L’OEUVRE DE LA CRÉATION
LES ENGENDREMENTS
JUIFS OU HÉBREUX
ISRAËL ET LES NATIONS
MESSIANISME
THÈMES FONDAMENTAUX

REEH - SÉRIE 1994

Le cours

 

(1994) רְאֵה

 

Q: En rapport avec le fait que Mosheh était encore vivant vous deviez expliquer le Passouk: "Vehineh eyneykhem ro'ot ve'eyney a’hi Vinyamin ki-fi hamedaber aleykhem"

R: C’est dans Vayigash 45:12

 

Q : évoquée en semaine dernière la יִרְאַת יְהוָה mais dans la תּוֹרָה l’amour de Dieu est mis en valeur avant la crainte de Dieu ? …וְאָהַבְתָּ, אֵת יְהוָה אֱלֹהֶיךָ

R: c’est un enseignement de Rashi qui cite le Midrash à propos de וְאָהַבְתָּ, אֵת יְהוָה אֱלֹהֶיךָ qui se trouve dans Devarim chapitre 6 verset 5 dans la Parashah du שְׁמַע קרִיאָת.

 

וְאָהַבְתָּ, אֵת יְהוָה אֱלֹהֶיךָ, בְּכָל-לְבָבְךָ וּבְכָל-נַפְשְׁךָ, וּבְכָל-מְאֹדֶךָ

Tu aimeras Hashem ton Dieu...

 

Rashi cite le Sifrei :

« Accomplis ces paroles par amour. Il ne ressemble pas celui qui agit pas amour, à celui qui agit par crainte. Celui qui a agi auprès de son maître par crainte, lorsqu’il lui semble qu’il brime, il le laisse et le quitte. »

 

Cela veut dire que la motivation d’amour et la motivation de crainte sont différentes de nature.

La motivation de l’accomplissement des commandements négatifs c’est la crainte: c’est parce que j’ai peur de porter atteinte à une valeur que je ne fais pas ce qu’on m’interdit de faire. J’ai peur – c’est la crainte - שָּׁמַיִם יִרְאָת - de porter atteinte à la valeur. La motivation pour les commandements positifs, c’est l’amour : c’est parce que j’aime Celui qui me demande d’accomplir Sa volonté que j’accomplis Sa volonté. C’est parce que j’aime ce qui est demandé que je le fais.

 

Donc il y a ces deux motivations :

יִראָה pour les תַּעֲשֶׂה  לֹא מִצוֹת

אַהֲבָה pour les עֲשֶׂה  לֹא מִצוֹת

 

Mais il y a un ordre : d’abord la motivation de crainte et ensuite la motivation par amour.

 

Mais ce qu’enseigne Rashi ici va au-delà : même dans la motivation  qui agit par crainte c’est par amour qu’il faut agir.  C’est parce que je l’aime que j’ai peur de lui faire du tort.

 

***

On est souvent confronté à la différence de sensibilité religieuse entre l’Islam et la Chrétienté d’un  côté, et d’autre part le judaïsme. C’est le problème des rivalités d’identités issues de la maison d’Abraham. Essav et Ishmaël. Nous sommes au coeur de ces rivalités à Jérusalem.

 

Il faut se souvenir que l’histoire de l’humanité reproduit l’histoire de la famille d’Abraham.

Les rivalités d’Ishmaël et d’Essav étant reprises par l’islam et la chrétienté. Or, l’islam et la chrétienté sont des mondes énormes.

Les péripéties historiques qui ont cristallisées ces 2 rivalités, sont très complexes et pourtant cela rejoint dans la simplicité absolue la réclamation d’Ishmaël qui réclame la terre d’Isaac et la réclamation  de Essav qui réclame le ciel de Jacob.

 

On voit à quel point on est confronté de façon massive à la civilisation de notre histoire. 

Pourquoi les juifs ne sont-ils pas sensibles à cela ? Pourquoi les Chrétiens et les Musulmans sont-ils sensibles à cela ?

 

Par rapport à notre question de théologie, c’est bien entendu schématique puisque toutes les tendances existent à l’échelle individuelle mais elles sont le fait de tel ou tel théologien de l’islam ou de la chrétienté : l’islam a mis l’accent sur la crainte et la chrétienté amis l’accent sur l’amour.

 

Lorsqu’il y a une des deux motivations à l’exclusive sur l’autre c’est une hérésie. Les deux sont nécessaires.

 

Un exemple : la sensibilité juive a toujours perçu comme l’impureté absolue la manière dont les mystiques chrétiens parlent de l’amour de Dieu. C’est indécent, impudique. Les débordements mystiques de Saint Ignace de Loyola et de Thérèse d’Avila, que je cite intentionnellement car ils sont d’origine juive. C’est l’amour sans barrière...

 

Et dans l’atmosphère de la religiosité islamique c’est la terreur absolue. Il y a un abîme entre le Créateur et la créature, c’est la soumission absolue (racine du mot « islam » à plat ventre - se soumettre).

 

D’un côté on met l’accent sur la transcendance absolue : l’islam.

D’une autre côté on met l’accent sur l’immanence absolue : la chrétienté.

 

Les 2 motivations sont authentiques, mais, exclusives l’une de l’autre, elles conduisent à l’hérésie absolue. On trouve surtout chez les protestants la perception de la transcendance et surtout chez les soufis la perception de l’immanence, mais en général la dominante est celle indiquée.

 

Mishnah du פִּרְקֵי אֲבוֹת:

« Ne soyez pas intéressé dans votre service (ie. « servez par amour »), et que la crainte de Dieu soit sur vous (c’est avec la crainte dans l’ordre signalé par votre question)

 

Je vous donne cette lecture qui nous vient des grands théologiens du moyen-âge :

Et que soit la crainte de Dieu sur vous, en hébreu cela veut dire un ordre. 

il s’agit ici d’un ordre « et que soit la crainte de Dieu sur vous »

Mais qu’on peut lire comme promesse : « si vous server de façon désintéressée par amour alors la crainte de Dieu sera sur vous... ». Cela veut dire : « on aura crainte de vous comme on a crainte de Dieu ».

 

Effectivement, on a étudié le phénomène du martyre. En particulier, il y a des références dans le Talmud : les animaux sauvages ont peur des צַדִּיקִים. Si un homme est vraiment צַדִּיק, l’animal sauvage a peur de lui et non l’inverse. On a expérimenté cela du temps en anthropologie sociologique où j’étudiais au Musée de l’homme au Trocadéro l’anthropologie et en particulier l’anthropologie zoologique, et il y a des témoignages sur cela : si l’homme a peur alors le chien n’a pas peur de lui. Mais si l’homme est calme et serein alors le chien a peur de lui. C’est encore beaucoup plus profond si l’animal perçoit qu’il a en face de lui un homme immoral. Il se déchaine et devient sauvage. Il y a beaucoup de monographies et travaux scientifiques là-dessus...

Cela va dans ce sens là.

