L’OEUVRE DE LA CRÉATION
LES ENGENDREMENTS
JUIFS OU HÉBREUX
ISRAËL ET LES NATIONS
MESSIANISME
THÈMES FONDAMENTAUX

BERECHIT - SÉRIE 1988

Le cours

 

(1988)   בְּרֵאשִׁית

 

Je voudrais commencer en introduction par analyser un problème qui se pose souvent chez les מפרשים (les commentateurs) à différents niveaux, mais la plupart du temps en filigrane comme une chose qui va de soi et qu’il n’est pas nécessaire de développer. Mais il semble qu’avec le temps pour la culture contemporaine c’est quelque chose qui ne va plus de soi bien qu’il y a une certaine pudeur qui cache le sujet : il semble y avoir un contraste tellement violent que finalement on n’ose pas en parler, entre la manière dont les premiers récits de la תּוֹרָה décrivent l’état du monde à sa création et en particulier l’expression: וַיַּרְא אֱלֹהִים כִּי-טוֹב

 et Dieu vit… que bon - expression sur laquelle le Maharal en particulier a consacré énormément d’enseignements. Pour comprendre וַיַּרְא אֱלֹהִים כִּי-טוֹב. et son terme de טוֹב appliqué à l’état du monde à sa création, il faut le comprendre bien évidemment en hébreu : cela signifie que cela méritait d’exister. Est appelé טוֹב dans ce contexte ce qui mérite l’existence, ce qui mérite l’être. Il y a une dimension métaphysique qui dépasse absolument un simple jugement qualitatif d’une qualité qui s’ajouterait à l’existence : une existence bonne. Mais au début dans le 1er  chapitre il n’y a pas du tout allusion au terme de רָע mauvais qui s’oppose au terme טוֹב (bon). Et donc il y a un sens beaucoup plus profond à cette expression « וַיַּרְא אֱלֹהִים אֶת-כָּל-אֲשֶׁר עָשָׂה וְהִנֵּה-טוֹב מְאֹד». « Et que Dieu a jugé que ce qu’il a créé était bon » : le terme de bon - טוֹב - n’est pas ici simplement un adjectif qui s’ajoute à la substance de l’être (je fais allusion à l’expression grammaticale du substantif et de l’adjectif), mais c’est un terme qui désigne ce qui mérite d’être. Il a donc un sens total.

 

Une des indications que le Maharal a donné à ce jugement que Dieu porte sur sa création au commencement d’une part, et d’autre part le contraste qu’un tel jugement et ce qui ressort de la lecture de ce texte qui rend compte que c’est Dieu qui a créé le monde, avec l’état du monde tel que nous le connaissons.  

Il y a un contraste tellement violent que il y a eu dans ce qu’on appelle en général la théologie, une branche d’étude qui se nomme la théodicée et qui est une tentative de justifier Dieu d’avoir créé le monde. Une sorte de louange a posteriori, un peu d’ordre apologétique, de justifier Dieu quand même d’avoir créé le monde étant donné l’état du monde.  

Je voudrais commencer par une analyse à ce sujet sur le texte.

 

Ceci nous renvoie à une catégorie philosophique que je vais formuler en deux termes philosophiques classiques : la dichotomie qu’il y a entre la vérité et la réalité.  

Le monde en vérité est absolument bon. Leibniz disait du monde qui est le nôtre que c’est « le meilleur des mondes possibles ». Mais une fois confronté à la réalité, il semble qu’on ne comprenne pas ce que Leibniz voulait dire. Et ce que signifie le בְּרֵאשִׁית מַעֲשֵׂה en disant « כִּי-טוֹב » ?  

 

Il y a une séparation de ces 2 catégories : la vérité et la réalité.

J’ai l’habitude de dire sur ce sujet en schématisant mais pour aller à l’essentiel : tout se passe comme si – c’est une nuance qui n’est même pas restrictive - la tradition d’Israël, par rapport à ce problème, est d’un côté et tout le reste du monde de l’autre. Nous sommes dans un monisme intégral avec la tradition hébraïque, et partout ailleurs c’est du dualisme de façon plus ou moins insidieuse ou subreptice : Il n’y a aucune conciliation possible entre la vérité et la réalité et c’est la catégorie fondamentale de toute philosophie : toute philosophie qui commence par être dualiste ; et même lorsqu’elle a une visée moniste, elle reste quand même malgré tout aux prises avec ce problème du dualisme entre la vérité et la réalité. J’en donnerai un exemple concret dans l’étude du texte lui-même.  

Alors que le parti-pris de l’option de foi hébraïque c’est que c’est le même Créateur qui fait exister la vérité dans sa perfection d’absolue - ou dans son absolu de perfection - et la réalité dans son absolu d’imperfection.  

 

C’est ce contraste entre la vérité et la réalité qui fait que le monothéisme de la bible n’est pas naturel, ni spontané à la pensée humaine. C’est une révélation !  

Ce contraste nous le vivons entre l’idéal et la réalité si vous voulez, et nous le vivons en particulier dans l’espérance de la foi dans la définition du monde en tant que עוֹלָם הַזֶּה ce Monde-ci, comme il est, et la définition de ce même monde en tant que עוֹלָם הַבָּא - le monde qui vient (non pas « le monde à venir » parce que c’est un verbe transitif : donc « le monde qui vient », « en train de venir ». On doit à Edmond Fleg, cette expression de « Monde qui vient »).

 

Ce Monde-ci,  עוֹלָם הַזֶּה, tel qu’il est, est l’antichambre, la préface, le פרוזדור (comme nous le disons en hébreu avec un mot grec) du עוֹלָם הַבָּא - le monde qui vient.  

« Ce monde-ci ressemble à un vestibule (פרוזדור) face au monde en devenir .Prépare toi dans le פרוזדור afin d'entrer dans le עוֹלָם הַבָּא ».  Pirqey Avot - Michna IV, 21  

Pour nous, c’est le même monde à deux niveaux différents : le niveau de la réalité et le niveau de la vérité.

 

En vérité, dans le projet du Créateur c’est le עוֹלָם הַבָּא qui a été voulu, et il existe déjà en tant que Projet, puisqu’il a été projeté. Et ce monde de עוֹלָם הַבָּא, le monde en vérité, il est inutile de dire que à ce niveau-là il n’y a aucun problème de contraste entre vérité et réalité, puisque la vérité est réelle et la réalité est vraie, à ce niveau de עוֹלָם הַבָּא, c’est leעוֹלָם  de la מַחְַשָבָה, le monde de la pensée du Créateur, lorsqu’il a pensé le monde. (Maharshevet HaBoré).  

A ce niveau, nous sommes en plein dans le monde du טוֹב absolu. Il n’y a aucune trace, même pas à la racine, de ce qui sera beaucoup plus bas dans la réalité ce que nous appelons le רָע - le mal.

 

Il faut pour cela descendre très bas dans la réalisation de ce projet de vérité pour qu’apparaisse le mal. Et c’est un mystère pour les philosophes, c’est un des sujets secrets les plus importants de la קַבָּלָה, de savoir comment depuis ce monde que Dieu a voulu et qui est dans la volonté de Son projet - et donc Son projet de volonté, absolument bon, et absolument vrai - finalement devenant réel, il fait apparaitre les catégories du mal. Ce n’est pas ce sujet que nous allons traiter mais je voulais décrire ce contraste.  

Dans la position de la foi hébraïque, il y a monothéisme radical (nous avons étudié à Hoshanah Raba cette perspective du monothéisme absolu), mais il y a pour notre problème un monisme radical de l’essence profonde du monde : c’est le même Créateur qui a voulu le monde de vérité et qui a fait le monde de la réalité.  

