L’OEUVRE DE LA CRÉATION
LES ENGENDREMENTS
JUIFS OU HÉBREUX
ISRAËL ET LES NATIONS
MESSIANISME
THÈMES FONDAMENTAUX

VAYEHI - SÉRIE 1994

Le cours

 

(1994)  וַיְחִי

 

 

C’est la dernière Parashah du livre de בְּרֵאשִׁית.

 

Dans l’histoire d’Israël, telle que la תּוֹרָה la raconte en préface de la תּוֹרָה en tant que loi, en tant que הַמִצוֹת סֵּפֶר, il y a deux périodes différentes importantes.

 

Après les récits qui concernent la préhistoire de l’histoire d’Israël à proprement parler : 

Celle qui va du 1er homme הָרִאשׁוֹן אָדָם jusqu’à Noah, et celle qui va de Noah jusqu’à Abraham, il y a dans ces 20 générations, plusieurs sous-groupes historiques, différentes étapes importantes de mutations de l’identité dans l’humanité, mais à partir du temps d’Abraham, nous avons, dans l’histoire d’Israël, deux périodes principales, que je vais ré-identifier :

-  le temps des אֲבוֹת, le temps des pères.

-  le temps des בָּנִים, le temps des fils.  

Lorsque la תּוֹרָה dit « Israël » ce terme a deux indices, deux dimensions : Il y a le temps de la préparation de l’identité d’Israël en tant que nation, mais ce temps de la nation ne commence qu’avec les בְּנֵי יִשְׂרָאֵל. Et la תּוֹרָה d’Israël va s’adresser en tant que loi aux בְּנֵי יִשְׂרָאֵל. Le récit historique concerne les אֲבוֹת des בְּנֵי יִשְׂרָאֵל. Il y a le temps des pères et le temps des fils. Et l’essentiel du récit dans le livre de בְּרֵאשִׁית, c’est le temps des אֲבוֹת.  

Il y a un certain nombre de références qui nous amènent à le définir comme le temps des promesses : Dieu se révèle aux אֲבוֹת en tant que Dieu qui promet, et il se révèle aux בָּנִים en tant que Dieu qui réalise.  

 

Dans l’emploi des différents noms que le texte donne à la révélation de Dieu pour Israël, il y a dix noms principaux, et c’est le nom de אֵל שַׁדַּי qui apparait chaque fois que Dieu se révèle aux Patriarches (et par la suite d’ailleurs en certaines occasions) en tant que Dieu qui promet.

C’est un temps d’identité d’Israël qui nous est très difficile à identifier car nous faisons partie du temps des בְּנֵי יִשְׂרָאֵל depuis la sortie d’Egypte.  

 

La Parashah de וַיְחִי va nous raconter un certain nombre d’épisodes de transition entre le temps des אֲבוֹת et le temps de בָּנִים. Et la transition entre ces deux époques d’Israël, c’est l’identité de Joseph. Nous lisons d’ailleurs l’achèvement du récit concernant l’histoire de Joseph.

Je reprendrais un certain nombre d’indications à ce sujet.

 

Il est très difficile pour les בְּנֵי יִשְׂרָאֵל d’identifier phénoménologiquement, existentiellement, ce que peut être l’identité des אֲבוֹת. 

Je donnerais un certain nombre d’indications à ce sujet tel que nous l’avons reçu du Rav Kouk. Il s’agissait essentiellement d’Abraham, Isaac et Jacob. Par la suite, il y a dans l’ensemble du כְּלָל יִשְׂרָאֵל - de la collectivité d’Israël - qui forme le peuple d’Israël, des individus privilégiés qui ont une capacité d’âme de niveau collectif.  

Pour qu’une âme d’Israël soit présente il faut le minimum du pluriel – c’est le מִנְיָן - parce que nous n’avons, en tant qu’individu, que la capacité d’une étincelle d’âme individuelle d’Israël.  

 

Il y a un thème que la psychologie moderne a fini par découvrir : il s’agit de « l’image générique » de Francis Galton, scientifique anglais qui a réalisé l’image générique d’une famille : il prend des photographies des membres d’une famille et les superpose pour faire apparaître une image, une figure de la famille. J’en ai vu plusieurs en travaux pratiques d’ailleurs, ce sont des figures que l’on pourrait définir par le terme «angélique» tel que je me représente poétiquement ce que pourrait être un visage angélique. C’est toujours très beau. Cela donne une illustration de ce que le Rav nous enseignait à ce sujet. Les kabbalistes emploient le terme de ניצוּצוֹת: une étincelle d’âme.  

 

Chaque individu, chaque personne individuelle a une étincelle d’âme. A ce niveau-là les différentes personnes suivant leur envergure morale, spirituelle, d’identité profonde, ont des niveaux différents d’étincelle. Il y a des cas particuliers à travers les âges, d’individus qui ont eu une כלָלִית נְשָׁמָה, une âme entière. C’est ce qu’on appelle les יְחִידִים. Si vous entendez ce terme pour parler des grands hommes on les appelle les יְחִידִים. C’est la difficulté à traduire l’hébreu. On devrait traduire « les uniques », mais chacun est unique.  

 

Dans l’enseignement traditionnel concernant les niveaux de l’âme, les niveaux des fonctions, des facultés, de la נְשָׁמָה : נֶפֶשׁ רוּחַ נְשָׁמָה חַיָּה יְחִידָה

Le dernier niveau יְחִידָה désigne la spécificité individuelle - יִחוּד - géniale de chacun telle que seul chacun la représente. La personne individuelle est au niveau du נֶפֶשׁ. Une נְשָׁמָה peut avoir des milliers de נֶפָשׁוֹת. Il y a des personnes individuelles – les יְחִידִים - qui précisément  ont la capacité d’incarner une יְחִידָה. A eux tout seul ils sont une âme.  

 

Dans le vrai langage de la tradition juive on ne peut pas dire à la manière chrétienne que la communauté juive de tel endroit compte tant d’âmes... car peut-être n’y a t’il qu’une seule âme...  

