Le CRIF, le Grand Rabbin et l’État

Manitou l'Hébreu

Photo du Grand Rabbin Haim Korsia

Le CRIF, le Grand Rabbin et l’État : une ventriloquie indécente. Il faut reprendre la parole confisquée. 

Le CRIF et le Grand Rabbin parlent : Écoutez…ils sont la voix de l’Élysée

« Le plus grand mal n’est pas commis par ceux qui choisissent le mal, mais par ceux qui acceptent de vivre dans un système qui l’impose ». Hannah Arendt. in « Les Origines du totalitarisme »

Il y a des moments où l’illusion se brise. La confrontation récente entre Benjamin Netanyahou et Emmanuel Macron en fut un exemple saisissant. Netanyahou a dit tout haut ce que tous les Juifs de France vivent et ressentent : l’antisémitisme flambe et l’État détourne le regard. Les agressions, les menaces, les slogans de haine ne sont plus des faits isolés mais un quotidien oppressant.

Et que fit Macron ? De la prudence feinte, des reproches immédiats à Israël, mais pas une seule mesure annoncée, pas un mot ferme contre ceux qui, en France, profèrent la haine. Un contraste insupportable : sévérité envers Netanyahou, indulgence envers les antisémites et soumission envers Abdelmadjid Tebboune !

Dans une telle situation, la communauté attendait de ses porte-parole officiels qu’ils s’élèvent, qu’ils hurlent l’indignation. Mais non : le CRIF et le Grand Rabbin se sont alignés sur Macron. Comme si leur rôle n’était plus de représenter la communauté auprès du pouvoir, mais au contraire de représenter le pouvoir auprès de la communauté, de calmer une colère légitime qui n’est pas leur.

C’est là qu’apparaît l’image glaçante d’une ventriloquie. Le CRIF parle, mais la voix n’est pas la  sienne. C’est  celle  de  l’Élysée  qui  résonne  derrière  ses  lèvres. Le Grand Rabbin prend la parole, mais ce n’est pas celle des fidèles : c’est celle du pouvoir qui lui souffle ses mots.

La colère de Versailles, symbole d’un rejet de la base

Le fossé est tel que les communautés locales elles-mêmes le dénoncent désormais ouvertement. L’article publié par la Communauté de Versailles (Mabatim.info 25 août) en est une démonstration éclatante.

Cette communauté, l’une des plus importantes de France, exprime sans détour sa colère : elle ne se reconnaît ni dans le CRIF, ni dans le Grand Rabbin. Elle dit tout haut ce que beaucoup murmurent : que ces instances ne défendent plus les Juifs de France, mais servent de relais dociles du pouvoir.

La lettre de Netanyahou : ce que le CRIF aurait dû écrire

Quand Benjamin Netanyahou a adressé sa lettre à Emmanuel Macron pour dénoncer la flambée d’antisémitisme en France, il a pris la place qu’aurait dû occuper le CRIF.

C’était au CRIF d’écrire noir sur blanc au président de la République ce que vivent les Juifs de France au quotidien : agressions, insultes, menaces, peur dans les écoles, dans la rue, dans les synagogues. C’était au CRIF de dénoncer le silence d’État et l’inaction gouvernementale.

Mais il ne l’a pas fait. Parce qu’il n’en a plus la volonté, ni peut-être la liberté. Parce qu’au lieu d’être la voix de la communauté, il est devenu sa muselière. La réalité est brutale : ce que Netanyahou dit depuis Jérusalem, le CRIF n’ose plus le dire depuis Paris. Et c’est bien là le signe de sa faillite.

Le CRIF, marionnette d’institutions vides

De surcroît, quelle légitimité peut bien revendiquer le CRIF ? Il ne fédère réellement personne : ses 70 associations membres sont, pour beaucoup, des coquilles vides ; les grandes qui subsistent — WIZO, B’nai B’rith, AJC, KKL — sont des organisations internationales, déconnectées du terrain français.

À l’inverse, le CCJF, avec ses 190 communautés locales, incarne la réalité vivante du judaïsme français. Et pourtant, c’est le CRIF que l’État choisit comme interlocuteur officiel. Une marionnette choisie parce qu’elle est docile.

Le Grand Rabbin, courtisan plus que guide

Et qu’en est-il du Grand Rabbin ? Là encore, illusion. Dans le judaïsme, il n’existe pas de hiérarchie religieuse: le lien est direct entre le croyant et Dieu. Le rabbin n’est qu’un sachant, reconnu par les siens. Le titre de « Grand Rabbin » est purement honorifique et ne tient que par la stature morale de celui qui l’occupe. Mais que faire lorsque ce titre, au lieu d’être un guide spirituel, devient le costume d’un courtisan attaché aux ors de la République ? Depuis le départ de Gilles Bernheim, la fonction s’est vidée de son sens. Les successeurs ont préféré séduire les présidents — d’abord Chirac, aujourd’hui Macron — plutôt que représenter les fidèles.