 

Ceci est au-delà des prises de l’analyse intellectuelle : c’est une option de foi.  

Cela ne signifie pas que, s’appuyant sur cette option de foi, qui est co-naturelle à la sensibilité hébraïque : hors de quoi on ne comprend pas la prophétie hébraïque sans ce point de départ de l’évidence de la manière d’être hébreu. Il est impossible qu’il n’y ait pas unité quelque soit les apparences : qu’il n’y ait pas unité profonde de ces deux polarités de l’être : l’être de vérité et l’être de réalité.  

Or, l’être de vérité et l’être de réalité, en vérité et en réalité, n’ont rien à voir l’un avec l’autre.

Nous connaissons l’un par « les yeux de l’esprit » et nous connaissons l’autre par les yeux de chair.

 

L’exemple que je voulais donner c’est dans les sciences humaines, la mathématique et la physique : avoir découvert que la loi du monde mathématique rend compte de la réalité du monde physique c’est une intuition monothéiste et cela a été le génie de la science moderne à sa racine. Il a fallu des siècles pour que la science occidentale se dégage de cet interdit du dualisme grec qui l’empêchait de penser l’unité profonde qui a permis la science moderne.  

Si la loi mathématique ne rend pas compte du fait physique, la science n’est pas possible. Or, la science moderne existe et est efficace puisque la technique le confirme.  

Il est évident que la réalité correspond à la loi de vérité. Cette intuition de la philosophie des sciences contemporaines, dans le sens épistémologique, c’est l’intuition de base de la science hébraïque : Celui qui a voulu le monde de vérité c’est Lui qui a fait le monde de la réalité. Il a fallu des siècles pour que cela devienne une évidence familière. On ne soupçonne pas souvent que derrière l’affirmation du monothéisme hébreu, il y a aussi cela.  

 

Ceci pour indiquer que nous trouverons deux verbes radicalement différents dans le בְּרֵאשִׁית מַעֲשֵׂה : pour dire le fait de faire exister le monde de vérité c’est le verbe de בָּרֹא qu’on traduit en français par « créer ». Et d’autre part le fait de faire exister la réalité : c’est le verbe de וַיַּעַשׂ: « il fit ». Le הַבְּרִיאָה עוֹלָם  monde de la création - Le הַעַשִיָּה עוֹלָם  monde de l’action.   

Nous avons une difficulté de vocabulaire : En français le terme de « créer » ne désigne pas faire exister le monde de vérité, mais il désigne faire exister le monde de la réalité, la matière. C’est dérivé d’une racine latine qui signifie « rendre réel » res – chose – faire chose. Cela correspond un peu à la notion de גשם en hébreu non dans son sens de pluie mais de corps,  Gueshem - Gashmi.  

En hébreu בָּרֹא concerne l’objet de vérité, l’idée, un peu à la limite dans le vocabulaire de l’idée chez Platon.  

Lorsque le texte dit וַיִּבְרָא c’est dans la perfection absolue de  הַמַחְשָבָה עוֹלָם

 

Lorsqu’il dit וַיַּעַשׂ c’est dans le monde de la réalité.

 

Ce décalage entre la perfection d’un monde qui serait à l’honneur de Dieu et l’imperfection du monde de la réalité de notre représentation, de notre expérience, est connu par le vocabulaire du texte qui nous raconte que c’est un Dieu unique qui a créé et qui a fait.

Voilà l’introduction à ce problème.

 

Q : Dans le monde de la réalité, moitié-bien, moitié-mal ?

R : Dans הַעַשִיָּה עוֹלָם  (le monde de l’action) qui est le monde le plus inférieur au niveau de la réalité, il y a en réalité plus de mal que de bien. Pour הַיְצִירָה עוֹלָם   (le monde de la formation) c’est moitié-moitié. Dans הַבְּרִיאָה עוֹלָם  (le monde de la création), il y a l’amorce de la racine de ce qui sera en bas le שׁוֹרֶשׁ du רָע (la racine du mal). Et plus haut, הָאֲצִילוּת עוֹלָם  (le monde de l’émanation) c’est encore plus haut que le bien. En vérité, il y a 4 niveaux de l’être pour le vocabulaire de la תּוֹרָה, mais je n’ai fait allusion qu’à deux de ces niveaux qui nous sont familiers à cause du dualisme occidental. La pensée hébraïque pense par 4 alors que la pensée occidentale pense par 2. 4 qui sont 5 comme le rappelle la main.   

 

Le nom de ces 4 niveaux qui s’unifie dans un 5ème :

  • הָאֲצִילוּת עוֹלָם - monde de l’émanation
  • הַבְּרִיאָה עוֹלָם - monde de la création
  • הַיְצִירָה עוֹלָם - monde de la formation
  • הָעֲשִיָּה עוֹלָם - monde de l’action

 

Nous avons dans le 1er chapitre, 2 termes: בָּרֹא + עַשׂאַ (créer et faire)

Dans le 2ème chapitre au verset 7, apparait le terme de יַצַר- יְצִירָה (Former, façonner)  

Sur la question posée, הַבְּרִיאָה עוֹלָם contient l’annonce de ce qui plus bas sera ce que nous appelons ורָע  טוֹב (bien et mal) mais là-haut, la racine de ce mal est complètement bonne.

 

Une phrase de la שֶׁבְּעַל פֶּה תּוֹרָה (la tradition orale) : אין רע יורד מן השמים - aucun mal ne descend du ciel. [Sanhedrin 59b] C’est lorsqu’il arrive en bas et selon la manière dont il est reçu que cela s’inverse en mal. C’est un mystère pour la pensée occidentale. Cela semble même être une pirouette, car en bas le mal est vraiment du mal, et dire que c’est du bien en finalité, que ce soit un bien que ce soit un mal parce que le mal fait ressortir le bien qui consiste à être bien, cela ressemble aux pirouettes d’une théodicée bancale. Quand quelqu’un a mal il a mal. C’est interdit de raisonner et d’agir ainsi devant le mal ou le malheur. On reste à côté de la personne qui souffre et on se tait. C’est la plus grande consolation.  

 

Une histoire du Talmud à propos des souffrances יִסוּרִים. Quand on parle des rabbins du Talmud on parle de géants de la vertu. Alors on ne sait jamais à ce niveau si ce sont des souffrances punitions ou des épreuves d’amour. Que signifie en plus une épreuve d’amour ? Il y a une collision de concepts qui posent problème en soi. En particulier on y raconte l’histoire de Rabbi Yo’hanan, très malade, visité par ses collègues. L’un d’entre eux lui demande : « est-ce que tes souffrances te sont chers ?» (Sous-entendu compte tenu du salaire qui leur est lié). Il répond « לא הם ולא שכרם » « ni elles ni leur salaires ! ». Il faut s’habituer à ce qu’est la tradition de la sensibilité juive pour le problème des épreuves.

 

C’est quand c’est en bas que cela devient Râ (mal) mais il ne faut pas esquiver le problème, le רָע c’est vraiment du רָע (mal).

 

Une de mes maîtres, Jacob Gordin disait: qu’est-ce qu’un athée moderne ? Un athée moderne on ne peut pas dire que c’est quelqu’un qui ne croit pas en Dieu, parce qu’il ne sait pas de quoi il parle ! Un athée moderne c’est quelqu’un qui ne croit pas au mal. Alors il faut se méfier de lui. Il ne croit pas que le mal c’est le mal. Il racontait beaucoup de Midrashim à ce sujet.

