Séminaire sur la création – 1979 (2/6)

Le cours

Texte – Face A

/ Alors on ne peut plus dire que la caractéristique différentielle de l’homme c’est la pensée. La pensée peut renvoyer à l’impersonnel. La pensée de l’homme est incommensurablement plus grande que la pensée chez l’animal, mais la pensée existe déjà chez l’animal, même de façon rudimentaire élémentaire pour établir des relations. Et si déjà la pensée est déjà chez l’animal alors on ne peut pas se servir de ce critère pour définir la caractéristique différentielle de l’homme en tant qu’être vivant parmi les autres êtres vivants.

C’est donc le ‘Hay Hamédaber que la tradition juive a choisi plutôt que ‘Hay Hamaskil. Et si la capacité de l’homme d’être Maskil d’être Ma’hshev est si grande chez l’homme c’est parce qu’il est d’abord Médaber. C’est là qu’apparait l’énorme aventure contemporaine du structuralisme qui essaie d’évacuer de la parole elle-même la présence de la personne et renvoyer la parole elle-même à l’impersonnel. Et au fond, on pourrait dire que ce n’est peut-être qu’avec le structuralisme que l’antagonisme du judaïsme est apparu dans l’histoire des cultures ; et que le matérialisme classique n’était rien à côté de ce qu’annonce comme assassinat de l’homme la philosophie du structuralisme.

Je dis cela parce que je sais que beaucoup d’étudiants juifs sont fascinés par ce qu’ils découvrent dans les structures du langage avec le stucturalisme, et cela leur tient lieu de Kaballah si j’ose dire. Et il y a là un danger très grave de ne pas se rendre compte, qu’en fin de compte il y a une tentative d’évacuer ce pour quoi la tradition juive avait préféré la définition de l’homme en tant que ‘Hay Hamédaber. Et que s’il y a capacité créatrice de l’homme, ce serait beaucoup plus, dira la tradition juive, dans sa capacité de parole que dans sa capacité de pensée.

Pour revenir à l’image de Dieu, c’est plus en tant que l’homme est capable de parole plutôt que capable de pensée que l’homme serait donc à l’image du Dieu Créateur. Et ici il faudrait donner à l’expression de la parole créatrice un sens beaucoup plus que littéraire et poétique, et peut-être beaucoup plus que mystique même, puisqu’en fin de compte il s’agit de la réalité. Alors que d’une certaine manière, la tentation mystique serait peut-être de se détourner de la réalité. Pour trouver compensation ailleurs parce que la réalité serait décevante. Mais le récit de la création nous renvoie à la réalité. Dieu a voulu rendre réel un monde qui était vrai.

C’est l’objet du Créateur en tant que tel.

Donc j’ai cité par hypothèse, on la trouve aussi chez Maïmonide d’ailleurs, cette définition du théologien philosophe : c’est par la pensée que l’homme serait à l’image de Dieu.

Le Rav ‘Hayim de Volozine nous enseigne tout à fait autre chose : il nous dit que toutes les créatures incarnent et réalisent une certaines manière d’être.

Seul l’homme est cette créature qui les récapitule toutes à la fois. Comme Elohim, l’homme est l’unité de toutes les forces. C’est en l’homme que tous les niveaux d’êtres sont récapitulés. Ce qui fait apparaître la personne, le sujet, C’est pourquoi les rabbins avaient préféré la définition de la spécificité de l’homme en tant que ‘Hay Hamédaber vivant-parlant à la définiton de ‘Hay Hamaskil vivant-pensant qu’ils connaissent aussi.

Maïmonide lui-même dans un petit passage des Shmoneh Prakim va finalement rejoindre le schéma kabaliste et cette définition de l’homme par sa capacité de parole plutôt que par sa capacité de pensée. Parce que derrière la parole il y a quelqu’un qui parle alors que derrière la pensée il peut y avoir l’impersonnel du « il pense… » dans le sens de « ça pense »…      

C’est la que nous rejoignons le structuralisme qui est à mon sens une tentative d’achever d’évacuer le message biblique, en éliminant la personne du discours lui-même et de la parole elle-même. En mettant en évidence les mécanismes et les structures de la parole en cela on assassine celui qui parle dans la parole.

Rav Hayim de Volozine:

En quoi l’homme est-il à l’image de Dieu ?

En tant que créature, il est lui aussi, et seule créature à l’être, l’unité de toutes les manières d’être.

Je reprends le schéma classique qui est derrière l’enseignement du Rav ‘Haïm de Volojine que nous trouvons surtout exprimé dans le Kouzari de Judah Halévi : il y a 4 niveaux d’êtres récapitulés dans un 5ème.

ð   le Domen – l’inerte. Retenez pour les hébraïsant que c’est déjà formulé en terme de parole : l’hébreu dit l’inerte en disant Domen – le silencieux.

ð   le Somea’h le végétal : les mêmes termes en hébreu disent la végétation et le murmure des lèvres : sia’h.

ð   le ‘Haï – le vivant : et tout vivant aurait dû être vivant-parlant : le problème n’est pas pourquoi l’ânesse de Bilaam a parlé, c’est pourquoi les autres ânesses et les autres animaux ne parlent-ils pas ?

ð   le ‘Haï hamedaber– l’homme le vivant-parlant.

ð   Le Navi : le prophète qui est le vivant-parlant en paroles de vérité qui récapitule les autres.

Rav ‘Hayim de Volozine nous indiquera dans l’économie de ce schéma que seul l’homme est l’unité de tous ces « niveaux d’être » pour reprendre l’expression de E. Amado-Valensi. Il est comme celui qui est le vrai Dieu, l’unité de toutes les forces divines Ha ELohim, de la même manière l’homme est Betselem Elohim, en ce sens-là qu’il est en tant que créature, à l’image de Dieu comme Dieu, mais en tant que créature, l’unité de tous les niveaux d’être. Il y a dans la personne humaine la récapitulation de toutes les manières d’être.

C’est pour prendre une idée banale un microcosme. Mais cette idée à travers le Rav ‘Hayim de Volozine a pris une dimension théologique énergique. Les mots ayant leur sens simple, un microcosme est un résumé de l’univers entier qui fait apparaître le sujet, la personne humaine. 

Nous avançons un peu dans notre problème.

Vous vous souvenez de la structure du récit de l’oeuvre de chaque jour :

ð   1- l’énoncé du projet => Yehi Or.

ð   2- le récit de l’effectuation dans la réalité. Et c’est dans la réalité que la part de liberté, de décision, d’autonomie et donc éventuellement d’invention créatrice de création de l’homme apparaitrait.

ð   3- Le jugement => Et Dieu vit que cela était bon… qui revient comme un refrain dans l’oeuvre  des 6 jours à l’exception de l’oeuvre du 2ème jour mais cela est repris deux fois dans l’oeuvre du 3ème jour.

