Réponse à Madame le rabbin Delphine Horvilleur

Olivier Cohen

Madame le rabbin,

On connait cette maxime : « Ma AssE avoth Siman Lebanim » qui peut être traduite par « ce que font les pères est un signe pour les fils » et que l’on peut interpréter de diverses manières.

Nous sommes interpellés à l’échelle collective de l’interpellation à laquelle ont eu à répondre à l’échelle individuelle les grandes figures de nos récits. Ou peut-être pour le dire un peu différemment : On retrouve à l’échelle collective, dans les grands courants de pensée que l’on perçoit au sein de l’humanité, les figures individuelles  dont nous parlent les récits de notre tradition. C’est comme si le souffle de ces personnages s’est perpétué et continue à exister aujourd’hui à travers un collectif ou un courant de pensée.

Par exemple les récits nous parlent de Jacob et d’Israël et on comprend à la lecture de ces récits que Jacob va incarner à notre époque la figure de l’identité juive en exil, ou en dehors de sa terre, alors qu’Israël celle de l’identité hébraïque revenue sur sa terre, et revendiquant son identité. Jacob c’est Israël… et pourtant ce n’est pas tout à fait Israël.

Bien entendu la grande difficulté de l’exercice est de parvenir à poser un diagnostic juste dans les comparaisons entre le courant que l’on peut voir apparaitre à notre époque  et les personnages qui proviennent des récits.

Parmi les différentes figures dont nous parlent notre tradition, il en est une sur laquelle il faut être particulièrement vigilent et attentif. C’est l’identité Laban, l’araméen.

Laban vient de la famille des hébreux, c’est l’oncle de Jacob, l’identité araméenne pure, et qui au moment au Abraham va se débarrasser de son écorce d’identité araméenne, pour redevenir hébreu, va s’ériger en rivalité d’identité impitoyable à l’identité Jacob qui va devenir Israël. C’est l’identité araméenne qui travaille. Abram est un Araméen : c’est un hébreu qui vit en exil en Mésopotamie, et le mixte entre l’hébreu et la civilisation dominante à l’époque d’Abraham c’est l’Araméen de la même manière que le mixte entre l’hébreu et la civilisation dominante de notre temps qui était jusqu’ici l’empire romain est le juif. Le juif c’est un araméen moderne, qui vit en exil dans la civilisation dominante de son temps.

Au moment où Abraham enclenche le processus qui comporte trois temps, pour se débarrasser de son écorce araméenne, il y a ce risque de voir le « juif de l’exil » s’ériger en rivalité d’identité impitoyable à l’identité Israël qui se met en place, pour tenter de la remplacer. C’est l’identité Laban qui travaille. C’est peut être ce qui se joue aussi en ce moment ?

Et il est vrai qu’en entendant vos dernières prises de positions ainsi que celles de certaines personnalités influentes au sein de la communauté juive de l’exil, le risque de résurgence de cette identité Laban, antagoniste à l’identité Israël fait surface avec acuité.

Vous écrivez : « …Par la douleur de le (Israël) voir s’égarer dans une déroute politique et une faillite morale. Par la tragédie endurée par les Gazaouis, et le traumatisme de toute une région. »

Les accusations sont graves lorsqu’on parle « de déroute politique » et de « faillite morale » pour caractériser l’action d’Israël, surtout venant de la part d’une personne aussi influente et inspirante que vous.

Alors évidemment le climat aujourd’hui en France et plus généralement dans le monde occidental est difficile, il devient de nouveau possible d’être « antisémite » « la déroute politique et la faillite morale » dont vous nous parlez permet de donner de la matière à cet antisémitisme que l’on croyait disparu à jamais. 

Et le discours ambiant n’est pas favorable à l’Etat hébreu, ce n’est rien de le dire. Israël a perdu la guerre de communication, comme souvent dans son histoire. C’est comme si le mal se faisait prendre pour le bien et le bien pour le mal. La vérité est devenue mensonge et le mensonge vérité. Et cette inversion des valeurs peut faire douter, même ceux qui sont censés prendre le parti d’Israël, même ceux qui doivent faire bloc et défendre le peuple pendant cette période douloureuse et fragile.

C’est aussi une chose de parler d’Israël depuis la terre d’Israël, et s’en est une autre de le faire depuis un autre pays. L’éloignement et la distance avec le quotidien de ceux qui habitent en Israël, sous une menace terroriste permanente, sous celle d’un attentat suicide ou d’un missile provenant du Hamas, du Jihad islamique, du Hezbollah, des houthis ou de l’Iran,  avec le risque de devoir aller se réfugier dans un abri à tout moment, dans un pays en guerre, de voir son enfant, celui de ses amis ou de ses voisins revenir de la guerre mutilé, lorsqu’il revient, s’il revient…

On peut d’ailleurs raisonnablement se demander si la faillite morale c’est de faire ce que fait Israël actuellement ou  serait de ne rien faire et de laisser la population vivre sous le risque permanent d’une nouvelle catastrophe ou d’un nouveau massacre ?