 

J’ai voulu mettre en évidence ces 2 termes de vocabulaire :  

וַיִּבְרָא: בָּרָא (Il créa) signifie faire exister l’objet de la création au niveau de la vérité. Et l’atteinte de cette vérité est au-delà de la pensée avec image. C’est dire que tant qu’on pense avec des images, on ne pense pas encore d’après la תּוֹרָה, on imagine. C’est un thème très important : ‘Tu ne te feras pas d’image : cela vaut d’abord pour la pensée. Les images de la pensée c’est limite, et ce sont les images les plus dévastatrices au point de vue de l’idolâtrie.

 

Midrash inventé:

Lorsque Dieu a créé le 1er homme il lui a dit : « Si tu es sage je te donnerais une image. (L’imago déi des traducteurs).  Rendez-vous au Sinaï ! » Au Sinaï, Israël seul est arrivé et Il lui a dit : « tu seras sage et tu n’auras pas d’image ! » L’image dans le pensée c’est l’idole.  

Cf. Rashi et les Midrashim qu’il cite sur les 10 commandements : l’idole commence par se faire une image au niveau de la pensée. Or, l’image de la pensée lorsqu’elle devient mythe a une vie propre et certains mythes ont la vie dure…

 

Ce projet de vérité dont je vous parle, lorsque les Kabbalistes parlent de הַבְּרִיאָה עוֹלָם c’est au niveau de la Séfirah Binah dans le vocabulaire de la קַבָּלָה. C’est au-delà de la pensée avec image qui se trouve beaucoup plus bas. A ce niveau, le monde dans sa vérité absolue est appelé עוֹלָם הַבָּא. Donc il existe déjà.  

C’est pourquoi la Mishnah de Sanhédrin parle de la part de עוֹלָם  הַבָּא qui est réservé à chaque membre d’Israël et aussi aux חָסִידֵי אוּמוֹת הָעוֹלָם (les Justes- homme de bonne volonté des peuples du monde), chacun ayant sa part : « הבא כל ישראל יש להם חלק לעולם : tout Israël a une part au monde qui vient.»   

Un des commentaires souligne le verbe יֵש  qui est au présent : « il y a déjà ». Tout est donné à l’avance, l’essentiel c’est de ne pas le perdre... C’est encore un autre sujet.  

L’image qui apparait là c’est que c’est le עוֹלָם  הַבָּא (monde de vérité) que Dieu a créé et qu’il a diminué au niveau de  עוֹלָם הַזֶּה (monde de la réalité). Il a créé le monde de vérité qu’Il a diminué au niveau de la réalité.

 

Cela s’est passé entre le 1er et le 2ème verset de notre texte :  

 

1- בְּרֵאשִׁית בָּרָא אֱלֹהִים אֵת הַשָּׁמַיִם וְאֵת הָאָרֶץ

Au commencement créa/avait créé Elohim les cieux et la terre.  

Au niveau du projet de vérité puisque le verbe employé est בָּרָא.

 

2- וְהָאָרֶץ, הָיְתָה תֹהוּ וָבֹהוּ

Et la terre était devenue chaos.  

הָאָרֶץ (la terre) du 2ème verset : il s’agit ici de la terre de la réalité et non plus la terre de vérité comme dans le 1er verset !

Le Zohar sur le 1er verset indique: haarets shel maalah (la terre supérieure) - Et sur le 2nd verset : haarets shel maatah (la terre inférieure).  

 

Donc, ce contraste entre vérité et réalité, qui a été le point de départ de l’analyse, est connu du récit d’emblée. Il nous faut donc récupérer cette évidence.  

Lorsque nous parlons du monde imputé à Dieu ce n’est pas le monde de la réalité imparfaite quoique c’est le même sans être cependant le même. Tout cela est enfermé dans une des dimensions de signification du mot בְּרֵאשִׁית: Au commencement Dieu créa…  

Il y a une suite à ce commencement, ce que c’est devenu dans la suite du commencement c’est ce que nous avons-là : et la terre était devenu chaos...  

Ce contraste entre le monde de vérité et le monde de réalité nous est rendu par cette expression de  תֹהוּ וָבֹהו que l’on traduit par chaos : par rapport au monde de la vérité, le monde de la réalité c’est un chaos ! 

 

Il faut alors se demander qu’elle est la finalité de tout cela ? C’est la vraie question, le vrai problème.  

Si on devait, nous, juger le monde tel qu’il est on ne pourrait pas dire « c’est bon ! ». A la rigueur on pourrait dire c’est bon et c’est mauvais, mais on sait qu’il y a plus de רָע que de טוֹב en bas !

 

Midrash :

Quand Dieu a vu la série des générations de l’homme, Il a vu qu’il aurait plus de רֶשָעִים (méchants, impies) que de צַדִּיקִים (justes).  

Quand il a vu l’homme dans la vérité, c’était très bon. Quand Il l’a vu dans la réalité Il a constaté plus de רֶשָעִים que de צַדִּיקִים. Il a donc pris les צַדִּיקִים et les a plantés dans toutes les générations du monde. C’est pourquoi il y en a si peu par génération. Cela se rattache à l’enseignement des Guilgoulim : ce sont les mêmes צַדִּיקִים à travers toutes les générations, au niveau de l’envergure de chaque génération.

 

Quelques צַדִּיקִים dans la réalité et beaucoup de רֶשָעִים dans la réalité. Il y a le problème de la finalité des רֶשָעִים. A quoi servent-ils ? Ils servent forcément à quelque chose puisque c’est Dieu qui les a fait (je n’ai pas dit « créé » mais « fait » = וַיַּעַשׂ). Donc ils servent aussi à quelque chose. Le Rav Ashlag a un enseignement très important à ce sujet : A quoi servent les רֶשָעִים ?

 

Le Rav Tsvi Yehoudah avait l’habitude de citer une Mishnah des Pirqey Avot à propos de Aaron - Aharon HaKohen : il est connu comme étant l’homme de paix par excellence. La fonction du Kohen (le prêtre) est de faire la paix entre les hommes. La Mishnah interprétée par le Rav Ts.Y. Kouk nous enseigne que la fonction du Kohen c’est de faire faire la paix entre les רֶשָעִים et les צַדִּיקִים, alors qu’on s’est trop habitué au fait que le Kohen est celui qui sépare entre les צַדִּיקִים et les רֶשָעִים. (Il y a un mouvement politique qui s’appelle רצ  –– initiales  צַדִּיקִים - רֶשָעִים 

 

La Mishnah dit d’Aharon: « Il aime la paix et poursuit la paix » Peut-être là un lien avec notre sujet : il aime la paix (au niveau de la vérité) et il poursuit la paix (au niveau de la réalité). Se borner à aimer la paix comme slogan c’est une chose mais la rechercher vraiment c’en est une autre. 

« Il aime les créatures et les rapproche de la תּוֹרָה ». Le Rav Kook enseignait le Pshat (sens simple) même du texte : s’il aime les créatures qu’il doit rapprocher de la תּוֹרָה, cela signifie qu’il aime les créatures qui sont loin de la תּוֹרָה, puisqu’il doit les rapprocher...

 

Au niveau du הָאֲצִילוּת עוֹלָם (monde de l’émanation) c’est les Maalah Mitov encore plus haut que bon - טוֹב.

Et הַבְּרִיאָה עוֹלָם c’est notre texte, טוֹב, טוֹב מְאֹד

יְצִירָה: c’est le monde de טוֹב  חָצִי - רָע  חָצִי

עֲשׂיָּה: Roubo râ ve méaliouto tov: une majorité de mal, une minorité de bien.

 

Q : Quid du verset : « Il crée le mal » ?

