L’antagonisme des deux universels

Olivier Cohen

Les divisions de la période du Omer

Nous vivons l’antagonisme entre deux visions de l’universel :

Celle des nations et celle d’Israël ?

Depuis le début de notre histoire, celle de l’humanité, une tension se joue entre deux forces, deux tendances, deux manières d’être homme et femme :

La première se retrouve dans une version moderne théorisée par Edouard Glissant que la France Insoumise à reprise à son compte, sous le nom de « créolisation ». C’est cette façon presque naturelle de penser que les sociétés, les civilisations, les différentes identités humaines au sein de l’humanité peuvent se parler, se répondre et s’interpénétrer. Une manière spontanée de penser la générosité par non seulement l’accueil de l’autre mais aussi l’acceptation que cet autre puisse également me changer, me modifier, faire évoluer mon identité.

La seconde est le retour aux identités nationales, une manière spécifique de penser que l’identité de chaque personne vivante tire ses racines dans le pays auquel elle est censée être rattachée (ce qui n’est évidemment pas synonyme d’exclusion de l’autre). 

La confrontation entre ces deux manières de penser la relation collective au monde existe depuis les premiers pas de l’humanité et sépare le monde en deux camps radicalement opposés.

Et même si cette tension vient des confins de l’humanité elle apparait à notre époque « moderne » de façon brutale et prégnante et convoque deux camps irréconciliables, deux façons de penser le monde, deux visions d’une humanité aboutie possible. Les deux camps apparaissent clairement et s’opposent dans une lutte sans merci. 

Les uns parlent désormais du camps des patriotes et des souverainistes contre celui des mondialistes, les autres des progressistes face aux conservateurs, et d’autres encore nous expliquent que la tension s’opèrent aujourd’hui entre les libres penseurs et les défenseurs du bien contre l’obscurantisme des repliés sur soi.

Pourtant cette grande idée de l’universel, du mélange des civilisations au sein de l’humanité, n’est pas nouvelle, on l’a dit. Cette espérance d’un universel réalisé qui offrira à l’humanité un horizon de sens et un monde apaisé à traversé les civilisations depuis le début de son histoire.

Cette tension sur un projet abouti pour le monde nous vient de l’épisode du récit Biblique de la Tour de Babel. 

« Tous les êtres parlaient la même langue et avaient des mots semblables » (La genèse Chapitre 1 verset 11) Pourquoi cette répétition se demande notre tradition ? L’interprétation de ce verset nous conduit à penser qu’il y avait d’un côté la langue universelle parlée par tous les hommes, et de l’autre les différentes langues des nations. Lorsque l’intégralité de l’humanité  parle la même langue c’est que l’universel est en place, il est réalisé. Le critère le plus évident d’une unité humaine, c’est la langue. Avant la dispersion des nations, avec l’échec de la tour de Babel, l’humanité possédait cette langue commune, cette unité, et donc une dimension universelle.

On nous raconte alors que cette langue unique a disparu à la suite de la révolte contre le principe d’unité. Les hommes ont cessé de se comprendre. La langue « une » a disparu, il ne restait plus que les langues particulières, spécifiques à chacune des nations. Au moment de la révolte contre le principe d’unité, il ne va rester que les soixante-dix langues des nations. L’universel explose, laissant la place aux conflits entre les différentes manières d’être homme. 

L’humanité devient alors en exil, exil de l’unité qui la fondait, juste avant le récit de la tour de Babel et la contestation contre l’unité humaine. Ce rêve d’exigence ne s’est jamais plus réalisé dans l’histoire. Et nous pressentons que les problèmes de l’humanité ne trouveront pas de solution tant que l’on ne réussira pas à restaurer cet idéal qui a un moment dans l’histoire des hommes était réalisé. 

L’universel humain est désormais un idéal de projet de société mais il n’a pas d’implantation dans la réalité concrète. Chaque peuple, chaque nation a une carte d’identité particulière, qui lui est propre. 

Depuis ce moment l’humanité cherche à retrouver son unité, et deux façons opposées d’y parvenir se confrontent. 

Le projet des nations d’un côté . Dans cette quête, les nations ont toujours échoué. Toute République fondée sur l’idéal de l’universel bascule inévitablement dans l’empire. C’est la leçon qu’il faut tirer de l’histoire de l’humanité.

La Révolution française, par exemple, érigée en modèle pour tous les pays du monde,  a incarné ce rêve de l’universel. On ne peut pas douter un instant que la Révolution française, avec ses aspirations à une égalité des droits, n’ait constitué un idéal d’universalité pour toutes les nations. Pourtant, quelques années après, la première République a laissé sa place à l’Empire napoléonien.