Du CRIF aux Judenrätes : le spectre du passé

Ce spectacle a un précédent historique. Sous l’Occupation, les nazis avaient imposé les Judenräte : des conseils juifs chargés de « représenter » les communautés. En réalité, ils servaient de courroies de transmission pour le pouvoir oppresseur. Beaucoup crurent bien faire, protéger, négocier ; ils sombrèrent dans la compromission, parfois dans la collaboration, et devinrent malgré eux les instruments des pires tragédies.

Certes, comparer n’est pas égaliser, loin de là, (il faut raison garder), mais l’ombre est là. Le rôle imposé aujourd’hui au CRIF ressemble étrangement à celui assigné hier aux Judenrätes : faire avaler la pilule, calmer la colère, faire accepter l’inacceptable. Non pas représenter, mais canaliser. Non pas défendre, mais amortir.

Comme les Judenrätes d’autrefois — souvent mus par la peur, parfois par la soumission, parfois par des intérêts moins avouables, et, on l’espère, parfois aussi en croyant bien faire — le CRIF se retrouve piégé dans une logique fatale : il croit protéger la communauté, mais il ne fait que l’étouffer. Il croit servir, mais il désarme. Il croit parler, mais il répète une voix dictée d’en haut.

Le CRIF n’est plus un bouclier, il est devenu un anesthésiant

Le CRIF, en acceptant de n’être plus que le relais du gouvernement, se place dans une logique similaire : celle de parler à la place des Juifs, mais avec une voix dictée d’en haut. Une nouvelle nomination, une nouvelle façade, mais la même erreur fatale : croire que l’on sert la communauté alors qu’on l’étouffe.

Une ventriloquie indécente

Au bout du compte, la scène est grotesque :

•               Le gouvernement tient la place du ventriloque.

•               Le CRIF et le Grand Rabbin sont les marionnettes dociles.

•               La communauté juive, elle, est réduite au silence.

C’est une inversion démocratique totale. Ceux qui n’ont pas de mandat parlent au nom de ceux qui n’ont jamais été consultés.

Conclusion : reprendre la voix confisquée

Le CRIF et le Grand Rabbin n’ont plus aucune légitimité à parler au nom des Juifs de France. Leur représentativité est usurpée, leur rôle réduit à une fonction de courroie de transmission entre le pouvoir et une communauté muselée.

Il est temps de rompre avec cette ventriloquie indécente et de se doter de représentants élus par la communauté, pour la communauté.

Car tant que d’autres parleront à sa place, la communauté ne sera qu’une ombre. Et face à l’antisémitisme qui monte, une ombre ne protège personne.

© Richard Abitbol

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  2. Le grand rabbin de France, Haïm Korsia, a vivement réagi ce mercredi aux propos de Benjamin Netanyahou accusant la France « d’alimenter le feu de l’antisémitisme » après la reconnaissance par Paris de l’État de Palestine. « Personne ne peut être d’accord avec lui », a-t-il affirmé sur le plateau de BFMTV, rappelant que la détermination du président Emmanuel Macron à lutter contre ce fléau avait toujours été « absolue ».

Selon lui, les propos de Netanyahou ont « blessé les policiers, les commissaires, les préfets » mobilisés sur le terrain. S’il regrette l’absence d’Emmanuel Macron lors de la marche contre l’antisémitisme, Haïm Korsia refuse d’y voir une démission : « Comme beaucoup, j’aurais aimé qu’il vienne. Mais ce n’est pas pour autant qu’il pousse à l’antisémitisme. » Et de rappeler ses propositions concrètes : rendre inéligible toute personne condamnée pour racisme ou antisémitisme, expulser les étrangers coupables de tels actes et créer un parquet national dédié à la lutte contre la haine. Face aux critiques qui l’accusent d’être un « juif de cour », le grand rabbin a répondu avec fermeté : « Cela ne veut rien dire. Être rabbin, c’est être capable de dire les choses en vérité, même avec fermeté. » Il a insisté sur la nécessité d’une « voix unitaire » et d’une véritable « union sacrée » pour combattre l’antisémitisme. « Si la communauté juive est sereine et en sécurité, alors c’est toute la société française qui l’est », a-t-il rappelé, citant Manuel Valls : « La France sans les juifs ne serait plus la France. »

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