ð   4-Le bilan => Et ce fut soir, et ce fut matin, jour un, jour 2ème , jour 3ème , … jour 6ème … et il n’y a pas encore écrit : « Et ce fut soir ce fut matin jour 7ème. » Et donc, la part de l’homme serait dans la réalisation du 7ème jour. Or, un jour il sera écrit « Et ce fut soir ce fut matin jour 7ème  » et nous passerons au 8ème jour. Le 7ème jour étant accompli.

Je vous indique en passant que c’est un peu relié à ‘Hanoukah. Nous attendons Eliyahou Hanavi qui doit nous annoncer la fin du 7ème jour. On chante les chants d’Eliyahou Hanavi pour la Havdalah, à la fin du 7ème jour. Parce qu’on attend qu’il vienne à la fin d’un 7ème jour pour nous annoncer le 8ème jour messianique dans son sens profond. J’indique très rapidement à propos de ‘Hanoukah que c’est une fête messianique par le fait qu’elle dure 8 jours. Regarder la magie du mot « huit » en hébreu « Shmini » adjectif de Shémen – l’huile. L’huile de l’onction. Le Shemini c’est donc le jour de l’onction, le jour où l’on emploie l’huile. ‘Hashmonayim : commence par un ‘het = 8 et après Shemen… C’est le jour de la réinauguration du Temple. C’est le jour de la préfiguration messianique. Alors on allume une Ménorah à 8 lumières et non pas à 7.

Et il n’y a pas encore écrit : « Et ce fut soir ce fut matin jour 7ème. » Et donc ce sera dans ce 7ème  jour que sera formulé le projet pour l’histoire de l’homme. L’homme est créé au 6ème et commence son histoire au 7ème . Alors, tant que l’avénement messianique n’est pas encore venu, la Torah ne peut pas écrire: « Et ce fut soir, et ce fut matin jour 7ème ».

Ce verset qui formule ce projet pour l’histoire de l’homme, se trouve au chapitre 19 verset 2 du Lévitique. On pourrait résumer toute la Torah en tant que chartre du projet du 7ème jour par ce verset.

Kedoshim 19:2 :

דַּבֵּר אֶל-כָּל-עֲדַת בְּנֵי-יִשְׂרָאֵל, וְאָמַרְתָּ אֲלֵהֶם–קְדֹשִׁים תִּהְיוּ:  כִּי קָדוֹשׁ, אֲנִי יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם.

Daber el-kol-adat beney-Yisra’el

ve’amarta alehem kedoshim tiheyou ki kadosh ani Adonay Eloheykhem

Parles à toute l’assemblée des Bnei-Israël

Et tu leur diras vous serez-soyez saints car Je suis Moi votre Dieu saint

La lecture juive ici est très claire : Vous serez saints Qedoshim en tant qu’homme parce que Je suis Moi Qadosh en tant que votre Dieu.

Il n’y a pas analogie de substance, mais il y a dans l’ordre de l’enseignement du Rav ‘Hayim de Volojine : de même que Dieu est le vrai Dieu, soyez vous des vrais hommes. Vous serez saints en tant qu’homme comme Moi Je suis saint en tant que Dieu. Et alors un jour il sera écrit « Et ce fut accompli « Vayehou Qedoshim et ils furent saints… » « Et ce fut soir, et ce fut matin jour 7ème ».

Et on passera au 8ème jour.

Alors ce serait-là la place de la part de l’homme en tant que créateur : inventer la sainteté de l’homme. Lui seul peut le faire. C’est dans le projet de sainteté qu’est sa vocation de créateur.

Je terminerai cette analyse par une référence à un tout autre texte.

Au moment du sacrifice d’Isaac, mais rappelez-vous que le sacrifice n’a pas eu lieu, on dit en hébreu « Aqédat Its’haq », Dieu dit à Abraham :

Bereshit Vayera 22:12 :

וַיֹּאמֶר, אַל-תִּשְׁלַח יָדְךָ אֶל-הַנַּעַר, וְאַל-תַּעַשׂ לוֹ, מְאוּמָה:  כִּי עַתָּה יָדַעְתִּי, כִּי-יְרֵא אֱלֹהִים אַתָּה, וְלֹא חָשַׂכְתָּ אֶת-בִּנְךָ אֶת-יְחִידְךָ, מִמֶּנִּי

Vayomer al-tishlach yadcha el-hana’ar ve’al-ta’as lo me’umah ki atah yadati ki-yere Elohim atah

velo chasachta et-bincha et-yechidecha mimeni.

II dit: « Ne porte pas la main sur ce jeune homme, ne lui fais aucun mal!

car maintenant Je sais que tu es craignant Dieu…

Tu n’a pas refusé ton fils que Je t’ai demandé puisque toi tu étais prêt à me le rendre et lui était prêt à se rendre, si j’ose dire, il s’est acquis, tu l’as acquis, garde-le.

On n’obtient que ce qu’on est prêt à sacrifier, mais ce n’est pas le sacrifice que Dieu demande. Dieu n’a pas créé un homme pour lui demander de disparaître. Il a créé un homme pour que cet homme puisse mériter d’être par lui-même. Et dès que cet homme est prêt à renoncer à lui-même il s’acquiert. C’est la nature de l’épreuve. L’intention de la lecture de ce texte est tout à fait différente de ce que l’on pouvait penser. Ce n’est pas un sacrifice manqué mais un sacrifice réussi en ce sens qu’il n’a pas eu lieu. Et, en tout cas, à ce moment-là Dieu dit Dieu à Abraham : Atah yadati maintenant Je sais que tu es craignant Dieu Ki-Yere Elohim Atah, c’est la traduction habituelle

velo chasachta et-bincha et-yechidecha mimeni.

Et tu ne M’a pas refusé ton fils premier-né de Moi.

Enseignement attribué au Ramak (Rabi Mosheh Kordovero, contemporain du Ari qui a suivi l’enseignement du Ramak avant de devenir le grand maître de Safed).

[Vayera 22:12] :

כִּי עַתָּה יָדַעְתִּי, כִּי-יְרֵא אֱלֹהִים אַתָּה

Ki Atah Yadati

car maintenant Je sais

Ki-Yere Elohim atah

parce que toi tu es craignant Dieu

« Maintenant Je sais ce que c’est qu’être craignant Dieu ». Jusque-là Dieu ne savait pas. C’est un ‘Hidoush d’Avraham.

Quelle est la part de l’homme dans l’histoire de l’homme ?

Dieu a inventé tout notre monde. Sauf une chose qu’Il attend que nous inventions : qu’est-ce qu’être saint dans le projet de sainteté pour l’homme ? Car Lui est saint dans le projet de sainteté pour Dieu. Et tout se passe comme si cette aventure de l’histoire du monde, faire passer l’infini à travers la création, c’est pour faire apparaître la sainteté de l’homme. C’est l’homme qui est créateur de la sainteté de l’homme.