R : Hou Boré Râ au chapitre 41 verset 17 ou 7 

Cela veut dire qu’à la racine ce רָע  au niveau de בְּרִיאָה n’est pas רָע.

C’est l’enseignement du Rav Ashlag évoqué précédemment : à la racine ce que nous appelons le  mal en bas n’est pas mal mais ne l’est qu’en bas et c’est même une des conditions de l’existence.  

On avait posé la question de la finalité des רֶשָעִים.  

J’ouvre une parenthèse sur ce que le Rav Ashlag enseigne sur ce sujet : en se basant sur des versets précis du livre de בְּרֵאשִׁית donnés à propos du déluge : lorsque le jugement qui abouti au déluge par disqualification des 10 premières générations de l’histoire de l’humanité dit que l’homme n’est que רַע : בְּרֵאשִׁית 6:5 :

 וְכָל-יֵצֶר מַחְשְׁבֹת לִבּוֹ, רַק רַע כָּל-הַיּוֹם 

« Car leיֵצֶר  (penchant) du cœur de l’homme n’est que רַע, mauvais depuis son enfance».  

Le Talmud enseigne : l’homme a d’abord un  הַרַע יֵצֶר (appétit de jouissance de vie - penchant au mal) et ce n’est qu’à la Bar-mitsvah (13 ans) que le הַטוֹב  יֵצֶר (penchant au bien) intervient. Jusque-là il n’y a que le הַרַע יֵצֶר et c’est un thème d’étude important pour la pédagogie de l’éducation des enfants jusqu’à la Bar-mitsvah. La Bar-mitsvah c’est le jour de la puberté : le jour où l’enfant est capable à son tour de donner la vie. C’est là qu’il devient majeur et responsable du point de vue de ses actes.

Recevoir la vie, c’est le הַרַע יֵצֶר.

Donner la vie, c’est le הַטוֹב  יֵצֶר.

Par conséquent, il faut arriver à penser ces catégories en les dégageant du pathos à un niveau où la finalité du הַרַע יֵצֶר peut-être comprise comme bonne.

 

Je reprends les catégories fondamentales : Recevoir l’être c’est la racine du mal, donner l’être c’est la racine du bien.    

 

Or, si je ne suis pas doué d’une tendance à recevoir l’être je ne peux plus exister. Si je ne suis pas attaché en bas par le הַרַע יֵצֶר qui me pousse à recevoir l’être, je remonte tout de suite. La נְשָׁמָה (l’âme divine) est attachée en bas par le corps sinon elle n’est pas chez elle en bas et elle ne demande qu’à remonter. C’est très dangereux de laisser la נְשָׁמָה rêver à là-haut : si le הַרַע יֵצֶר (penchant au mal) du corps n’est pas suffisamment lesté pour faire descendre la montgolfière de la נְשָׁמָה.

La נְשָׁמָה d’un צַדִּיק (l’âme divine du juste) désire remonter, elle est mal en bas. Il faut qu’elle soit attachée en bas pour la finalité de son existence terrestre par le הַרַע יֵצֶר qui est appétit de jouissance de vie.

Cela veut dire que la tendance à recevoir l’être est la condition sine qua none de notre existence. C’est lorsqu’on fait servir cette tendance à recevoir l’être à ce qu’on appelle en français l’égoïsme que cela devient le mal. Alors que l’altruisme, le donner, c’est cela le bien.

 

Le Rav Ashlag explique que nous sommes apparemment donnés à un problème impossible à résoudre : recevoir et donner sont deux tendances contradictoires que nous devons satisfaire toutes deux pour pouvoir exister. Si je ne me satisfais pas de la tendance à recevoir je m’évanouis, je n’existe plus. A la limite il s’agit des tendances égoïstes. Mais si je ne satisfais pas ma tendance à donner, le bien, l’altruisme, je suis malheureux d’être. C’est ce que les philosophes, Jean Vahl nomme cela « le malheur de la conscience ». La conscience qui se connait malheureuse car elle reconnait que ce qui la fait exister c’est le mal : la jouissance.

 

Le Rav Ashlag par son génie de simplicité, établit qu’il y a 4 dispositions de ces deux  יֵצֶרִים (ces 2 penchants):

-    recevoir pour recevoir et c’est cela le mal,

-    donner pour donner c’est le bien illusoire,

-    donner pour recevoir,

-    recevoir pour donner.  

 

Donner pour donner : c’est le bien illusoire. Celui dont c’est le slogan, l’art pour l’art, l’acte gratuit et désintéressé, fait semblant de ne rien recevoir jamais et c’est le commencement de la folie d’orgueil. En général, ces idéalistes cachent le fait qu’ils reçoivent. Ce sont les fondateurs de religions où le fondateur est pris pour Dieu. Les théologiens de ces religions sont gênés par le fait que le fondateur ait eu une mère... Alors il a eu une mère. Mais en tout cas il n’aura pas de fils... Ce genre de mythe très ancien et nous sommes « anti ce mythe ». La notion d’engendrement est signe d’impureté absolue dans une telle théologie. Dans le judaïsme le מַשִיחַ sort de l’enfantement réel. Cf. l’histoire de Ruth, mais aussi avant l’histoire de Ruth, celle des filles de Loth, ensuite Judah et Tamar et Ruth et Boz. C’est lorsque les engendrements s’affinent pour devenir parfaits que le roi David peut naître. Dans le judaïsme le מַשִיחַ sort de l’enfantement réel. Dans une telle théologie du donner pour donner on ne reçoit pas, donc on ne donne pas.

 

C’est la 2ème position et il faut passer par là avant d’arriver à la 3ème ou 4ème.

La 1ère position la plus inférieure, c’est recevoir pour recevoir on fait l’apprentissage des    כֵּלֵי קַבָּלָה, les véhicules de réception : c’est-à-dire avoir envie d’avoir envie. C’est l’âge de l’enfance où il faut apprendre à l’enfant à recevoir les vases de réception de ce qu’il recevra. Durant toute la vie, on ne reçoit jamais plus que le contenu des contenants qu’on a préparé jusqu’à la Bar-mitsvah. Il faut par conséquent bien élever les enfants pour leur apprendre à avoir envie, parce qu’après ils n’auront que cela comme envie. Ni plus, ni moins. Si on a fermé les vases de réception, ils passeront toute leur vie à tenter de les ouvrir et ils n’y parviendront pas.

Et les psychologues coûtent chers...

C’est là le הַרַע יֵצֶר jusqu’à la Bar-mitsvah. A l’âge de la Bar-mitsvah, l’être se prépare à donner. Le הַטוֹב  יֵצֶר entre dans la נֶפֶשׁ (l’âme vitale ou animale). Il apparait à l’âge de la Bar-mitsvah.  

Il y a là une période de la pré-adolescence, de la crise mystique, que tous les jeunes gens connaissent : du donner pour donner. C’est une crise dangereuse par laquelle il faut passer, mais il faut en sortir. Si on n’en sort pas on bascule dans l’illusion de l’idole chrétienne par exemple.

Cet idéalisme est typique. C’est l’âge du romantisme en littérature, il faut y passer mais il ne faut pas y rester il faut en sortir.  

Il y a alors deux apprentissages : au 1er stade on apprend à recevoir. C’est à cela que servent les רֶשָעִים les méchants : ils nous apprennent comment on reçoit. Mais il ne faut pas s’arrêter-là.      

Au 2nd stade on apprend à donner : c’est ce à quoi servent les idéalistes : ils nous apprennent à donner, mais il ne faut pas s’arrêter là.  

