Roch Hachana – 1985

Le cours

Face A

Face B

Face C

Texte

/ Orot HaTshouvah – c’est un petit livre du Rav Kook qui a déjà plusieurs éditions. Il disait à ses élèves  qu’il le lisait et l’étudiait au mois de Eloul pour apprendre encore et qu’il apprenait beaucoup plus que ce qu’il avait écrit. Avant lui, dans la Shitah du Gaon de Vilna, d’où le Rav était issu, on étudie le mois d’Eloul un livre du Rav ‘Hayim de Volozine – le Nefesh ‘Hayim  – pendant le mois d’Eloul pour la préparation de la Teshouvah. A partir de la semaine prochaine il sera disponible en français traduit par Benno Gross. C’est un livre très difficile à traduire, c’est un tour de force colossale.

Orot HaTeshouvah a eu plusieurs tentatives de traduction, à ma connaissance qui n’ont pas abouti, c’ est écrit dans un hébreu très difficile à traduire en français.

C’est un petit livre en quantité mais énorme en qualité. J’ai choisi 2 textes :

Le 1er est dans le chapitre 5 au paragraphe 6.

Avant cela, une toute petite introduction.

Le texte se base, assez lointainement mais très directement du point de vue du contenu, sur un des enseignements du Rambam au sujet de la Téchouva. Pour Maïmonide la Teshouvah doit être considérée comme un mouvement naturel de l’âme ou de la conscience et ne doit pas être considérée comme une obligation de la Torah. Ce qui doit l’être c’est le comportement de la Teshouvah. La manière dont la Teshouvah doit être faite, doit être habilitée, authentifiée, et plus particuliérement dans le moment du rite de la Teshouvah qui est le rite de l’aveu. Nous étudierons à ce propos un texte qui illustre cela.

Parmi les grands décisionnaires, il y a une controverse qui consiste à savoir s’il faut considérer la Mitsvah de la Teshouvah à travers ses différents niveaux.

C’est d’abord le repentir dans le sens le plus simple : il y a eu une faute ponctuelle et il faut se repentir de cette faute et savoir à quelle condition le repentir de cette faute sera-t’il considéré comme authentique…

Nous l’étudierons avec le Hil’hot Teshouvah du Rambam.

=> Le retour à un état antérieur d’où on avait dévié au moment de la faute. 

De façon déjà beaucoup plus globale, à un plus haut niveau, pas seulement le repentir par rapport à telle ou telle faute ponctuelle  mais ce qui a été considérablement renouvellé à ce niveau-là par l’enseignement du Rav Kook, jusqu’au siècle où nous vivons la plupart des grands enseignements portaient sur la Teshouvah ponctuelle. La réparation de telle faute particulière avec toutes ses implications (aveu, repentir, expiation…etc.)

=> De façon plus générale encore, le retour d’un éloignement globale de la personne toute entière.

=> A un niveau encore plus haut, et c’est là essentiellement le ‘Hidoush le renouvellement du sens de ce problème dans l’enseignement de Orot HaTeshouvah du Rav Kook : le retour d’Israël comme collectivité à son identité propre. C’est là un niveau de la définition et de l’enseignement qui porte sur la Teshouvah qui est propre à l’enseignement du Rav Kook. Ce sont des thèmes de réflexions de connaissances d’étude qui sont devenus assez familiers, mais il faut se rendre compte de la mutation qu’il y a eu au moment où avec le Rav Kouk on a commencé à parler de la Teshouvah au niveau global, tant au niveau de la personne individuelle dans sa globalité, qu’au niveau du Klal Israël, du peuple d’Israël dans sa globalité.

Il y a un problème particulier sémantique concernant le sens de l’expression Baal Teshouvah en général qui est un terme flou par rapport au vocabulaire traditionnel : pour celui-ci Baal Teshouvah est une personne qui a fait Teshouvah sur un comportement particulier. Dans ce sens-là, il n’y a que des Tsadikim méikarah c’est-à-dire des consciences de personnes qui sont des Tsadikim de principe, qui vivent selon la Torah qui pourraient être Baalei Tshouvah dans le 1er sens, qui est le sens classique habituel jusqu’à notre temps. C’est le sens habituel jusqu’à notre époque. Il faudrait leur appliquer l’expression ” ’hozrim bitshouvah ” et non “Baalei Téshouvah” pour ceux qui étaient complétement éloignés du  judaïsme d’Israël, et d’Erets Israël et reviennent..Le fait qu’on les nomme Baalei Tshouvah est trés ambigü. C’est plein de problèmes. En fait, je ne sais pas si c’est un phénomène de société contemporaine, c’est un phénomène qui ne touche pas que la société juive, et Israël ne particulier ; cela s’inscrit dans le phénomène global de retour ou de recherche aux sources en général que l’on peut expérimenter dans différents domaines de l’histoire contemporaine.

La plupart du temps, il s’agit d’un retour ou d’un revenir, et parfois ce n’est ni retour, ni revenir puisque ces personnes n’y ont jamais été, on ne revient que là où l’on a été) ce sont leurs ancêtres, immédiats ou lointains qui avaient quitté l’ensemble Am Israël-Torat Israël-Erets Israël. Et ceux qui reviennent en réalité viennent de nouveau… Et la plupart du temps, c’est à discuter et à étudier,  ils reviennent non pas à la Torah ou à Israël mais à la religion. Ce qui est très particulier. Ils sont ‘Hozrei Ladaat vé lo ‘Hozrim bitshvouah, plus exactement. C’est un emploi peu clair des termes traditionnels dont on a hérité et que l’on ne sait pas manier, donc on les manie sommairement. Ce qui explique un monde de problèmes au niveau de la société juive et israélienne en particulier. Vous le devinez, ce ne sont pas seulement des problèmes sémantiques mais des problèmes de sociétés, et d’identités extrêmement graves. Mais ce n’est pas tellement notre sujet.

Malgré tout je voulais signaler ce renouvellement de sens du mot de Teshouvah que nous devons au Rav Kouk, et qui dépasse considérablement le sens classique, pour lequel seuls ceux qui étaient soumis à la Torah et vivaient selon la Torah  pouvaient être Baalei Teshouvah en cas de trébûchement sur un comportement de faute x ou y. Et cela ne désigne pas le mouvement auquel nous sommes en train d’assister dans la société juive, qui encore une fois n’est pas spécifique au peuple juif. C’est un mouvement de retour et de recherche de sources qui est très globale et général dans l’humanité, surtout qui avait été touchée par la culture occidentale, et qui est un autre phénomène.

Ce phénomène de retour des Juifs à leur identité, dont le maitre, l’enseignant et l’éducateur à été  le Rav Kouk, est un sens nouveau du terme de Teshouvah.