 

Il y a énormément de versets qui disent que les nations auront la crainte et la terreur de vous dans la mesure où vous êtes des צַדִּיקִים...

    

Ce n’est pas contradictoire mais il y a un ordre : d’abord la יִראָה et ensuite la אַהֲבָה. Et la אַהֲבָה mène à la יִראָה supérieure :  רוֹמֵמוּת יִרְאָת la crainte révérencielle.

 

Enseignement du Rav dans l’enchainement des vertus :

La יִראָה mène à la אַהֲבָה

יִראָה => אַהֲבָה

Les deux lettres sont communes : il y a une sorte de marches des dialectiques de ces vertus.

 

Beaucoup de Juifs ont honte vis-à-vis de la théologie chrétienne de parler de la crainte de Dieu. יִראָה crainte, peur, de faire du mal. C’est une véritable crainte. Il y a tous les niveaux.

Au nom de Jacob Gordin : « si quelqu’un te dit qu’il n’a pas peur de Dieu, toi aies peur de lui »

Talmud : « si tu vois un païen sur un trottoir, changes de trottoir car sans peur de Dieu il n’y a pas la peur du meurtre ». Pour schématiser : sans שָּׁמַיִם יִרְאָת l’homme n’a pas pitié de lui-même donc il n’aura pas pitié d’autrui.

 

L’expérience pédagogique me fait dire que celui qui feint de trouver insuffisamment pieux de parler de crainte de Dieu, il faut se méfier de lui. Parce que c’est une stratégie, une ruse de la conscience qui masque le désir inconscient du mal.

 

Jacob Gordin : On parle des « athées » aujourd’hui en les définissant comme philosophiquement « non-croyant en Dieu ». Mais encore faut-il qu’il sache en quoi il ne croit pas !

 

Dans le Hil’hot Mamrim, Maïmonide a codifié: on ne peut qualifier d’Apikoros qu’un        חֲכָם  תַּלְמִיד. Il n’y a qu’un חֲכָם תַּלְמִיד qui peut se payer le risque d’être athée. Sinon il s’agit d’un ignorant. Il ne faut donc par multiplier « les appellations non-contrôlées »

 

Histoire du Rav ‘Heitin za’l d’Aix les Bains :

Un Barour Yeshivah inquiet est venu lui dire « Je crois que je ne crois pas en Dieu...»

Le Rav l’a rassuré : « le Dieu auquel tu ne crois pas, je n’y crois pas non plus ».

 

Jacob Gordin : L’athée moderne ne croit pas au mal, c’est celui qui ne croit pas que le mal soit le mal. Il peut transformer le mal en bien. On l’a expérimenté avec la propagande nazie, c’est l’inversion totale des valeurs. Une belle page de Lévinas explique cela. Le drame de l’époque de l’occupation c’est la première fois dans l’histoire que le mal est le bien...

Ne plus savoir où est le bien et le mal. Même chose en Israël avec les assassins.

Les idéologues savent très bien ce qu’ils font mais ils finissent par se convaincre eux-mêmes, et c’est très grave....

 

Jacob Gordin : La plus grande méchanceté envers autrui : le considérer comme un ange, car ensuite on l’attend au tournant et on l’accuse de ne pas être cet ange... C’est la méchanceté à l’état pur. Faire comme si il n’avait pas de הַרַע יֵצֶר, mais qu’un הַטוֹב יֵצֶר.

 

On trouve cela dans une tendance du puritanisme chrétien, à faire comme si en principe on devrait être des anges et comme on n’est que des hommes - grosso modo - on est perdu...

 

Chapitre 45 de Bereshit Verset 12:

Joseph a reconnu ses frères. qui eux ne l’ont pas reconnu. Il est le juste caché. Il les soumet à l’épreuve.

 

Un verset compare le juste au palmier [Téhilim 92 :13] :

צַדִּיק, כַּתָּמָר יִפְרָח  Le juste fleurit comme le palmier.

 

Tout Israël est constitué de justes mais il y a 2 sortes de palmiers : à dattes et sans dattes.

Et c’est la même reconnaissance non reconnaissance entre ces deux sortes de palmiers.

 

Lorsque Joseph se fait reconnaitre de ses frères : le verset dit :(45:12)

וְהִנֵּה עֵינֵיכֶם רֹאוֹת, וְעֵינֵי אָחִי בִנְיָמִין:  כִּי-פִי, הַמְדַבֵּר אֲלֵיכֶם

Et voici que vos yeux voient ainsi que les yeux de mon frère benjamin que c’est ma bouche qui vous parle.

 

Le texte aurait du porter : vos oreilles entendent que c’est ma bouche qui vous parle... » !

Que signifie « vos yeux voient que c’est ma bouche qui vous parle » ?

 

Rashi : 1ère lecture :

Et voici que vos yeux voit : ma gloire et que je suis votre frère, que je suis circoncis comme vous. (Et comment en voyant la gloire de Joseph, voir qu’il est circoncis ?)

Et c’est ma bouche qui vous parle en לָשׁוֹן הַקֹדֶשׁ, ( Bereshit Rabbah 93:10).

De même que les yeux de mon frère Benjamin : Il le compare à tous ses frères pour dire, « de même que je n’ai pas de haine contre Benjamin  mon frère car il n’a pas participé à ma vente, je nai pas non plus en mon cœur de haine contre vous. » [Meg. 16b]

 

Rashi fait dire à Joseph 3 choses :

Je suis circoncis, je vous parle en hébreu, je n’ai pas de haine contre vous.

Comment tire-t-il cela du verset ?

Je vous donne d’abord la structure de l’explication de Rashi que l’on enseigne surtout à propos du Maharal enseigne pour l’ensemble de la תּוֹרָה que toutes les prescriptions de la תּוֹרָה se divisent en 3 dimensions.

Les rapports entre l’homme et Dieu, entre l’homme et son prochain, entre l’homme et lui-même. לָּמָקוֹם אָדָם בֵּין, לָּחֲבֵרָוֹ אָדָם בֵּין, לֵּעַצְמו אָדָם בֵּין.

On retrouve ces 3 dimensions dans les 3 enseignements de Rashi.

 

Ce qu’il faut redécouvrir c’est la sagesse...

Je vous cite un verset des Proverbes [8:1] :

חָכְמַת אָדָם תָּאִיר פָּנָיו  « la sagesse d’un homme éclaire son visage ».