La גְּמָרָא définit ces êtres exceptionnels que nous appelons les אֲבוֹת, les Pères par une formule très claire : eïn avot eila shloshah « Il n’y a de אֲבוֹת que trois » : Abraham, Isaac et Jacob.  

 

Déjà au niveau des enfants de Jacob le fondateur des tribus, ce ne sont plus des Avot.

Un descendant de Réouven a pour Av de sa tribu Réouven et pas Shimon ou Lévi...

Par conséquent, il n’y a de אֲבוֹת que ces trois, Abraham, Isaac et Jacob, qui avaient chacun d’entre eux la נְשָׁמָה collective d’Israël. Le seul personnage de l’histoire que les grands d’Israël ont comparé à l’envergure des אֲבוֹת – par exemple un des grands maîtres du judaïsme ashkénaze  qu’ a été le תָלמִיד חָבֶר du gaon de Vilna, le Rav ‘Haïm de Volozine – qui dans un des chapitre du Nefesh ‘Hayïm compare l’envergure de Moïse à celle des אֲבוֹת et établit que Moïse avait une envergure encore plus grande : une כלָלִית נְשָׁמָה – une âme collective - à l’échelle universelle.  

 

Il y a donc à travers les âges chez les בְּנֵי יִשְׂרָאֵל des personnes qui ont cette envergure-là chacun à son niveau, on les appelle des יְחִידִים.  

Pour ce qui est des אֲבוֹת, ils ont la נְשָׁמָה collective d’Israël à trois indices différents de מִּדָה. Trois indices différents de manières d’être le projet de Dieu lorsque Dieu a voulu créer l’homme, c’est Abraham, Isaac et Jacob, chacun d’entre eux étant צַדִּיקִים absolu d’une מִּדָה:

- Abraham c’est la הָחֶסֶד מִּדָת.

- Issac c’est la הָדִין מִּדָת.

- Jacob c’est la הָאֵמֶת מִּדָת.  

 

Ce qui les définit précisément c’est qu’ils sont des יְחִידִים mais à l’échelle la plus כְּלָל יִשְׂרָאֵל.

 

Abraham est tout Israël dans la modalité חֶסֶד, en potentiel.

Isaac est tout Israël dans la modalité דִין.

Jacob est tout Israël dans la modalité אֵמֶת.

Et c’est Yaaqov qui reçoit le nom d’Israël, Abraham et Isaac sont Israël en potentiel et le sont réellement a postériori de Jacob.   

En tant que Abraham est père d’Isaac, père de Jacob, alors il est d’Israël.

En tant que Isaac est père de Jacob, alors il est d’Israël. Ce n’est pas le même Yitzhak père d’Esaü et Yitzhak père de Yaaqov. Apparemment dans le phénomène de l’histoire c’est le même homme mais ce n’est pas la même identité.

 

[J’étudiais avec Jacob Gordin, en parlant d’Ishmaël, dans le commentaire du Shla’h sur la Hagadah de Pessa’h. Lors du passage où on demande à Dieu de déverser sa colère sur les ennemis d’Israël il avait précisé : il s’agit d’Ishmaël. Lui venait d’un pays ashkénaze mais pour moi c’était inattendu, pour moi venant d’un pays d’islam. Pour nous l’antisémitisme des Chrétiens avait été milles fois plus considérable que celui en pays d’islam. Mais c’est un mythe, car après l’arrivée des Occidentaux en pays d’islam on avait oublié cet antisémitisme des pays d’islam.

Il m’a dit : tu ne sais pas lire les textes. On a vu les sources. L’expérience de l’étude me l’a montrée : l’antagonisme d’Ishmaël vis-à-vis d’Isaac est plus terrible que l’antagonisme d’Esaü vis-à-vis de Jacob. C’est ce paradoxe que je découvrais-là.  Il m’a montré que l’antagonisme de Esaü vis-à-vis de Jacob accompagne l’exil ; alors que l’antagonisme d’Ishmaël vis-à-vis de Isaac accompagne le retour, et c’est plus terrible » A cette époque le retour s’amorçait à peine. Il faut se méfier de « la connaissance en miette ». L’antisémitisme que les Ashkénazim ont eu à supporter des pays chrétiens était épouvantable et s’est accumulé dans la Shoah. Mais l’antisémitisme d’Ishmaël est beaucoup plus terrible.]

 

כלָלִית נְשָׁמָה

חִדֻשׁ de l’enseignement du Rav Kook.

Nous sommes habitués à travers la culture française à la notion d’égalité des personnes. La notion d’égalité est une notion très abstraite. Il faut parler de la notion d’égalité de la dignité des personnes. Concrètement, la notion d’égalité des personnes est une notion fausse. La devise de la révolution marxiste d’octobre est plus exacte que celui de la révolution française. « Les hommes naissent libres et égaux en droits » vs. « A chacun selon ses besoins » qui est beaucoup plus proche de l’enseignement de la תּוֹרָה.

Il n’y a pas d’égalité concrète des personnes : aucune personne n’est égale à une autre. Et par conséquent, cela a été étudié dès que les philosophes ont commencé à penser à la démocratie : l’idée qu’une voix équivaut à une autre voix... C’est une idée abstraite. 

Dès qu’on rentre dans le concret existentiel de l’identité des personnes humaines – chacune étant géniale pour elle-même - on sait que les personnes ne sont pas interchangeables et qu’il n’y a pas la notion d’égalité mais d’équivalence et « d’égalité » de dignité.  

 

כלָלִיוֹת נְשָׁמוֹת que représentent les אֲבוֹת et la פְּרָטִת נְשָׁמָה que représente chacun desבְּנֵי יִשְׂרָאֵל avec l’exception des יְחִידִים de chaque génération.  