Bien entendu il y a les horreurs qui ont été commises le 7 octobre 2023, les otages qui ne sont toujours pas rentrés à la maison,  la guerre, les familles endeuillés, les difficultés du quotidien, mais désormais Israël est calomniée, désavouée, condamnée, stigmatisée, Israël aurait basculé du côté du mal, de ceux qui détruisent, torturent tuent et « nettoient ».

Alors on peut comprendre la faiblesse de certains, dont vous faites partie, de céder à la pression, à la facilité, ou à la tentation de répondre aux attentes du plus grand nombre, et de dire ce que le monde entier (à quelques exceptions près) nous demande de dire, de reconnaitre, plus particulièrement parce qu’on est juif, plus encore lorsqu’on est une femme rabbin. Et même si c’est faux.

C’est bon aussi pour l’image et l’audience. 

Pourtant c’est sur un autre sujet que j’aimerais vous interpeller, et que je rencontre une véritable difficulté à vous lire et à vous suivre.

C’est sur le terrain de l’exégèse.

Il est écrit dans votre message :

« Sur les murs de ma synagogue sont gravés quelques mots, tirés d’un des versets les plus célèbres (et les moins bien compris) de la Bible : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». »

Je voudrais revenir sur l’interprétation du verset que vous citez, qui en dit beaucoup il me semble sur l’ampleur du problème.

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même », vous le dites vous-même, « L’adage, à la manière d’une « tarte à la crème », énonce la bonne conscience des religions monothéistes : on s’en gargarise comme pour se convaincre qu’au fond, on ne se veut que du bien. C’est charmant mais on sait que ces mots n’ont jamais empêché qui que ce soit de recourir à la violence, à l’intolérance ou au prosélytisme. L’autre a certes tout notre amour, dès qu’il est notre « prochain » mais, à l’instant où il se fait un peu « lointain », de nos croyances ou nos convictions, mérite‐t‐il encore notre attention ? »

Or on peut lire le verset comme vous le faites ici ou de manière totalement inverse. Le sujet est amplement développé dans les cours fondamentaux de Manitou que je tiens à votre disposition si vous souhaitiez les écouter.

Pourquoi la bible nous demande t’elle d’aimer son prochain ? Si elle nous le demande, c’est que cela n’irait pas de soi ? Aimer celui qui est loin, c’est facile au contraire, cela ne me demande aucun d’effort particulier, cela ne m’engage pas, rien qui ne me contraigne, qui ne me demande de me retirer partiellement du monde pour laisser une place pour celui qui est loin et autre. Je reste entier dans ma totalité… et j’aime celui qui est loin.

Non, la difficulté c’est d’aimer celui qui est proche, car il est en rivalité avec moi, car nous nous abreuvons au cœur de la même source car je le côtoie quotidiennement, il influence ma vie, ma destinée, et j’influence la sienne, il me contraint et me demande de me retirer du monde pour lui laisser de la place, afin qu’il puisse vivre à mes côtés, jour après jour. Et c’est la raison pour laquelle l’ordre m’est donné d’aimer mon prochain. Parce que contrairement à ce que vous semblez penser, cela ne va pas de soi ! Et cela demande des efforts considérables.

Vous prétendez aimer Israël, vous vous dites proche d’Israël. Aimer son prochain, c’est le protéger, le soutenir, c’est se sentir responsable pour lui, même s’il fait des choses que je ne comprends pas toujours, qui ne me conviennent pas.

Alors apparait la frontière, le gouffre, le piège, et la perspective du réveil d’une identité de type Laban qui préfère aimer celui qui est loin, en prétendant qu’aimer celui qui est proche, c’est trop facile… Et le risque jaillit là où on ne l’attendait pas, celui de se voir participer au courant d’identité qui provient du souffle de Laban l’araméen, cette identité qui va entrer dans un processus de rivalité d’identité impitoyable avec Israël pour essayer de le remplacer. 

J’espère sincèrement que nous n’en sommes pas là et que nous saurons collectivement éviter ce risque.

Bien cordialement.

Olivier Cohen

Depuis les enseignements de Manitou

1 réflexion sur “Réponse à Madame le rabbin Delphine Horvilleur”

  1. Aimée REBIBO

    Merci Monsieur Cohen pour ces belles leçons enrichissantes !
    J’espère que Mme Horvilleur pourra la lire et tirer les leçons du mal qu’elle produit depuis quelques années et surtout lors de ses dernières interventions sur les chaines françaises publiques qui n’attendaient que cela pour continuer leur aversion d’Israël, sans connaissance du Judaïsme ni du Pays.

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