Il y  a un secret du visage humain. Le visage humain se réfère à un niveau de l’être complètement autre que le reste du corps humain. En fait il y a deux organes, le visage est l’un d’eux. En étudiant la morphologie du corps humain, tout le corps humain se réfère à une morphologie mais on se rend compte que le visage se réfère à un au-delà du corps. C’est au travers de l’animation du visage que l’on peut penser une âme présente. Exemple à propos de Moïse : Moïse redescendant de la montagne lorsqu’il a reçu les Tables de la Loi, avait le visage qui éclairait de manière telle que sa vue était insupportable. Il fallait qu’il se couvre d’un voile sur le visage. C’est d’ailleurs l’origine du Soudakh chez les תַּלְמִידֵי חֲכָמִים surtout Séfardim qui mettaient au-dessus de leur kippa un voile ou un châle couvrant le visage, chez les Ashkénazim ils utilisent le Talit. Si on a le temps je vous expliquerais pourquoi. Quoiqu’il en soit, le 1er homme son âme a animé son visage. Et Moïse avait une âme d’identité humaine d’une intensité beaucoup plus grande et son corps tout entier était animé par l’âme et donc le visage d’autant plus.

 

Effectivement, il y a une apparence de שְׁכִינָה sur le visage.

Et c’est cela qu’ils perçoivent : « Et vous voyez que je suis circoncis »

Il y a dans l’apparence du visage une sainteté qui procède de la circoncision, le 2ème organe du corps humain qui ne fait pas partie du même ensemble morphologique. Il y a une référence à quelque chose de beaucoup plus ancien et vénérable dans le visage que dans le reste du corps.

 

Cela se rattache au fait que seuls ceux qui sont circoncis, comprennent la תּוֹרָה. Cela aussi apparemment est un mystère. L’expérience nous enseigne qu’il en est ainsi. Surtout cela nous enseigne ce que veut dire « comprendre la תּוֹרָה ».

 

J’ai énormément d’amis גּוֹיִם qui sont des lumières dans toutes les sciences humaines. De grands hommes, en mathématique, en philosophie, en biologie, en droit...etc. Dès qu’il s’agit de תּוֹרָה c’est le délire. J’en discute souvent pourtant avec des ecclésiastiques גּוֹיִם, je m’aperçois qu’ils sont incapables de comprendre un verset. Et pourtant ils aiment la bible et même pieusement, mais ils n’y comprennent rien. D’où cela vient-il ? De ce que la תּוֹרָה n’est compréhensible que par ceux qui sont circoncis. C’est une donnée de fait, une réalité. Il faut alors comprendre ce que veux dire « comprendre la תּוֹרָה » ?

Je connais des juifs qui ne comprennent rien à une page de talmud mais au moins ils comprennent qu’ils ne comprennent pas. J’ai connu un très grand  תַּלְמִיד חֲכָם du Pshat de la תּוֹרָה qui m’a avoué lui-même que le Talmud lui donnait la migraine. Il ne pouvait pas. 

Comprendre la תּוֹרָה ce n’est pas lire le sens des mots mais comprendre ce que cela veut dire. C’est cela comprendre la תּוֹרָה.

A vous je n’ai pas à démontrer cela : Dès qu’on commence à lire la première certitude c’est qu’on comprend qu’on ne comprend rien. On a beau traduire, on traduit des choses qu’on ne comprend pas. Par exemple ce verset : « vos yeux voient que c’est ma bouche qui vous parle ». Pour comprendre il faut recevoir de la tradition de lecture. Tenter de comprendre le texte seul avec un dictionnaire est impossible.

Sinon les plus honnêtes reconnaissent qu’ils n’y comprennent rien.   

 

Je vous répète le premier exemple systématique que j’ai l’habitude de donner parce que c’est le premier exemple de la lecture de la תּוֹרָה et c’est la 1ère question de Rashi :

« Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ». Rashi : ce commencement n’a pas de sens.

Et il lui donne un sens d’après le Midrash. Que signifie commencement ? En vue de la תּוֹרָה, en vue d’Israël... Il nous fait lire tout à fait ailleurs ! Pour une fois qu’un livre commence au commencement Rashi nous dit que ce n’est pas normal !

Voilà quelle est l’explication. Si vous lisez Rashi c’est un effet littéraire énorme. Effectivement personne ne se rend compte de cela : pour une fois qu’un livre peut commencer au commencement Rashi intervient et dit : cela ne veut rien dire, ce n’est pas normal... ! 

Le raisonnement est très simple : Cela ne peut pas être avant ou après le commencement parce que le commencement et le créer coïncide. Cf. le début des lettres de בְּרֵאשִׁית qui est Bara. Le commencement du commencement c’est la création. Que signifie alors בְּרֵאשִׁית Au commencement de ? Il faut donc faire appel à la tradition : que veut dire ce mot de בְּרֵאשִׁית ? Et les grammairiens vont insister en disant : au commencement de quoi ? En hébreu c’est à l’état construit : בְּרֵאשִׁית Mah ? Au commencement de quoi Dieu créé le ciel et la terre ?

Et si tu dis au commencement du temps, le temps est une dimension intérieure de l’être – et cela les physiciens le savent – et donc ce verset est incompréhensible.

Et Rashi nous le dit en nous expliquant que tous les versets comme celui-ci sont incompréhensibles.

 

Rashi :

 "Ce texte ne dit pas autre chose que trouve-moi un sens!

Il ne dit pas « Passouk hazéh ». Il dit ce texte - hamiqra : tout le texte !

 

Après il cite un midrash :

Comme ont expliqué nos maitres : C’est en fonction de la תּוֹרָה qui est appelée « commencement de ». C’est un verset des Proverbes : « il m’a acquise au début de son chemin ».

Et en vue d’Israël : Israël est appelé le commencement de sa récolte.

Dieu a créé le monde, c’est à dire il s’agit de finalité du monde : le monde a un commencement parce qu’il a un but, un objet. Cela ne veut pas du tout dire d’abord comme on le croit d’habitude parce que le sens de d’abord du mot commencement n’est pas dans le verset.

 

Et alors on lit Rashi de la manière suivante : « ce texte dit pas autre chose que donne moi un sens d’après nos maîtres!“ Pourquoi ? Parce qu’il n’y a de commencement que la תּוֹרָה et il n’y a de commencement que Israël! Cela veut dire qu’il n’y a de תּוֹרָה que תּוֹרָה d’Israël, et il n’y a d‘Israël qu’Israël de la תּוֹרָה. Vous voyez que cela va ailleurs complètement. Dès que l’on commence à lire on se rend compte que traduire ne permet pas de comprendre. Il faut quelqu’un qui nous l’explique. Et je pourrais parler pendant 6 heures de suite sur la moitié de la première lettre du premier mot... C’est évident, vous savez cela.


***

 

Le secret c’est que l’on voit sur le visage d’un homme s’il est circoncis ou pas.

Je peux vous dire par expérience, dans un sujet beaucoup plus large, j’ai toujours une intuition pour percevoir s’il y a des non-juifs dans l’assemblée. Ne croyez pas que c’est l’apparence. A l’écoute, je sais s’il s’agit de לָשׁוֹן הַקֹדֶשׁ ou pas.

 

La Guemara établit qu’il y a 3 fautes pour lesquelles on doit accepter d’être tués plutôt que de transgresser : idolâtrie – meurtre – débauche.

 

Joseph pour se faire reconnaitre de ses frères d’après Rashi : il évoque le לָשׁוֹן הַקֹדֶשׁ (idolâtrie), l’absence de haine (meurtre), et la circoncision (débauche).