En hébreu, existent deux mots analogues presque homonymes :

שַׁוא   ( ש - וא )    Vain

שַׁוה   ( ש - וה )     Egal

 

Vain et égal: cela veut dire que si deux choses sont égales l’une des deux est vaine.  

La notion d’égalité est ainsi vraie dans le monde de la quantité mais est une notion fausse et dangereuse dans le monde de la qualité. Dans le monde de la qualité il n’y a pas d’égalité, il y a des équivalences, il y a des « égalités ». C’est ce qui rend difficile le problème des relations de personnes à personnes avec cette notion d’égalité de droit sans la notion de devoirs...  

Les grands leaders des droits de l’homme ont été des Juifs pour la majorité, comme pour beaucoup de valeurs qui ont émergé de l’histoire. Dans les temps contemporains j’ai connu l’un d’entre eux, René Cassin, un très grand homme, qui a donné la charte des droits de l’homme à l’Etat français puis ensuite à l’ONU. J’ai étudié cette question. Une fois dans son bureau, il était déjà très âgé, un patriarche, et il parlait à son père qui était encore vivant. Si vous aviez vu René Cassin parlant à son père comme un petit gamin parle à son père… !

C’est resté dans ma mémoire.

 

Dans la תּוֹרָה, il n’y a aucune notion des droits de l’homme, il y a partout la notion de devoirs de l’homme. Si les devoirs sont satisfaits, personne n’a à réclamer les droits ! S’il faut réclamer ses droits c’est parce que des devoirs ne sont pas accomplis.  

Il y a un renversement des critères qui est important.  

 

La notion de droits de l’homme est très importante, étant donné que nous sommes dans une civilisation sans devoirs, c’est finalement une civilisation qui a besoin de police pour que les obligations et les sanctions soient respectées, donc il faut réclamer les droits. Mais c’est anormal.  

 

Il y a eu des civilisations dites primitives, de type patriarcale, ou personne n’avait à réclamer des droits et où il y avait compétition pour accomplir le devoir. Ce sont des choses qui se sont perdues avec les sociétés traditionnelles. Je me souviens d’une expression en judéo arabe en Afrique du Nord : « rend-moi un service » j’ai besoin d’un invité à Shabbat…

C’est dire : le plus grand service que tu peux me rendre c’est de venir être mon invité de Shabbat.

Je pense que cette attitude existe dans tous les folklores juifs.

Je vous le dis en arabe parce que c’est très joli : dire un service dans cette idée là se dit en arabe « une jolie chose » cela se dit M’zia « une œuvre d’art » : « Améné m’zia »

 

***

 

Il y a un cas particulier dans cette catégorisation : les אֲבוֹת et les בָּנִים

Retenez l’essentiel : Les אֲבוֹת c’est le temps de la promesse. L’identité père est une identité qui est inidentifiable pour l’identité fils. De ces deux catégories nous savons ce que la théologie chrétienne en a fait lorsqu’elle s’en est emparée. Laissez cela de côté ce n’est pas le sujet. Mais il y a chez l’homme l’identité père, l’identité fils. L’être père et l’être fils.

L’être-père est un être de promesse. La promesse traverse le père et concerne le fils. Mais la loi s’adresse au fils parce qu’il est le fils du père.  

 

La תּוֹרָה a été donnée aux enfants d’Israël en tant qu’ils sont capables d’être ceux à qui la תּוֹרָה est donnée. Mais l’histoire a traversée l’identité des pères sans les concerner sinon en promesses dont la réalisation ne concerne que les fils. Le judaïsme et la tradition juive c’est l’optimisme de l’attente de la réalisation, et nous avons été condamnés à vivre un être de promesse alors que nous sommes les hommes de l’idéal de la réalisation.  

 

Un exemple :

Aujourd’hui il y a une polarité entre non plus père et fils mais entre diaspora et Etat.

Apparemment, cela n’a rien à voir mais en réalité c’est la même catégorisation : l’identité de diaspora est une identité de promesse, c’est une identité de type « être-père ». On attend la réalisation d’une promesse. Quelle est la foi d’un Juif de diaspora ? Venir à Jérusalem ! Il ne se rend pas compte que cela est possible mais cela reste la foi.

C’est une foi pure, une שְׁלֵמָה אֵמוּנָה. On peut avoir une foi pure lorsqu’on est dans le monde de la promesse. La foi y est entière sans aucune réticence שְׁלֵמָה בְּאֵמוּנָה. Mais c’est au temps de la réalisation de la promesse que les difficultés apparaissent.  

Il y a une polarisation de l’identité juive qui se fait depuis une centaine d’années, entre ceux qui continuent à être de l’identité-père, et ceux qui sont déjà de l’ordre de l’identité-fils. Il s’agit du même Israël, mais l’un à l’indice père et l’autre à l’indice fils. C’est ce drame que l’on vit là.

 

La prophétie l’a prévu puisque la dernière des prophéties de toute la Bible, c’est la prophétie de Malakhi [Chap. 3 versets 23-24] où הָנָבִיא אֵלִיָּהוּ devra venir réconcilier les pères et les fils pour que מַשִיחַ puisse venir. Tant que les pères et les fils sont séparés, מַשִיחַ ne peut pas venir. J’ai eu tort de dire cela ainsi puisque מַשִיחַ peut venir quand il veut.

Entendu récemment chez les Loubavitch au sujet de la difficulté du temps présent : où bien on s’en sort naturellement avec le Messie qui vient, ou bien s’il ne vient pas il faudra un miracle.  

 

La גְּמָרָא enseigne que le rôle de הָנָבִיא אֵלִיָּהוּ  n’est pas de permettre ou d’interdire mais de réconcilier les pères et les fils : c’est-à-dire qu’il y a un problème culturel très important, nous  vivons un temps où cela est visible, la difficulté de communication des générations. C’est le problème de notre temps, mais cela a été le problème de toujours.  