Mais on pourrait citer bien d’autres exemples, comme la Révolution marxiste qui a eu, à sa manière, pour idéal l’universel humain, et qui a abouti à l’Empire soviétique. Le christianisme aussi, s’est perdu dans l’Empire romain. Chaque fois qu’une culture spécifique atteint un degré d’élaboration et de développement qui peut permettre l’établissement de cet universel, elle s’offre à l’impérialisme. La visée est universelle, la réalité est impérialiste.

Aujourd’hui, la visée de ceux qui portent une vision moderne de la dissolution des identités nationales dans un grand tout est à n’en pas douter, universelle, son application risque de se heurter à la réalité et de faire basculer la France dans l’empire. Les dérives du système mis en place par la France insoumise et révélée encore récemment nous confirme, pour ceux qui en doutait, le risque du basculement vers un régime de dictature en cas d’arrivée au pouvoir des insoumis.

Le contre-projet, c’est Israël qui est censé le porter, et c’est bien un projet qui n’a jamais été testé. On voit bien pourtant comment le processus se met en place. Chaque nation, avec son identité particulière, spécifique, doit se remettre à sa place, retrouver sa singularité et sa valeur propre, et c’est alors Israël dont la spécificité est ce particularisme qui tend à l’universel, qui est composée de personnes venant de pays différents, représentant chaque pays avec sa singularité propre qui doit servir de laboratoire à l’humanité pour montrer comment cette intégration peut se réaliser au sein d’un même pays. Faire coexister et vivre des identités provenant d’horizons différents, de pays différents au sein du même terre et parlant la même langue : Le projet universel pour l’humanité est en place et pourrait servir d’exemple.

Et on comprend les antagonismes… peut être aussi les positions radicales de certains face à Israël et face aux juifs.

Mais aujourd’hui Israël est confronté simultanément sur deux terrains : à l’extérieur avec une guerre sans merci contre le terrorisme islamisme a ses frontières, mais également à l’intérieur avec une division inédite du pays. Il semble que deux camps se font face dans un moment d’hostilité sans précédent à notre époque moderne.

La période dans laquelle nous sommes actuellement inscrits, est celle du Omer, entre la fête de Pessah et celle de Shavouot, fête qui était à l’origine une période de réjouissance et qui est devenu une période de deuil, notamment à cause de la catastrophe intervenue lors de la grande révolte de Bar Korba

On se rappelle en effet les récits qui nous sont comptés de Rabbi Akiva et de Bar Korba entre -132 et -135. L’armée des juifs de cette époque combattait les romains pour essayer de redonner vie à la nation d’Israël et la perte de cette guerre à mis un terme provisoire de près de mille neuf cent ans à la souveraineté Israélienne des juifs sur leur terre.

Les récits qui évoquent cette histoire nous expliquent que les soldats qui étaient en même temps les élèves de rabbi Akiva, se battaient le jour contre les romains et ils se battaient entre eux la nuit, ne sont pas sans nous rappeler précisément ce que nous vivons actuellement en Israël.

Au-delà des traces que cette situation a provoqué, du souvenir de la période d’exil de mille neuf cents ans qu’elle a entrainé, ne faut-il pas s’émouvoir de voir cette histoire se répéter et de voir cette alternative à l’universel des nations se heurter au mur de la réalité et échouer également ? Au lieu de tendre vers l’universel, de jouer notre rôle et d’éclairer la nuit des nations, de montrer le chemin a un moment central de l’histoire, ne faut-il pas s’inquiéter de nous voir imiter les nations du monde et courir après elles, avec des divisions au sein de notre peuple qui nous rappellent les moments difficiles qui ont transformé une joie en détresse ?

Israël est en guerre depuis presque 2 ans, une guerre difficile, pour nos otages toujours en captivité, pour nos familles, pour notre jeunesse, pour nos enfants, mais aussi pour l’image que renvoie Israël dans le monde. Malgré cette difficulté nous devons nous montrer à la hauteur de la situation, des enjeux et de l’espérance que nous portons pour en retrouvant ce qui est à l’origine de notre foi et de notre identité : Chacun en Israël doit être responsable pour tous les autres.

« Si en coupant ma viande ma main droite vient blesser la gauche viendra t’il à l’idée de la main gauche de se venger » nous dit le Talmud de Jérusalem

Dans cette période de polarisation extrême du monde ou tous les moyens sont permis pour faire triompher ses idées au détriment des autres et souvent sur le sang des autres, ne faudrait-il pas essayer de retrouver cette formidable idée de la responsabilité qui engage chacun de nous dans le projet universel et qui nous astreint à respecter l’idée que l’autre juif se fait de l’avenir de la nation au moins autant que celle que je m’en fais. Alors peut être qu’Israël pourra éclairer le monde de sa lumière et montrer le chemin qui conduit le particulier à parvenir à l’universel.

Olivier Cohen

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