 

Ce qui se passe là c’est beaucoup plus qu’une péripétie anecdotique d’un récit des frères perdus comme il y tant de contes et légendes où le fils prodigue est retrouvé. C’est au-delà de ça. Les frères de Joseph avaient condamné Joseph à faire sa preuve qu’il était צַדִּיק car il les avait accusés de ces trois choses-là. Au début de Parashat Vayetsé : Joseph rapportait la médisance qu’il disait de ses frères. Le Midrash explique qu’il disait à Jacob leur père 3 calomnies contre ses frères : ils mangent Erev min ha’hay...

Les frères étaient adultes et lui encore enfant. Il les voyait de loin dans les tractations de marché avec l’habitant des pays où l’on s’attable ensemble pour sceller un accord. Il croyait ainsi qu’ils ne mangeaient pas cachère. Il les accusa de débauche car ils plaisantaient avec les clientes, et il les accusa de mépriser les fils des servantes.

Il a donc été soumis à ces trois épreuves. Effectivement il a réussi à rester צַדִּיק.

Il a été éprouvé par la femme de Putiphar, la tentation de s’assimiler à la culture égyptienne...

Il se justifie en se présentant comme צַדִּיק à ses 3 niveaux là.

 

C’est ce que le verset veut dire en disant ce qu’il dit.

C’est à ce sujet que je vous citais l’enseignement du Rav Ashlag que j’ai reçu de lui de façon personnelle et ce fut une des rares fois de ma vie où j’ai été étudié à Bnei Brak. C’était pour étudier chez le Rav Ashlag un soir. Et dans l’étude vers 3 heures du matin .../...   

 

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.../...
וְהִנֵּה עֵינֵיכֶם רֹאוֹת, וְעֵינֵי אָחִי בִנְיָמִין:  כִּי-פִי, הַמְדַבֵּר אֲלֵיכֶם

 « Vos yeux voient de quoi je vous parle »

C’est ce verset que je citais la dernière fois. Et on arrive par là au 1er verset de notre Parashah : רְאֵה - vois.  Je vais tenter de rattacher cet enseignement du 1er verset à un problème plus général.

 

Il y a dans le verset un contenu d’enseignement qui est important pour lui-même : c’est qu’il y a un libre arbitre de l’homme. Être donné à la vie c’est être donné à une expérience de choix.

 

Tout se passe comme si nous avions été créés dans ce monde-ci pour être éprouvés sur ce qu’on appelle le libre arbitre, c’est-à-dire la liberté de choix entre le bien et le mal.

Je vais rattacher cela à un sujet plus général :

On peut se demander pourquoi Dieu nous a créés dans un monde imparfait ? C’est un problème théologique qui est loin d’être simple. Il y a un décalage entre ce que la תּוֹרָה semble dire du monde dans le jugement de Dieu, que tout est bien, et la réalité de l’expérience que nous avons. Nous avons, nous créatures, l’expérience d’un monde où il y a le bien et le mal. Or, la תּוֹרָה semble, je dis bien semble, parler d’un monde qui n’est que bien. Il y a là un décalage que beaucoup de consciences religieuses, par pudeur, n’osent pas se poser comme question, mais qui préoccupe souvent énormément de conscience, mêmes pieuses, mêmes religieuse. La crainte du blasphème de dire : le monde tel que nous l’expérimentons est différent de celui dont la תּוֹרָה parle !

 

Dès que l’on a passé le 1er chapitre ou il semble que ce verset qui revient de façon systématique : « Et Dieu vit que tout était bon » on bascule dans la faute. Au point que cela explique pourquoi la pensée naturelle de l’homme, et ce qui explique la théologie chrétienne du péché originelle semble plus vraisemblable...  Vous nuancerez ce que je dis là, je parle vite pour gagner du temps. Au point qu’on ait trouvé la seule explication chrétienne pour expliquer que le monde était parfait et puis est arrivé un événement catastrophique – le péché originel – et le monde est devenu ce qu’il est...

 

Or, l’explication à la manière chrétienne par le péché originel, n’explique rien du tout : d’où vient que cette possibilité ait été mise dans la structure même du monde ?

Cela ne fait que repousser le problème. En particulier une des formulations de cette thèse du péché originel est de dire que le 1er homme aurait été tenté par un ange déchu - Lucifer.

D’où vient que l’ange Lucifer - porteur de lumière - a été déchu pour venir ensuite tenter le 1er homme et la 1èrefemme ?

 

Ce qui est impressionnant, c’est le nombre de consciences de bonne foi, qui croient en ce mythe. C’est inouï la quantité qui ont vécu en croyant à ces mythes-là sans se rendre compte de son invraisemblance. C’est expliquer l’apparition du mal par l’apparition du mal ! Qu’est-ce qui fait que le 1er ange ait été déchu ? Ce n’est que repousser la difficulté.

 

En réalité c’est parce qu’on lit dans la bible dans les traductions sans se rendre compte de ce que dit le récit biblique lorsqu’il dit que quelque chose est bon.

 

Cette question est expliquée dans notre Parashah. Que signifie « bon aux yeux de Dieu » ?

Le Maharal explique : c‘est ce qui mérite d’exister qui est appelé bon.

Effectivement, il y a toute une dialectique dans le Midrash : même tout ce que nous connaissons comme le mal fait partie de ce bon qui mérite d’exister.

 

C’est expliqué à propos du verset « Et Dieu vit toute l’œuvre qu’il avait faite » à la fin des 6 jours: וְהִנֵּה-טוֹב מְאֹד Et voici c’était très bon טוֹב מְאֹד.

Le Midrash explique « טוֹב » c’est le bien mais « טוֹב מְאֹד» c’est la mort qui est « טוֹב מְאֹד »: ce qui rejoint la phrase de la sagesse des Nations « le mieux est l’ennemi du bien » הַטּוֹב וְהַמֵּיטִיב.

מֵטִיב cela fait mal. Si je me contente du טוֹב  c’est טוֹב. Mais si je veux plus que טוֹב, le מֵטִיב, ce qui améliore c’est cela qui fait venir les יִסוּרִים... C’est encore une autre dimension du même problème.

[Bénédiction pour le bien qui arrive à quelqu’un : בָּרוּךְ אַתָּה ה' אֱלֹהֵינוּ מֶלֶךְ הָעוֹלָם הַטּוֹב וְהַמֵּיטִיב... qui est bon et fait le bien.]

 

Mais en réalité le texte dit que, à part la lumière, tout ce qui a existé n’est que l’approximation de ce que Dieu a voulu.

 

Il n’y a que la lumière pour laquelle le verset dit יְהִי אוֹר; וַיְהִי-אוֹר: qu’il y ait lumière et il y eut lumière !