C’est la lecture du Ramak :

[Vayera 22:12] :

כִּי עַתָּה יָדַעְתִּי, כִּי-יְרֵא אֱלֹהִים אַתָּה

ki atah yadati

car maintenant Je sais

ki-yere Elohim atah

ce que c’est qu’être « Yéré Elohim » parce que toi tu es « Yéré Elohim »

Tous les attributs de la divinité qui nous sont donnés en modèle d’imitation nous viennent de Lui. Un seul ne peut pas nous venir de Lui : la crainte de Dieu. Elle ne peut pas nous venir de Dieu.

Par conséquent, Dieu ne sait pas ce qu’est la crainte de Dieu tant que Abraham ne l’a pas inventée.

C’est ce que dirait ce verset.

D’une certaine manière, ce que Dieu invente dans l’histoire c’est comment être vrai dans la réalité.

Ce que Dieu a inventé c’est comment être vrai dans la vérité. Et puis, il a créé une réalité et c’est à l’être de la réalité à inventer comment être vrai dans la réalité.

Donc cette part de créativité de l’homme est incommensurable mais elle est au niveau des valeurs morales, elle est au niveau du projet de sainteté. Elle n’est pas au niveau de l’invention du monde. Le monde est déjà inventé et notre ingéniosité consiste – et c’est notre vocation d’homme – à faire coïncider la réalité à la vérité. Il n’y a rien à inventer à ce niveau-là sauf une chose : être celui qui fait cela. Et  cela, seul le génie de l’homme peut le faire. Ce trait-d’union entre vérité et réalité.

Et c’est l’enseignement que l’on prête au Ramak. Cependant il y a une suite à cet enseignement:

En réalité, Dieu Lui-même à sa manière possède cette même vertu. C’est un peu paradoxal. De la même manière qu’il y a Yirat Elohim venant de l’homme, c’est-à-dire le respect des valeurs divines, la valeur peut tout contre moi, sauf une seule chose, que je la respecte ou pas ; et cela est ma part.

C’est la part de l’homme :

Hakol biyedei shamayim ‘houtz me-yirat Shamayim [Berakhot 34a] 

« Tout est dans les mains des cieux sauf la crainte des cieux »

Les Kabalistes nous disent dans la foulée de cet enseignement que Dieu possède une vertu corollaire : le respect de la créature qui s’appelle la Midah de El Shadaï que le Midrash interpréte comme étant : « She Amar le Olamo Daï » : Il a dit à son monde, sa divinité :  « Daï ! jusque-là et pas plus ! »

De telle sorte que le monde soit préservé, que l’existence du monde soit préservée. Si Dieu laissait se déployer l’expansion de Son absolu, il n’y aurait plus de place pour le monde. Le monde serait englobé, annulé. Cette force qui consiste à laisser place au monde, et en fin de compte à l’homme, cette force s’appelle en hébreu El Shadaï.

Même cela Dieu le connait sans sortir de la connaissance de Lui-même, mais cependant une chose de nouveau créé par l’homme, c’est cette vertu de l’homme.   

Je reprends le verset : [Vayera 22:12] :

כִּי עַתָּה יָדַעְתִּי, כִּי-יְרֵא אֱלֹהִים אַתָּה

ki aatah yadati

car maintenant Je sais

ki-yere Elohim atah

parce que toi Abraham tu as été capable de cette valeur de sainteté…

Et c’est là que la création du monde trouve son sens et son accomplissement dans la création de la vertu par l’homme. La vertu étant au fond, dans sa définition juive, d’exprimer la vérité en terme de réalité. Vous retrouvez-là l’atmosphère du judaïsme élémentaire fondamental : Mitsvot Maassiot.

Le génie de l’homme est de pouvoir effectuer les vertus au niveau des actes. Et pas seulement dans l’intention de vérité. C’est ce que nous appelons en termes hébraïques « le projet de sainteté ». là l’homme est créateur, c’est lui qui invente la vertu. Pour tout le reste nous serons en controverse avec toutes les théories prométhéennes de l’usurpation illusoire de la capacité de créer par la créature. 

Voilà donc l’analyse de préparation à notre problème que je voulais vous communiquer ce soir.

***

Q : Qu’est-ce qui est Tov Meod ?

R : C’est un problème qui nous ouvrirait une tangente par rapport au sujet.

Q : L’homme est pareil à Dieu par la parole, qui est-il quand il se tait ?

R : Dans la parole, il y a deux temps: le temps du dire et le temps du non-dire, le temps de parole et le temps de silence. Le temps du silence, qui fait partie de la parole.  Ceux d’entre vous qui savent chanter savent que les temps de silence du rythme du chant font les chants autant que les sons.

Entendu de Martin Buber : « il y a des silences vides, et il y a des silences pleins ». Et on dit plus dans le silence qui donne un sens à la parole que dans la parole elle-même.

Seul un artiste du chant pourrait le formuler.

Psaume 65:2: « לְךָ דֻמִיָּה תְהִלָּה   lekha doumiah téhila – Pour Toi le silence est louange » la vraie louange est un silence.

« וידם אהרן    Vaydom Aharon », [Lev. 10:3] l’essentiel de ce qu’Aaron avait à dire était de se taire.

Q : Le monde de la vérité c’est Olam haEmet ?

R : Non, attention, je n’ai pas employé le terme de Olam HaEmet parce qu’en hébreu traditionnel cela a pris un autre sens : le monde après la mort. J’ai employé le mot de vérité dans le sens philosophique grec.

Q : prière de Yotser…  progression dans le temps … ?

R : selon l’enseignement de la tradition juive, le déroulement des grandes étapes de l’histoire du monde sont à peu près celles-ci : c’est d’abord l’histoire de Olam Hazeh qui est l’effort d’engendrement à travers l’histoire humaine du fils de l’homme, c’est-à-dire de l’identité de l’homme réussi, de l’identité messianique selon la tradition juive. Au terme de l’histoire de cet effort d’engendrement qu’on appelle les Toladot – c’est pourquoi c’est ce terme de Toladot qui signifie histoire en hébreu, beaucoup plus que « Divrei Hayamim » ou « Historia » mot grec hébraïsé. Divrei Hayamim veut dire ce que dit Historia : ce qui se passe dans le temps. Mais Toladot c’est la modification du sujet de l’histoire, l’homme, jusqu’à ce qu’il arrive à l’identité ultime du fils de l’homme, c’est-à-dire de l’homme engendré par l’homme, et au-delà des contradictions du Adam Ben Adam, dans le langage des prophètes d’Israël, Ben Adam…  Cela c’est Olam Hazeh. Au terme de ce Olam Hazeh il y a une époque qui s’appelle Yemot Hamashia’h – les temps du Mashia’h. Cette époque a deux limites : elle débute par Mashiah Ben Yossef  – le rassemblement des exilés, et elle s’achève par Mashia’h ben David, la transfiguration de l’homme, la résurrection des morts. Le rassemblement des exilés, pendant 2000 ans on ne savait pas ce que c’était maintenant on le voit, on sait ce que c’est. La résurrection des morts qu’est-ce que c’est ? Je ne sais pas. On verra quand on y sera. En hébreu « Ni’hyeh veniré : nous vivrons et nous verrons » peut-être faudrait-il dire « Niré veni’hyeh nous verrons et nous vivrons…

Et après commence Olam Haba dont la Guémara dit : eïn orah ata personne ne l’a vu, même pas les prophètes. Mais nous en avons le pressentiment : c’est ce monde-ci comme il aurait dû être pour satisfaire l’enfant qui est le prophète en nous, ou celui en nous qui est capable de lire les prophètes.