Je reviens donc à la source que l’on trouve chez Maïmonide et qui semble à la base même du texte du Rav Kook :

C’est le fait que Rambam considère que la conduite de Teshouvah est une tendance de la nature humaine telle qu’elle a été créée. Et selon la propre doctrine du Rambam ce qui est un comportement naturel ne peut pas être objet de commandement. Puisque s’il y a tendance naturelle il n’y a pas liberté de la conscience. Ce qui peut être objet de commandement d’obligation, de  ‘Hiyouv en hébreu, c’est la forme qui authentifie.

Je reprends donc pour notre exemple :

Selon Maïmonide, revenir à une valeur que l’on avait quitté doit être considéré comme une tendance naturelle. Ainsi, le commandement ne peut porter que sur la manière d’authentifier, c’est selon Rambam l’aveu. La Mitsvah demandée par la Torah c’est que lorsque il y a Tshouvah, que l’aveu soit authentique.

La conduite de la Teshouvah elle-même a, je crois, été systématisée de la manière la plus claire du point de vue des comportements rituels et à la limite presque de l’ascèse que ces comportements rituels impliquent inévitablement, par l’école des ‘Hassidim allemands qui ont établi (surtout dans l’enseignement de Rabbi Yehoudah He’Hassid qui reprend ce qui s’annonce chez ses prédécesseurs)

4 formes de Teshouvah possibles : 4 conduites de la Teshouvah

–  Teshouvat Habaah = « montrer qlq ch., témoigner que »  

–  Teshouvat Shékénégued = opposé, contraire à celui de la faute

–  Teshouvat Mishkal = payer le prix de compensation de la faute effectuée

–  Teshouvat Hakatouv = conduite d’après ce que le verset prévoit comme sanction de la faute.

 => Teshouvat Habaa : c’est faire la preuve que l’on est capable de ne plus faire cette faute-là : s’exposer à la tentation à laquelle on avait succombé pour faire la preuve qu’on n’y succombe plus. C’est la conduite de Teshouvah la plus difficile, elle est périlleuse. Qui peut garantir à priori qu’il n’y succombera pas de nouveau ? Cette mise à l’épreuve se rattache à un enseignement du Talmud qui est qu’une Teshouvah authentique est celle où Dieu peut attester qu’on ne referra pas la faute qui avait été faite : l’expression employée c’est ‘hoker klayot valev – Dieu, en tant qu’il sonde les reins et le coeur, peut attester que le fauteur ne refauterra plus de la même faute : une Teshouvah n’est authentique que lorsque c’est la dernière fois que l’on fait Teshouvah de la même faute.

J’ai l’habitude de donner un substitut d’explication : car comment expliquer que le fauteur qui fait Teshouvah sait lui-même que Dieu sait qu’il ne recommencera plus sa faute ? D’une certaine manière la récompense d’une Teshouvah authentique, c’est le fait qu’on ne peut plus recommencer la même faute. Il n’y a pas de Téchouva en dehors de cette définition. La Guemara dit : celui qui dit : « je vais fauter et après je me repentirai », on ne le laisse pas se repentir…

Et nous apprendrons que le repentir est la conduite morale la plus difficile précisément en raison de la difficulté de l’aveu. Ce n’est que lorsque l’on est capable d’avouer authentiquement la faute qui a été faite qu’il y a là le signe que le repentir était authentique. La psychologie contemporaine que l’on nomme parfois « la psychologie des profondeurs » a retrouvé et utilisé cette dimension-là.

–  Pour en revenir à la Teshouvah HaAbaah il est évident qu’elle est extrêmement périlleuse : qui peut garantir qu’il ne succombera pas de nouveau à la même tentation ? Le témoignage d’authenticité est précisément de se réexposer à l’épreuve et de la surmonter. C’est effectivement le signe de l’authenticité de la Teshouvah. S’il succombe qui serait responsable ? Le rabbin qui aurait enseigné cette forme de Téshouvah en søexposant ! C’est pourquoi dans cette école même, il y a 4 mots qui expliquent le problème : « teshouvat haabaah einénah noégedOn n’a pas l’habitude de faire Teshouvah ainsi. » Cela était vrai lorsqu’on était capable de cela. Simplement, nos maitres ont diagnostiqué que l’on n’est plus capable de cela donc on ne fait plus ainsi. Donc la 1ère Téshouvah est inusitée.

–  Teshouvah shekenegued => la 2ème consiste précisément à fuir à l’opposé, fuir tout risque d’occasions de se retrouver dans les mêmes circonstances de la faute. Vous me direz sans doute c’est plus facile ou plus difficile mais en tout cas c’est plus sûr…

–  Teshouvat hamishkal = La 3ème c’est s’imposer soi-même des compensations de Yissourim, des épreuves, pour effacer les Anaot, les jouissances,  de la faute que l’on a faite. Il y a là toute une conception, qui est propre au ‘Hassidisme de l’école allemande, de la faute et de la vertu, qui est très précise et particulière à cette école. Il n’y a de jouissance que dans la faute et il n’y a pas de vertu sans souffrance. C’est une vision assez particulière. Par définition, ce qui donne la  jouissance c’est la faute ; et que pour compenser cela on n’est pas encore au stade d’expiation, mais pour compenser cela et atteindre un guérison de la conscience qui a été atteinte par ces jouissances de la faute, il faut dans la voie de la vertu s’imposer des souffrances compensatrices. Des Yissourim mamash. Il y a là une sujectivité des écoles d’ascétisme particulières. Par exemple : aller quand il fait le plus chaud s’assoir tout nu sur une fourmillière. Très rapidement, le Shla’h, grand enseignant de la morale pratique, déclare que nos générations ne sont plus capables de cette forme de Teshouvah. Vous voyez à quel point avec le temps notre identité par rapport à ces problèmes s’est diluée. Ces livres de morales pratiques sont à manier avec précaution. Il faut savoir en lisant ces livres de morales pratiques à quel siècle ils appartiennent pour savoir si nous sommes à la hauteur de ces formes de consciences morales. Je signale cela souvent à propos de l’étude de base du Sefer Messilat Yesharim de Luzzato: le grand enseignement de morale pour les génération contemporaines, en particulier pour la Téshouvah. Très bien traduit en français par Jean Poliatschek qui lui a donné le titre: « le sentier de rectitude ». Et déjà, le niveau auquel le Messilat Yesharim nous interpelle par rapport à l’authenticité des conduites morales, nous dépasse infiniment. Mettre ce manuel de morale entre les mains des juifs « comme ils sont », comme disait Léon Algazi, les simples fidèles, c’est une erreur pédagogique colossale. Je vous le dit en passant ce sont des choses à manier avec la perspective exacte de contemporanéité. Alors que nous trouvons avec ce livre (Orot haTeshouvah) un optimisme, une espèce de joie de faire Teshouvah, qui est très loin de  cette école décrite mais qui cependant est en arrière fond de tout cela.