Pour tout le reste du projet du Créateur il y a écrit : וַיְהִי-כֵן et il en fut ainsi (et il n’en fut qu’ainsi). Or כֵן que l’on traduit par ainsi ne signifie par la même chose mais « comme » כְּמוֹ. C’est une approximation de la chose, un « à peu prés » : on peut traduire כֵן par le mot latin « quasi ».

 

Cela se rattache à כֵן – oui - נָכוֹן - on approuve parce que c’est suffisamment approximatif, mais ce n’est pas la même chose.

 

Rabi ‘Hiyah Hanassi HaSéfardi auteur vivant au 9ème siècle au nord de l’Espagne dans son livre Higayon hanefesh : 

 

Il y a 4 catégories d’existants :

 

=>  Ceux pour lesquels le texte dit « יְהִי » qu’il y ait, qui ont l’éternité dans ce monde-ci par exemple יְהִי אוֹר: la lumière est permanente dans ce monde-ci. Et s’il y a aussi וַיְהִי avec le nom de l’objet que l’on désigne cela signifie la permanence également dans le Monde à Venir.

יְהִי אוֹר; וַיְהִי-אוֹר : la lumière est permanente dans ce monde-ci et permanente dans le monde à venir.  

=>  Les réalités célestes. יְהִי רָקִיעַ le ciel est permanent dans ce Monde-ci mais disparait dans le monde-à-venir car il y a écrit וַיְהִי-כֵן  il fut ainsi 

=>  La 3ème catégorie concerne les êtres terrestres pour lesquels il n’est pas dit יְהִי. Par exemple נַעֲשֶׂה אָדָם Faisons l’homme תַּדְשֵׁא הָאָרֶץ דֶּשֶׁא עֵשֶׂב  Que la terre produise des herbes – תּוֹצֵא הָאָרֶץ נֶפֶשׁ חַיָּה  que la Terre produise des animaux. Il n’y a pas יְהִי donc ce n’est pas permanent dans ce monde-ci. Les existants biologiques terrestres sont mortels en ce monde-ci et mortels dans le monde à venir puisqu’il y a וַיְהִי-כֵן.

 

=>  Mais pour l’homme, il y a וַיְהִי הָאָדָם, לְנֶפֶשׁ חַיָּה et l’homme devint personne vivante, l’homme sera immortel dans le monde à venir.

 

C’est une explication du Hégayon HaNefesh.

De cette explication j’isole ce principe de וַיְהִי-כֵן.

וַיְהִי-כֵן ‘il en fut ainsi’ signifie donc il n’en fut qu’ainsi.

 

יְהִי אוֹר; וַיְהִי-אוֹר : qu’il y ait lumière et il y eut lumière !

A part la lumière qu’il y a eut, tout le reste n’est que l’approximation de ce que le projet a désigné.

 

Une seule philosophie possède des choses analogues : la caverne de Platon : à part la lumière tout le reste n’existe qu’en ombre de ce que cela pourrait être... Ce n’est pas exactement ce que dit rabbi ‘Hiyyah mais cela va un peu dans le même sens.

 

Le projet du monde est le monde en vérité. Et le monde en vérité au niveau du projet est parfait. Et il y la réalité du monde. Le monde au niveau de la réalité est dans l’imperfection absolue. Le projet du monde est que טוֹב  bien, la réalité du monde est bien et mal. C’est ce décalage entre le monde de vérité que l’on appelle הבּוֹנֶה מַחֲשָׁבת le projet du Créateur et le monde de la réalité, de la מְצִיאוּת.

 

L’affirmation du monothéisme c’est que Celui qui a voulu le monde de la vérité a créé le monde de la réalité.

 

Tout l’optimisme de la tradition biblique tandis que dans la tradition grecque on bascule dans le pessimisme parce qu’il y a un divorce irrémédiable entre la vérité et la réalité qui ne coïncident pratiquement jamais. D’où  la tragique de la pensée grecque.

 

Le monde de la réalité est un monde duel (בְּרֵאשִׁית avec ב) un monde des deux contrastes du bien et du mal, où nous sommes situés comme dans une antichambre en vue d’un test : qu’est-ce que tu préfères ? Le monde du bien ou le monde du mal ? Tout se passe comme si nous étions situes dans une préhistoire du vrai monde comme une sorte de mise à l’épreuve qui concerne la question suivante : est-ce que tu mérites d’avoir été créé ? C’est lorsque le mérite est acquis que l’on est créé vraiment pour le monde à venir.

 

La תּוֹרָה annonce d’emblée que ce Monde-ci est provisoire. C’est le monde de la réalité qui précède le monde de la vérité. Et le monde de la réalité a un objet nécessaire : c’est le monde de la  mise à l’épreuve du libre arbitre. Voilà quel est le problème.

 

Et alors c’est ce problème là qui est dans le premier verset [11:26] :

רְאֵה, אָנֹכִי נֹתֵן לִפְנֵיכֶם--הַיּוֹם:  בְּרָכָה, וּקְלָלָה

Vois C’est Moi Qui donne devant vous bénédiction et malédiction

 

C’est le même problème : être donné à l’existence c’est être donné à un dilemme : l’existence n’est pas neutre, elle est ou bien ou mal. Si elle est du côté du bien elle est bénédiction. Si elle est du côté du mal elle est malédiction.

 

C’est parce qu’on ne prend pas garde au sérieux avec lequel la תּוֹרָה directement délivre ses messages que l’on est encombré par des faux problèmes. Par exemple celui signalé précédemment : la bible ne sait-elle pas ce décalage entre le monde de la réalité et le monde idéal du bien parfait ?  Vous comprenez que l’on est tout à fait en dehors de la théologie chrétienne. Ce n’est pas un monde parfait qui magiquement serait devenu imparfait. C’est un monde qui est parfait dans son projet mais qui est réalisé dans un צִמְצוּם dans une diminution d’être au niveau de la réalité qui est la préface au monde que l’on appelle en hébreu le עוֹלָם הַבָּא - le monde qui est en train de venir.

 

La תּוֹרָה n’a pas à nous enseigner que ce monde-ci mène au monde à venir. Si nous ne le percevons pas par nous-mêmes c’est qu’on n’est pas concerné. L’homme de foi perçoit ce monde-ci comme ce monde-ci d’un monde à venir. Sinon dire que c’est Dieu qui l’a créé serait un blasphème. Ce que Dieu a créé c’est le monde à venir. Et Il a diminué ce Monde-ci intentionnellement. Ce n’est pas un Lucifer qui a fait cela, c’est le Créateur qui l’a diminué dans les dimensions de ce monde-ci. Et en lui disant : « rejoins le projet ! »

 

Ce que l’on lit dans les 1ers versets est étonnant de contrastes:

« Au commencement Dieu créa les cieux et la terre. Et la terre était chaos ». Il y a contraste entre les deux versets.

 

Le ciel et la terre du 1er verset sont parfaits c’est le projet du créateur.

« וְהָאָרֶץ, הָיְתָה תֹהוּ וָבֹהוּ»  La terre est devenue chaos.