Alors on monte encore dans les 2 niveaux supérieurs, il y a un premier stade où lorsqu’on est sorti de ces 2 apprentissages on sait déjà qu’il faut les deux, mais on n’est pas encore très habile pour savoir dans quel ordre. C’est alors le stade de la religion naturelle : on donne en vue de recevoir.

 

La formule des latins était « do ut des » - « je donne afin que tu me donnes ». Par exemple : Je donne ma vertu pour que tu me donnes un fauteuil au paradis. C’est le niveau de la religion naturelle. Il y a quand même une gêne à ce niveau-là, c’est ce qu’on appelle la vertu לִשְׁמָּה לֹא non authentique, mais elle est très précieuse.  

Finalement, on arrive au stade de la maturité qui s’appelle חוֹכְמָה en hébreu (la sagesse), c’est recevoir en vue de donner. Le point de chute, ce n’est pas recevoir mais c’est donner. On a satisfait le Créateur en tant que Créateur de la réalité : on reçoit. Et on a satisfait le Créateur en tant que Créateur de la vérité : on donne. Mais dans cet ordre-là. Recevoir en vue de donner.  Recevoir le plus possible en vue de donner le plus possible.

 

En général, on trouve une accusation contre le judaïsme qui est accusé de matérialisme. Parce que ce sont les juifs inversés : ceux qui donnent beaucoup en vue de recevoir beaucoup. Cela concerne la 3ème catégorie. On oublie que c’est en vue de donner.  

La consigne que donne évidemment le Rav Ashlag c’est de recevoir le plus possible en vue de donner le plus possible. A ce niveau-là on atteint le bonheur de la conscience parce que les 2 tendances (הַרַע יֵצֶר et הַטוֹב  יֵצֶר) sont satisfaites.

 

Et c’est le סוֹד (le secret) de ce que dit Rashi sur le שְׁמַע קרִיאָת de servir Dieu avec ses deux penchants : « de tout ton cœur - בְּכָל-לְבָבְךָ » = לְבָבְ écrit ici avec deux lettres ב: le cœur avec les deux ventricules celui qui reçoit et celui qui donne.

Rashi explique « בְּכָל-לְבָבְךָ : בִּשְׁנֵי יְצָרֶיךָ: de tout ton (tes deux) cœur(s) avec tes deux tendances»  servir Dieu avec ses deux penchants, tes deux tendances. Il y a là une étude très importante et très difficile. Cela veut dire : avec la tendance au bien et avec la tendance au mal. Cela rejoint l’analyse du Rav Ashlag.

 

Sur ce Rashi, quelques phrases :

Habituellement, on pense que là où c’est facile, c’est de servir Dieu avec la tendance au bien. Et là où c’est difficile c’est de servir Dieu avec la tendance au mal, et que par conséquent, le חִדֻשׁ (l’idée original) du Midrash cité par Rashi serait de servir Dieu avec la tendance au mal. Comment ? Les psychologues appellent cela « la sublimation des passions ». 

 

.../...

 

C’est l’égalité d’humeur qui est le véritable bonheur du sage.

C’est au niveau de la חוֹכְמָה, la sérénité de la sagesse, lorsque l’ordre est recevoir et donc on est עבד הבורא - serviteur du créateur et en vue de donner, on est latet nahat roua’h layotser.

Ce sont les deux termes du שׁוּלחָן עָרוּךְ (code de la loi juive): quand on se réveille le matin il faut se préparer à être serviteur du Créateur, c’est-à-dire recevoir. Mais toute la journée il faut mériter ce qu’on a reçu en le donnant. Cela se dit latet nahat roua’h layotser.  

Cela veut dire que la racine du הַרַע יֵצֶר est un bien suprême. C’est ce qui me permet de pouvoir donner : recevoir.

Si c’est dans cet ordre le תִּקּוּן (la réparation, la restauration) est fait.

Il suffit que quelqu’un soit heureux pour rendre heureux les autres.

S’il est malheureux il rend les autres malheureux.

 

Q: Mishna des Pirqey Abot :

שֶׁלְּךָ  שֶׁלְּךָ , שֶׁלְּךָ שֶׁלִּי

Ce qui est à moi est à toi et ce qui est à toi est à toi

C’est encore le donner sans vouloir recevoir ?  

R : La Mishna ajoute que c’est « Midat Bénonit Véyesh Omrim Midat Sdom : C’est la vertu moyenne et il en a qui disent que c’est la vertu de Sodome »

C’est effectivement le sujet de cette Mishna et on voit la מַחְלֹקֶת (la controverse)

 

Un exemple sur cette question :

Il y a un bien qui lorsqu’on le donne on ne le perd pas et il s’accroit : c’est la תּוֹרָה.

En la donnant elle s’accroit. Beaucoup de vertus vont dans cet ordre. En particulier l’amour.

Le Midrash a donné cette comparaison lorsque Moïse a donné ses pouvoirs à Josué c’est comme une bougie qui allume une autre bougie sans rien perdre de sa flamme ni de sa luminosité. Et il y a plus de lumière.

Toute cette dialectique du donner et du recevoir se trouve en effet dans la Mishna citée des אֲבוֹת, c’est le point de départ de l’enseignement du Rav Ashlag qui explique bien cela : on est rassuré de savoir qu’il y a une finalité à ce mal, mais elle n’est pas de faire par contraste que le bien est d’autant plus bien, c’est tout à fait autre chose. Il y a une disposition des tendances qui fait que l’unité des vertus est atteinte sans en exclure la tendance à recevoir l’être, qui au contraire est sanctifiée.  

C’est-à-dire que dans le judaïsme traditionnel le Shabbat est le jour où l’on reçoit le plus pour pouvoir donner le plus.  

C’est ce qu’on apprend de קֹהֶלֶת – l’Ecclésiaste lu à Soukot et qu’indique le שׁוּלחָן עָרוּךְ: le véritable rite du Shabbat c’est : bien manger, bien boire, bien dormir, bien rire, bien chanter, bien étudier, bien prier. Et on est heureux !  

Les grands de la חָסִידוּת, et déjà le Ari, ont enseigné que la nourriture du Shabbat a un goût spécial. Les Kabbalistes enseignent énormément de choses à ce sujet de la sainteté de la nourriture du Shabbat. Je referme la parenthèse.

 

***

 

Je vous donne un exemple qui illustre ce décalage entre le monde de la vérité et le monde de la réalité. C’est l’enseignement de la תּוֹרָה : On est dans le principe de l’unité du Créateur en tant que בורא et du Créateur en tant que עושה. Il faut un effort de vie spirituelle pour arriver à intégrer dans l’économie de cette unité tout ce qui se passe dans le monde, et qui est effroyable au niveau du תֹהוּ וָבֹהוּ dont le 2ème verset a parlé.

 

Q : A propos des יִסוּרִים, les épreuves: quand cela fait mal cela fait mal. Comment concilier cette analyse avec ce qui est dit dans le Talmud de גם זו לטובה (Taanit 21a – « Cela aussi est pour le bien ») qui parle de quelque chose qui fait mal ?

R : Dans ce « זו »  cela, il y a ce mal qui est mal et on souhaite que même ce mal qui est mal en tant que mal finalement arrive en tant que bien. Mais tant qu’il est mal, il est mal. Il faut alors une capacité de foi considérable pour arriver à réaliser cela. Mais sachons qu’on ne peut pas faire comme si cela allait de soi pour l’expérience individuelle de tout un chacun. Ce sont des théodicées apologétiques du bien de Dieu qui sont gênantes et déplacées : tant qu’une personne a mal elle a mal. Ce sont des gens exceptionnels qui sont capables de dire גם זו לטובה : Je ne sais pas pourquoi je souffre comme cela mais je l’accepte : ce que Dieu fait est bien. Mais pour arriver à un tel niveau de sincérité il faut être quelqu’un.