–  Teshouvat hakatouv = là on est au-delà des écoles d’ascétisme qui définissent leurs propres règles d’après leur propre subjectivité de telle Shitah. Teshouvat hakatouv d’après le Shoulkhan Aroukh de la Torah elle-même : savoir que faire pour compenser les Anaot de la faute qui a été faite. Parfois c’est beaucoup plus grave que l’ascétisme, parfois moins apparemment, mais voilà comment les choses nous étaient présentées. 

Le texte que l’on va étudier va déceler une tout autre dimension du problèéme : c’est qu’il s’agit non pas de s’imposer une vertu supplémentaire à la vertu d’être en bonne santé de créature, mais au contraire de retrouver, et dans la joie, cette bonne santé de créature de telle sorte de retrouver le caractère positive de la conduite du repentir qui se situe à l’opposé de celle du remords.

La conduite du remords c’est le signe de la maladie. L’expérience du remords peut être bien entendu le commencement de la guérison, suivant en cela le principe général qu’une conscience qui n’a pas conscience d’être malade ne peut pas être guérie.

Il ne s’agit pas donc d’aborder un niveau de vertu coercitive, c’est là la définition de base et minimum de toute ascèse de la Teshouvah, mais au contraire de se guérir, c’est-à-dire de retrouver la bonne santé mentale de l’état de créature, expression qui revient très souvent dans l’enseignement du Rav. Au niveau sémantique en hébreu, bien que les deux racines ne sont pas exactement les mêmes, la proximité des mots de Bari en bonne santé et le mot de Briah. Briout la santé et Briah la créature. L’être créé dans son état de créature est en bonne santé. C’est cette bonne santé-là qu’il faut retrouver. La joie d’être créature. Nous sommes apparemment aux antipodes de la 1ère définition donnée. Cela va me permetre sans autre transition d’aborder le texte lui-même.

***

Chapitre 5 paragraphe 6 :

Je vous lis d’abord le titre du paragraphe:  Yessod hateshouvah

(qui n’est pas forcément du Rav Kook lui-même mais vraisemblablement datant de la 1ère édition du Rav Neiriah, un des élèves du Rav Kook)

« Yessod HaTeshouvah – fondement de la conduite de Teshouvah – c’est l’exigence de l’aspiration à la perfection (Shlemout)  qui relie entre la réalité de l’existence – Metsiout – telle qu’elle est à l’existence telle qu’elle est désirée. »

Le titre parle pour lui-même : vous avez une définiton de la perfection qui est propre non seulement à l’enseignement du Rav ici, mais aussi à la définition de la Teshouvah comme mouvement naturel chez Maïmonide, et comme définition de ce que peut être la notion de perfection pour la Torah elle-même. Une très brève réponse : Il s’agit de la perfectibilité : c’est cela la perfection réelle.

Parce que le terme de « perfection », que j’emploie en français dans son sens latin avec une signification qui vient du grec, est en réalité complément opposée à l’idée corollaire qu’il y a dans la tradition juive. Le mot français de « parfait » qui vient du latin signifie « complétement fait », « achevé ». Il y a la notion de la fin, c’est au fond un type de culture gréco-latine qui voit dans la mort la perfection de la vie. C’est l’horreur de l’horreur pour la sensiblité hébraïque. Cette perfection-là c’est la mort : « complétement fait », « perfectum », « achevé » dans tous les sens du mot… C’est vraiment l’idéal du fini. Voyez le monde d’implications dans cette indication sémantique rapide.

Maharal cite un Midrash : « là où cette perfection de la Shlemout s’installe, le Satan danse ».

Cela signifie que cette perfection-là est le royaume du Satan, c‘est l’impureté absolue. Il y a là une conduite de sensibilité radicalement autre, même pas opposée. Là où il y a le parfait dans ce sens latin-grec c’est l’impureté absolue. Vous voyez donc la différence de sensibilité entre judaïsme et christianisme à propos de 1000 problèmes à ce sujet. Cela vous explique le désordre des synagogues en particulier. C’est la différence entre la vie et la mort.

Cette idée du « parfait » ainsi définie n’existe pas dans la mentalité hébraïque. Chaque fois qu’un comportement juif de quelque ordre que ce soit, religieux, mental, intellectuel, folklorique…, devient « parfait » dans ce sens-là, l’assimilation commence, cela se déjudaïse d’un coup…

(Cf.la synagogue de la rue Notre dame de la victoire…)

[J’ai souvenir d’avoir participé à une réunion du mouvement de jeunesse au Consistoire où la question posée aux éducateurs des mouvements de jeunesse était : Pourquoi nos synagogues sont-elles désertes ? Un des Rotschild parlait des budgets colossaux pour ces temples qui sont finalement vides ! Alors, la seule réponse c’était que ce n’étaient plus des synagogues… Vous avez compris la gravité du problème. Au fond les Juifs ne vont pas dans les synagogues parce qu’ils ne se sentent plus chez eux en tant que Juifs, stam. Non parce que la prière est belle ou pas belle, mais parce qu’il y avait cette limite du parfait à l’occidental qui est le signe même du judaïsme soutanique satanique… Cf. la citation du Maharal.]

L’idée de Shlemout en hébreu est différente : nous sommes obligés en parlant français d’employer le terme de « parfait » mais il faut le nuancer considérablement : Shlemout c’est « intégrité ».

Et donc par rapport à l’effort qu’il y a à faire pour relier le Matsouï au Ratsouï, ce qu’il y a dans la réalité telle qu’elle est, avec ce qu’il devrait y avoir dans la réalité telle qu’on en a le Kissouf Ni’hsefet – exigé désiré – c’est cette perfectibilité qui est toute autre que le comportement de la recherche du parfait. C’est tout plein d’implications dans de nombreux domaines, mais cela nous ferait partir dans des parenthèses.

Alors je préférerais traduire Shlemout par « intégrité ». Et on peut être intègre dans n’importe quel niveau d’imperfection, va nous expliquer le rav Kouk, et à la limite philosophiquement de  perfectibilité,  mais c’est encore une notion peu claire malgré tout, plutôt que de dire « perfection ».