Enseignement de Jacob Gordin : au fond le génie des Prophètes c’est de confirmer que le rêve de l’enfant est vrai, qu’il y a une monde qui est le nôtre mais tel qu’il aurait dû être pour être à l’honneur de Dieu en tant que Créateur. C’est le Olam Haba. La foi hébraïque c’est que ce monde de Olam Haba existe plus que ce monde de Olam Hazeh qui est nécessaire mais provisoire.

C’était ma question : Où dans l’histoire de ce monde-ci est la place de la capacité créatrice de l’homme ? La vertu ! Tout le reste est éphémère et passe comme une ombre. Y compris toutes les civilisations. Mais c’est la vertu qui s’invente.

Q: une découverte de l’utilisation possible de l’hydrogène dans le monde contemporain serait analogue à ce qui s’est passé au passage de la mer rouge ? …/…

R: il s’agirait d’ouvrir les eaux ? Le mot hébreu de Mayim reproduit fidèlement la formule de l’eau H2O…Mayim l’ouverture des eaux.

L’idée est importante parce que l’essentiel de l’expérience du passage de la mer rouge c’est que les lois de la nature peuvent être subjuguées et que notre planète peut connaître un temps paradisiaque  par une réussite des sciences et des techniques : à une condition, c’est que la moralité soit fondée. Je pense effectivemeent que dans la capacité de l’ingéniosité humaine dans les sciences et techniques – et nous ne sommes plus dans le projet prométhéen de dérober le feu et la parole créatrice qui n’appartient pas à l’homme mais qui appartient au Créateur – il y a suffisamment de capacité pour que la planête soit transformée en paradis terrestre. Qu’est-ce qui l’empêche ? Le manque de morale ! Si la morale était fondée, il y aurait suffisamment de capacité pour transformer en une génération notre monde en paradis terrestre par les sciences et les techniques. On corrigerait aussi les anomalies de la nature, et on réaliserait le rêve de l’enfant dont ont parlé les prophètes, les temps messianique. C’est-à-dire un monde où le problème économique serait supprimé.

Q : Mashia’h ben Yossef, concept ou personnalité ?

R : c’est un sujet pour lui-même. Succintement, en me référant à la phrase de la liturgie cité par monsieur tout à l’heure : elle énumère les différentes étapes : Olam Hazeh qui mène à Olam Haba mais par la transition de Yemot HaMashia’h et Te’hiyyat Hamétim : il y a la phrase suivante :

Efess Zoulatekha Goalenou Limot HaMashia’h

Rien hors de Toi Notre Libérateur au temps du Mashia’h.

Cela veut dire qu’au temps du Mashia’h c’est Davka précisément qu’on retiendra la souveraineté de Dieu et non pas du Mashia’h. Le Mashia’h c’est l’homme réussi. Au temps de l’homme réussi : que Toi ! et le Mashia’h ? Efess !

Cela veut dire qu’il faut se garder d’une tentative d’idolâtrie, mais cela ne veut pas dire que Mashia’h ne fonctionne pas. Il fonctionne ! A Jérusalem nous mangeons des tomates juives et des bananes saintes !!! C’est la preuve que le Mashia’h fonctionne.

Au moment de la guerre des 6 jours, arrivés au Kotel, il n’est pas survenu cet homme habillé de blanc assis sur sur âne rouge et disant « c’est moi »… C’est un signe de bonne santé du peuple juif 2000 ans après. 2000 ans d’exil nous ont peut-être vacciné contre cette tentation d’idolâtrie du Messie. Il fonctionne. C’est bien quelqu’un qui fait cela et il est aidé par tout un peuple. Il se cache pour éviter qu’on l’adore. Il n’y a pas de culte à Mosheh Dayan ! Pourtant c’est lui qui a atteint le pied de la montagne en 1967 ! C’est ce que nous dit la phrase du Yotser. Bien sûr que ce sont des hommes qui agissent et qu’il y en a un à la tête et qu’il fonctionne, c’est l’essentiel. Savoir qui c’est, ne nous regarde pas, tant qu’on est pas vacciné contre l’idolâtrie. De notre temps, le peuple juif a donné une leçon de monothéisme hébreu considérable : nous vivons des événements messianiques sans qu’il y ait de culte messianique. C’est très important.

Texte – Face B

/ Q : Ce que nous disons à propos de la pensée peut-il être dit à propos de la parole ?

R : S’il s’agit de la pensée d’un être doué de parole, alors sa pensée est parole. Mais c’est parce qu’il est doué de parole et qu’il y a derrière un quelqu’un qui pense, et qui est derrière le quelqu’un qui parle… Je me réfère à travers votre question à l’une de mes conversations avec Monsieur Lévinas qui m’a dit être du même avis d’une certaine manière : le danger pour la tradition biblique que représente le structuralisme, c’est le dernier avatar du matérialisme. Mais celui-là est sérieux : avoir évacué la personne de la parole elle-même !

Q : le malaise pour un juif de la Torah à être confronté aux problème de l’acte créateur de l’homme. D’emblée par la Torah, il y a une suppression et limitation de l’acte créateur de l’homme.

Voltaire : « Dieu a créé l’homme à son image et l’homme le lui a bien rendu », cette inversion est impossible aux yeux de la Torah. 2ème il y a une limitation dans l’imitation de Dieu qui est donnée d’ailleurs dans le verset que tu as cité :

קְדֹשִׁים תִּהְיוּ:  כִּי קָדוֹשׁ, אֲנִי יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם

kedoshim tiheyou ki kadosh ani Adonay Eloheykhem

Soyez saints car je suis saint moi Hashem votre Dieu.

Suivant les Méfarshim en particulier le Maharal, il y a là une imitation de Dieu mais en même temps une limitation prévue par la façon dont les deux mots sont écrits : Qedoshim saints pour l’homme écrit ‘hasser sans Vav et Qadosh pour Dieu est écrit malé en entier avec un Vav. Cela veut dire qu’effectivement nous avons là une possibilité d’imitation de Dieu que la Torah nous donne mais en même temps elle nous donne les limites : nous ne pourrons  jamais faire sur terre ce que Dieu fait en tant que Créateur.

Question par rapport à la définition de l’homme en tant que ‘Hay hamédaber vivant qui parle :

Ce n’est pas par hasard d’ailleurs si un grand philosophe anti-structuraliste non-juif, Louis Parrin a été celui qui en exergue de sa thèse sur les données et les fonctions du langage avait mis en hébreu cette définition de l’homme ‘Hay hamédaber.