 

Q : Quelle est la différence entre le mal et le malheur ?

R : Dans beaucoup de textes, il y a apparemment cette ambigüité, par exemple dans la Guémara : la question de Moïse à Dieu « tsadik vetov lo, tsadik verâ lo, rashâ vetov lo, rashâ vera lo » et où le mot de רָע  là peut signifier le mal ou le malheur. Mais en fait l’analyse du Rav Ashlag répond très directement à cette question : oui, tout mal a pour racine le הַרַע יֵצֶר et les conséquences de ce que le הַרַע יֵצֶר fait.  

Il faut là ouvrir une échappée d’ordre métaphysique qui va servir d’introduction à l’analyse à venir.

 

1- Si on fait l’analyse de tout mal, dans le sens de choses mauvaises, mauvaises conduites, tout mal quel qu’il soit, l’analyse le réduit en fin de compte à une racine unique qui est toujours la même : « avoir envie de ». Le mensonge, le meurtre, le viol, le vol... n’importe quoi, à la racine, il y a une envie de recevoir. Or, on est condamné à ce risque de la tendance au mal à travers l’appétit de recevoir car sans cet appétit le monde s’arrête.

 

Midrash de la Guémara Yoma : « lorsque la prophétie s’est arrêtée, l’idolâtrie s’est arrêtée » Quand on ne voyait plus, alors on ne voyait plus non plus les ombres.

Au temps d’Ezra qui est la fin de la prophétie et le commencement du Talmud, Ezra s’est dit : nous sommes dans un moment de chance, de מזל: le הַרַע יֵצֶר (l’appétit de jouissance - le penchant au mal) et la זָרָה עֲבֹדַה (l’idolâtrie) ont disparu d’Israël. Il a demandé à Dieu dans une prière célèbre que le Talmud a conservé que le הַרַע יֵצֶר des גִּלּוּי עֲרָיוֹת (de la débauche) disparaisse aussi. Le Talmud avec son humour habituel, dit : le lendemain on ne trouvait plus un seul œuf au marché ! La vie s’est arrêtée ! Il a prié pour qu’il revienne mais la Guémara ajoute : avant il était comme un lion mais maintenant il est comme un lion aux yeux crevés... Le הַרַע יֵצֶר n’a plus la même capacité qu’auparavant. Pompéi par exemple a disparu...

 

Si on fait l’analyse de toute conduite de mal, à la racine se trouve un appétit d’être. C’est semble-t-il le secret de la distinction que fait la Halakha entre la faute intentionnelle et la faute non intentionnelle à propos des sacrifices.

 

La faute Bémézig et la faute Bishgagah :

Seule la faute non intentionnelle peut être rédimée, rachetée, par les sacrifices. La faute Bémezig c’est un autre problème. La raison pour laquelle le קָרְבָּן (sacrifice) se fait par la nourriture c’est parce que c’est la nécessité de la nourriture qui mène à toutes les fautes qui se font dans la société humaine. Et lorsque l’on parle de la nourriture il y a une analyse parallèle à l’analyse marxiste qui est très importante : toute plus-value d’un objet de consommation est grevée d’un mal moral effectué quelque part, entre tel ou tel intermédiaire et l’exploitation de quelqu’un. Une exploitation, diront les marxistes. La plus-value résulte de l’exploitation. C’est pourquoi la déculpabilisation des fautes non voulues intentionnellement mais parce qu’ « il faut manger pour vivre », vient de ce que nous sommes condamnés à manger pour vivre. Le fait d’avoir envie de pain, introduit dans la société des hommes qui se définissent comme « homo-oeconomicus », le mal non désiré mais inévitable parce qu’il faut que je mange pour vivre... On est alors déculpabilisé par un repas pour lequel aucune faute n’a été faite, ce sont les קְדוֹשִים (les saintetés): le repas du grand-prêtre dans le temple.  

Ce qu’il faut arriver à comprendre au 2ème niveau, le niveau du malheur, c’est que l’être du monde  a aussi au niveau impersonnel ses tendances que nous appelons au niveau duנֶפֶשׁ (l’âme vitale) le הַרַע יֵצֶר du לְקַבֵּל רָצוֹן : le désir de recevoir.

 

Il est impossible aux modernes de penser à ces catégories suivantes : que l’être du monde ait une personnalité qui a donc aussi le לְקַבֵּל רָצוֹן. Il faudra longtemps avant que la science moderne arrive à récupérer ces catégories connues des traditions anciennes.

 

***

 

Midrash cité par Rashi :

Chapitre 1, versets 11 et 12

וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים תַּדְשֵׁא הָאָרֶץ דֶּשֶׁא עֵשֶׂב מַזְרִיעַ זֶרַע עֵץ פְּרִי עֹשֶׂה פְּרִי לְמִינוֹ אֲשֶׁר זַרְעוֹ-בוֹ עַל-הָאָרֶץ וַיְהִי-כֵן  

Et Dieu dit que la terre produise de l’herbage De l’herbe qui porte semence Un arbre fruit

Faisant fruit Suivant son espèce Porteur de semence Sur la terre Il en fut ainsi.

 

Ce terme de וַיְהִי-כֵן est la clef de l’analyse précédente : la différence entre le projet et la réalité.

La traduction française « il en fut ainsi » laisse croire que c’est ce que Dieu a voulu qui a eu lieu. L’hébreu « וַיְהִי-כֵן » dit : « il n’en fut qu’ainsi ». כֵן veut dire « comme ».  

Une partie de la création est sanctionné par « il n’en fut qu’ainsi » : Le « quasi » qui se trouve dans la réalité par rapport à la vérité.

 

Je reviens sur la catégorie des définitions épistémologiques entre la mathématique et la physique :

La loi mathématique se vérifie dans le phénomène physique mais aux conditions de l’expérience prés. Il y a toujours une marge d’erreur que les physiciens appellent « epsilon ».

Il y a toujours cet epsilon de décalage qui fait que finalement la loi mathématique s’applique aux phénomènes physiques mais « à peu prés » -  « quasi ».  

Au niveau de la vérité le « יְהִי » (que soit…) est absolu mais au niveau de la réalité c’est « וַיְהִי-כֵן » (comme).  

Dans ce projet des arbres-fruits se trouve un décalage.  

 

וַתּוֹצֵא הָאָרֶץ דֶּשֶׁא עֵשֶׂב מַזְרִיעַ זֶרַע, לְמִינֵהוּ, וְעֵץ עֹשֶׂה-פְּרִי אֲשֶׁר זַרְעוֹ-בוֹ, לְמִינֵהוּ; וַיַּרְא אֱלֹהִים, כִּי-טוֹב  

Et la terre produisit l’herbage l’herbe porteuse de semence selon son espèce

et l’arbre faisant fruit…   

L’expression « arbre-fruit » a disparu : le projet c’est que l’arbre soit fruit, la réalité ce sont des arbres porteurs de fruits. Il y a toute une philosophie dans ce décalage.

Je vais essayer de relier cela à ce que dit le 1er Psaume en parlant du צַדִּיק (le juste) :

אַשְׁרֵי הָאִישׁ - heureux l’homme qui...

Il y a une expression : וְעָלֵהוּ לֹא-יִבּוֹל - et sa feuille ne se flétrira pas

 

Il y a une espèce de drame du point de vue de la finalité de tout ce qui existe.

L’arbre a des branches, les branches ont des feuilles, les feuilles ont des fleurs, les fleurs ont des fruits : combien de branches pour les feuilles et combien de feuilles pour les fleurs et combien de fleurs pour qu’il y ait un grain qui va donner les fruits...  