(En hébreu la racine « Kalah – Kalo » peut signifier le comble de la perfection ou le comble de la destruction. Cela dépend où l’on met le Daguesh lorsqu’on dit Kalah. Kilayon. La même racine. Achevé dans le sens du parfaitement fait, cela veut dire mort, détruit, figé. Apparence de la vie. Le retour aux sources qui est le plus un échec c’est le retour à des formes achevées du passé qui sont déjà mortes pour tenter de les ranimer. Ce sont des conduites magiques : on veut résuciter des cadavres. On ne fait que ranimer des cadavres. Alors, c’est de la magie, et pas de la Torah. Vous avez compris ce à quoi je ne fais pas allusion…)

Retour au texte :

« indépendament de la pensée de la Teshouvah

(ici dans le sens de projet de la Teshouvah, projet comme une ligne de conduite directive du comportement d’être) le repos de l’esprit que cela donne (Ménou’hatah : la notion de ménou’hah en hébreu ne peut pas se traduire par repos. Nous aurions là encore une fois l’idée et l’ombre du « repos éternel ». C’est au fond cela la perfection : le repos éternel. Je vous donne une image que vous connaissez : le sommeil du Shabat lui est une Ménou’hah. Parce qu’il n’y a pas de remords. On sait que c’est Shabat et qu’on a le droit de dormir. On ne peut pas se reposer si on a un scrupule de quoique ce soit d’autre.  C’est pourquoi on dit que Shéna Béshabat Taanoug les Rashei Tévot donnent Shabat. Cela est dit du sommeil de la journée, pas de la nuit. Le repos de la nuit de Shabat n’est pas tellement le repos shabatique. Mais dans la journée oui. On peut dormir dans la journée tranquillement sans avoir autre chose à faire. On a déjà fait Min’hah ou on va la faire, mais il n’y a rien d’autre, il n’y a pas de scrupule, alors c’est vraiment Ménou’ha.

Bit’honah : c’est la sécurité d’être, pas cette inquiétude quant au mérite ou non d’être, c’est un niveau encore plus haut ou plus profond, une tranquilité sans inquiétude ni scrupule quant au mérite par rapport à l’être. Sans scrupulite, sans ce mal d’être qui caractérise beaucoup de  justes, c’est-à-dire beaucoup de consciences morales qui doute de leur mérite à vivre par doute sur leur mérite. C’est un danger de la conscience qui est précisément propre aux consciences fines, aux consciences à scrupule, qui risquent de considérer la vie comme une faute… On voit où cela plonge finalement… que la vie est un péché… et que c’est ainsi depuis l’origine… (péché originel). Et nous plongeons dans une civilisation dont c’est le sentiment profond. Ce n’est pas pour rien que la religion officielle de la civilisation contemporaine occidentale est une religion qui semble désigner cela très clairement à travers ses mythes. C’est que vivre est une faute. Il faut guérir ça. En réalité, le christianisme officiel ne va pas jusqu’au gnosticisme gnostique mais cela le frôle. Le christianisme a dû lutter pendant des siécles contre la tentation gnosticiste pure et simple, mais c’est leur problème. C’est le sentiment qu’il faut être sauvé de la vie. Le salut vient sauver l’homme de ce fait de vivre parce que c’est le fait de vivre qui entraine le mal. Il y a aussi le danger d’un basculement dans cette névrose-là chez les Juifs aussi ; parce que non assurés de cette bonne santé des choses hébraïques lorsque l’on parle de la Bible, on risque de la lire de cette manière… Là aussi, ce n’est pas par hasard que ceux qui l’ont lu ainsi l’aient lu ainsi…

« indépendament de la pensée de la Teshouvah le repos de l’esprit que cela donne » 

« Ma’hshevet hateshouvah en tant que projet, de ligne de comportement, mène avec elle la ménou’hah et le bita’hon vraiment,

C’est le propre des problèmes qui risque d’attaquer en inquiétude la conscience morale la plus fine de scrupule.

…/…

ici le Rav nous donne une indication de phénoménologie existentielle très profonde :

« un homme de scrupule moral ne peut pas avoir de repos d’être ».

Je vous cite directement le Talmud qui appelle Rashâ celui qui peur rester une semaine sans rêver. C’est sûrement un Rashâ. Dans notre civilisation on appelle cela « le sommeil du juste » ! C’est encore une sensibilité complétement opposée. Mon maître me l’a expliqué ainsi : Quelqu’un qui reste sans rêver (ie. sans cauchemard) une semaine entière, le monde étant ce qu’il est, c’est sûrement un Rashâ !

On bascule dans une toute autre mentalité. Bien entendu, il faut rappeller que ceux qui ont l’habitude de dormir sans rêver ne sont pas forcément des Reshayim. On parle en typologie généralisée. Cela veut dire à la limite : Celui qui peut être satisfait de l’état du monde sans rêver est sûrement un Rashâ.

Nous aurons un autre cours dans ce séminaire à propos de la Akédah d’Ist’haq où nous aurons à comparer les rires de Its’haq et de Ishmaël dans la Parashah lue à Rosh hashana. Nous verrons que Ishmaël rit au présent et c’est pourquoi il est disqualifié, alors que Its’haq est appelé celui qui n’aura le droit de rire qu’à la fin des temps Yits’haq c’est au futur (« Il rira »), Metsa’heq pour Ishmaël c’est au présent. Il y a là le même thème : Celui qui peut être satisfait de l’état du monde au présent jusqu’à en rire, celui-là est évidemment Rashâ dira le Midrash sur ce verset. Alors que l’autre fils d’Abraham, est appelé Yts’haq,  « il rira » à la fin  (Cf. « Rira bien qui rira le dernier »)

Il y a une Guémara entière à ce sujet avec un commentaire très important pour notre sujet, du verset des Psaumes [126:2]que vous connaissez : אָז יִמָּלֵא שְׂחוֹק, פִּינוּ  Az imalé sh’houq pinou…  « alors seulement on pourra emplir sa bouche de rires ».

Il y a un enseignement de Resh Laqish au nom de Rabbi Shimon bar Yo’haï : Assour laadam … il est (interdit à l’homme d’emplir sa bouche de rires dans ce monde-ci. D’après le verset (des Psaumes 126 :2) qui dit : אָז יִמָּלֵא שְׂחוֹק, פִּינוּ  Az imalé sh’houq pinou…: alors seulement quand le monde sera comme il devrait être, on pourra rire vraiment. D’où le nom de Isaac. Il ne rira que lorsque ce sera authentique. C’est ce qui disqualife Ishmaël vis-à-vis de Its’haq. L’attitude de Sarah nous apparait apparemment paradoxale : elle voit un enfant rire et elle dit : Sépare-le !

Dans le même [21:8] verset nous avons « Ki lo irash  …/… 

[21:8: כִּי לֹא יִירַשׁ בֶּן-הָאָמָה הַזֹּאת, עִם-בְּנִי עִם-יִצְחָק ]

***

Rosh hashanah (1985) Suite

…/… 

Je reprends l’expression du Rav Kouk :

« sans cette sécurité que donne maha’hshevet hateshouvah, cela signifie qu’il n’y a pas de manoa’h. (Un des noms du Mashia’h dans le Talmud est Mena’hem) et ce qui fait que les vies sont vivantes au niveau spirituel, ne peut pas se développer dans le monde. Le sens moral réclame de l’homme le tout de la justice et du bien (la perfection dans le sens que nous avons vu) ».

Et le Rav nous dira que c’est impossible !