 

C’est le Ari qui a expliqué ce qui se passe entre le 1er et le 2nd verset : שבירת הכְּלִים. Le monde de lumière, le monde parfait, le monde du עוֹלָם הַבָּא, existe déjà avant ce monde-ci. Il existe dans le projet du Créateur et c’est ce projet qui est diminué dans la dimension de la réalité et le rôle de l’homme est d’amener le monde de la réalité au niveau du monde de la vérité.

A travers quoi ? A travers cet exercice du libre-arbitre !

Si je préfère le bien au mal je prouve par là-même que je mérite d’avoir été créé et j’aboutis au monde qui n’est que bien. C’est très schématisé et résumé tout l’essentiel de la doctrine du judaïsme.

 

Le Créateur de ce monde-ci est Celui qui a voulu le monde à venir et a crée - dans le sens « a fait » - ce monde-ci comme antichambre du monde à venir.

 

Q : Comment cela se relie-t-il à l’idée messianique ?

R : L’idée messianique c’est ce monde-ci qui est suffisamment déjà prêt pour être l’antichambre du monde-à-venir. Rabbi Na’hman de Breslav disait à ses élèves ceci : « on parle de ce monde à venir et de ce monde-ci : le monde à venir on comprend mais ce monde-ci où est-ce ? Ici c’est l’enfer ! »

Effectivement, si on accepte de voir ce monde-ci avec les yeux de la réalité, c’est ce que dit le Midrash à propos de טוֹב מְאֹד. Le monde c’est « ודָם, אֵפֶר, מָרָה » l’amertume, la cendre et le sang . Il n’y a qu’à lire le journal. Le Rwanda est l’exemple de la Shoah pour les גּוֹיִם.

Un monde où il peut se passer une chose pareille ne peut qu’être l’enfer. Ce n’est même pas ce monde-ci dira Rabbi Na’hman de Breslav, c’est l’enfer. .

La responsabilité de tout cela, pourquoi on en arrive là c’est un autre problème.

Mais on ne peut pas imputer un monde pareil à Dieu, sans blasphémer. C’est pourquoi on dit בָּרוּךְ שֵׁם כְּבוֹד מַלְכוּתוֹ לְעוֹלָם וָעֶד à voix basse. On ne peut pas dire la gloire de Dieu pour ce monde à voix haute, sauf le jour de Kippour où nous sommes comme des anges, alors on dit cette phrase à voix haute.

 

Tous les jours de l’année le Satan nous accuse d’être hypocrites si on glorifie Dieu d’avoir créé ce monde. Il est impuissant un seul jour c’est le jour de kippour. Ce jour là comme des anges on peut remercier Dieu d’avoir créé notre monde. Mais on est enfermé dans un monde angélique. C’est le jour de Kippour (HaSatan g’’ 364.)

 

Le monde est en lui-même possiblement בְּרָכָה possiblement קלָלָה.

 

בְּרָכָה: La notion de bénédiction en hébreu n’existe pas dans une langue comme le français.

On devrait employer le terme de bénéfaction car bénédiction c’est « dire le bien de ».

Alors qu’il s’agit du bien qui est fait et non du bien qui est dit.

En français dire de quelqu’un qu’il est béni cela signifie qu’on a souhaité qu’il soit béni. Mais que signifie « être béni » ? Et que souhaite-t-on lorsque l’on souhaite de quelqu’un qu’il soit béni ?

`

En hébreu, cela veut dire quelqu’un qui est plus que lui-même : une densité d’être qui dépasse soi-même et dont le signe est la procréation. Règle importante : pour comprendre le sens biblique d’une expression il faut le comprendre dans le premier contexte où elle a été employée selon la règle de la première occurrence.

Le 1er contexte où le mot de béni est effectivement employé est celui de la procréation : « et Il les béni et leur dit : croissez et multipliez ».  En hébreu ce verbe est transitif : « Il les a rendu bénis » c-à-d. Il les a rendus féconds. Et puisqu’ils étaient féconds et capable de procréer survient l’ordre מִצְוָה du croitre et multiplier.

 
La Guémara discute de savoir si le souhait de la bénédiction c’était de croitre et de multiplier ou si le croitre et le multiplier est un commandement, un ordre. La Guemara conclut que c’est un ordre. Il y a une מִצְוָה d’avoir un fils pour croitre et une fille pour multiplier.

En français « croitre » et « multiplier » cela se ressemble. Mais pas en ancien français cela avait un sens différent comme en hébreu..  Pérou c’est donner un fruit, fructifier. Rébou multiplier le fruit. Il y a un ordre : d’abord donner le fruit et ensuite le multiplier.

C’est pourquoi le principe de פְּרוּ c’est d’avoir un זָכָר, et que le principe de רְבוּ c’est d’avoir une נְקֵבָה. Parce que schématiquement le principe de la mère est de multiplier le fruit que donne le père.

[Le texte biblique montre qu’une des causes du déluge vient du fait que l’on a commencé à multiplier avant de fructifier : « Et il arriva lorsque l’homme eut commencé à se multiplier sur la surface de la terre, des filles leurs furent nées » verset incompréhensible en traduction française approximative.
Il y a écrit [6:1] :

וַיְהִי כִּי-הֵחֵל הָאָדָם, לָרֹב עַל-פְּנֵי הָאֲדָמָה; וּבָנוֹת, יֻלְּדוּ לָהֶם

« Et il arriva lorsque l’homme eut commencé à se multiplier (avant de fructifier) sur la surface de la terre, des filles leur furent né. » C’est un verset incompréhensible ! S’ils se multiplient c’est qu’il y a filles et garçons ! En réalité regardez en hébreu : il y a écrit  

וַיְהִי כִּי-הֵחֵל הָאָדָם, לָרֹב

לָרֹב et non pas רֹב comme on traduit classiquement.  

Et il arriva lorsque l’homme commença par se multiplier avant de fructifier.

Lorsqu’un modèle d’humanité commence à se multiplier avant d’arriver à sa véritable maturité, il y a une multiplication des brouillons : il y a des masses humaines qui apparaissent et alors c’est une catastrophe pour la civilisation. C’est la notion de masse que A.Neher a beaucoup étudié à propose de Babel et qui est l’indice que la civilisation en question arrive à une crise. La notion de massification. Lorsque l’on parle des masses la divinité de chaque personne individuelle disparait. Effectivement, c’est une civilisation perdue lorsqu’on commence à parler du peuple des masses, la foule: l’impersonnel qu’on installe dans la valeur de la personne, c’est l’assassinat de la personne. La personne disparait au profit de l’individu.

L’ordre de la מִצְוָה c’est פְּרוּ וּרְבוּ: donner le fruit et le multiplier. Mais si on commence à multiplier des brouillons alors c’est la catastrophe. C’est un grand privilège pour Israël que d’être un peuple de petit nombre. Les grands peuples de grands nombres sont les empires qui finissent par s’autodétruire parce qu’ils ont multiplié les brouillons d’identité. Je referme la parenthèse, c’est un sujet extrêmement vaste. ]

 

Bénir : rendre fécond. Une chose bénie, un être béni c’est quelqu’un ou quelque chose qui est plus que lui-même : être capable de procréer et d’être créateur. C’est être béni. Densité de l’être.