Au niveau de la finalité, il semble qu’il y ait un gaspillage d’arbitraire et de destinée arbitraire pour arriver à un fruit qui recommencera le cycle. Et entretemps le drame de la feuille qui n’a pas pu être fleur et le drame de la fleur qui n’a pas pu être fruit... Il ne faut pas raconter cela car cela donne le vertige.  

 

Ce que promet le 1er Psaume c’est que le צַדִּיק sera un arbre dont les feuilles sont aussi importantes que les fleurs et les fleurs aussi importantes que les fruits. Il y a une sorte de prévision d’un monde de non gaspillage, de prodigalité, mais qui en fin de compte retombe sur le sort de tout un chacun traversé par la certitude que c’est lui le fruit.  

Et sa feuille ne se flétrira pas : un arbre persistant. C’est très beau et au moins cela sert à quelque chose. On sort du לולב de סֻּכּוֹת (la fête des cabanes) avec ce symbolisme des 4 catégories qui ont leur finalité.

Pour le Midrash cet arbre dont la feuille ne flétrit pas c’est le Etrog, mais le Saule (ערבה) aussi aura un sens. Chacun a sa place. Mais aussi le non sens de ce qui s’est flétri.  

 

Retour au sujet :

Le verset de la réalisation montre que le projet d’arbre-fruit ne s’est pas réalisé.

Dans toutes les traditions antiques on trouve un arbre-fruit qui est adoré. « Arbre-fruit » cela signifie que l’arbre a le goût du fruit. Dans nos civilisations on ne connait que la réglisse.  

 

Rashi sur עֵץ פְּרִי:  

שֶׁיִּהְיֶה טַעַם הָעֵץ כְּטַעַם הַפְּרִי וְהִיא לֹא עָשְׂתָה כֵּן אֶלָּא וַתּוֹצֵא הָאָרֶץ וְגוֹ' וְעֵץ עוֹשֶׂה פְּרִי וְלֹא הָעֵץ פְּרִי לְפִיכָךְ כְּשֶׁנִּתְקַלֵּל אָדָם עַל עֲוֹנוֹ נִפְקְּדָה גַּם הִיא עַל עֲוֹנָהּ וְנִתְקַלְּלָה

Des arbres fruitiers (littéralement : « arbre-fruit ») Que le goût de l’arbre soit le même que celui du fruit. Mais elle (la terre) n’a pas fait cela, et elle a produit « des arbres faisant un fruit qui renferme sa semence » (verset 12), et non des « arbres-fruits ». C’est pourquoi, lorsqu’Adam a été puni sur sa faute, elle a été  jugée elle aussi pour sa faute et a été maudite.

 

C’est un Rashi difficile parce que cela implique que la terre, être du monde, a une personnalité que l’on juge et puni, qu’elle est consciente, qu’elle est libre qu’elle a des tendances, qu’elle peut obéir ou désobéir... C’est une notion complètement étrangère à la mentalité moderne : que le monde est un être vivant qui a par conséquent le הַרַע יֵצֶר.

Le הַרַע יֵצֶר du monde mène au malheur, le הַרַע יֵצֶר de l’homme mène au mal. Cela nous dépasse, infiniment, mais au moins, nous voyons que les Rabbins savent de quoi ils parlent lorsqu’ils parlent de ces problèmes.  

Rashi a estimé nécessaire que les simples fidèles aient trace de cela et il nous cite un Midrash énorme dans son commentaire soi-disant du Pshat (sens simple).  

 

Encore une remarque pour atténuer la difficulté : Lorsqu’on lit le בְּרֵאשִׁית מַעֲשֵׂה (l’œuvre du commencement) des 6 premiers jours, on a l’impression que le monde change de jour en jour, il est plastique. Il y a une sorte de liberté diffuse qui rend le monde modelable. Et au moment de Shabbat tout se fige. Cela devient un monde avec des lois déterminées.

Tout se passe comme si la part de liberté diffuse dans le monde dans l’univers se réfugie chez l’homme : il n’y a plus que l’homme qui est, au nom de l’univers tout entier, l’être libre jugé par rapport à toute la création.  

 

Ce sont des notions qui nous dépassent mais suffisamment claires pour comprendre ce que Rashi veut nous transmettre avec ce Midrash.

 

Cela veut dire qu’il y a עֲוֹנ (la faute volontaire) dans la terre : il y a donc un niveau du problème moral au niveau impersonnel qui nous dépasse infiniment. Ce qu’enseigne la קַבָּלָה à ce sujet c’est que l’état moral du monde, dépend de l’état moral de l’homme.

 

J’ai beaucoup étudié ce sujet avec Jacob Gordin. Au temps de la guerre d’Espagne. Plus on mange cachère moins le sang est versé, il pensait à l’Espagne. Plus on donne la charité, plus les fleurs sont belles... Aucun rapport pour une mentalité moderne mais c’est cela la foi du monothéiste. Avec l’expérience de la vie, on finit par se rendre compte de ce qu’il voulait nous enseigner.  

On lit cela en clair dans le שְׁמַע קרִיאָת: « Si vous observez Mes commandements Je donnerais la pluie en son temps... » Cela semble être une mentalité primitive : j’observe la morale et la pluie tombe ! Quel rapport ? Le moderne a perdu cela.

  

Q : inaudible.

R : Rashi : tant que l’homme n’a pas fauté la faute de la terre n’est pas jugée, mais dès que l’homme faute, la faute de la terre est prise en compte.

La part de liberté du monde est jugée dans l’homme. Mais c’est un niveau de définition des catégories du problème moral qui nous dépasse infiniment. C’est très familier aux sociétés dites primitives. Il y a des hommes saints qui font tomber la pluie. J’en ai connu un. Il s’isolait, montait sur une terrasse, faisait la paix en lui-même, alors le ciel se pacifiait et la pluie tombait. Il pouvait savoir s’il avait réussi à faire la paix en lui-même et savoir si la pluie tomberait ou non. Pour un moderne, l’idée que la pacification intérieure des hommes fait que les saisons sont régularisées dans le monde extérieure c’est de la mentalité primitive. C’est pourquoi je vous signale qu’il n’y a pas de doute que la réponse soit de cet ordre, mais cela dépasse les catégories de la culture contemporaine

 

Ce qui est indiqué par Rashi : Tant que l’homme n’est pas en jugement, la faute de la terre n’est pas comptée. Et puis finalement ce serpent d’où sort-il ? C’est encore un mystère ! Il sort de la terre !  

 

C’est le verset 24 : lorsque Dieu demande que la terre sorte la נֶפֶשׁ חַיָּה, la personne vivante, finalement la terre n’a réussi à sortir qu’un serpent !  

Il a fallu attendre  le chapitre 2 pour Dieu dise : puisque la terre n’y arrive pas, Je vais le faire moi-même :  

נַעֲשֶׂה אָדָם בְּצַלְמֵנוּ כִּדְמוּתֵנוּ

Faisons l’homme à notre image, et fut l’homme une âme vivante.

 

A la fin du verset 7 du chapitre 2 :

וַיְהִי הָאָדָם לְנֶפֶשׁ חַיָּה

Et l’homme devint נֶפֶשׁ חַיָּה

 

Dans le projet de Dieu pour la terre au 6ème jour, elle devait sortir d’elle-même le נֶפֶשׁ חַיָּה, l’homme, mais elle ne sort que le serpent.