Donc nous vivons dans une contradiction intérieure qui entraine le malheur de la conscience. Cela veut dire que nous sommes donnés à un problème tragique qui n’a pas de solution. Parce que le sens moral n’est authentique que s’il réclame l’entièreté du Tsedek et du Tov, la Shlémout du Moussar ! Et le Rav nous dira que nous en sommes incapables. Donc il ne peut y avoir de Mano’ah : la conscience morale ne peut qu’être une conscience malheureuse.

Il y a une thèse de Jean Vahl : « la conscience malheureuse chez Hegel ». Pour Hegel cela allait de soi que l’homme pour lequel la loi est la loi morale ne peut être que de conscience malheureuse. Jean Vahl indique qu’il y a aussi la conscience bienheureuse.

C’est le grand conflit dans la culture juive occidentale entre les Mitnagdim et les ‘Hassidim.

Cela touche un peu à l’analyse du cours précédent ou même à l’analyse des 4 formes de la Teshouvah du ‘hassidim allemand. C’est-à-dire que pour un Mitnagued authentique, à la limite, la joie morale est suspecte, insolente. Alors que davka pour un ‘Hassid sans joie morale c’est suspect. On ne peut pas envisager dans le monde ‘Hassid un juif étudiant la Torah sans être heureux. C’est suspect ! Dans le monde Mitnagued c’est l’inverse.

Si vous relisez un très grand livre de Nietsche, qui s’appelle « la naissance de la tragédie », un livre génial de la jeunesse de Nietzsche qui allait de génie en génie jusqu’au génie suprême : il y analyse la différence chez les Grecs entre l’homme appolonien et l’homme dyonisien, qui établit une différence très parallèle entre les  Mitnagdim et les ‘Hassidim dans le sentiment de la vie. Et en particulier d’ailleurs sur le problème de la conscience morale malheureuse ou bienheureuse. Ce sont deux sensibilités morales différentes.

Celui pour qui c’est évident que la conscience morale doit être une conscience malheureuse sinon elle est suspecte.

Celui pour lequel c’est évident que la conscience morale doit être une conscience heureuse sinon elle est suspecte.

Et vous devinez dans quel sens le Rav va s’orienter, précisément par  le ’Hidoush qui se base sur Maïmonide.

Il y a deux choses importantes à signaler :

« Le jugement cette Shlémout hamoussari, cette perfection morale, en dehors de quoi cela serait falsifié et hypocrite, est tellement loin de notre possibilité de l’accomplir en fait,

Et en même temps la 2ème chose c’est la 2ème expression véhashlemah bépoal parce que tant qu’elle n’est pas poal c’est de plus en plus suspect.

C’est à dire qu’il y a une solution possible de type morale occidentale puisque c’est impossible d’atteindre – c’est trop loin de nous – cette perfection que le sens moral réclame de nous on va l’atteindre mais en intention – vous devinez là la ligne de la théologie du christianisme – ou en contemplation  – vous devinez là la ligne de la philosophie tout court.

Mais le Rav dit véhashlemah bépoal : tant que notre personne n’a pas réalisé bépoal en fait, elle ne peut pas trouver ce Ménou’hah, ce Bita’hon, manoa’h, et donc il évacue toutes ces contrefaçons qui pour ne pas pouvoir résoudre le problème, se satisfassent de ces contrefaçons : c’est-à-dire des morales d’intentions, que ce soit intellectuelles ou spirituelles.

« et combien sa force d’accomplissement est faible pour pouvoir orienter ses actes vers la pureté de l’idéal de la justesse morale du Tsedek hagamour – authentique.

Cette exigence de la conscience de vérité de n’être satisfaite que dans l’entièreté. C’est ce qui définit l’identité de Jacob en tant que Patriarche.

Les Patriarches ont reçu chacun trois bénédictions concernant cette approche de l’entièreté :

=>  Abraham: bakol

=>  Yts’haq: mikol

=>  Yaaqov: kol

Tant qu’on atteint pas le Kol d’une vertu quelqu’elle soit alors on n’est pas encore Israël. Il y a dans cette identité d’Israël, d’une certaine manière, l’exigence du tout ou rien.

C’est l’échec si on voit ce tout ou rien à ce niveau de perfection à la grecque : puisqu’on ne peut avoir tout, alors rien ! C’est un des échecs de la conscience juive de croire qu’il faut le tout dans l’entiéreté immédiate et ponctuelle et que si on ne l’obtient pas, alors rien ! C’est très occidental comme réaction de cette problématique du « tout ou rien ». le Rav va corriger cela tout de suite.

Lorsque Jacob a rencontré Essav, et que Jacob lui envoie un cadeau pour l’amadouer, et Esaü grand seigneur lui dit : « Garde, j’ai beaucoup Yesh li rav ! »

Jacob répond : « prend, j’ai tout yesh li kol ! ».

Cela situe bien la différence entre Jacob et Esaü. Esaü a un Rav, Jacob a Kol.  

Celui qui a beaucoup n’a encore rien, tant qu’il n’a pas tout…

Comment avoir tout puisque cela n’est pas possible ? Alors rien !

Je crois qu’il y a là la ligne d’explication du fléchissement, de l’effondrement de l’identité juive dans sa problématique contemporaine dati o ‘hiloni.

Ou bien… ou bien… : c’est l’attitude nordique chez Kierkegaard.

Les  rabbins qui s’inspirent de cela sont un peu comme ça…

Il y a là une condamnation de la théologie tragique totale absolu :

« comment aspirer à ce qui n’est pas en son pouvoir du tout ?  Lazot pour cela, la Teshouvah est naturelle à l’homme. »

On retrouve ici Maïmonide : c’est la Teshouvah ainsi entendue qui va donner une solution à cette impossibilité tragique, c’est elle qui le rend Shalem : à chacun de ces niveaux d’imperfections elle le rend parfait.

« Si (dans le sens de “bien que”) l’homme est donné constamment à l’obstacle qui fait trébûcher, et porte atteinte au Tsedek et au Moussar (la justice et la morale), à son idéal d’entièreté morale, il reste dans sa perfection s’il est porté par Ma’hshevet Hateshouvah » (parce que cela réintégre dans l’instant même de la faute, cette chute qui était inévitable quant à sa nature) …

Vous comprenez comment on peut être à la fois conscient de ses limites au moment même de la faute et en joie d’être. C’est une ‘Hassidout très profonde qu’il y a là car elle tient compte de l’exigence des Mitnagdim. Ce n’est pas une ‘Hassidout de la dérilection, d’un camp naturiste…

C’est une ‘hassidout qui tient compte de façon précieuse et minutieuse de ce que les Mitnaguim enseignent : « voici quelle est la  perfection morale mais sache à quel point tu en es incapable ».

Et cependant grâce à la Teshouvah nous dit le Rav, qui fait le pont entre ces deux mondes, il n’y a aucune atteinte à cette Shlemout dans le sens hébreu, du Tsedek et du Moussar. Sans être porté par Ma’hshevet HaTeshouvah tout s’effondre…

Rav Abraham Epstein, grand talmudiste, avait quitté Israël après une querelle avec Ben Gourion, nous avait enseigné un Midrash de deux manières : ‘hassid et mitnagued.