בְּרָכָה C’est la notion de la densité de l’être

קלָלָה c’est l’inverse : être vidé de soi-même. קלָ (qouf-lamed) : léger, fantomatique...

 

Mais je voulais en arriver à une autre indication :

« רְאֵה vois » est ici au singulier alors que la suite du verste emploie le pluriel

רְאֵה, אָנֹכִי נֹתֵן לִפְנֵיכֶם--הַיּוֹם:  בְּרָכָה, וּקְלָלָה

Le verset s’adresse à l’individu : « Vois » au singulier. Et ensuite, il désigne la collectivité          « לִפְנֵיכֶם »  devant vous  au pluriel. C’est un principe courant.

 

La תּוֹרָה formule ces commandements au futur, mais on entend le futur du commandement comme si c’était un impératif. Il n’y a pas d’exception. Même dans certains endroits qui pourraient paraitre  être des exceptions, il y a un infinitif qui a en réalité le sens du futur : Par exemple Shamor et lo baShabat cela veut dire « il y a à garder » 

 

On va se demander pourquoi la loi ne se formule pas à l’impératif ?

Elle se formule au futur, mais on l’entend comme un impératif.

Par exemple  תִּרְצָח  לֹא tu ne tueras pas – que l’on entend dans le sens de « ne tues pas ». 

 

Je vous donne de suite sans les intermédiaires, l’enseignement du Rav Kook à ce sujet: la loi s’adresse à la collectivité d’Israël comme une promesse. Et cette promesse est entendue par la personne au sein de la collectivité comme un commandement à être celui qui mérite la promesse.

L’explication est simple mais très profonde.

Tout se passe comme si  la תּוֹרָה s’adressait à Israël en lui disant : « Si tu es Israël, Je te promets que tu ne tueras pas ». Et donc l’individu dans la collectivité d’Israël entend cette promesse comme une obligation à faire coïncider son être au niveau d’envergure de l’être de la collectivité qui fait l’objet de la promesse. La תּוֹרָה est la seule législation qui est dans ce cas.

 

Un autre exemple est celui de la prière qui possède la même dialectique : on obtiendra que ce qu’on mérite, alors pourquoi le demander ? Parce que c’est dans le fait de le demander qu’on le mérite. 

Avant d’avoir demandé, je n’avais pas de mérite suffisant pour le recevoir. Le fait de le demander  m’ajoute le mérite nécessaire qu’il manquait pour le recevoir. Parce qu’en fait la formule fondamentale de toute prière c’est : « Que ta volonté se fasse »

Le vrai problème est de savoir pourquoi elle ne se fait pas ? Le désir de Celui qui donne est de donner. Comment est-il possible que je ne le reçoive pas ? C’est parce que je ne mérite pas de recevoir. Donc il faut me modifier et faire de moi quelqu’un qui mérite de recevoir ce que Celui qui donne veut donner pour que cela me soit donné...

 

C’est la même question : puisque dans tous les cas je n’obtiendrais que ce que je mérite pourquoi le demander ?

 

Je citerais deux enseignements du ‘Hassidisme à ce sujet.

 

1 - Baal Shem Tov => avant de prier une prière quelle qu’elle soit il faisait une prière préalable pour rester en vie après la prière. Il enseigne que dans toute prière l’âme aspire à remonter là-haut. Au fond l’objet de toute prière est que l’exil, la condition de créature prenne fin. La condition de créature c’est l’exil : quand Dieu me créé, Il me créé loin de Lui. Il faut que je mérite le retour, cela s’appelle la תְּשׁוּבָה. Et donc toute prière consiste pour l’âme à réaliser son désir de remonter là où elle était dans la félicité.

 

Beaucoup de Midrahsim du Zohar parle de cela. Quel intérêt pour l’âme de descendre  dans ce monde d’amertume de cendre et de sang ?

La réponse du Zohar (Parshat וַיֵּרָא à propos d’Abraham) est extrêmement profonde : l’âme là-haut est comme une fille dans la maison de son père. Elle a toutes les félicités  au palais de son père.

Elle accepte de descendre en bas pour pouvoir remonter comme une femme dans la maison de son mari. Il y a une grande différence. Avant la vie terrestre elle reçoit tout sans mérite. Après la vie terrestre elle rentre chez elle en ayant mérité.

Pourquoi accepte-t-elle ce péril de descendre dans le monde d’en-bas ? C’est pour pouvoir remonter dans une dignité qu’elle n’avait pas avant.

Il n’y a qu’à se rendre compte de la vie intérieure de l’âme pour se rendre compte qu’elle n’aspire qu’à une seule chose : remonter.

Il faut que l’âme soit enchainée en-bas par ce que les psychologues appellent les pulsions,                      le יֵצֶר,  pour qu’elle consente à rester en bas. Ce יֵצֶר a une fonction et une finalité très importante.

Sans הַרַע יֵצֶר  je remonte comme une montgolfière tout de suite. C’est le הַרַע יֵצֶר qui m’accroche  en bas. Celui qui n’a plus de הַרַע יֵצֶר, plus de désir est considéré comme mort.

 

 2- Un jour de Roshashana un צַדִּיק et ses élèves étaient en bateau, et une tempête menaçait de faire sombrer le bateau. Le Rabbi prit le Shofar en sonna et la tempête s’est calmé. Ses élèves ont cru à un acte magique ? le Rav a raisonné ainsi : avant de mourir je voulais faire encore une מִצְוָה. Ce n’est pas le Shofar qui a stoppé la tempête c’est la מִצְוָה !

 

***

 

Retour au sujet :

Il faut bien comprendre le lien entre l’individu dans la collectivité et la collectivité elle-même

Voici le paradoxe apparent :

Chaque fois que la תּוֹרָה emploie un singulier, elle parle de la collectivité et chaque fois qu’elle emploie le pluriel elle parle de l’ensemble des individus.

 

Pour notre verset les deux lectures sont possibles :

רְאֵה vois s’adresse à l’individu.

Mais ce qui est annoncé concerne la collectivité

 

Mais dans le sens littéral : « Vois » cela concerne la collectivité, et cela concerne chaque individu en particulier. Ce qu’il faut comprendre c’est que la collectivité et l’individu sont concernés de façons différentes.

 

La collectivité est concernée dans la dimension de la promesse. C’est inconditionnel. Dieu sait, et la תּוֹרָה l’explique, dans toute sa partie historique pourquoi Dieu a choisi Israël. Ce n’est pas arbitraire. Depuis l’histoire du 1er homme la תּוֹרָה raconte l’histoire des hommes pour expliquer pourquoi c’est par Israël que cela passe et pas par les autres lignées. Mais c’est depuis le premier homme que cette histoire est analysée. Et voilà depuis le premier homme quelles sont les destinées des lignées : on arrive à Abraham et d’Abraham pas tout Abraham. Il y a Ishmaël d’un côté et Essav de l’autre. C’est Isaac puis Jacob qui devient Israël. C’est cette histoire qu’il faut comprendre pour comprendre pourquoi Dieu a choisi Israël. Mais à partir du moment où il s’agit d’Israël au niveau de l’identité collective c’est inconditionnel.