Dans la société traditionnelle le problème avait une solution plus aisée par la présence du grand-père. C’est le grand-père qui s’occupait du petit-fils et le problème était résolu en enjambant l’impasse père-fils. Les familles qui ont trois générations sous un même toit ne connaissent pas ces problèmes parents-enfants avec la même gravité. Malheureusement, pour des raisons socio-historico-économiques les familles sont éclatées et les grands-parents sont absents de la famille.  

 

L’être-père et l’être-fils, les אֲבוֹת et les בָּנִים: historiquement le temps des אֲבוֹת s’arrête à la sortie d’Egypte. C’est 6 générations d’Abraham à Moïse. En fait, il y a deux parties dans ce temps des אֲבוֹת: les trois qui sont Abraham, Isaac et Jacob et ensuite les trois autres générations qui sont les générations de l’exil d’Egypte qui commencent ici dans notre Parashah pour s’achever à la sortie d’Egypte. La charnière étant l’identité de Joseph à propos de laquelle je traiterais d’un des sujets de  la Parashah.

 

Voilà donc là un exemple de la différence entre l’identité père et l’identité fils.

Je l’ai beaucoup réfléchi et étudié et je l’ai retrouvé, en tout cas en filigrane, dans l’enseignement du Peri Tsadik : le juif de diaspora est encore dans l’ordre de l’identité « père » alors que le juif israélien est déjà dans l’identité « fils ». Et ce sont deux mondes de spiritualités différentes du point de vue de la vie intérieure du même Israël mais à deux indices tellement différents que l’on ne se comprend plus. Vous avez du vivre cela chacun à sa manière à l’échelle individuelle. Ce qu’il faut savoir c’est que c’est le même Israël. L’un à l’indice espérance et l’autre dont le chant national est la הַתִּקְוָה. Regardez l’humour de la cohérence !   

Avant d’aborder le thème de la bénédiction de Jacob aux enfants de Joseph et le croisement des mains dans la bénédiction je vous laisse la parole.

 

***

 

Q : Il y a un problème avec les בְּרָכוֹת en général, comme une espèce de déterminisme ?

R : On va y revenir

 

Q : Pourquoi Jacob quand il meurt ne dit pas à ses enfants de partir de l’Egypte ? Pourquoi Yaaqov est-il resté en Egypte ?

R : très bien.

 

Q : Bénédiction de Jacob aux enfants de Joseph et l’inversion des mains ?

 

On peut commencer par cette question de l’installation dans l’exil ou par cette question de l’identité particulière de Joseph qui se divise en deux tribus et pourquoi cette inversion de la bénédiction ?

Je dis tout de suite quelque chose à ce point avant de revenir à la première question.  

C’est que l’identité de Joseph fait la transition entre le temps des אֲבוֹת et le temps des בָּנִים. C’est un problème qui a énormément de dimensions. Il y a une rivalité entre la dimension de l’identité Joseph et la dimension de l’identité Juda dans la famille de Jacob. Elle nous est déjà annoncée et expliquée dans les Parashiot précédentes. Cela commence déjà au moment des rêves de Joseph.  

 

Je rappelle brièvement ce que j’en ai dit la dernière fois :

Il y a dans la vocation, et même plus dans la fonction d’Israël dans l’histoire universelle, une double dimension de la messianité et qui joue à tour de rôle, et qui le plus souvent se combat et ne réussisse l’une l'autre que lorsqu’elles arrivent à s’allier. On le trouve déjà dans la préhistoire de l’histoire d’Israël dans l’histoire des Patriarches et surtout dans l’histoire des enfants, les בְּנֵי יִשְׂרָאֵל. C’est cette tension entre deux dimensions de la même vocation de l’universalité d’Israël.

 

Précision de vocabulaire importante : Nous devons à un des maîtres de la génération  précédente le grand Rabbin de Paris le Rav Jaïs za’l cette mise au point, une distinction très importante pour notre problème : la distinction entre deux termes français : « universel » et « universaliste ». Lorsque l’on parle d’une religion universelle, par exemple le christianisme, on parle d’une religion qui considère que sa théologie concerne tout le genre humain, tout l’universel humain. Le salut pour le genre humain c’est l’église et « hors de l’église point de salut ».  

L’universel concerne tous les hommes. C’est mon identité qui doit devenir celle de tous les autres : c’est de l’impérialisme. C’est vrai aussi pour l’islam, mais je parle de l’exemple du christianisme. C’est en train de changer pour les Chrétiens depuis Vatican II : le christianisme est en train de muter, et de statut de religion universelle est en train de devenir une religion à caractère universaliste. Et j’expliquerais la différence. Mais pour l’islam c’est évident que c’est une religion de ce type : impérialiste de type universel.

 

Ce qu’on appelle le fondamentalisme ou l’intégrisme musulman est au stade où la chrétienté était au moyen-âge et au temps de l’inquisition, c’est évident.

 

L’impérialisme est l’échec de l’universalisme. C’est quand une manière d’être homme en particulier prend en charge le rêve de l’unité humaine et veut imposer comme critère de l’unité de l’ensemble sa propre manière d’être. C’est l’empire. L’exemple classique qui nous est très parlant est celui de la révolution française qui bascule dans l’empire français quelques années après la première république. C’est l’identité française, disposant du progrès à tous les niveaux à l’époque de la civilisation européenne, qui veut s’imposer à tous. Parfois ingénument, inconsciemment, en étant persuadé qu’être homme vraiment c’est être français. Et les porteurs des idéaux de la révolution française étaient des universalistes authentiques qui rêvaient d’universel.  

 

Il y a donc une fatalité chez les גּוֹיִם, qu’enseigne la תּוֹרָה, que ce rêve d’universel bascule chaque fois dans l’empire. Cette fatalité vient de ce que il y a un décalage entre l’âme humaine capable de penser l’universel, et le corps, le véhicule biologique et social de chaque manière d’être homme qui est très précis, très restreint, très partiel et donc très partial.  