Dans le Maassé Bereshit il y a ce principe qui apparait : Sof maassé béma’hashavah t’hilah : la fin de l’oeuvre est dans la pensée du commencement : la fin de l’oeuvre est dans le début du projet ie. le début du projet va n’être réalisé qu’à la fin de l’oeuvre et donc l’homme est la dernière créature :

Le Midrash [Midrash Rabbah  Vayikra 14:1] dit : « s’il mérite on lui dit « tu es la couronne du monde », sinon on lui dit « le moustique t’as précédé ! »  S’il a mérité c’est la lecture Mitnagued couronne du monde. S’il n’a pas mérité il est moins que le moustique…

La ‘Hassidout explique ainsi : s’il a mérité on lui explique « gare à toi ! le monde dépend de toi, tu  es la couronne du monde et il dépend de toi, aie peur !». S’il n’a pas mérité il pourrait tomber dans le désespoir mais on lui dit : « Dieu s’est occupé de créer le moustique avant toi, tu n’as rien gâché du tout, recommence ! »

Vous voyez donc la différence de perspective du même Midrash. Il est évident qu’il y a les deux dimensions mais selon qu’on mette l’accent de ce côté ou de l’autre mis, on a une vision de la destinée très différente.

Le Rav Kook ici nous donne la clef du problème : la Teshouvah. Cela veut dire que quelque soit le niveau de gravité de l’imperfection qui est la conséquence de la faute, on reste dans l’intégrité absolue du bonheur d’être si la conduite de Teshouvah anime le comportement.

« si bien que l’homme soit constamment donné-conditionné au piège, portait atteint à la justice et à la moralité, cela n’atteint en rien son intégrité Shlemouto. Par le fait que l’essentiel du fondement de son intégrité c’est l’aspiration et le désir fixé en lui immuablement…

A propos du mot de ‘Hefets, Il me revient en mémoire un Midrash très important sur le 1er Psaume :  

אַשְׁרֵי הָאִישׁ–    אֲשֶׁר לֹא הָלַךְ, בַּעֲצַת רְשָׁעִים

וּבְדֶרֶךְ חַטָּאִים, לֹא עָמָד,    וּבְמוֹשַׁב לֵצִים, לֹא יָשָׁב

כִּי אִם בְּתוֹרַת יְהוָה, חֶפְצוֹ;    וּבְתוֹרָתוֹ יֶהְגֶּה, יוֹמָם וָלָיְלָה

« Heureux l’homme qui ne s’est pas compromis avec tous les niveaux de la faute …

Je paraphrase le 1er verset…

« il met son ‘Hefets son désir dans la Torah de Hashem, et dans sa Torah – le Pshat serait Torato shel Hashem – il médite jour et nuit ».

Le Midrash dit que s’il met son ‘Hefets, son désir, dans Torat Hashem inatteignable, si le ‘Hefets est authentique, alors Torat Hashem devient Torato : la Torah telle qu’il peut l’atteindre c’est sa Torah – Torato – et elle s’appelle Torat Hashem.

C’est un enseignement du ‘Hafest ’Hayim que le Rav Tsvi Yehoudah Kook (le fils) avait l’habitude de citer :

[Psaumes 19:8]:

תּוֹרַת יְהוָה תְּמִימָה, מְשִׁיבַת נָפֶשׁ

« Torah Hashem temimah meshivat nafesh »

 La Torah de Dieu est parfaite, elle ramène l’âme.

Le verset dit : « Torat Hashem Tmimah », Rav Tsvi Yehoudah Kook citant le ‘Hafets ‘Hayim avait l’habitude de dire “ish lo nagar ba : personne ne l’a touché”. Il ajoutait d’ailleurs sur la fin du verset « Meshivat nafesh » « elle rend l’âme, elle rend la personne ». Elle ranime l’âme. Donc : si elle n’est pas Meshivat nafesh c’est qu’elle n’est pas Torah Hashem !     

La notion essentielle est celle-ci :

La Teshouvah est un comportement qui nous est donné, de façon à réintégrer notre bonne santé de créature, quelque soit les régressions auxquelles on se trouve. Ce qui restitue simultanément la conscience aïgue et éclaire la distance entre la réalité et l’idéal et en même temps le bonheur d’être à chaque étape.

Et alors nous trouvons-là une expression très précise de ce que déjà disait Maïmonide, la Teshouvah est un mouvement naturel de la conscience. Le Rav Kook va ici plus loin : pas seulement de la conscience morale sensible aux valeurs mais de la conscience d’être, de la conscience de créature comme telle. Et il décèle d’ailleurs dans d’autres chapitres de ce livre que les mondes sont en processus de Teshouvah. Il y  une dimension métaphysique de la Teshouvah. Comme si la création consistait à mettre le monde loin de Dieu et que le 1er commandemment contenant tous les autres consiste dans ce revenir. Et à chaque degré de ce revenir, il y a à la fois la conscience aïgüe de l’éloignement qui reste à combler et en même temps, de la dignité d’être déjà arrivé-là où l’on est arrivé.

Dans le cas de la régression, vous retrouvez toutes les Halakhot relatives à la Teshouvah que le Talmud avait enseigné : si la conduite de repentir apparait dans la conscience dès le moment de la faute, alors dès ce moment-là on est déjà pardonné.  Si on laisse passer du temps, le revenir est un plus long voyage, alors que si c’est immédiat, la distance est plus courte…

Une phrase encore sur ce texte, à propros de Maïmonide : si une conscience a été sensible à une valeur on peut lui faire confiance qu’elle ne se laissera pas tranquille (manoa’h) jusqu’à revenir à cette valeur.

Donc on n’a pas à commander au Tsadik de faire Teshouvah. S’il a été soumis à la loi il y reviendra tout seul. C’est un très haut niveau de morale, très noble, Atsili.

Si une fois une conscience a été sensible à une valeur, alors on sait qu’elle y reviendra. La Teshouvah n’est pas commandement mais une promesse dit Maïmonide. Il a suffit d’avoir accepté la loi pour être assurer du retour quelque que soit la faute.

Je concluerais sur ce point que c’est le même enseignement à propos du retour en Israël. Le retour en Israël n’est pas une Mitsvah chez Maïmonide. Beaucoup de Juifs de peu de foi attendent une Mitsvah pour revenir en Israël.  Rav Tsvi Yehoudah Kook : Est-ce qu’il faut un commandement pour revenir chez sa mère ? S’il faut un commandement pour revenir chez sa mère c’est que ce n’est pas sa mère ! 