Tu as dit « ça pense », cela peut être une machine, en hébreu moderne « ma’hshev » et avec un mauvais jeu de mot peut-être « me’hashev » la sorcellerie. Mais les psychanalistes disent que « ça parle », alors là, il ne s’agit plus simplement de mot qui n’ont pas de sens mais qu’il y a une façon d’aborder le langage en tant que lieu de l’impersonnel : « ça parle ! ». Lacan entre autres, à la fois psychanalyste et structuraliste: « l’inconscient est structuré comme un langage ».

Alors qu’inversément, pourrait-on parler de parole créatrice, c’est ma question, en particulier puisqu’on admet que la parole est un acte, est-ce que la prière peut être considérée comme une parole créatrice (d’après la Halakhah la prière doit être pronconcée, la parole ne doit pas être seulement pensée mais parlée), et enfin dernière question : est-ce que le grand lieu de création de l’homme dans  la liberté qui lui est donnée par la Torah n’est pas dans les 4 coudées de la Halakhah. N’y-a-t’il pas justement là l’essentiel de l’acte créateur de l’homme dans la transformation de la Mitsvah – dessein de Dieu – en réalisation ?

R : Je pourrais répondre à tout cela par une expression : Torah shebé al peh ! C’est là le génie de l’homme. Il y a énormément de questions, je vais peut-être isoler la question concernant la psychanalyse. Je pense qu’un psy de la tradition juive dirait que c’est le cas, ça pense, lorsque le sujet est aliéné ! Et par conséquent, il n’y aurait pas de contradiction. Mais nous montrer le sujet normal de l’homme comme aliéné dans tous les cas, c’est là qu’est le danger !

Au sujet de l’indication du début: la limitation dans l’imitation, je rappelle un autre verset de Aqedat Its’haq la ligature d’Isaac : lorsque Dieu dit à Ishmaël et Eliezer qui accompagnaient Its’haq montant vers la montagne de Moriah :

Vayera 22 :5

וַיֹּאמֶר אַבְרָהָם אֶל-נְעָרָיו, שְׁבוּ-לָכֶם פֹּה עִם-הַחֲמוֹר, וַאֲנִי וְהַנַּעַר, נֵלְכָה עַד-כֹּה; וְנִשְׁתַּחֲוֶה, וְנָשׁוּבָה אֲלֵיכֶם

Vayomer Avraham el-ne’arav

shvou-lakhem poh

im-ha’hamor

Et Avraham dit aux jeunes gens

Restez ici avec l’âne

va’ani vehana’ar nelkhah ad-koh

venishta’haveh venashouvah aleykhem.

Et moi et le jeune irons jusque-là

Nous effectuerons le service et nous reviendrons vers vous.

Et ceci dans les deux exposant des noms de la divinité Hashem et Elohim : voilà ce que dit le verset : שְׁבוּ-לָכֶם פֹּה עִם-הַחֲמוֹר   shvou-lakhem poh im-ha’hamor : dans cette ascension qui mène au lieu de la Aqedah à Moriah, Abraham s’adresse à ceux qui ne peuvent pas aller plus loin : Restez Poh là ici avec l’âne ‘Hamor . Et puis le Maharal intervient en nous disant qu’ils sont ligotés par l’aspect matériel du monde (‘Hamor=’Homer), ils ne peuvent pas aller plus loin ils restent avec l’âne au niveau de la matière, et  וַאֲנִי וְהַנַּעַר, נֵלְכָה עַד-כֹּה   va’ani vehana’ar nelkhah ad-koh moi et le jeune nous irons jusque là-bas וְנִשְׁתַּחֲוֶה, וְנָשׁוּבָה אֲלֵיכֶם   venishta’haveh venashouvah aleykhem et après avoir pris contact avec ce qu’il y a là-bas nous reviendrons…

Vous voyez tout ce processsus que j’ai décrit tout-à-l’heure en termes philosophiques nous allons le voir au niveau de l’exégèse. Poh et Koh qui signifient « ici » et « là-bas » sont écrits Peh Hé / Kaf Hé mais auraient pu être écrits aussi Peh Vav / Kaf Vav. Il y a ici quelque chose de très important qui apparait et que je voudrais mettre en évidence. C’est que l’homme peut aller très loin jusqu’à tout près de l’imitation sans limitation, mais il doit s’arrêter à un cran avant. Po = 86 c’est la divinité au niveau de la nature. L’homme ne peut aller que jusqu’à 85, Poh avec une lettre Hé. Ko c’est la divinité au-delà de la nature. Shem Havayah= 26 mais l’homme ne peut aller que un degré avant : Koh = Kaf-Hé= 25. Une transcendance reste dans tous les cas.

Ce qu’il y avait important dans cette question c’était surtout cela, le ça qui pense. Oui dans le cas où le sujet est aliéné. Mais je ne sais pa si les psychanalystes diraient que dans le discours du psychanaliste « ça pense ».

Q:  inaudible

R: Oui je pense que dans tout projet il peut y avoir échec. L’erreur est d’instaurer l’échec en réussite. Introduisons de nouveau le critère hébraïque : quel est l’art qui est interdit ? C’est celui qui mène à l’impersonnel ! Celui qui porte en lui la promotion de la personne n’est pas un art interdit. Il y a des musiques interdites lorsqu’elles renvoient à des expériences de dualités  irrémédiables. Par exemple, la fugue est une musique interdite par la Halakhah parce qu’elle comporte deux thèmes parallèles qui ne se rencontrent jamais. Cela renvoie à une expérience spirituelle dualiste. Comme nous ne sommes plus capables de l’expérimenter alors ces interdictions n’ont pas forces de loi, l’interdiction est alors suspendue. Mais si nous étions capables de vivre un fugue elle nous serait interdite comme musique idolâtre en tant qu’elle est dualisme irrémédiable….

Q: inaudible

R: l’artiste nous communique ce que Dieu a créé au niveau de l’art, comme le savant nous communique ce que Dieu a créé au niveau des sciences, comme tout artiste, au niveau étymologique, nous communique ce que Dieu a créé. Il est instrument de dévoilement de ce que Dieu a fait. Ce sont des dimensions de l’expérience prophétique. Mais là où il y a vraiment de façon radicale dans le génie créateur de l’homme c’est dans l’invention de la vertu : l’élaboration de la Torah Shébéal Peh.

Q: inaudible

R: Dieu nous a communiqué Sa Torah, la Torah à laquelle Lui obéit dans le monde de la vérité, et Il attend de nous comment nous pouvons la formuler au niveau de l’homme. Comment l’homme obéit à la Torah de Dieu. C’est cela qui est une invention radicale de l’homme. Et ce génie inventif, l’histoire l’atteste, a sa matrice dans l’identité Israël. C’est Israël qui formule la Torah shébé al peh.  