La société de telle ou telle nation est ce qu’elle est, et pas autre chose, et pourtant son rêve peut être celui de l’universel. Chacun des גּוֹיִם c’est une manière concrète d’être homme très précise. Il peut y avoir des idéologues de l’universalité chez les גּוֹיִם à l’échelle individuelle en tant que penseur, en tant qu’homme de cœur, en tant qu’homme de foi, mais arrivé au niveau politique c’est l’empire. Pourquoi ? Parce que le véhicule de réalisation de ce rêve de l’universel est lui partiel et partial, c’est le sens étymologique du mot hébreu גּוֹיִם. L’humanité humaine a éclaté en גּוֹיִם, les manières d’être hommes. On le traduit par les nations, mais chaque nation concrètement est ce qu’elle est et pas autre chose.

 

Et c’est vrai tant au niveau politique, que philosophique, que religieux.

L’Eglise s’est pensée comme universelle.

Mais les français ne sont jamais que français et les italiens, italiens ou les anglais, anglais...

Et l’église a été au service de l’impérialisme européen.  

Mais cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas à l’échelle individuelle, comme cela a été le cas pour la révolution française, des hommes authentiquement universalistes. Mais le véhicule politique lui bascule inévitablement dans l’impérialisme.

 

Ces individus des nations qui peuvent être universalistes sont appelés des חָסִידֵי אוּמוֹת הָעוֹלָם.

 

Chez les nations à l’échelle individuelle il y a des חָסִידֵי אוּמוֹת הָעוֹלָם. Chez les nations, il y a une seule société comme telle qui incarne l’universel humain, c’est Israël. C’est le récit de la תּוֹרָה.  

Il y a une fatalité des גּוֹיִם d’être ce qu’ils sont et pas autre chose. Un français ne sera jamais que français, un allemand ne sera jamais qu’un allemand… Il peut adopter, recevoir, être au courant d’une autre culture, mais ce qu’il est, il l’est de manière irrémédiable et irréversible. Et il y a alors quelque chose qui mime l’universel chez les גּוֹיִם, et qui est une caricature et un échec de l’universel, c’est le cosmopolitisme.

 

Mais en réalité c’est une caricature de l’universalité. En fait les hommes sont les hommes, il n’y pas l’homme mais les hommes. J’ai beaucoup appris cela d’un grand philosophe dont les disciples étaient un peu antisémites. C’est le mouvement du personnalisme d’Emmanuel Mounier dans la revue Esprit dont c’était le cénacle. Il y avait beaucoup de chrétiens antisémites. Il a réussi en langage philosophique à exprimer cela, « le personnalisme » : chaque personne est ce qu’elle est. Il y a un personnalisme des nations.  

 

Il n’y a pas de cercle d’étude en France se réunissant sur la question : qu’est-ce qu’être français ? Dans toutes les communautés juives, il y a eu des cercles d’études : « qu’est-ce qu’être juif ? »

Cela n’est pas un mystère d’être français. On est français et cela ne s’explique pas, cela ne se décrit pas, c’est ! Chaque manière d’être homme est ce qu’elle est.

Mais il y a un mystère : qu’est-ce qu’un juif ? Parce qu’un juif peut être n’importe quelle autre manière d’être homme. C’est le cas particulier du cosmopolitisme juif. Mais on arrivera à l’universel hébreu tout à l’heure.  

Il y a une fatalité de l’échec de l’universalisme chez les Nations, chez les גּוֹיִם. Cela ne signifie pas que les porteurs de ce rêve de l’universel n’étaient pas authentiquement ce que nous appelons en hébreu des חָסִידֵי אוּמוֹת הָעוֹלָם.

 

***

 

Dans l’identité Israël, il y a une première dimension de la vocation מַמְלֶכֶת כֹּהֲנִים וְגוֹי קָדוֹשׁ  qui est de se mettre au service de la civilisation dominante du temps.  

 

La charnière avec notre problème est très simple :

A tour de rôle chaque nation va devenir la figure de prou de la recherche de l’universel humain et c’est elle qui fonde l’empire.  Il y a alors une tendance messianique d’Israël de se mettre au service de cette civilisation dominante pour la « kashériser », pour la sanctifier. C’est ce qu’a rêvé de faire Joseph en Egypte. Et c’est le modèle de la vocation messianique de type diaspora. Etre au service de la civilisation du temps, celle qui est occupée à faire l’empire en voulant faire l’universel humain.  

Le récit de cette descente de Jacob, s’installant dans la civilisation du temps qu’est l’Egypte, par le biais de Joseph qui en est le levier, le véhicule, c’est la dimension Jacob du peuple d’Israël.

 

Dès qu’il s’agit de Jacob, il est normal que Jacob se sente chez lui en exil.  

Il faut voir à quel point c’est notre carte d’identité historique qui nous est donnée là : Joseph seul est capable d’être dans l’Egypte. On l’apprendra de la Parashah שְׁמוֹת: וְיוֹסֵף הָיָה בְמִצְרָיִם.

Joseph seul était capable d’aller dans l’Egypte et de rester hébreu. Jacob lui doit s’installer dans le ghetto de Goshen. Parce que si cette dimension du peuple juif au service de la nation étrangère s’installe au cœur de la civilisation étrangère, elle s’assimile. C’est le problème de l’assimilation. Joseph seul est le cas particulier.  

Rashi cite un Midrash qui le met en évidence :

Pourquoi au début du livre de l’Exode lors de la descente des enfants de Jacob en Egypte, un verset exceptionnel pour Joseph : וְיוֹסֵף, הָיָה בְמִצְרָיִם

Rashi citant le Midrash : ce Joseph vendu du pays de Kenaan comme esclave en Egypte est devenu à la tête du palais de Pharaon et est resté צַדִּיק.

הָצַדִּיק  יֹסֵף c’est le seul à pouvoir rester צַדִּיק dans l’Egypte. Les autres pour rester Israël sont au service de l’Egypte dans le ghetto. Ce sont les bergers des troupeaux des Egyptiens.

 

Cf. les péripéties entre Joseph et le Pharaon :

- Que font tes frères ?