C’est une promesse : Dieu dit à Israël : Tu reviendras ! Mais quand tu reviendras reviens vers Moi et ne va pas ailleurs…

Il y a un comportement naturel. On trouve cela dans les deux niveaux. Dans le code de Maïmonide, il n’y a pas une Mitsvah de faire Teshouvah. Quand tu fera Teshouvah voilà comment tu feras…  l’aveu…

Pour Israël il n’y a pas de Mitsvah de revenir en Israël.

Beaucoup de Juifs pieux trouvent dans cette absence de Mitsvah le justificatif pour ne pas faire leur Alyah. Selon Maïmonide celui qui réclamerait une Mistvah pour revenir n’est plus concernée du tout par l’identité d’Israël.

J’ai préparé 2 Midrashim le 1er proposé à l’étude concerne Qaïn.

Bereshit chapitre 4 verset 16 :

4:16

וַיֵּצֵא קַיִן, מִלִּפְנֵי יְהוָה; וַיֵּשֶׁב בְּאֶרֶץ-נוֹד, קִדְמַת-עֵדֶן

Vayetse Qayin milifney Adonay (YHWH) vayeshev be’erets-Nod kid’mat-Eden.

Le thème que nous allons étudier à travers ce Midrash c’est que pour la pensée naturelle (naturelle au sens de pensée non éclairée par une révélation) la Teshouvah n’a aucune légitimité, aucun fondement, n’a pas d’évidence immédiate. Après tant de temps d’éducation biblique en général et en particulier du judaïsme, la notion de Teshouvah (c’est-à-dire qu’en cas de faute il y a éloignement et il peut y avoir un repentir, un retour) nous est une évidence tellement familière que nous croyons qu’il s’agit-là d’une évidence de la pensée humaine. 

Nous étudierons à travers un Midrash parmi d’autres à quel point il s’agit d’un ‘Hidoush de la Torah. Un ‘Hidoush c’est quelque chose de nouveau qui est enseigné. On peut le définir aussi comme le renouvellement de sens d’une connaissance supposée déjà acquise. 

Si l’homme ou la pensée humaine étaient livrés à leurs propre forces, ils ne pourraient pas parvenir à l’évidence de la notion de repentir, c’est-à-dire que le repentir est possible premièrement, et qu’il puisse être efficace, sinon sous forme d’hypothèse. C’est dire qu’elle ne pourrait pas avoir de confirmation, qu’il y là une évidence de certitude.

Je l’explique briévement en indiquant simplement que c’est un cas particulier de l’ensemble des notions propres à la conscience hébraïque et qu’il faut définir comme étant des enseignements de la prophétie.

La diffusion de l’enseignement biblique à travers le judaïsme de façon directe, ou à travers des échos souvent déformés du judaïsme par le biais de toutes traditions inspirées de la bible a rendu cette notion familière. Mais il y a un long temps culturel à remonter pour arriver à la conclusion que ce n’est pas du tout une évidence à laquelle nous conduit la pensée naturelle. Celle-ci n’est pas la pensée sauvage ou primitive comme ceux qui ont lu l’enseignement de Lévi-Strauss l’on appris, il y a tout un recodage à effectuer ; la pensée naturelle peut être très sophistiquée. A la limite il peut s’agir de la pensée philosopique la plus élaborée mais elle se définit comme la pensée naturelle, par le fait qu’elle n’évolue qu’à l’intérieur des catégories et du cadre de ses propres évidences.

Le postulat de la pensée philosophique qui est à l’origine et à la base de la culture contemporaine, à travers plusieurs siècles, mais c’est quand même-là que les principes propres à la culture  contemporaine commencent à s’élaborer, c’est que la pensée est un phénomène humain pur et simple : c’est l’homme qui pense et est le sujet de sa pensée. Il ne peut pas envisager d’autres critères de vérité ou d’évidences de vérité que ses propres critères. Cf. la formule de Descartes que j’utilise dans beaucoup de dimensions d’analyses : « Je pense donc je suis » : mais c’est moi qui pense, je pense.

Nous avons vu par cet exemple que nous avons à faire à une notion qui ne peut pas faire partie de l’évidence de la pensée naturelle.

Pour deux raisons essentielles :

=>  D’abord un raison d’ordre morale : car il s’agit d’une catégorie d’ordre moral : s’il y a faute le repentir est possible (c’est la notion de la Teshouvah) mais au niveau purement moral d’une morale rationnelle cela parait injuste, amoral, immoral.

 Si on y réfléchit de façon stricte dans les critères de la pensée naturelle, la plus sophistiquée soit-elle, on ne voit pas de base à la moralité d’une telle notion, qui est que si on a fauté on peut par une opération de retour-revenir-repentir, revirginiser la conscience qui avait été atteinte par la conduite de la faute. La faute n’étant en fin de compte que l’expression de cette maladie de la conscience. La morale philosophique est donc extrêmement réfractaire à cette notion. Il ne semble pas juste que si on a fauté on puisse se repentir au niveau de la pensée naturelle avant la révélation de la Torah. Le ‘Hidoush (qui est une des évidences de la conscience hébraïque, diffusée par la suite) est que le repentir est possible. Non seulement possible mais efficace en tant que clef de la possibilité de l’histoire de la moralité et de la conscience morale elle-même. (2ème Midrash).

La sensibilité de la moralité rationnelle philosophique est réfractaire à une telle notion. Il faut donc récupérer l’évidence, la base ontologique de cette évidence de familiarité que davka le repentir est possible et que toute la moralité repose sur cette possibilité du repentir.

Vous voyez pourquoi des religions dont la théologie est premiérement rationelle et philosophique, rejetera comme une impossibilité l’idée que le salut de la conscience passe par la moralité, précisément parce que lui fait défaut l’essentiel : l’évidence de la possibilité du repentir.

Parenthèse rapide sur le paulinisme dans la théologie chrétienne: si le salut passe par la loi morale nous sommes perdus : à la 1ère faute nous ne serions pas seulement condamnés mais damnés. C’est de là que procède la panique devant la loi : il manque la coordonnée principale de la possibilité du repentir.

A chaque reprise de ces textes je reste très impressionné par l’inconséquence de ce type de lecture de la bible par la conscience chrétienne. Comment envisager cette panique qui est de l’ordre de la tragédie de la conscience grecque ? On parle souvent de Paul comme d’un talmudiste mais sa conception de la loi n’a rien à voir avec la Torah tel que le Talmud l’enseigne. C’est la loi grecque, c’est la loi romaine qui est impersonnelle et avec laquelle on ne peut pas discuter, avec laquelle on ne peut pas négocier. (Psharah – mot utilisé par les Mefarshim du Midrash  la première fois à propos de la Teshouvah de Caïn).

Pour la sensibilité morale philosophique (rationaliste), l’idée de Teshouvah est impensable. C’est comme disait les Grecs un scandale. Cela nous explique en conséquence les attitudes théologiques religieuses qui cherchent leur salut en dehors de la loi morale, parce qu’il y a une panique de fond. Si c’est par rapport à la loi que nous sommes jugés dans l’histoire du salut de notre destinée alors nous sommes perdus à l’avance. En ce sens, le 1er paulinien c’est Qaïn !