Un très beau Midrash de la Guémara l’exprime ainsi : lorsqu’il y a une décision nouvelle à prendre pour savoir comment se comporter dans l’ordre de la vertu, la Yeshivah d’En-haut attend la décision de la Yeshivah d’En-bas. Parce que la Yeshivah d’En-haut sait comment c’est dans la vérité, mais elle ne sait pas comment c’est dans la réalité. Elle l’attend de l’homme. 

Texte – Face C

/ Thème de la création dans la perspective de la tradition juive c’est-à-dire la Kaballah.

Quelques remarques d’introductions générales sur ce que représente la Kaballah.

Analyse des termes de base qui nous permettront de prendre connaissance de l’enseignement, en particulier de l’école du Ari, sur la notion de création.

Je me propose d’étudier à travers ce séminaire, trois notions de base :

Briah- Shévirat Hakelim-Tikoun.

ð   Briah => la notion de création elle-même, la Briah et de situer ce terme de Briah de la racine Baro = créer, dans le vocabulaire. Le terme Briah ne recouvre pas exactement les connotation de ce terme de « création » en français, et en particulier dans la langue philosophique elle-même.

ð   Shévirat Hakélim = la brisure des vases ou l’éclatement des vases –  c’est une notion très importante de la tradition du Ari – notion de l’état de la création dans ce monde-ci. Lorsque j’emploie l’expression « ce monde-ci » cela a le sens cosmologique du monde dans lequel nous vivons et cela a le sens hébreu à travers le temps, dans l’état présent du monde : Olam Hazeh – c’est-à-dire l’état actuel de la création. Nous apprenons que notre monde est créé à l’origine, et puis il se trouve dans un certain état qui est un certain état de chaos, et qui est en particulier éclairé par cette expression de Shevirat Hakelim la brisure des vases.

ð   Tiqoun restauration, remise au point de ces traces de chaos, la restauration du monde.

Qabalah ?

De la racine Qouf-Bet-Lamed : Leqabel

Leqabel a deux sens fondamentaux : le 1er est recevoir.

Par conséquent, si nous définissons la tradition par le fait de recevoir, cela signifie une tradition en tant qu’elle a été reçue : Kabalah. La tradition que j’ai reçu s’appellera Kabalah.

Alors que nous avons un 2ème terme qui signifie aussi la tradition, mais la tradition en tant qu’elle est transmise, c’est un tout autre terme qui est : Massorah. De la racine Moussor (Mem-Samekh-Resh). Massor c’est transmettre, alors que Leqaber c’est recevoir.

Une tradition implique du point de vue de son authentiticté le fait de se transmettre. Il y a deux gestes dans la transmission :

ð   la transmission à proprement parler et puis la réception.

ð   La réception

 C’est le problème le plus important qui est étudié en général dans l’enseignement du Maharal sur la 1ère Mishnah des Pirqey Avot :

Pirqey Avot (1.1):

משה קיבל תורה מסיניי, ומסרה ליהושוע

Mosheh qibel Torah miSinai ou-Messarah li-Yehoshoua

Moïse a reçu la Torah á partir du Sinaï et l’a transmise à Josué.

La 1ère question qui se pose dans cette dialectique de ces deux termes Kabalah–Massorah – c’est d’être sûr que que tout ce qui a été transmis a été reçu. S’assurer que celui qui reçoit, reçoit tout ce qui a été transmis. Cette question nous permet et nous oblige de passer à un 2ème niveau de sens. Ce terme de Kabalah au sens de tradition est le plus courant. Il n’est pas faux mais il s’avère vite insuffisant. Surtout qu’il désigne bien dans son usage l’aspect ésotérique de la tradition juive. Ce qui est transmis est reçu par des initiés. D’où cela vient-il ?

Je vais éclairer cette 1ère remarque par une expression hébraïque habituelle qui désigne ce geste de la transmission traditionnelle. En français on emploie l’expression de bouche à oreille, Mipeh laOzen – la bouche transmet et l’oreille reçoit – alors qu’en hébreu on dit de « bouche à bouche ».

C’est là que se pose notre question : est-ce que l’oreille a vraiment reçu ce que la bouche a transmis ? De telle sorte que par la suite cette bouche de cette oreille transmette ce qu’elle avait reçu de cette autre bouche…

Alors qu’en hébreu MiPeh el Peh – de bouche à bouche. La différence est très importante. Il faut pour que la Kabalah – au sens de tradition reçue – soit assurée d’être reçue.

A la réception de ce qui a été transmis il faut qu’il y ait répétition scrupuleuse de ce qui a été dit, c’est-à-dire que la bouche doit répéter ce que la bouche avait dit et non pas ce que l’oreille avait entendu. La précision du vocabulaire montre qu’il y a dans la tradition hébraïque à proprement parler un scrupule important. Pourquoi ? Et en particulier en ce qui concerne cette ligne ésotérique de la transmission traditionnelle ?

Et c’est parce qu’il y a du point de vue de la transmission humaine deux possibilités :

=> celui qui reçoit comprend ce qui a été dit, et alors à travers cette expérience de compréhension on peut être assuré que l’oreille a bien entendu ce que la bouche avait dit.  Parce que l’oreille ne se borne pas à être un relai formel de reconduction de la parole mais un relai vivant de compréhension. La bouche d’une oreille qui a compris peut transmettre avec beaucoup plus de sûreté ce que la bouche avait premièrement dit.

C’est les deux sens du mot Shamoa en hébreu. Shéma qui signifie simultanément écouter, entendre et comprendre. Si nous sommes assurés que l’oreille qui a entendu comprend ce que la bouche lui a dit, alors la transmission est assurée à travers la sûreté de la compréhension.

Mais qui comprend lorsque je dis l’oreille entend et comprend ?    

L’erreur à ne pas faire c’est de croire qu’il s’agit d’une compréhension intellectuelle, à travers ce que nous appelerons provisoirement, la raison, l’intelligence. Nous verrons qu’il s’agit de tout à fait autre chose. Ce n’est pas l’intelligence qui comprend, c’est l’âme qui comprend. La Neshamah.

Et par conséquent le critère de sélection, le critère d’élection de la lignée des initiés à une telle tradition, ne passe pas par la capacité de l’intelligence mais par la qualité de l’être.

Dans ce jeu de la transmission de bouche à bouche à travers une oreille, si l’oreille comprend, alors on a l’assurance de cette transmission. Mais en l’abscence de compréhension cette transmission peut se faire quand même mais en traversant les âges, en traversant les générations par répétition scrupuleuse de ce que la bouche a dit. Jusqu’à ce que cela soit entendu par l’oreille d’une âme qui comprend.

***

C’est une transmission de mémoire beaucoup plus qu’une transmission d’érudition.

Ce n’est pas n’importe quoi qui est transmis mais nous sommes assurés qu’il y a vraiment Kabalah – que nous avons reçu ce qui a été transmis – que dans la mesure où la compréhension passe.