 

Maintenant, le problème de l’impératif de l’accomplissement de la Loi concerne l’individu. C’est à dire savoir à quelle condition moi individu je fais partie d’Israël.

 

Pour Israël en tant que collectivité il n’y a aucune condition pour l’accomplissement des promesses.

C’est pour l’individu qu’il y a un problème : savoir à quelle condition je fais partie de cette collectivité et il y a une invitation par obligation à faire coïncider - faire équivaloir - son être individuel au niveau d’être de la collectivité d’Israël.

 

Je vais vous donner 2 implications de cela.

 

Le milieu religieux est divisé sur ce problème : énormément de religieux de bonne foi sont persuadés qu’on aura אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל que si on le mérite. C’est une erreur totale. Il n’y a pas de condition de l’appartenance à אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל à יִשְׂרָאֵל. C’est une promesse. Et cette promesse Dieu sait pourquoi Il la confirme à la seule descendance d’Abraham qui est véritablement hébreu, c’est-à-dire Jacob qui est devenu Israël. Tout ce qui vient d’Abraham l’hébreu ne devient pas Israël. Et donc il a fallu que Dieu se révèle à Abraham pour confirmer que c’est à sa descendance que cette terre des hébreux est confirmée. Et c’est Jacob qui a mérité le nom d’Israël pour qui la promesse de cette terre est inconditionnelle. C’est l’individu qui est en question : à quelle condition je mérite de faire partie de l’accomplissement de cette promesse ?

 

J’ai déjà oublié l’autre exemple qui va peut-être me revenir par associations d’idées...

C’est une très grave erreur de croire qu’il faut mérité אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל pour avoir le droit d’obtenir אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל. C’est tout le contraire de ce que la תּוֹרָה enseigne.

 

Je vais vous raconter une histoire pour vous dire comment j’ai vécu cela :

J’ai été l’élève en Talmud d’un des plus grands talmudistes de son temps en Europe, à Paris, le Rav Rottenberg  et aussi grand ‘hassid (j’en ai connu un autre comme lui le ’Hakham Dahan).

Je me considère comme son ami. Je ne sais pas si c’était réciproque mais j’étais chez lui comme chez moi. Je lui ai annoncé un jour ma עָלִיָה et il m’a regardé épouvanté.

Où trouves-tu ce courage d’aller en Israël ?  En חוּצ לָאָרֶץ on a affaire qu’avec la tentation des שָׂרִים – les anges des nations. Mais en אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל c’est השָּׂטָן lui-même qui est contre nous ! Israël c’est le bien absolu donc la tentation du mal sera la tentation du mal absolu.  Et tu as le courage d’aller là-bas ?

Je l’ai regardé épouvanté !

On ne peut pas discuté à ce niveau-là.

Enormément de Juifs pieux sont persuadés qu’il faut mériter אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל alors que c’est Dieu qui nous la donne !

 

Relisez tout le dialogue entre Dieu et Abraham quand Dieu lui confirme à Abraham que sa descendance aura cette terre et qu’Abraham discute.... 

Dieu dit : c’est toi !

Abraham répond : t’es sûr ?

C’est exactement l’interpellation de notre histoire :

Après 2000 ans, Dieu dit : Rentrez à la maison !

Les Juifs : tu crois ?

Ils n’osent pas rentrer à la maison à la porte grande ouverte...

 

Q : la תּוֹרָה ne parle pas de promesse mais de don.

R : « אשר נתתי ». Ce sont les traductions chrétiennes qui parlent de la terre de promesse.

C’est un problème important il y a des torsions de la conscience juive redoutant que si la promesse s’accomplit elle cesse d’être une promesse. Où est alors le mérite de croire dans une promesse si elle s’accomplit ? Un grand philosophe israélien Leibovitch parle ainsi : le Messie qui vient est un faux messie car s’il vient on ne l’attend plus. Donc c’est un hérétique. Je ne sais pas si vous vous rendez compte ! Cela va dans ce sens-là. La vertu consiste à attendre, à espérer, et que l’accomplissement d’une promesse est le contraire de la promesse....

Vous avez raison il n’y a pas le mot de promesse.

 

Un livre que je conseille de Abraham Livni.

Le retour d’Israël et l’espérance du monde

Il l’a très bien démontré car il a eu à s’occuper de ces thèses de la théologie de la promesse. Il est d’origine protestante et connaissait très bien ces théologies-là. Son livre a été réécrit plusieurs fois, car les éditeurs trouvaient les premières versions trop violemment anti-chrétienne. Le monde chrétien a fait un véritable tabou sur son livre. Il va être réédité en hébreu.

 

***

 

Je voulais qu’on étudie un enseignement du Midrash sur une expression qui revient souvent dans la Parashah:

Ish hayashar beinakh beyasse. Chacun fait ce qui est droit à ses yeux.

Et l’expression opposée :

וְהַיָּשָׁר, בְּעֵינֵי יְהוָה אֱלֹהֶיךָ. Ce qui est droit aux yeux de Dieu ton Dieu.

 

Au Verset 28 du chapitre 12 se trouve l’expression suivante – vous lirez ce que dit le Midrash :

שְׁמֹר וְשָׁמַעְתָּ, אֵת כָּל-הַדְּבָרִים הָאֵלֶּה, אֲשֶׁר אָנֹכִי, מְצַוֶּךָּ:  לְמַעַן יִיטַב לְךָ וּלְבָנֶיךָ אַחֲרֶיךָ, עַד-עוֹלָם--כִּי תַעֲשֶׂה הַטּוֹב וְהַיָּשָׁר, בְּעֵינֵי יְהוָה אֱלֹהֶיךָ

.../... Lorsque tu accompliras le bien et ce qui est droit aux yeux de Hashem ton Dieu

 

A lire ce qu’en dit le midrash qui explique ce qui est le bien et ce qui est le croit aux yeux de Dieu.

 

Sur le 1er verset : 

Il ne faut pas se tromper lorsque le verset dit : « chacun fait ce qui est droit à ses yeux » ce n’est pas arbitraire comme le sens que cela a pris en français et même en israélien moderne cela signifie le caprice : chacun juge ce que bon lui semble.

Il faut le prendre à la lettre et comprendre : « ce qui est droit aux yeux de chacun » ish hayshar beeinakh : « il y a ce qui est droit aux yeux de l’homme et ce qui est droit aux yeux de Dieu ». A un certain niveau ce qui est droit aux yeux de l’homme ne l’est plus... 

Fin 

 

 

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