Confinement : Retrouvons le sens véritable du Chabbat

L’humanité a pris conscience de sa finitude, qu’il était inutile de se répandre sur leur monde sans précautions particulières, qu’il fallait se retirer partiellement du monde, qu’il était temps de faire preuve d’attention et de délicatesse, peut être aussi d’exigence morale et s’est brusquement mise à faire Chabbat. Un Chabbat imposé certes, contraint, mais l’histoire retiendra probablement qu’à un moment dans son histoire l’humanité a fait Chabbat et a donné la possibilité au monde d’arriver à des jours plus authentiques. Mais au bout de plusieurs jours de confinement généralisé à l’ensemble de la planète, ou presque, après quelques semaines de ce Chabbat imposé à l’homme, on voit apparaitre les premiers signes de relâchement, d’installation dans une sorte de routine alors que le confinement n’est pas levé. Les sorties se multiplient dans une ambiance un peu étrange. On voit en même temps se multiplier également les premiers signes d’impatience, d’incivilité, d’inélégance parfois d’énervement ou de violence. La patience est mise à rude épreuve et nos individualités se réveillent malgré elles et font apparaître par moment avec force nos défauts devant cette situation intense et interminable qui inscrit l’homme dans la réflexion, dans la lenteur et dans le dégagement. Les échanges entre les personnes deviennent plus difficiles, plus tendus, la suspicion et la méfiance font leur apparition dans le domaine public au moment des sorties, lorsque les personnes se croisent, peut être aussi à l’intérieur du domicile. La peur d’être contaminé provoque des attitudes de repli, de rejet, d’hostilité, de mise à distance de l’autre. Le premier temps de ce confinement universel qui était apparu comme un formidable retrait de l’homme pour laisser la place a l’autre que lui, et pour finalement un peu plus rapprocher les hommes entre eux, est en train de laisser la place à un second temps plus dure, plus difficile dans les relations entre les personnes, qui lui a plutôt tendance à les éloigner, à faire en sorte que chacun se replie sur lui-même en essayant de nouveau de s’approprier le plus de territoire possible dans ce qu’il est possible de prendre. Comme si chacun était un peu seul au monde et seul sur terre. A l’autre extrémité de ce second temps, après une période de sidération, les échanges misérables ont repris sur les réseaux sociaux, les petites blagues, les vidéos sans aucun intérêt et pas à la hauteur de la situation, cette vacuité, ces bavardages creux et vides de sens, et ces rires, ces rires que l’on entend parfois et auxquels on veut crier, taisez-vous ! Certains ont-ils vraiment conscience qu’un drame se joue au sein de l’humanité et qu’il faut respecter ce drame ? Mais finalement tout cela est assez logique, la nature des caractères revient progressivement à la surface, et la célébration du chabbat, qui rythme notre calendrier, est une célébration qui revient alors avec force au cœur de toutes nos réflexions et sur laquelle il est utile de se poser. Faire Chabbat n’est pas si simple, cela demande une exigence morale, une volonté, et l’instauration d’un rythme ou d’une habitude, et il nous revient désormais, à nous, peuple juif, peuple hébreu, à Israël, à ce peuple qui s’est réinstallé sur sa terre après deux mille ans d’exil, de prendre ses responsabilités, et de faire preuve de pédagogie, pour apporter ses lumières au monde, qui découvre soudainement cette fête, et de donner un sens à ce Chabbat que vit aujourd’hui l’humanité. Qu’est ce que signifie « faire Chabbat » ? Le signe du déclin d’une civilisation, c’est souvent la façon qu’elle a d’envisager les loisirs. Or, le Chabbat est devenu, souvent en exil, le jour où l’on se repose après une semaine de fatigue et d’efforts. En Occident, on fait une pause un jour ou un jour et demi par semaine, comme une machine qui a trop fonctionné et doit être mise à l’arrêt. Le Chabbat est entré dans le champ de la société occidentale. Il n’exige plus du Juif d’interpeller le monde, de veiller à être en phase avec le calendrier, mais il l’encourage à se fondre dans l’univers laïc du dimanche, de constituer une société plus harmonieuse, plus reposée. Le Chabbat, c’est pourtant tout autre chose. Ce jour-là, nous entrons dans un autre monde. Ce n’est plus le temps de l’efficacité, ni celui de notre rapport à l’objet. Nous devons cesser de nous investir dans les circuits économiques, d’intervenir dans les mécanismes du monde, qui nous obligent à travailler pour subvenir à nos besoins. Nous ne devons plus laisser agir notre volonté pour intervenir dans les mécanismes économiques. Nous devons nous concentrer sur notre rapport à l’homme, de manière désintéressée, sans rien attendre en retour. Le jour du Chabbat, nous pénétrons dans une dimension où nous sommes capables de nous retirer du monde, de nous en dessaisir partiellement et de donner plus d’importance à l’autre qu’à nous-mêmes. Le jour du Chabbat, nous sommes les invités de quelqu’un, alors que les six autres jours de la semaine, nous ne dépendons que de nous-mêmes pour agir sur les problèmes du monde. Il ne s’agit pas ici de recharger les accus d’un ordinateur ou d’un téléphone portable, mais bien de s’inscrire dans un moment différent, dans lequel le dynamisme de la technique et de la science n’aurait plus aucune prise. Un moment qui place les relations d’homme à homme au centre du questionnement, qui tente de répondre à la question du sens et de la sainteté morale. Un moment dans lequel l’homme ne doit plus travailler pour vivre, mais doit s’élever pour retrouver sa véritable identité d’homme. Cela fait inévitablement penser à ce juif qui tourne à l’extérieur, autour de la porte d’entrée de son immeuble le jour du Chabbat, parfois avec un ou deux de ses collègues, en attendant qu’une âme extérieure et impure lui donne accès à son l’immeuble en appuyant sur le bouton électrique de la porte d’entrée. La tradition hébraïque nous enseigne souvent que nos actes sont jugés en permanence et qu’il n’y a pas de refuge à l’abri duquel nos actes peuvent être revus.

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