Alors ce sont ces temps de patiences, de reconductions où la vertu est le caractère scrupuleux de la mémorisation de ce qui est transmis précisément parce qu’on ne le comprend pas.

Les historiens des traditions emploient le terme « acousmatique » pour dire d’une tradition exotérique qui transmet les formules de la connaissances à travers même ceux qui n’ont pas la capacité de compréhension de ces connaissances mais qui ont le scrupule de l’authenticité de la transmission. La tradition acousmatique : ce que l’oreille a entendu. A propos de la tradition pythagoricienne c’est le vocabulaire que les historiens emploient : la tradition mathématique dans le sens grec du terme qui signifie la compréhension de ce qui est transmis. Sinon il n’y a plus qu’une orthologie c’est-à-dire une orthodoxie du langage.

Ceux qui sont initiés aux textes savent à quel point le scrupule de la minutie de la forme pour garantir l’authenticité est importante.

Cf. le flou approximatif dans le vocabulaire entourant la diffusion de la kaballah qui est une tradition qui ne peut se transmettre que dans sa langue d’origine. 

La deuxième règle importante après celle du scrupule de ce que l’oreille entend de la bouche c’est de savoir qui a dit quoi. C’est la règle de la tradition talmudique elle-même. La même formule dite par quelqu’un de différent peut avoir une connotation de sens radicalement différente. Cf. la tradition chrétienne citant des versets de la Bible. Au niveau du verset c’est la même chose, au niveau du langage dans l’orthologie, l’orthodoxie du langage mais l’âme qui parle veut dire un chose radicalement différente…

Retenir les 2 règles :

ð   ce qui a été dit par la bouche qui transmet à l’oreille mais qui s’adresse finalement à la bouche qui transmettra à son tour et non pas seulement à l’oreille qui risque de faire obstacle.

ð   qui a dit quoi.

Récapitulation de l’analyse :

ð   1er terme de Qabalah : dans le 1er sens habituel de tradition en tant qu’elle est reçue. Question : comment être assuré de recevoir ce qui est transmis étant donné qu’il y a toujours plus dans ce qui est transmis que dans ce qui est reçu ?

ð   2ème sens : en réalité lorsqu’on s’interroge sur l’emploi de ce terme, au niveau des personnes qui transmettent ces traditions de la Kaballah, on les appellent les Mékoubalim. Or, cela ne peut pas se traduire par l’expression « ceux qui reçoivent » ie. « les initiés » dans le sens de ceux qui ont reçu cette tradition qui est transmise. Il faudrait alors dire en hébreu si c’était ce sens-là les « Mekabélim » et non pas les « Mekoubalim ». Il y a donc un mystère au niveau du langage. Que veut-ont dire en disant les Mekoubalim ? Ceux qui reçoivent cette tradition d’initiés parce qu’on transmet d’âme à âme et non pas de raison à raison. Il faudrait dire les Mekabélim. Mais c’est ce sont les Mekoubalim : ceux qui sont reçus et non pas ceux qui reçoivent « Mekoubal » = celui qui est reçu. Il faut dépasser la définition superficielle de l’initié comme étant reçu dans un cénacle d’initiés. Ce n’est pas ce sens-là. Cela signifie dans le langage de la tradition juive ceux dont la prière est acceptée, reçue. Les Mekoubalim. Ils sont reçus dans leur prière. D’une certaine manière la Kaballah est la science de la prière puisqu’on appelera Mekoubalim les membres dont la prière est reçue.

Cf. fin du 5ème chapitre du traité de Berakhot.

Brakhot 34b.

Celui qui prie et qui dans sa prière s’est trompé (il dit un mot à la place d’un autre) c’est un mauvais signe pour lui. Et si c’est un envoyé de la communauté « Shalia’h Tsibour » (celui à travers qui la prière de la collectivité est formulée, le délégué de l’assemblée) c’est un mauvais signe (pour ceux qui l’ont designé) car l’envoyé de quelqu’un est comme celui qui l’envoie. Or, on a raconté à propos de Rabbi ‘Haninah ben Dossa qu’il priait pour les malades. Il disait « celui-là mourra, celui-ci vivra ». On lui a demandé : d’où le sais-tu ? Il a répondu : si ma prière est aisée à ma bouche (si quelqu’un prie sérieusement, en ayant conscience de la situation dans laquelle il se trouve : il se tient devant Dieu et il bafouille, alors c’est le signe qu’il y a un certain désordre qui s’exprime à ce niveau de sérieux d’authenticité de la situation dans laquelle on se trouve. Nous apprenons par la réponse de Rabbi ‘Hanina Ben Dossa le signe qu’il utilise : si la demande est formulée aisément c’est qu’elle est acceptée. Si ma demande ne peut pas être formulée c’est le signe qu’elle n’est pas acceptée. A un certain niveau cela semble être une conduite magique avec l’efficacité des mots bien pronconcés ? Oui, si on comprend la situation dont on parle ici : quelqu’un qui a conscience dans la prière de se tenir devant Dieu demandant quelque chose. Et voilà que par acte manqué, lapsus, il dit autre chose : c’est le signe d’un désordre. C’est au-delà de la superstition et de la conduite magique.

« Si ma prière est aisée à formuler yodeah ani shelo mekoubal je sais qu’il est Mekoubal agréé. Sinon je sais qu’il est rejeté !»

C’est un exemple d’emploi dans le Talmud du mot de Mekoubal et qui ne signifie pas du tout ce qu’on pourrait croire. C’est celui dont la prière est acceptée.

Par conséquent, apparait une définition de la Kabalah en tant que telle : c’est la science de la prière.

En fin de compte le Mékoubal est autorisé à utiliser ses connaissances de la parole révélée, de la prophétie, pour pouvoir formuler la prière.

Tout ce qu’on appelle la Kabbalah Maassit – la kaballe pratique – est interdite depuis déjà un certain nombre de siècles parce que l’état de la relation de l’humanité à travers Israël avec le problème de la prophétie apparaissent. Un critère pour reconnaître un kabaliste authentique: qui se sert de ses connaissances de la tradition pour formuler la prière. Toute autre conduite, qui à certains siècles étaient autorisée, est interdite.

Ceux qui sont plus avancés pourront voir le commentaire de Rashi sur Brakhot 34b.

Mekoubal= celui dont la prière est accepté.

Une fois cela élucié alors on peut élargir la définition des termes : celui qui est accepté pour recevoir cette tradition qu’on va lui transmettre. Mais c’est un sens déjà dérivé.

ð   3ème sens : directement relié à notre sujet. Je reprends la définition de création.