- Ils sont des bergers. 

- J’en ai besoin, installes-les...etc.

C’est cela qui se passe quand les Juifs arrivent.

Les Juifs sont des médiateurs et en leur qualité d’intermédiaire, on a besoin d’eux…

Nous sommes les médiateurs des valeurs. Cela se traduit comme intermédiaire de la banque avec le même vocabulaire : sanction, obligation, valeur, la signature est bonne...

C’est dans la réalité de l’existence l’idéal du médiateur. Au point qu’il y a des thèses d’un trotskiste Léon Abraham, sociologue marxiste, sur le peuple juif vu comme une religion de classe des intermédiaires.

 

La communauté juive au service de la civilisation extérieure a le même problème qui nous est raconté des enfants de Jacob en Egypte : lorsque la dimension Israël s’installe en exil elle s’appelle Jacob, et elle s’installe et c’est fini ! Elle a son vocabulaire messianique d’espérance mais cela reste un vocabulaire messianique d’espérance ! Il faut que Juda prenne le relai pour que cela se concrétise. Joseph c’est la descente en Egypte. Juda c’est la sortie d’Egypte.  

Tant que c’est le temps de l’exil, c’est Joseph  qui est Israël. Dès que le temps de fin d’exil arrive, parce que cette tentative a échoué -  et il n’y a aucune exception, aucun Joseph de l’histoire du monde n’a jamais réussi à kasheriser la civilisation de l’empire du temps, les empires ont pris fin dans l’éclatement et les catastrophes. Jamais Israël n’a réussi à sauver l’empire. C’est cela la vocation messianique de la diaspora : tenter de sauver l’impérialisme des גּוֹיִם. Lorsque Joseph va diagnostiquer que c’est un échec, il leur dit : « le temps arrivera où Dieu vous fera signe et vous sortirez et emporterez ma momie pour éviter qu’elle devienne idole de l’Egypte… ».  

 

Chaque fois qu’un Joseph traverse une Egypte il y a un mausolée quelque part. Dès fois même un sépulcre vide… Celui-là était fils de Joseph, mais c’es le même objectif.  

Dès que la communauté juive, qui est l’Israël de l’exil, s’installe au service d’une civilisation, il y a tout de suite la différence : Joseph qui est à l’Elysée et les Juifs á la rue Pavée, c’est à dire le palais du Pharaon et Goshen le ghetto. Ce Joseph est souvent économiste, financier, conseiller... de la civilisation en question. C’est tellement simple que cela donne le vertige : une histoire simple qui se fait depuis l’origine et qui recommence. On n’arrive pas à s’en rappeler, à la comprendre et à savoir comment réagir, mais c’est la même histoire.  

Dès qu’Israël redevient Jacob, il est l’homme de l’exil et s’installe en exil. Il y a un verset de fin de Parashah וַיְחִי que nous citons dans la Haggadah de Pessah, lorsque le dernier verset montre les enfants d’Israël prospérant en Egypte, la Haggadah dit alors : « Melamed Shéhayou metsouyanim sham : ils étaient très bien là-bas, metsouyan ».  

Jacob est chez lui chez Joseph.

 

Or ‘Ha’hayim pose le problème pour les enfants de Jacob, lorsqu’ils ont ramenés le corps de Jacob à la caverne de מַּכְפֵּלָה pourquoi n’y sont-ils pas restés ? Pourquoi sont-ils redescendus ?

C’est là que le Or Ha’hayim dévoile que c’est cela la catastrophe qui a fait que l’on n’a été que 70 et non pas 80. Si la famille de Jacob avait été 80, alors l’histoire d’Israël aurait été toute autre : elle aurait été une histoire de messianité dans la splendeur et dans la gloire. C’est un thème très peu connu, on l’étudiera en détail Parashah שְׁמוֹת.

 

Je vous dis la charnière de cet enseignement qui est un Midrash difficile cité par Rashi :

Joseph est cette tendance d’Israël à rêver d’être au service de la civilisation extérieure pour la sauver. Je plaide ici le dossier de Joseph. Moi je fais partie du judaïsme de Juda. C’est une coïncidence que je m’appelle Juda. J’aurai pu m’appeler Joseph. Mais je ne m’appelle pas Joseph et il n’y a pas de coïncidence ! Bon, je plaisante ! Je ne plaisante pas, mais enfin c’est pire…  

 

J’essaie de vous montrer que le dossier de Joseph est plaidable. Le problème n’est pas que Judah a raison et que Joseph a tort. Les deux ont raison, cela dépend simplement du temps dans lequel on est : si on est dans le temps Joseph, c’est Joseph qui a raison, si on est dans le temps de Juda, c’est Juda qui a raison.

Le problème contemporain est très clair, on est dans un temps charnière où tous se pose la question : en quel temps sommes-nous ? Le temps de Juda ou le temps de Joseph ?

Si c’est le temps de Joseph, alors il faut s’installer en diaspora. Il faut s’installer à Shtarim. Il faut s’installer à Shkhem et c’est Joseph lui-même qui le dit.

 

Pour revenir au sujet, c’est cet élan messianique pour sauver le monde que Dieu a créé.

Or, la révélation de Dieu s’est faite aux pères d’Israël pour que les fils soient au service du salut messianique de l’humanité. C’est à ce niveau-là qu’il faut penser l’inconscient juif. Et par conséquent Joseph rêve cela. Là où c’est déjà la nuit, il faut y être les étoiles, là où le blé pousse, il faut aller y faire les gerbes... C’est cette histoire qui nous est racontée.  

Quand on est au temps de Joseph, Jacob se connait comme Jacob et s’installe chez Joseph, mais il y a un danger : la femme de Putiphar !  

L’Egypte dans la figure de la femme de Putiphar a voulu s’annexer la force de Joseph, comme d’ailleurs on le verra, la tendance de l’Egypte est à chaque fois de s’annexer l’identité d’Israël pour féconder l’Egypte.  