=>  La 2ème raison est d’ordre intellectuelle : vav hahipoukh. La conduite de la Teshouvah consiste à revenir en arrière dans le temps pour faire un Tiqoun dans un temps déjà passé, révolu.  Or, pour la pensée naturelle, le temps est irréversible. Et donc il y a aussi une raison intellectuelle qui rend impensable cette notion de Lashouv : revenir en arrière pour faire un Tiqoun dans le passé. Mais le passé c’est du passé ! Alors cette notion de la réversibilité temporelle est aussi une notion strictement hébraïque.

La règle du changement des verbes du passé en futur et du futur en passé est une règle strictement hébraïque et vous devinez que ce n’est pas qu’une règle de grammaire pure et simple : c’est une règle de pensée et de discours où s’exprime une manière d’être de la conscience hébraïque, qui peut être ensuite imitée. Ne serait-ce que littérairement ou poétiquement. On ne trouve pas cette règle dans un autre discours humain, c’est une particularité hébraïque.

C’est ce qu’on appelle dans la tradition le Koa’h hahipoukh, la force de l’inversion, la capacité de l’inversion, qui est le propre d’Israël.

On a lu la Parashah de KiTavo avec les Brakhot et Qlalot. 

Un verset des Prophètes fait dire à Dieu à propos des malédictions de Bilaam : « et Dieu a inversé vayahafor et haqlalah oubrakha : et Il a inversé la malédiction en bénédiction. »

Nous allons voir déjà cette indication dans la prise de conscience de la faute chez Qaïn.

Et c’est la prise de conscience de la faute qui mène à la prise de conscience morale chez Qaïn.  

C’est après la faute que la conscience de Qaïn s’éveille. C’est quand Dieu se révèle à lui pour lui demander des comptes de son acte que Qaïn se rend compte de ce qu’il s’est passé : et donc il découvre le problème moral à postériori de la faute. Lorsque tel est le cas, il n’y a pas d’issue : c’est la conscience tragique. C’est fini, c’est trop tard, c’est irréversible, c’est perdu…

C’est là je crois la racine de la manière dont la conscience grecque a abordé l’espérance de la conscience hébraïque et elle n’a jamais pu se débarasser de ce tragique de l’irréversible même lorsqu’elle adopte l’expérience hébraïque.

Bereshit chapitre 4 verset 13

וַיֹּאמֶר קַיִן, אֶל-יְהוָה:  גָּדוֹל עֲו‍ֹנִי, מִנְּשֹׂא

Vayomer Kayin el-Adonay gadol avoni minesso.

Lorsque Caïn prend conscience après l’explication que Dieu lui donne sur ce qui s’est passé. Comme c’est la 1ère fois que cela se passe on peut comprendre que La Torah nous décrit en détail la prise de conscience.

Alors Caïn dit… et il faut retenir que c’est Hashem et non Elohim qui parle dans le verset :

Vayomer Kayin el-Adonay gadol avoni minesso.

Le Pshat c’est une affirmation désolée :

gadol avoni minesso

Avon un desmots pour dire la faute- ma faute est trop grande pour être portée-enlevée-pardonnée…

nessou avon est une expression très courante du Miqra : lorsqu’un faute est littéralement enlevée, portée ailleurs, par quelqu’un d’autre et c’est une des expressions pour dire pardonner.

Qaïn prend conscience de sa faute et de lui-même comme perdu, condamné dans le sens de damné.

Il faut évacuer toute la littérature sur « l’œil était dans la tombe et regardait Caïn…. » qui vient évidemment de la sensibilité chrétienne de cette histoire, chrétienne c’est-à-dire grec lisant l’hébreu  avec cet espèce de dimension tragique du remord inguérissable.

Alors que la Teshouvah est précisément la guérison du remord.

C’est là le verset dans son niveau Pshat gadol avoni minesso : Caïn est perdu il est litérralement grec de conscience chrétienne. Dans cette optique et dans l’histoire, en tant que tel, il faut se choisir un salut en dehors de la moralité car si le salut passe par la moralité on est perdu. 

La suite est très importante à compendre mais déborde notre sujet. Surtout le verset suivant 4:14:

הֵן גֵּרַשְׁתָּ אֹתִי הַיּוֹם, מֵעַל פְּנֵי הָאֲדָמָה, וּמִפָּנֶיךָ, אֶסָּתֵר; וְהָיִיתִי נָע וָנָד, בָּאָרֶץ, וְהָיָה כָל-מֹצְאִי, יַהַרְגֵנִי

Hen gerashta oti hayom me’al peney ha’adamah

Qu’est-ce que al peney ha’adamah ?

oumipanehha essater

toute la question de ester panim commence ici

vehayiti na vanad ba’arets

l’exil comme punition de la faute

vehayah khol- motse’i yahar’geni

Tout ce verset est un sujet pour lui-même…

gadol avoni minesso

dans le Pshat, c’est une désolation, avec la conscience tragique du remord.

Regardons rashi sur ce verset :

Rashi ad loc va rendre Qaïn beaucoup plus intelligent qu’il n’apparait au niveau Pshat :

Rashi :

גדול עוני מנשוא: בתמיה, אתה טוען עליונים ותחתונים, ועוני אי אפשר לטעון:

Btmiah : c’est une question.

 Rashi nous dit : Ne lisons pas cela comme affirmation (désolée) mais comme interrogation étonnée Btmiah.

Atah toên elionim véta’htonim

« Tu portes, dis Qaïn à Dieu, les êtres d’en-haut et les êtres d’en-bas.

VéÂvoni i efshar leâhit’hon

Et ma faute tu ne pourrais pas la porter, Toi ? »

Il semble bien que Rashi ait eu ici dans le colimateur la théologie chrétienne :

« Toi qui porte le ciel et la terre tu ne porterais pas aussi ma faute ? Prend-la sur toi que je sois sauvé ! ».  

Et dans le Midrash que cite Rashi Dieu répond : « Je porte le monde entier, ta faute portes-la ! ».

C’est à propos d’un autre verset :

Verset 7 du chapitre 4

 הֲלוֹא אִם-תֵּיטִיב, שְׂאֵת

Halo im-teytiv se’et

Regardez bien le mot de Se’et.

N’est-ce pas que si – téitiv– tu t’améliores – se’et – cela te sera enlevé-

On trouve déjà la perche du repentir.

J’ai l’habitude de citer ici un autre Midrash à propos de la faute de Adam harishone :

Chaque fois qu’un homme ou une femme meurt, Adam harishone vient s’assoir à son chevet et lui dit « mon fils, ma fille, ce n’est pas pour ma faute que tu vas mourir mais pour ta faute, que les choses soient claires ».

C’est dans la Gemara de Yoma à propos de l’enseignement …/…

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