Cette notion n’a pas de signification pour la pensée rationnelle. C’est une catégorie qui ne peut qu’être objet de foi. Elle est au-delà des prises de l’intelligence. Il y a à la fois un problème de contenu et de méthode qui se pose sur ce premier point. Dès que cette notion de création est acceptée, nous verrons quels sont les postulats qui nous mènent ou pas à l’accepter, et apparaissent deux définitions de l’être. Le résultat de l’acte créateur qui a pour objet l’existence du monde, c’est qu’avant il n’y avait pas de monde et qu’après il y a un monde. Donc, en réfléchissant sur l’expérience de la connaissance du résultat du créé, nous pouvons avoir l’idée de l’intention du Créateur. Il suffit de lire le résultat. Je ne comprends pas par la raison ce que signifie qu’un être apparaisse à partir du néant. Par définition, cette notion est au-delà des prises de la raison. Elle est objet de foi.  C’est une erreur de la familiarité de croire que l’évidence qu’une telle notion véhicule, parce que nous sommes familiers à la tradition de foi qui véhicule une telle notion, est de l’ordre rationnel. C’est une évidence mais qui n’est pas du tout de l’ordre rationnel.

Un homme d’intelligence normal trouvera cela incomphensible pour la raison. Si j’adopte par postulat une telle notion, alors elle véhicule cependant une connaissance qui m’est accessible : avant l’acte créateur il n’y a pas de monde, après il y a un monde. Par là, je peux d’une certaine manière comprendre l’intention du Créateur : qu’il y ait un monde.

Là apparait alors une catégorie importante. Lorsque j’emploie le terme de l’être, je suis renvoyé à deux categories d’être : l’être Créateur et l’être créature. Et je ne peux pas donner la même définition aux termes de « être » si je désigne le Créateur ou la créature. Il apparait-là deux manières d’être. Une manière d’être qui consiste à être en tant qu’elle donne l’être, c’est l’Être-Créateur. Et une manière d’être qui consiste à être en tant qu’elle reçoit l’être, c’est l’être-créature.

Faisons un petit effort d’analyse métaphysique : à partir de cela, il faut convenir que le terme « être » ne peut pas être employé dans le même sens si je fais allusion à l’être-Créateur ou à l’être-créature. Vous devinez le monde de fausses questions et de malentendus et de faux problèmes qui s’évanouissent dès qu’on a noté cela que la catégorie de la création va introduire une différence d’essence entre à l’Être-Créateur et l’être-créature.

L’Être donnant l’être et l’être recevant l’être sont deux manières d’être radicalement différente, nous avons l’un Créateur et l’autre créature.             

L’intérêt de la connaissance à propos de cette question s’est immédiatement déplacé. La question qui s’était posée à nous avait une signification métaphysique.

Que veut dire ex-nihilo ?

Que veut dire Briah ?

Yesh mi Ayin ?

Que siginife « créé à partir du néant » ?

C’est un mystère pour la raison. On ne comprend pas. Il y a même incapacité de poser le problème, même pour la raison.

Nous étions habitués, en sortant de la philosophie, à nous poser la question à un niveau d’interrogation métaphysique. Et nous sommes renvoyés à une mystère de l’irrationnel, et cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas un contenu d’évidence notionnelle, mais elle n’est pas d’ordre rationelle.

Et tout de suite on nous a déplacé l’analyse, et je me base sur un grand commentateur traditionnel contemporain de la tradition du Ari, qui est le Rav Ashlag, décédé il y a quelques années.

J’ai eu le privilège d’être l’un des élèves d’un de ses enfants pour la tradition kabaliste polonaise. Cela touche un peu au ‘Hassidisme mais il a été le principal commentateur contemporain de l’enseignement du Ari.

La notion est passée à un registre de signification morale. Le fait de donner l’être n’est pas pour la tradition juive qu’un acte compris métaphysiquement. C’est autre chose qu’un processus automatique, ce qui introduit une difficulté supplémentaire dans la difficulté que l’on voulait résoudre, d’émanation quasi-automatique et impersonnelle de l’être donnant l’être. Cette relation entre l’être donnant l’être et l’être recevant l’être est ainsi expliquée par une notion supplémentaire. Le caractère de nécessité automatique d’émanation d’être à partir d’une source d’être. Je vous renvoie là au non-platonicisme et au non-plotinisme de la tradition kabaliste.

Ce n’est que par ignorance que l’on peut renvoyer au catégorie platonicienne ou plotinienne.    

Donner l’être ce n’est pas le résultat d’un déboitement automatique, impersonnel et mécanique, mais c’est un acte d’ordre moral. L’acte moral par excellence c’est de donner l’être à autrui. Et ici nous l’avons  dans sa racine totale. Faire exister cet autrui qui recevra l’être qui est donné par l’être donnant l’être. (Vous voyez que nous sommes obligés d’employer des approximations verbales pour clarifier cette notion par des images plutôt que de risquer d’employer des notions philosophiques et des glissements de contexte.)

Retenez déjà que cette notion d’émanation d’être qui est un des gestes de la transmission de l’être au niveau de l’acte créateur, n’a rien à voir avec les catégories analogues qu’on pourrait trouver dans le vocabulaire platonicien, ou plotinien plus exactement.

C’est un acte de décision d’une volonté morale : faire exister autrui c’est l’acte moral par excellence.

Subrepticement, on nous a fait passer d’une donnée d’ordre métaphysique à une donnée d’ordre moral. Et la question métaphysique est renvoyée au philosophe.

Alors apparait-là une troisième définition de la notion de ‘Hokhmat haKabalah qui est la sagesse, la science de la réception de l’être : ‘Hokhmat HaQabalah. On entend le changement de registre. C’est dire qu’il y a un processus par lequel on reçoit l’être que l’on reçoit. ‘Hokhmat HaQabalah est la manière de recevoir l’être que donne le Créateur de telle sorte que le projet du Créateur soit accompli, soit réussi. J’ai défini la situation de créature comme l’être recevant l’être. Et il y a toute une ‘Hokhmah pour cela. Comment recevoir l’être que l’on reçoit pour que le projet de Celui qui le donne soit accompli ? 

C’est relié au 2ème sens de la prière. L’objectif de la prière, dans tous les cas, c’est de recevoir plus d’être. Deux notions qui sont liées : ‘Hokhmah HaQabalah la science de la réception de l’être et l’objectif du Mékoubal d’être accepté dans sa prière.

Le Kabaliste est ainsi celui qui connait la science de la prière et en cela participe à plus de réception d’être dans l’être qu’il reçoit de l’Être et donc d’accomplir de plus en plus le projet du Créateur.

Q : S’il s’agit de recevoir l’être pourquoi tout le monde n’est-il pas Mékoubal ?

R : Jeu de mot : Toute notre vie est une sorte d’examen de passage d’une licence de l’être.

Q : Professeur Augier : toute la métaphysique et la philosophie ne venait que d’une seule cause : la richesse de la langue grecque pour les désinences et les variations du verbe être.

Quesiton sur cette parole qui n’est que parole et donne naissance à la philosophie et de la Parole au sens de la tradition qui est créatrice ?

R : plusieurs problèmes posés à la fois, pour notre question je retiens que nous avons à découvrir ce que nous dit.

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