 

C’est ce que reprochera Juda à Joseph lorsqu’il plaide le dossier d’Israël contre cette usurpation d’identité que l’Egypte veut faire : כִּי כָמוֹךָ כְּפַרְעֹה: tu veux prendre Benjamin comme l’ancêtre du Pharaon du temps d’Abraham  a voulu prendre Sarah !

 

Ce qui est la dernière chance des engendrements en Israël, l’Egypte veut se l’approprier pour féconder l’Egypte. Alors l’Egypte est devenue sans progéniture -  le colonialisme est cet aspect de l’impérialisme qui continue avec les enfants des autres  - Juda fait ce reproche à Joseph de vouloir faire comme Pharaon avec Sarah. Pharaon du temps de Moïse veut tuer les garçons et garder les filles qui enfantent... Il veut s’approprier la matrice d’engendrement...  

 

C’est ce que désigne la femme de Putiphar. On apprend que Putiphar est eunuque ! Sa femme voudrait être fécondée par Joseph parce que son mari égyptien ne peut plus la féconder. Cela se lit à livre ouvert. La femme de Putiphar veut Joseph. Joseph ne lui laisse en mains que son déguisement égyptien. C’est la frustration totale. Si elle l’envoie en camps de concentration ce n’est pas pour le punir d’avoir voulu séduire la femme de Putiphar, mais il est puni pour ne pas s’être laissé séduire par elle. La femme de Putiphar dit à son mari : je le veux, il ne veut pas, venge moi ! C’est ce qui se passe, lisez bien le texte, c’est l’inverse. Joseph arrivant dans une civilisation est le théophore : « porteur de l’idée de Dieu ». Et lorsqu’ils croient par là être sauvé, Joseph se déclare athée...

C’est par exemple la relation entre l’intelligentsia juive et la France. La France attend un message de salut du peuple de Dieu. Et l’intelligentsia juive lui enseigne l’athéisme juif… C’est la frustration  totale ! Je schématise un mécanisme qui n’a jamais eu d’exception.

 

Il y a un Midrash, cité par Rashi, qui montre à quel point c’est ce qui se passe :

Joseph a failli succomber aux charmes de la femme de Putiphar. A ce moment-là lui apparait la figure de son père. Les psychologues expliquent par là l’inhibition... mais le Midrash explique qu’il s’est rendu compte que ses enfants risquaient de ne plus ressembler à son père. C’est le drame d’un judaïsme qui s’installe au service des nations, et qui au moment où il risque de disparaître assimilé se reprend, déclenchant la frustration de la nation en question dont découle l’antisémitisme. Il faut savoir que c’est comme cela que ça se passe et il n’y a malheureusement jamais eu d’exception.  

 

Alors le Midrash dit ceci :

Quand la femme de Putiphar a voulu s’emparer de Joseph, il a planté ses doigts en terre et a perdu dix gouttes de sperme tombées par ses dix doigts et correspondant aux dix tribus qu’il devait enfanter. Il y a une perte d’énergie d’Israël dans cette aventure. Joseph aurait pu être le père de 12 tribus mais il ne lui en est resté que deux. Ce qui fait qu’Israël au lieu d’être à l’indice 80 a été à l’indice 70.  

C’est un thème de קַבָּלָה, je vous le signale. Le Or Ha’hayim grand commentateur de la תּוֹרָה, Al Pi Hakaballah, contemporain du Baal Shem Tov, a expliqué cela : c’est un Israël galoutique qui apparait en ce temps-là et qui s’installe en tant qu’Israël galoutique. Un Israël où il y aurait eu les deux forces messianiques, l’autre force aurait déjà pris le relai au moment où ils ont ramené le cercueil de Jacob, et ils seraient restés en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל.

 

Je vous citerais la semaine prochaine tous les commentaires pour vous montrer que le plaidoyer n’est pas à la hauteur des événements. On a laissé femme et enfants, les troupeaux qu’il faut retourner aller chercher... On est retourné les chercher et on y est resté.  On a tardé pour s’installer... La sortie d’Egypte aurait pu se faire tout de suite. Et elle en s’est pas faite, on s’est installé. C’est la réponse à la question: Il y a une tendance à s’installer dans l’exil.

 

Q : Jacob part à Beersheba pour demander l’accord de Dieu. Il allait voir son fils et était prêt à retourner en Israël ?

R : Non, le début est exact. C’est en fin de Parashah de וַיִּגַּשׁ, Jacob arrivé à Beer Shevah, il a demandé à Dieu la permission de quitter le pays car il savait que Dieu l’avait interdit à Isaac, et Dieu lui donne l’accord pour descendre en exil. Je vous dis le verset car c’est exactement le problème. C’est la notion de spécialisation du travail qui l’expliquerait bien. Lorsqu’Israël est engagé dans la dimension Joseph, Israël devient hermétique à la dimension Juda. Israël redevient Jacob et Jacob c’est l’exil. Alors Dieu lui donne le feu vert pour l’exil et alors il devient Koulo exil, le Juif de l’exil. J’essaie d’en faire la phénoménologie dans l’histoire de la société d’Israël : ces Juifs de l’exil qui sincèrement disent chaque jour : « Ramène-nous à Sion », mais dont l’engagement est d’être au service de la civilisation extérieure du temps. C’est cette espèce de paradoxe que les Juifs de l’exil n’arrivent pas à comprendre mais qui est évident pour un observateur de l’extérieur. Quel est ce peuple qui fait le contraire de son souhait le plus cher ? J’ai souvent discuté avec des sociologues non Juifs qui la plupart du temps font l’aveu d’incompréhension face à Israël. C’est la contradiction absolue. Le texte est très clair: lorsqu’il emploi le terme « Israël » pour parler d’Israël, c’est Jacob débarrassé de la dimension de l’exil revenant en Israël. C’est Jacob fuyant de chez Laban pour revenir au pays et recevoir le nom Israël. Mais Israël descendant en Egypte redevient Jacob, et il est Jacob et que Jacob.  

