le loisir de réexaminer le sens de son existence. Et ce faisant de rendre actuelle la question de savoir où les Juifs devaient habiter. La propension de certains d’entre eux à vouloir maintenir le primat de leur intégration à l’universel s’est heurtée à la réalité d’une nouvelle assignation à résider quelque part. Dès lors les Juifs de diaspora ne peuvent plus vraiment éluder la question de leurs appartenances territoriale et nationale. 

Exemple d’une telle remise en cause : cette lettre poignante envoyée par un rabbin américain à sa communauté dans laquelle, après avoir fait un méa culpa sur son attitude passée, il encourage ses fidèles à immigrer en Israël. Irrépressiblement, le questionnement de savoir où l’on habite surgit de l’actualité du moment sous la forme de l’urgence. Il éclaire sans doute aussi, au-delà des considérations sur les craintes de l’épidémie, la perspective d’un regain de l’Alyah en provenance des Etats-Unis et d’Europe de l’Ouest lorsque ce retour sera à nouveau concrètement possible.

Cela permet de rappeler que les Juifs ne sont pas seulement des bâtisseurs de temps. HaMakom, le lieu, est aussi un des noms de Dieu. Le terme renvoie à l’espace consacré à la présence divine. Lieu où la transcendance peut s’insérer dans l’immanence sans la dénaturer. Le Traité des pères nous apprends qu’« il n’y a pas une chose qui n’ait pas sa place » (Chap. 4). Et le Maharal de Prague interprète : « C’est pourquoi « endroit » se dit Makom, car il fait exister (mekayem) la chose qui s’y tient » (Netsah Israel). 

En revenant sur notre lieu, nous accédons ainsi un nouveau niveau d’existence. Pour le peuple juif, le retour sur sa terre est de nature à rendre possible la réussite de sa mission : conduire l’humanité sur le chemin d’une rédemption en permettant au divin de résider parmi nous.   

Antoine Mercier

Journaliste

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