וְהַנָּחָשׁ הָיָה עָרוּם מִכֹּל חַיַּת הַשָּׂדֶה

Et le serpent était rusé parmi toutes les bêtes du champ  

Le serpent sort bien de la terre ; et c’est un drôle de serpent qui parle et prophétise, et Dieu lui parle ... On ne sait pas ce que c’est ? Disons... non je ne veux pas dire.

 

Q : sur la différence entre הָאֱמֶת עוֹלָם et הָאֲצִילוּת עוֹלָם est-ce que cela a un rapport avec ce que le Rav Solovetchik appelait les 2 créations celle par אֱלֹהִים et celle par אֱלֹהִים יְהוָה

R : J’avoue ne pas pouvoir répondre parce que je n’ai pas en tête ces 2 chapitres sur les 2 hommes du Rav Solovetchik, il y a longtemps que j’ai vu cela, peut-être est-ce parallèle mais je ne crois pas que c’est intentionnel chez le Rav Solovetchik. C’est à un niveau existentiel différent qu’il formule cela. Il faudrait que je relise le texte pour pouvoir répondre.

 

[Ndlr : The Lonely Man of Faith: In ''[[The Lonely Man of Faith]]'' Soloveitchik reads the first two chapters of [[Genesis]] as a contrast in the nature of the human being and identifies two human types: Adam I, or "majestic man", who employs his creative faculties in order to master his environment; and Adam II, or "covenantal man", who surrenders himself in submission to his Master.  Soloveitchik describes how the man of faith integrates both of these aspects.

 

In the first chapter, '''Adam I''' is created together with Eve and they are given the mandate to subdue nature, master the cosmos, and transform the world "into a domain for their power and sovereignty." Adam I is ''majestic man'' who approaches the world and relationships--even with the divine--in functional, pragmatic terms. Adam I, created in the image of God, fulfils this apparently "secular" mandate by conquering the universe, imposing his knowledge, technology, and cultural institutions upon the world.  The human community depicted in Genesis 1 is a utilitarian one, where man and woman join together, like the male and female of other animals, to further the ends of their species.

 

In chapter two of Genesis, '''Adam II''', on the other hand represents the lonely man of faith - bringing a "redemptive interpretation to the meaning of existence". Adam II does not subdue the garden, but rather tills it and preserves it. This type of human being is introduced by the words, "It is not good for man to be alone" - and through his sacrifice (of a metaphoric rib) he gains companionship and the relief of his existential loneliness - this covenantal community requires the participation of the Divine. ]

 

Q : Lorsque Dieu punit la terre par les ronces après la faute de l’homme, n’y aurait-il pas une mise à l’épreuve morale de l’homme par la terre ?

R : Cela se relie aux questions posées précédemment : lorsque l’homme faute, la terre est atteinte. Le résultat de la faute de l’homme c’est le malheur du monde.

Je vous cite un Midrash de la קַבָּלָה dans le Zohar, cité par le Shla’h, de façon extraordinaire :

 

Normalement le char, la מֶּרְכָּבָה qui supporte la présence divine de Dieu dans le monde cela devrait être l’homme, mais l’homme n’en n’est plus capable alors ce sont les anges qui sont la מֶּרְכָּבָה. Mais comme ce n’est pas leur travail ils sont dans l’angoisse. Ils ont peurs et ont des gouttes de transpirations de feu qui tombent de leur front. Et à chaque fois qu’une de ces gouttes tombent sur terre, il se passe un malheur. D’une autre manière, c’est le même thème.

C’est le même thème dit d’une autre manière : lorsque l’homme n’est pas à son endroit, alors il y a des malheurs dans le monde.    

 

Comment en comprendre le lien ? C’est une science qui nous dépasse, et cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de sages qui aient eu connaissance de cette science : le lien entre les fautes de l’homme et les malheurs de la terre. Mais il faut le dire en clair : cela nous dépasse ! A notre niveau il s’agit d’un vertige dont on ne connait pas les tenants ou les aboutissants.  

 

Mais il est clair que si Rashi a jugé nécessaire de préciser ce lien entre la dégradation morale et la dégradation naturelle, c’est qu’il était nécessaire qu’on entende cela qu’il y a un lien entre le manque de vertu et le fait que les fleurs n’ont plus de parfum. Or, on ne peut pas nier que nous vivons dans un temps où les fleurs n’ont plus de parfums. Il y a encore des jardins secrets ça et là où les roses ont encore un parfum de rose. Mais maintenant on vit en plein dans les parfums artificiels... Le jasmin par exemple : ce sont encore des fleurs qui n’ont pas été atteinte par la faute de l’homme. Je me rappelle du parfum des fleurs dans les rues. Et cela n’existe plus. Même le pain a changé de goût. Je ne sais pas si vous vous rendez compte ? Bon, il ne faut pas trop exagérer, cela fait un peu du romantisme attardé mais il n’y a pas de doute, c’est indéniable que les deux soient liés : la dégradation morale et la dégradation naturelle.

 

Les philosophes parlent de mentalité primitive.

 

***

Q : Le mot טוֹב avec sa signification d’harmonie, de complétude, dans la littérature hébraïque moderne. Dans la tradition orientale lien évident entre le monde physique et le monde spirituel : la pensée hébraïque est plus poche des philosophies orientales qu’occidentales ?

R : J’ai l’habitude de dire un peu l’inverse, à un certain niveau c’est vraiment une pensée idolâtre même lorsqu’elle est athée, par exemple avec le bouddhisme. Du point de vue de la sensibilité spirituelle, il y a beaucoup de convergences qui sont perdues dans les traditions occidentales. Mais cela ne veut pas dire qu’elles n’ont pas existé à l’origine. Déjà dans la Grèce antique l’expression Kalos Agatos : beau et bon. C’est טוֹב et טוּב en hébreu.  Dans l’Agatos du grec il y a un peu ce sens que vous dites.

 

Q : L’hindouisme c’est religion de mort, avec le nirvana... etc. ? La pensée juive est plus proche de la vie ?

R : Beaucoup de traditions différentes évoluant dans le temps – Brahmanisme et bouddhisme sont très différents – shintoïsme et zen sont très différents.

J’ai surtout étudié le bouddhisme, un proverbe chinois que j’ai trouvé très proche de l’humour juif :

« Il vaut mieux être assis que debout, couché qu’assis, et mort que couché » qui signifie la recherche de l’évacuation des douleurs que la vie entraine. Le bonheur souhaité étant de ne plus rien éprouver du tout...

 

L’oriental en général, cherche à bien se conduire dans la vie pour ne pas revenir en réincarnation, c’est la terreur de ne pas avoir fini les réincarnations, alors que l’occidental en général a tendance a bien se conduire dans la vie pour ne pas disparaître. Deux polarités différentes dans la sensibilité.  

 

Ce qui manque dans ces spiritualités orientales c’est le rire et la joie. Il y a une certaine dignité hiératique dans l’ennui. Le gong des Talapoins est sinistre de profondeur. Rien à voir avec le Shofar. Il manque שִׂמְחָה (la joie). C’est la vie spirituelle triste. C’est trop sérieux pour être sérieux. L’humour juif a permis de traverser l’histoire : ne pas se prendre au sérieux ! Se prendre au sérieux empêche de prendre les valeurs au sérieux, puisqu’on « se » prend au sérieux.

  

Q :

R : il y a le Shabbat de la terre et elle réclamera son Shabbat si vous ne lui donnez pas, c’est un verset très clair.  C’est donc cette idée-là que le monde est un être qui fait peur au moderne.

 

Des expressions hébraïques le confirment : הָאָרֶץ פִּי הָאָרֶץ עֶרְוָתֵ - הָאָרֶץ עַיִן … L’Egypte est appelée la nudité de la terre par exemple.

 

 

 

 

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