 

C’est le verset disant : «Je descendrai avec toi et Je remonterai avec toi ». Et donc la question est de savoir pourquoi Jacob a obligé Dieu a resté en bas ? « Si tu remontes, Je remonte avec toi ». Mais Jacob oblige Dieu à rester en bas tant qu’il ne remonte pas. C’est la difficulté d’être de ce peuple qui doit être à la fois Jacob et Israël.  

Vous avez sûrement rencontré des rabbins persuadés que ces Juifs qui ont décidés de venir en Israël sont hérétiques, traitres, renégats. Je ne dis pas cela des Juifs restés en diaspora. Je dis qu’ils sont préhistoriques et qu’ils ne s’en rendent pas compte. Dès qu’ils s’en rendent compte,  ils viennent c’est aussi simple que ça !  

Ils fonctionnent comme Jacob et ne veulent pas quitter l’exil ne s’en sentant pas le droit. Pour eux, être juif c’est être en exil. Et il y a tout un monde de superstitions et de fantasmes qui se greffe là-dessus avec une piété ingénue et minutieuse…

   

Au début de ce fameux passage où Rashi dit que Jacob veut prophétiser la fin de l’exil à ses enfants, la prophétie le quitte.  

 

Chapitre 49, verset 1 :

וַיִּקְרָא יַעֲקֹב אֶל-בָּנָיו; וַיֹּאמֶר הֵאָסְפוּ וְאַגִּידָה לָכֶם אֵת אֲשֶׁר-יִקְרָא אֶתְכֶם בְּאַחֲרִית הַיָּמִים

Jacob appela ses fils Et il dit : Rassemblez-vous et je vous dévoilerais Ce qui vous adviendra à la fin des jours.  

 

בְּאַחֲרִית הַיָּמִים  C’est la fin des jours de l’exil.  

 

Rashi : וַאֲגִידָה לָכֶם

בִּקֵּשׁ לְגַלּוֹת אֶת הַקֵּץ וְנִסְתַּלְּקָה מִמֶּנּוּ שְׁכִינָה וְהִתְחִיל אוֹמֵר דְּבָרִים אֲחֵרִים

Il (Ya‘aqov) voulait leur révéler la fin des temps, mais la Shekhinah s’est retirée de lui, et il s’est mis à parler d’autres choses (Pessa‘him 56a, Beréchith raba 98, 2).  

 

En fait il les a bénis. En les bénissant, il donne secrètement dans les bénédictions, l’identification  de chacun et donc le secret de chacune de ces tribus, fondées par ses enfants, et donc aussi l’allusion aux conditions de la fin de l’exil.  

La prophétie dévoilée s’est cachée : Jacob n’a pas pu dévoiler la fin de l’exil à ses enfants parce que dans la dimension Jacob il n’y a pas de fin d’exil. La dimension de fin d’exil c’est grâce à Isaac qu’on la mérite (dans son nom קֵּץ) et la fin d’exil c’est Israël quand Jacob redevient Israël.  

Il faut comprendre le courage terrible qu’il faut pour ces Juifs pieux de l’exil qui fonctionnent comme Jacob au service de l’exil (c’est-à-dire la dimension Joseph) qui en fin de compte décident quand même de finir leur vie en prenant leur retraite au moins à בְּנֵי בְּרַק mais ce n’est pas en Israël, c’est extraterritorial. Parce qu’ils sont conditionnés par l’identité Jacob : il n’y a pas de fin à l’exil. C’est cette espèce de conditionnement de Jacob.

 

Q : Une tradition selon laquelle Yaakov est Israël que lorsqu’il est aussi Essav ?

R : Non, lorsque Joseph et Juda sont ensemble. Cela veut dire que si Jacob était capable d’avoir aussi la capacité d’Essav mais comme צַדִּיק alors il s’appelle Israël.

אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל était dans l’héritage d’Esaü – c’est pourquoi d’ailleurs que les Chrétiens réclament ce pays - parce que אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל c’est les enfants de Leah. Et Leah qui est devenue la femme de Jacob. Mais la femme préférée de Jacob c’est Rachel, la femme de l’exil. C’est-à-dire que pour Jacob c’est difficile d’être israélien. Dès qu’il est israélien alors il s’appelle Israël. Et vous avez remarqué que les Juifs des ghettos de type Jacob accusent les israéliens d’être Esaü ! Exactement dans votre question. Je vous dirai qu’en relation actuelle avec les événements que nous vivons, il y a un revirement de ces Juifs. Une grande partie des Juifs חֲרֵדִים qui étaient contre l’Etat d’Israël sont en train de changer d’avis pour sauver l’Etat d’Israël. Je vous en parlerai dans les prochains cours. Cela a l’air paradoxal. Ils sont inquiets de l’avenir puisque le gouvernement actuel veut précisément abandonner tout ce qui fait l’héritage biblique d’Israël : Shkhem, ‘Hevron, Yerikho... C’est l’histoire de Jacob qui découvre que c’est Ishmaël qui va prendre le pays, alors il a le courage de devenir Israël !

 

Je finis sur ce verset. Je reprendrais l’identité Joseph la prochaine fois.  

Le verset concerné : « Dieu dit à Jacob : « Je descendrais avec toi »

C’est le temps où tu peux descendre. « Mais Je remonterais avec toi ».

Ce sont deux fonctions différentes c’est difficile pour la même personne de les vivre à la fois. Peut-être y a-t’il une génération privilégiée qui fait simultanément encore partie du temps de la diaspora et du temps de l’état d’Israël. Un peu à l’aise ici et là. Mais c’est très rare. Certains sont là et d’autres sont ici. Et n’arrivent plus à se comprendre.  

Quand Jacob est Jacob il n’est que Jacob. Il peut donc s’installer n’importe où en appelant cela n’importe où « la petite Jérusalem »…  

 

 

 

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